• Les salauds vont en enfer, Fréderic Dard, EUD, 2015

    Les salauds vont en enfer, Fréderic Dard, EUD, 2015  

    J’avais déjà signalé la parution de cet ouvrage il y a quelques semaines pour dire tout l’intérêt qu’il y avait à publier le théâtre de Frédéric Dard. En effet comme le rappelle la présentation de l’ouvrage, Dard s’est d’abord défini à son arrivée à Paris comme un auteur dramatique. Il est vrai que c’est l’adaptation de La neige était sale qui lui permit de sortir de l’anonymat. Cette publication comblera ceux qui considèrent avec Dominique Jeannerod qu’il ne faut pas se contenter de Frédéric Dard comme écrivain, mais aussi le considérer comme un auteur de théâtre et un scénariste-dialoguiste qui fournit un travail énorme dans le cinéma de genre comme on dit.

    Les salauds vont en enfer inaugure par son ton plus que par son intrigue le cycle de ce que Jeannerod a appelé les romans de la nuit et qui consiste en une série d’une trentaine de courts récits parus dans la collection « spécial police ». ce cycle s’effilochera et prendra fin avec l’explosion des tirages des aventures de San-Antonio dans le début des années soixante.

    Mais Les salauds vont en enfer est aussi ce récit qui a d’abord été une pièce de théâtre, puis un film, puis enfin un roman, publié aussi en feuilleton. Ultérieurement, il sera aussi adapté pour le petit écran. Et chaque fois les variations d’un support à l’autre seront importantes, transformant radicalement l’approche.

    La pièce fut donc écrite pour le Théâtre du Grand Guignol, en deux jours et demi selon Dard, en 4 jours selon Rivière, en tous les cas rapidement. Elle scella aussi l’alliance définitive de Frédéric Dard et de Robert Hossein. Non seulement le Théâtre du Grand-Guignol joua un rôle formateur dans la carrière de Frédéric Dard en tant qu’auteur flirtant avec les formes particulières de la littérature d’épouvante[1], mais dans les thématiques développées sur le mode plus léger des aventures de San-Antonio.

    L’introduction rédigée par Hugues Galli, Thierry Gauthier et Dominique Jeannerod, va s’attarder à rendre compte de la transformation de cette pièce en un film, puis en un téléfilm, passant aussi par le feuilleton et par « le film raconté » et le roman. C’est très instructif en ce sens que cela éclaire aussi la position de Frédéric Dard face aux exigences des « industries culturelles ». Incidemment cela éclaire aussi les relations entre Robert Hossein et Frédéric Dard, puisque c’est autour de cette pièce et malgré les disputes liées à l’adaptation cinématographique – Dard en sera écarté – que cette collaboration s’enracinera.

    Le contexte – le redémarrage du Théâtre du Grand-Guignol – est à la fois très bien rendu et très documenté. Il est probable d’ailleurs que Frédéric Dard ait collaboré à ce théâtre sous le nom d’Eddy Ghilain.  

    Les salauds vont en enfer, Fréderic Dard, EUD, 2015 

    La pièce était mise en scène par Rober Hossein, avec Roger Hanin, Robert Berri et Luce Aubertin 

    La réception par la critique de la pièce, comme celle du film et du roman n’a pas été enthousiasmante. L’ouvrage reproduit d’ailleurs un articulet assez débile – n’ayons pas peur des mots – de ce malheureux François Truffaut (bon à rien, mauvais à tout) qui esquinte littéralement Robert Hossein dont c’était la première réalisation cinématographique. Personnellement je tiens Hossein pour un vrai réalisateur de films noirs[2], un des rares en France, bien sûr avec des hauts et des bas dans sa carrière. Le film qu’il a tiré des Salauds vont en enfer possède aussi des qualités cinématographiques certaines.

      Les salauds vont en enfer, Fréderic Dard, EUD, 2015

    Mais les deux compères prendront assez l’habitude de se faire rejeter par un l’establishment littéraire et cinéphilique, la reconnaissance de leur talent ne viendra qu’après 1968 quand les codes auront fort heureusement changé. Le problème soulevé est bien sûr celui de l’adéquation de « la critique bourgeoise » à la production d’une culture populaire : n’oublions pas que Robert Hossein et Frédéric Dard n’ont pas de bagages et de diplômes et appartiennent à cette espèce particulière qui fait intrusion dans un monde dominé par une bourgeoisie plus ou moins lettrée.

    La présentation est savante et très complète. Le livre est accompagné aussi d’une iconographie particulièrement riche. Je ferais quelques petites critiques pour finir – il faut bien en faire un peu  – c’est  que la trame des Salauds vont en enfer ne puise pas sa source que dans les romans noirs de William Irish et de James M. Cain. Plus prosaïquement elle se trouve dans une nouvelle La belle qui date de 1949 et qui parut dans le n° 15 de la revue OH ! Dans cette nouvelle la femme se nomme aussi Éva, comme dans Les salauds vont en enfer le roman.  La belle est également le titre de la deuxième partie de ce même roman. Le mot est à double sens puisqu’il désigne à la fois le fait de s’évader et la rencontre d’une femme d’une grande beauté. Mais en outre, Les salauds vont en enfer, la pièce est inspirée d’un ouvrage signé Frédéric Charles, Dernière mission, paru en 1950, c’est aussi le premier roman d’espionnage publié par Frédéric Dard au Fleuve Noir. d’autres résonances des Salauds vont en enfer se retrouvent non seulement dans Fais gaffe à tes os, signé San-Antonio, mais également dans La nuit des espions, roman signé Robert Chazal, mais sans doute de la plume de Dard, où jusqu’à la fin on ne sait pas qui est qui, la femme comme l’homme peuvent être très bien tous les deux anglais, ou tous les deux allemands, ou encore ennemis, si les deux nationalités ne correspondent pas.

    Il me semble également que dans la pièce le thème de l’homosexualité sous-jacente est très présent, ce qu’a très bien ressenti Robert Hossein dans son adaptation cinématographique. Dans leurs analyses Galli, Gauthier et Jeannerod, glissent trop rapidement dessus. Pourtant cette amitié entre deux hommes aux objectifs complètement opposés va devenir une vraie passion.

    Les salauds vont en enfer, Fréderic Dard, EUD, 2015

    Le film de Robert Hossein 

    Les salauds vont en enfer, Fréderic Dard, EUD, 2015 

    Les salauds vont en enfer dans l’adaptation d’Abdel Isker

    En tous les cas l’ensemble est excellent et très original.

     

    Liens 

    http://alexandreclement.eklablog.com/les-salauds-vont-en-enfer-robert-hossein-1956-a114844966

    http://www.ina.fr/video/RAF04028090

    http://www.cinematheque.fr/sites-documentaires/pimenoff/rubrique/impression-au-coeur-des-documents-croquis.php


    [1] Voir Alexandre Clément Frédéric Dard, San-Antonio et la littérature d’épouvante, Les Polarophiles tranquilles, 2010.

    [2] Contrairement à Truffaut qui a massacré toutes les adaptations qu’il a réalisé des grands auteurs de romans noirs comme David Goodis, William Irish ou Charles Williams.

    « Pierre Chalmin, Dico Dard, Fleuve, 2015Association criminelle, The big combo, Joseph H. Lewis, 1955 »
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