• Les désemparés, Max Ophuls, 1949, du roman au film.

    sanxay-holding-2.jpgMax Ophuls considérait lui-même son film comme mineur. Film à petit budget, mal accueilli à sa sortie, il bénéficie pourtant aujourd’hui d’une certaine aura. Redécouvert périodiquement, il bénéfice d’une attention un peu étrange. On le regarde comme une sorte de film intermédiaire entre le film noir et le mélodrame.

    C’est d’abord l’adaptation d’un excellent roman de Elisabeth Sanxay Holding, The blank wall, paru en 1947 et traduit en 1953 à la Série noire sous le titre Au pied du mur ou le diable ne fait pas de crédit. Il faut probablement partir du roman pour comprendre tout ce qu’Ophuls a manqué.

    Une mère de famille est victime de sa propre fille. Celle-ci, elle a 17 ans et est à la recherche de sensations fortes, s’est amourachée d’une sorte de bellâtre. La mère veut mettre un terme à cette relation, mais l’homme va essayer de la faire chanter. La nuit même, ce sinistre individu retrouve la jeune fille, et celle-ci comprenant qu’il s’est joué d’elle le tue accidentellement.

    La mère qui a le sens de la famille jusqu’au sacrifice, va essayer de camoufler le crime en se débarrassant du corps. Mais elle va être victime à son tour d’une paire de maîtres chanteurs dont elle n’arrive pas à se débarrasser. Elle sera sauvée par l’un des deux voyous qui va se prendre de sympathie pour elle, jusqu’à en mourir. Tout rentrera dans l’ordre, et notre mère de famille dévouée attendra encore que son mari revienne.

    sanxay-holding.jpgC’est à la fois la trame du roman et celle du film. Pour autant, on peut dire que le film trahit l’histoire. Bien moins audacieux, il procède à plusieurs aménagements qui affaiblissent le message. D’abord, dans le roman, le chantage s’exerce sur la mère à propos de lettres qui racontent que la jeune fille a couché avec le pâle voyou. Dans le film elle reste vierge et au contraire se protège. La transposition est d’importance car dans Au pied du mur, ce qui est important, c’est d’abord l’opinion de la communauté dans laquelle la famille est insérée.

    La seconde différence est que le roman est entièrement fondé sur la peur : la mère a peur et surtout elle se sent isolée. Isolée dans sa maison, elle craint en permanence une agression extérieure. Dans le film elle ne connaît ni la peur ni le doute. C’est probablement cette modification majeure dans l’approche de l’histoire qui empêche le film d’être devenu une référence du film noir. Max Ophuls n’a pas d’idée particulière sur la dilatation nécessaire au suspense. C’est quelque chose qu’il ne sait pas faire. Si bien que les moments dramatiques sont curieusement aplatis

    Enfin, l’action a été transposée de la côte Est des Etats-Unis à Balboa, près de Los Angeles. Cette transposition ne permet pas d’utiliser le puritanisme du milieu local, car dans le roman, si on trouve bien une critique du mode de vie de la classe moyenne américaine, la réaction de l’entourage est le principal catalyseur du comportement de cette mère de famille. Et bien sûr Los Angeles n’est pas une région particulièrement puritaine. vlcsnap-2010-06-12-20h21m39s59.png

    hitchens.jpgTechniquement le film est intéressant, à cause des nombreux plan-séquence, et Joan Bennett est excellente, elle ressemble un peu à Dolores HItchen. James Mason lui, au contraire, paraît étrangement absent, et on a du mal à suivre son évolution mentale. Film de commande, Max Ophuls est arrivé sur le projet alors que le scénario existait déjà, il n’a fait que des modifications mineures, la distribution était déjà faite.

    Mais c’est peut-être aussi l’occasion de s’intéresser à nouveau à Elisabeth Sanxay Holding qui a produit quelques romans intéressants l’apparentant à cette lignée de romancières américaines. La description désabusée du milieu social participe de ce courant et la rapproche des meilleurs ouvrages de Dolorès Hitchens. Elles ont un parcours un peu similaire, passant du roman léger au roman noir comme une conséquence de la transformation radicale de la société américaine entre 1930 et 1945 vers un univers consumériste qui enferme les individus comme les consciences. La candide madame Duff est un autre opus excellent de ce style, publié aux Etats-Unis en 1946, il a été aussi massacré par Jean-Pierre Mocky.

    « Louis C. Thomas, créateur de suspenses8 femmes en noir, Victor Merenda, 1957 »
    Partager via Gmail

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :