• Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006

     Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006

    The departed est très difficile à juger, d’abord parce qu’il est le remake d’un film très réussi, Infernals affairs de Andy Lau et Alan Mak, film qui fut un énorme succès en Asie et qui obtint un fort succès d’estime en Occident. Il participa à la montée en puissance du cinéma asiatique du début des années 2000. Et donc on a toujours tendance à renvoyer à l’original. Ensuite parce qu’il traite d’un sujet qui parfois s’envole vers le grotesque et qui parfois reste au niveau du semi-documentaire avec beaucoup d’hésitation. C’est le vieux thème des infiltrés revisité par Scorsese. Ce thème est d’ailleurs un de ceux qui ont assuré les fondations du film noir. On le trouve dans les premiers films de Richard Fleischer – par exemple Trapped – ou d’Anthony Mann – T-Men, et même Joseph H. Lewis avec The undercover man. L’avantage de cette lignée de film est que dans le même homme – l’infiltré – on a à la fois le voyou qui transgresse les codes ordinaires de la morale et pour lequel le public a toujours un faible, et le policier qui remet de l’ordre dans le chaos ambiant. Evidemment se posera alors deux questions : cette infiltration n’entraîne-t-elle pas une transformation morale irréversible de l’infiltré ? La police a-t-elle le droit d’user de tels stratagèmes ? 

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Costigan va être infiltré dans la bande de Costello via un séjour en prison 

    Sullivan est recruté dès son plus jeune âge par le gangster Costello qui le pousse à faire des études pour rejoindre la police d’Etat et le servir ensuite. C’est un élément brillant qui sait se faire apprécier de partout où il passe. Mais en même temps le jeune Costigan, neveu d’un bandit irlandais de Boston, réussit lui aussi à intégrer cette même police fédérale. Il va cependant être retenu par Queenan et Dugnam pour être infiltré dans le gang de Costello. Pour cela il doit faire de la prison et se couper de tous. Ça tombe bien, vu qu’il est seul au monde. Tandis que Sullivan renseigne Costello et poursuit un parcours brillant au sein de la police, Costigan va se faire admettre dans l’entourage de Costello par l’intermédiaire de French qui a connu son oncle et qui apprécie sa violence instinctive. Sullivan se met en ménage avec la psy Madolyn qui le soigne de son impuissance, mais qui en même temps est attirée irrésistiblement par Costigan qui la consulte aussi pour qu’elle lui donne des cachets. Costigan risque sa peau, tandis que Costello monte un échange avec des chinois de micro-processeurs contre 1 million de dollars. Costigan prévient la police fédérale, mais Sullivan prévient Costello qui arrive à s’échapper. Si Costigan cherche la taupe au sein de la police, Sullivan la cherche au sein du gang de Costello. L’affaire est troublée par le fait qu’il y a aussi un infiltré du FBI au sein du gang, et plus encore parce qu’il se murmure que Costello lui-même marche avec le FBI ! Costigan est à deux doigts de découvrir l’identité de la taupe infiltrée, mais elle lui glisse entre les mains. Pire encore, il va se faire piéger par Sullivan, et s’il échappe aux hommes de Costello, c’est Queenan qui va en faire les frais. Queenan mort, Sullivan prétend hériter des informations que détient Dugnam. Mais celui-ci refuse de déverrouiller ses fichiers et se met en maladie. Costigan réapparait dans le service de police après la mort de Costello abattu lui-même par Sullivan, se faisant il se dévoile, mais il comprend alors que Sullivan est la taupe de Costello. Il le dénonce à Madolyn, celle-ci, enceinte, met le père de son enfant dehors. Costigan va tenter de piéger Sullivan, après que celui-ci l’ait effacé des fichiers de la police. Il arrête Sullivan. Mais il ne pourra pas poursuivre jusqu’au bout, il sera abattu à son tour par une autre taupe infiltré dans la police. Pour ne pas laisser de trace Sullivan va toutefois le tuer. Après avoir rendu les derniers hommages à Costigan, c’est Sullivan qui, à son tour, va être abattu par Dugnam qui a sans doute compris grâce aux révélations de Madolyn qu’il était une plaie dans le service. 

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Costello va prendre Costigan sous son aile 

    La première chose qu’on remarque, c’est que le scénario dû à William Mohanan, est extrêmement compliqué et très dense. Les thématiques, derrière celle des infiltrés, s’enchevêtrent. Il y a d’abord la quête du père : c’est ce que trouve Sullivan chez Costello, mais c’est ce que trouve aussi Costigan chez Costello et Sullivan. C’est Sullivan qui accomplira les deux meurtres du père. Ce sera donc un film placé sous les auspices de la psychanalyse ce qui n’est pas le cas d’Infernal affairs. C’est pourquoi, le rôle le plus important c’est celui de Madolyn. C’est elle qui tient de fait tous les fils de l’histoire entre ses mains, entre autres parce qu’elle est la dépositaire des secrets. Elle se sentira déstabilisée peut-être par Costigan, mais elle sera encore plus choquée par les trahisons et les mensonges de Sullivan. La toile de fond est la rivalité entre Costigan et Sullivan. Celle-ci se passe par personne interposée, et cela la renvoie au niveau des fantasmes, mais elle n’en existe pas moins. Des deux personnages c’est Costigan le plus intéressant, non pas parce qu’il représente le bien ou la loi, mais surtout parce qu’il est la personnification de la solitude absolue. Il n’a plus de famille, ne peut pas avoir confiance dans le gang qu’il intègre par définition, mais en plus il ne peut pas accéder à une relation normale avec Madolyn. Il est condamné à errer, tel Ulysse, entre des récifs de plus en plus dangereux, sans possibilité d’accoster et de trouver du repos. Sa seule planche de salut est de rester droit et de ne pas trahir. Dans l’opposition entre Sullivan et Costigan il y a aussi le fait que pour le premier tout est simple et facile, trop simple sans doute : son ascension vertigineuse, il la doit à Costello, c’est-à-dire à la corruption. Pour Costigan, au contraire, tout est compliqué, il ne peut jamais agir au grand jour, pire encore, il n’existe pas. Pour se soutenir, il prend des cachets et se laisse aller à des explosions de violence régulièrement. 

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Costigan demande plus de protection de la part de Queenan et Dignam 

    La toile de fond c’est la mafia ordinaire de Boston. C’est plutôt là que ça coince. En effet elle existe, cette mafia, de plusieurs points de vue. Il y a une sorte de gang des rues qui fricote dans les bars louches et qui rackettent petitement les commerçants. Mais à côté de cela il y a une sorte de caïd de grande envergure, Costello, dont le portrait frise le ridicule en permanence. Certes on comprend bien qu’un mafieux de grande envergure n’est pas forcément sorti de la bourgeoisie et donc qu’il traine après lui une forme de grossièreté dont il ne peut pas de séparer. C’est un portrait sans finesse qui en fait un personnage qui cherche à tout prix à se faire remarquer de partout où il passe. Passer son temps à décrire ses fantaisies sexuelles n’a que peu d’intérêt. On comprend bien que Scorsese ait voulu d’un certain point de vue démystifier la figure du parrain du type Don Corleone, mais cela tourne à vide et devient encore plus irréaliste que la figure centrale de la saga de Coppola. A côté de cela nous avons trois services de police qui se font la guerre, le FBI, la police d’Etat, et à l’intérieur de celle-ci la cellule qui gère les infiltrés. Alors que tout le monde sait que les services sont infestés de taupes, les policiers agissent en dépit du bon sens, et ne soupçonnent jamais Sullivan, alors que les éléments ne manquent pas pour au moins l’interroger. Pire encore on va lui demander d’enquêter sue la taupe, comme si les flics étaient une bande de nigauds. Tout cet aspect est en décalage avec la volonté de Scorsese de donner un aspect hyperréaliste à son histoire. 

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Costello et sa bande échangent des micro processeurs contre 1 million de $ 

    Sur le plan cinématographique, il n’y a pas grand-chose à dire, si ce n’est que Scorsese est devenu au fil des années un technicien hors-pair. Visuellement le film est impressionnant. Passons sur les grandes capacités du réalisateur à mettre en valeur les décors naturels des la ville de Boston, mais les scènes d’action sont extraordinaires et s’il y a une raison de voir ce film, c’est bien celle-là. Les actes de violence de Costigan sont filmés avec une grande inventivité. Que ce soit la bagarre dans le bar quand il commande un jus de groseille, ou que ce soit quand il défonce les deux racketteurs qui viennent réclamer leur écot à un épicier. Il y un choix des angles et un découpage donc tout à fait étonnant. Personnellement, je n’ai rien vu de tel ailleurs. Il y a ensuite la scène de la poursuite de Sullivan par Costigan. Cette scène dure très longtemps, on prend en enfilade des couloirs d’immeuble, on se fond dans la foule très dense, et puis on verra aussi une course avec les ombres qui montre que Scorsese connait bien sa grammaire du film noir. De même il utilisera à bon escient les stores vénitiens, comme au bon vieux temps, sauf que nous ne sommes plus au bon vieux temps, et que la technique et les moyens mis à la disposition de Scorsese font la différence. Bien entendu, Scorsese a repris plusieurs scènes d’Infernal affairs, notamment la scène de la confrontation entre Sullivan et Costigan sur le toit de l’immeuble. Beaucoup s’en sont aperçu. Mais cela n’est pas important. Par exemple quand Queenan est jeté du haut du toi, il y a un réalisme incroyable. D’habitude ce genre de scène est filmée de très loin, de façon à ce qu’on ne se rende pas compte qu’il s’agit d’un mannequin. Ici on voit Queenan chuter directement : soit ils ont attaché Martin Sheen à des fils de nylon, soit ils ont filmé la chute sur un très court espace de temps, avec des matelas pour amortir le choc, et ils ont démultiplié la durée. Les scènes d’une grande violence réalistes sont très nombreuses, y compris quand elles doivent opposer des flics. 

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Costigan est sur le point de démasquer Sullivan 

    Mais au-delà de toutes ces qualités visuelles, bien aidées d’ailleurs par la photo de Michael Ballhaus qui avait été bien moins heureux sur Gangs of New York, il y a un rythme qui est très bon, même si par ailleurs on peut trouver que le film traine en longueur. Dans les couleurs bleutées, on assistera sous tension à l’échange entre les Chinois et le gang de Costello, alors que cet échange est en même temps suivi de loin par la police qui a placé des caméras. Dans ce cas là le montage fait tout, et cette tension est faite évidemment pour exaspérer le spectateur qui se demande bien comment Costello va bien pouvoir s’en tirer cette fois. Les scènes qui tournent autour des relations amoureuses de Madolyn sont nettement moins réussies, bien qu’elles soient indispensables pour faire le lien entre les deux protagonistes, un peu comme si Scorsese voulait rester dans un film d’hommes. Pour un psy, on se dit que cette jeune femme fait la preuve d’une très grande naïveté.

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Queenan est jeté d’en haut du toit 

    La distribution est excellente, très riche, dominée par Matt Damon qui incarne Sullivan et Leonardo Di Caprio qui est Costigan, bien que celui-ci soit encore plus remarquable, possédant sans doute un registre beaucoup plus large. Mais il est vrai qu’il est plus facile de jouer les hommes tourmentés que celui d’un homme qui tente de se faire passer pour un serviteur ordinaire et discret de la police. Alec Baldwin et Mark Walhberg dans les rôles respectifs du chef de la police Ellerby et de Dugnam sont aussi très bons. Mark Walhberg qui a tourné dans de très nombreux navets est en conséquence un acteur très sous-estimé. On trouve encore Martin Sheen dans le rôle de Queenan, et puis la très bonne Vera Farmiga dans celui de Madolyn, elle éclaire un rôle relativement difficile parce qu’incomplet et bancal et parait très à l’aise dans les scènes sexuelles. Si les seconds rôles chez les gangsters sont très bons, notamment Ray Winstone dans la peau du brutal French, Jack Nicholson détonne pas mal dans celui de Costello. Il cabotine outrageusement, et plombe complètement le récit par ses grimaces, la plupart de ses scènes paraissent surajoutées. Sans doute parce que c’est un grand nom et qu’il fallait lui donner de la place, mais aussi parce que son personnage est sensé expliquer ce que sont vraiment les deux infiltrés. 

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Sullivan va abattre Costello qui est aussi une taupe du FBI 

    Le film fut un énorme succès planétaire, comme presque toutes les associations Scorsese-Di Caprio d’ailleurs. Ce n’est pas le meilleur de Scorsese, et surtout on peut le juger inférieur à la version hongkongaise qui est moins prétentieuse et plus simple dans ses intentions, beaucoup pensent cela. Lors de sa sortie, le film m’avait agacé. En le revoyant je le trouve moins mauvais que dans mon souvenir, sans doute parce que je fais un peu plus attention à l’aspect technique de la réalisation. D’autant qu’on peut aujourd’hui apprécier ce film dans une version Blu ray qui la met particulièrement en valeur dans les côtés sombres des images.  C’est sans doute le film le moins mauvais de l’association Scorsese-Di Caprio.  

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006

    Costigan a les preuves de la trahison de Sullivan et l’arrête 

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Dugnam va abattre Sullivan

    « Ces garçons qui venaient du Brésil, The boys from Brazil, Franklin F. Schaffner, 1978Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949 »
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