• Les carrefours de la ville, City Streets, Rouben Mamoulian, 1931

    Les carrefours de la ville, City Streets, Rouben Mamoulian, 1931

    City streets est un film très important dans la genèse du film noir. D’abord parce qu’il s’agit d’un scénario original de Dashiell Hammett. Si on avait sollicité ainsi le père du roman noir, c’est parce qu’il connaissait au tout début des années trente une reconnaissance à la fois critique et populaire considérable. Ce qui veut dire que dès le début des années trente, en pleine crise économique, le roman noir a atteint une reconnaissance pleine et entière. Il est devenu un élément décisif de la culture populaire dans et par le cinéma. Mais cette culture populaire va sortir des schémas abâtardis qui formaient le tout venant des romans de gares et autres décalques d’une littérature un peu empesée et académique. C’est par le biais du roman noir que les codes de la culture populaire vont se répandre et transformer peu à peu le paysage littéraire jusqu’à en subvertir les codes de la littérature traditionnelle. Par suite ce sera le cœur du film noir qui en dérive au moins par les sujets. En vérité l’écriture très particulière d’Hammett trouvera son pendant dans le cinéma avec le film noir avec disons The maltese falcon de John Huston. City streets est tourné 4 ans seulement après Underworld. Les deux films se ressemblent beaucoup en ce qui concerne l’intrigue et l’ambiance générale. Et pourtant il y a un écart considérable entre les deux films. La révolution du parlant est passée par là, mais aussi les réalisateurs ont appris ce qu’on pouvait faire avec des mouvements d’appareil. La photo a également fait des progrès énormes, l’éclairage également, tout cela va permettre de mieux utiliser des décors plus naturels, voire des extérieurs bien réels, comme la séquence qui se passe au bord de la mer. Dashiell Hammett n’aimait pas ce film, il trouvait cela trop racoleur, trop commercial pour être honnête. Et s’il est vrai que l’intrigue ne casse pas trois pattes à un canard, le film conserve une importance historique indéniable. Rouben Mamoulian est aujourd’hui assez oublié, et pourtant c’est certainement un réalisateur qui a fait beaucoup progresser le cinéma. Sans doute a-t-il manqué de détermination pour imposer un style, il passait volontiers de la comédie au film historique, ou encore au film d’horreur.

     Les carrefours de la ville, City Streets, Rouben Mamoulian, 1931   

    Maskal met la main sur une brasserie 

    Nous sommes dans les temps de la Prohibition, Maskal est un gangster qui s’approprie de façon brutale des brasseries de bière pour développer son trafic. Cruel il n’hésite pas à tuer. Dans son entreprise de contrôler le marché, il est aidé par Pop Cooley qui tuera pour le compte de Maskal le malheureux Blakie. Mais Cooley a une fille, Nan. Celle-ci est amoureuse du Kid, un grand sifflet un peu niais qui gagne sa vie, plutôt mal, dans une foire. Il est très habile au révolver. Nan reproche au Kid de na pas avoir assez d’ambition, de ne pas vouloir devenir riche alors qu’ils doivent se marier. Elle aimerait qu’il rejoigne le gang et propose que Pop intercède en sa faveur auprès de Maskal, mais le Kid ne veut rien savoir. Cependant, pour couvrir Pop, Nan va se faire piéger par la police et aller en prison parce qu’elle a caché le flingue qui a servi à tuer Blakie. Malgré la pression de la police elle ne parle pas. Pop va cependant encourager le Kid à rejoindre le gang au prétexte que cela lui permettra d’avoir de l’argent pour aider Nan. Lorsque le Kid vient la voir en prison, elle est surprise de voir qu’il a intégré le gang alors qu’elle-même a fait le chemin inverse puisqu’elle pense le quitter définitivement lorsqu’elle sortira de taule. Et en effet à sa sortie, alors que le Kid est venu la chercher, elle va l’inciter dans ce sens. Mais Maskal a maintenant des visées sur Nan. Il va organiser une grande fête du milieu pour tenter de se l’approprier. Il va l’obliger à danser exclusivement avec lui. Mais le Kid ne se laisse pas faire et affronte Maskal. Il finit par ramener Nan chez Pop. Prétendant ensuite ressortir pour aller s’occuper de Maskal, Nan va vouloir intervenir. Elle demande un rendez-vous et dit qu’elle va céder à Maskal à condition que » celui-ci n’embête plus le Kid. Maskal va virer Aggie. Mais celle-ci ne se laisse pas faire non plus, elle fait semblant de partir mais se cache dans la maison. Lorsque Nan arrive, elle tue Maskal sans se faire voir avec le révolver de Nan. Le Kid arrive à son tour, suivi par les hommes de mains de Maskal. Finalement le Kid confondra Aggie, se débarrassera du gang après l’avoir maté, et retournera vers l’honnêteté avec Nan. 

