• Les confessions de l’Ange Noir, Frédéric Dard, Fleuve noir, 2017

    Les confessions de l’Ange Noir, Frédéric Dard, Fleuve noir, 2017

    Le Fleuve noir fait reparaître Les Confessions de l’Ange noir. L’intérêt de cette nouvelle édition par rapport aux précédentes, est qu’elle reprend les éditions originales parues au début des années cinquante aux Editions de la pensée moderne, maison fondée en 1952 par Jacques Grancher, le fils de Marcel E. Grancher, ami et mentor de Frédéric Dard[1]. Les aventures de l’Ange noir sont donc au tout début de la création de cette maison. On pourrait dire qu’elles en sont constitutives. C’est une série de quatre romans. D’autres avaient été prévus, mais, sans doute parce que Dard s’engageait de plus en plus avant avec le Fleuve noir, cela avait tourné court.

    Ce n’est pas tout à fait avant San-Antonio, mais ces aventures sont écrites avant que le fameux commissaire devienne célèbre, à un moment très incertain où Dard ne sait pas trop s’il va persister dans le roman policier, ou si au contraire il va plutôt s’orienter vers une carrière d’auteur dramatique. Mais il faut bien faire bouillir la marmite, il vient juste de s’installer aux Mureaux et peine à gagner sa vie, et donc il multiplie les opportunités. Cependant ces aventures de l’Ange noir, certainement écrites très vite, sont absolument nécessaires, et cela pour au moins trois raisons :

    - d’abord parce que de nombreuses formes sont testées ici par Frédéric Dard et seront reprises ensuite dans des épisodes de la saga du commissaire San-Antonio. Bien que l’Ange noir soit un gangster sans morale et violent, on peut y voir la génèse de San-Antonio qui à l’époque reste encore englué dans le ressassement des séquelles de la guerre ou encore dans des histoires d’espionnage liées à l’Occupation. De même l'Ange noir aime a détaillé ses exploits sexuels avec des positions plutôt curieuses et étranges ;

    - ensuite parce que les histoires imaginées par Frédéric Dard sont des variations sur les thèmes classiques du roman noir. Car si en effet Dard va devenir sous son véritable patronyme un des maîtres du roman noir, comme le démontre Dominique Jeannerod[2], il a bien fallu qu’il en apprenne la technique. On peut dire que c’est aussi dans le développement des aventures de l’Ange noir qui se placent aussi sous le patronage des grands auteurs américains, William Irish ou James M. Cain, ou encore de James Hadley Chase.

    - enfin parce, et bien que Dard considérait d’une manière circonspecte ces œuvres de jeunesse, on prend beaucoup de plaisir à les lire.  

    L’Ange noir est un mauvais garçon, le pire de ce qui peut se faire des deux côtés de l’Atlantique. Il vole, il tue, il rackette, sans considération pour personne d’autre que sa personne et l’argent qu’il peut tirer de ses exactions. Tout ça dans une Amérique fantasmée, peu réelle bien sûr, le souci du réalisme documenté n’est pas très présent. Il distribue les pruneaux comme un rien, punissant méchamment tous ceux qui lui ont nui. Mais n’allez pas croire que pour autant l’Ange noir ne possède plus aucun sens moral, on le verra rendre également la justice aussi bien à l’encontre d’hommes d’affaires véreux que de gangsters qui ont manqué à leur parole.

    C’est de la littérature populaire des années cinquante, époque où la télévision n’était pas encore répandue, et où la lecture était un loisir presqu’aussi important que le cinéma. Quand on lit aujourd’hui des polars prétentieux et épais comme des bibles, on se demande si le genre y a vraiment gagné quelque chose. En tous les cas l’Ange noir, malgré les faibles tirages des éditions originales contribuait lui aussi à l’apprentissage de la lecture par les masses ouvrières.



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/frederic-dard-et-marcel-e-grancher-a114844984

    [2] Frédéric Dard et les spectres du roman noir français, Editions Universitaires de Dijon, à paraître en 2017 Voir aussi l’interview de Dominique Jeannerod dans Le Monde de San-Antonio, n° 81, été 2017.

     

    « Tueurs de flics, The Onion Field, Harold Becker, 1980Bande de flics, The choirboys, Robert Aldrich, 1975 »
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  • Commentaires

    1
    Antoine
    Samedi 17 Juin 2017 à 22:20

    Merci pour cet article. Une phrase m'intrigue dans votre propos. Vous dites que Dard considérait ces oeuvres de jeunesse avec circonspection. Savez-vous pourquoi? Y trouvait-il son style encore inabouti? Si oui, j'aimerais lire beaucoup de polars au style aussi inabouti!

    2
    Samedi 17 Juin 2017 à 22:53

    Dard n'aimait pas beaucoup ce qu'il écrivait. Je pense qu'il n'a été content que de quelques uns des Hors-série signés San-Antonio, La vieille qui marchait dans la mer ou Faut-il tuer les petits garçons... Pendant longtemps il détestait les San-Antonio, pour lui c'était pas sérieux, mas ça payait. En 1966 il annonçait qu'il allait arrêter les histoires du commissaire. Et pourtant, il continua encore 33 ans !! Quand il a écrit les aventures de l'Ange noir, écrit très vite, il visait à écrire autre chose, de la littérature sérieuse genre prix Goncourt. Ceci dit il est assez évident que le style de  l'Ange noir est bien moins au point que celui de Kaput par exemple. Dard a toujours progressé au niveau du style, surtout en ce qui concerne les San-Antonio.

    Le jugement de l'écrivain sur lui-même est toujours intéressant, mais limité, parce que l'auteur sait ce qu'il a voulu écrire et ce à quoi il n'est pas arrivé, mais aussi il peut passer à côté de ce qu'il a écrit. C'est bien le cas me semble t il des San-Antonio, il n'a compris que tardivement leur importance.

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