• Les cahiers Frédéric Dard 2018

     Les cahiers Frédéric Dard 2018

    Voici la deuxième livraison des Cahiers Frédéric Dard. Publiée sous les  auspices des Editions Universitaires de Dijon, c’est une entreprise sérieuse et importante pour tous ceux qui considèrent que le créateur de San-Antonio n’est pas seulement un amuseur, mais un grand styliste et probablement un des auteurs les plus intéressants du XXème siècle. Sans doute aurait il rigolé si au milieu des années soixante on lui avait promis une telle reconnaissance littéraire. Il existe donc aujourd’hui des Cahiers Frédéric Dard comme il existe des Cahiers Albert Camus ou des Cahiers Georges Simenon, etc. l’objectif est de montrer la profondeur et l’importance d’une œuvre à travers des études sérieuses et solidement argumentées. Avec Le monde de San-Antonio, c’est la deuxième revue qui discute de l’œuvre de Frédéric Dard.

    Il faut dire que l’étendue de l’œuvre et sa diversité encourage justement ce genre de démarche. En préparant l’édition des nouvelles de Frédéric Dard pour le Fleuve, je me suis rendu compte à quel point cette œuvre était d’une rare profondeur. Dès son plus jeune âge Frédéric Dard publiait des nouvelles d’une très haute qualité littéraire. C’était à l’époque un auteur grave. Après la Libération, il s’orienta pour partie, mais pour partie seulement vers des formes plus humoristiques, aussi bien dans ses nouvelles que dans ses romans. Et ce sens de l’humour devait ensuite servir de guide à la saga de San-Antonio et de son équipe. C’est à l’importance de l’humour que le second numéro des Cahiers Frédéric Dard est principalement consacré. Le sujet est tellement lourd qu’un numéro ne saurait suffire.

      Les cahiers Frédéric Dard 2018

    L’humour Frédéric Dard l’a pratiqué à temps presque complet, en professionnel du jeu de mot et de la blague de garçon de bains, inondant les revues auxquelles il avait accès de petites histoires signées d’une quantité industrielles de pseudonymes. Il publiait lui-même une revue Cent blagues dont il était le principal voire l’unique fournisseur et le rédacteur en chef. C’est après la guerre que Frédéric Dard aborde l’humour notamment à travers les revues produites par Clément Jacquier. Avant la Libération, il se faisait une idée plus grave de la littérature, plutôt portée vers le drame et une écriture sans fioriture et sans excès. J’ai trouvé à cet égard l’article de Thierry Gauthier qui se sert de la revue Oh ! comme pivot vraiment très intéressant. En effet dans cette revue l’humour est associé à l’érotisme : ce qui veut dire que la mise en scène de ces deux dimensions essentielles de la vie humaine sont aussi des valeurs subversives. Oh ! disparaîtra à cause de la censure pointilleuse de l'époque. Le développement de la saga de San-Antonio va se faire pleinement dans les années soixante : elle fait partie de cette démocratisation de la culture qui va trouver sa justification politique en Mai 68.

    Il y a une relation certes ténue, mais relation tout de même entre Frédéric Dard et le surréalisme. C’est vrai à travers son admiration pour l’œuvre de René Magritte. Caroline Barbier de Reulle traite de cette question en examinant les relations moins évidentes entre Dali et Frédéric Dard dans un article très fouillé qui met en contrepoint des extraits des œuvres des deux hommes. Il est dommage que personne n’ait traité des rapports entre Frédéric Dard et Louis Scutenaire. Là aussi il y avait quelque chose d’intéressant à mettre en avant. Dans les années quatre-vingts, il est clair que le surréaliste belge a une grande influence sur Frédéric Dard. Dans ces années-là et les suivantes, on peut aussi repérer une influence d’une autre figure tutélaire des surréalistes, le marquis de Sade dont l’œuvre est célébrée dans L’anthologie de l’humour noir concoctée par André Breton[1].

    Dans cette livraison, on va s’intéresser aussi aux difficultés de traduction des ouvrages signés San-Antonio, justement à cause de la singularité de cet humour. Ces difficultés en font un auteur franco-français, l’humour référant à une culture et à une histoire très française, et se présentant comme une forme de défense de l’identité française contre l'uniformisation promise par l'américanisation du monde. Dominique Jeannerod va lever ce lièvre qui fait que l’extravagance humoristique des épisodes sexuels du commissaire et de ses collaborateurs renforce le côté patriotique de l’œuvre.

    Les formes humoristiques développées par San-Antonio sont nombreuses : il pilonne le lecteur dans tous les sens et sous tous les angles, calembours, jeux de mots, contrepets, néologismes. Il y a un point encore qui aurait pu être développé, c’est l’apport de Céline à la forme d’humour développée par Frédéric Dard. Paul Mercier voit tout à fait l’importance des formes se terminant en ance, comme Navrance par exemple. Mais il ne fait pas le lien avec Céline qui lui aussi s’est servi de ces formes singulières pour s’écarter de l’argot populaire qu’il ne maitrisait pas vraiment bien.

     

    A côté de ce dossier, on trouve encore un gros article de Dominique Jeannerod sur l'importance de la sexualité dans l'oeuvre de Frédéric Dard, mais ici c'est plutôt un article sur les doutes de San-Antonio quant à sa propre virilité. C’est le genre de revue qui, même pour les connaisseurs, incite à porter un regard nouveau sur l’œuvre de Frédéric Dard. Et pour cela nous lui souhaitons une longue vie.



    [1] Gallimard, 1940.

    « Timetable, Mark Stevens, 1956Edward Anderson, Il ne pleuvra pas toujours, Rieder, 1938 »
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  • Commentaires

    1
    Luc
    Lundi 2 Juillet 2018 à 08:54

    Bonjour,

    Quand l'édition des nouvelles que vous préparez pour Fleuve Noir sortira-t-elle?

    Reprendra-t-elle les nouvelles de "La Mort des autres"?

    Cordialement

     

     

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    2
    Lundi 2 Juillet 2018 à 08:58

    L'édition est prête, on attend le feu vert du Fleuve. On ne reprendra pas les Nouvelles qui sont disponibles chez Fayard ou les Histoires déconcertantes. En outre on ne publiera que les nouvelles signées Frédéric Dard. ça fera un volume de 600 pages environ. Et si cette édition marche on fera un deuxième tome des nouvelles avec les pseudonymes. 

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