    Les carrefours de la ville, City Streets, Rouben Mamoulian, 1931   

    Nan et le Kid se sont connus à la fête foraine 

    L’histoire reprend donc plusieurs éléments de Underworld. La rivalité entre Maskal et le Kid pour s’approprier Nan, et donc par suite la fête des gangsters pendant laquelle le drame va se nouer et faire changer le Kid qui devient plus déterminé. Celui-ci est un mélange des deux caractères que nous avons vu dans Underworld, Wensell et Bull. lui aussi se transforme, comme Wensell, et lui aussi poursuivra celui qui veut lui prendre sa femme, comme Bull. l’originalité va se trouver plutôt du côté de ce changement inversé, au fur et à mesure que le Kid s’intègre au gang et y trouve son profit, c’est Nan qui au contraire s’en détache. Il y a donc une opposition entre l’homme et la femme qui n’arrivent pas à s’entendre. Comme il y a une opposition entre Maskal et Aggie, ou entre Pop et Pansy. Cette impossibilité de former un couple cohérent et uni va être aussi représenté par la découverte du cadavre de Johnny par Esther qui vient tout juste de sortir de prison. C’est donc plus dans ce cynisme assumé que se trouve le noir du film que dans la description du milieu et de ses combines en matière de trafic d’alcool. On retrouve également l’opposition entre la grande ville et l’argent d’un côté et la campagne symbolisée par le Kid qui tire si bien au révolver comme un cow-boy ! il y a cependant quelques autres éléments de film noir, le passage de Nan en prison où elle se morfond et se transforme dans la découverte de l’amitié avec d’autres filles qui sont un peu dans le même cas qu’elle. 

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    Non refuse de dire qui lui a donné le revolver

    En vérité le personnage central n’est pas le Kid qui apparaît comme un grand benêt qui suit le mouvement, mais plutôt Nan qui réfléchit et affronte ses démons. Certes elle fait aussi de nombreuses erreurs, d’abord en entraînant le Kid vers le gang, ensuite en voulant régler elle-même le problème que pose Maskal à coups de revolver. Mais ça ne change rien, c’est bien elle l’élément fort du couple. Ces films de gangsters du début des années trente sont clairement féminisés : nous voyons en effet des femmes qui assument leur implication dans le crime et donc qui considèrent que d’aller en prison en est la suite logique. Aggie aussi est dans son genre une femme très déterminée, elle prendra la décision de tuer celui qui la renie. Il y a tout de même pas mal d’éléments qui doivent à Hammett, par exemple cette maladie de montrer des gens qui passent leur temps à se trahir les uns les autres, avec comme objectif unique de prendre et d’accumuler des richesses, des biens, des femmes éventuellement. Maskal pense qu’il peut séduire toutes les femmes qui passent à sa portée en leur proposant une voiture, des fringues de luxe, etc. Evidemment il se trompe et ce sera la raison de sa perte.

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    Depuis sa cellule, Nan regarde Esther qui trouve le cadavre de Johnny

    Sur le plan cinématographique on voit les progrès par rapport à Underworld. Les deux fêtes des gangsters sont assez similaires, mais dans le film de Sternberg il n’y a pas de déplacement d’appareil, donc un manque de fluidité. Chez Mamoulian au contraire il se sert en permanence du mouvement, ce qui va donner de la profondeur de champ et une respiration au film. La photographie est également un peu plus lumineuse. Il introduit aussi ce qui va devenir récurrent dans le film noir et dans le film de gangster la poursuite. On verra donc une attention particulière aux camions qui transportent la bière. De même il a une grade méticulosité dans la manière de filmer la brasserie que Maskal prétend acheter. Il y a une multiplication des décors qui fonctionne comme une multiplication des points de vue. Remarquez que les images de la promenade à la mer ne sont pas très nettes, la photographie n’a pas encore fait suffisamment de progrès pour en capter la lumière. Ça va venir. Bien que le film soit parlant, Mamoulian évite les grandes discussions explicatives et préfère faire confiance aux images. On retiendra aussi la scène de la ballade de Nan et Le Kid dans la fête foraine, au-delà de la densité de la foule, c’est le mouvement de la caméra qui intéresse, avec de jolis travellings avant et arrière. Peut-être y a-t-il une difficulté supplémentaire avec l’opposition introduite dès le début entre comédie romantique – les amourettes et les petites scènes de ménage entre le Kid et Nan – et drame avec un couple qui doit affronter la séparation, la prison, et bien sûr le danger que cela représente de fréquenter la pègre. Cela engendre bien des problèmes d’unité de ton, les scènes où on voit le Kid faire des exploits au revolver ne paraissent finalement guère utiles, même si elles justifieront par la suite la crainte que le Kid inspire à une partie de la bande de Maskal. La mise en scène jouera aussi sur l’opposition entre le très grand Gary Cooper, comme encombré de son corps, et la petite et rondelette Sylvia Sidney. 

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    Nan s’inquiète parce que le Kid traficote dans la bière 

    Si Gary Cooper dans le rôle du Kid est la vedette masculine, incarnant un personnage un peu falot et naïf, c’est bien Sylvia Sidney qui domine la distribution. Le premier est déjà une grande vedette, il a éclaté dans des rôles de cow-boy au cœur tendre. C’est un personnage paradoxal parce que si officiellement il est républicain et très à droite, il passera son temps à défendre indirectement par la suite les rouges. Par exemple il refusera de témoigner devant l’HUAC, et encore il acceptera de tourner dans High noon, en pleine hystérie anticommuniste, alors qu’il sait parfaitement que ce film a comme sens de dénoncer la lâcheté de la chasse aux sorcières. Ici il tourne sur un scénario de Hammett qui n’a jamais fait mystère de ses engagements communistes. Sylvia Sidney qui d’ailleurs fera une apparition dans le Hammett de Wim Wenders, est aussi très engagée à gauche. Ici elle est excellente. Les autres acteurs sont plus communs, même Paul Lukas dans le rôle du fourbe Maskal n’a rien de déterminant, et Guy Kibbee dans celui de Pop en fait un peu des tonnes.

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    Le Kid est venu chercher Nan à la sortie de prison 

    Le film se revoie plus facilement qu’Underworld notamment parce que les acteurs sont par la force des choses plus sobres, moins grimaçants, que la mise en scène est plus aérée. C’est donc une étape importante dans le développement du film noir. Les scènes dans la prison jouent parfaitement déjà des oppositions entre les ombres et les lumières. Et encore la scène qui se passe en prison quand Nan travaille au tissage, anticipe de ce que seront ensuite ces scènes de prison où on s’exerce à essayer de refaire revenir les délinquants dans le droit chemin par leur mise au travail. On retrouvera des scènes similaires dans White heat de Raoul Walsh. C’est donc un vrai film fondateur du cycle du film noir.

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    Le Kid n’a pas l’intention que Maskal lui prenne Nan

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  • Commentaires

    1
    JP VASSEUR
    Vendredi 13 Septembre 2019 à 15:22

    Bonjour, j'aimerais vous contacter en message privé à propos de ce film. Pouvez-vous m(envoyer votre adresse e-mail ? Merci.

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