• Les sorcières de Hollywood, Thomas Wieder, Philippe Rey, 2006

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    Voilà un ouvrage essentiel à qui veut comprendre non seulement l’importance du cinéma américain dans la formation des idéologies contemporaines, mais aussi les rapports que la chasse aux sorcières a entretenu avec le film noir.

    En vérité la chasse aux sorcières commence bien avant la Guerre froide, avant que la Russie ne soit dénoncée comme une dictature. Elle a deux ressorts essentiels : d’une part contrecarrer le programme de Roosevelt qui va dans le sens du développement des syndicats, des droits sociaux et d’un meilleur partage, et d’autre part tenter d’inverser la tendance et œuvrer dans le sens de la neutralité des Etats-Unis dans le conflit avec l’Allemagne nazie.

    C’est donc l’extrême droite qui va emmener la lutte contre les rouges ou supposés tels. Cette extrême droite est animée par des crapules du type Reagan, Nixon, John Wayne ou Howard Hugues, mais elle a du mal à masquer ses sentiments racistes vis-à-vis des Juifs qui sont les maîtres du cinéma à Hollywood et des Noirs, bien entendu.

    On connaît le principe des listes noires, elles sont dressées sous la pression et le chantage, jouant de la lâcheté du personnel d’Hollywood. C’est une histoire assez sinistre puisque de grands réalisateurs comme Kazan, Dymtryk et quelques autres se vautreront dans la délation et le reniement.

    Cette chasse aux sorcières que l’imbécile James Ellroy semble soutenir au motif qu’il n’aime pas les rouges, va provoquer une saignée dans la créativité d’Hollywood. Jusqu’à la fin des années soixante – c’est-à-dire jusqu’au moment où le système des studios hollywoodiens s’effondre, plongeant le cinéma américain dans la niaiserie et la stupidité. Bien sûr malgré cette chape de plomb qui va tomber sur Hollywood, quelques acteurs, quelques réalisateurs vont continuer à produire des films intéressants, mais seulement en rusant avec le système, ce qui n’est pas la même chose que de travailler en conscience avec l’assentiment du public et de la nation.

    Dans un premier temps les hommes et femmes de gauche d’Hollywood vont tenter de se battre, de s’organiser, jouant de leur prestige, comme le fera Humphrey Bogart et ses amis. Mais bien vite ils vont massivement baisser les bras. Des héros de films noirs comme Bogart, Edward G. Robinson, vont se renier, revenir à des pratiques mesquines et peureuses. 

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    Manifestation de soutien aux 10 d’Hollywood 

    C’est qu’en vérité la Commission des activités anti-américaines, s’est assuré la complicité des patrons des grands studios. C’était assez facile d’embarquer les canailles comme Walt Disney ou Howard Hugues dans la lutte contre les rouges, racistes, corrompus, soutiens des partis nazis de par le monde, ils étaient les premiers convaincus de la nécessité d’éradiquer toute forme d’idéologie pouvant apparaître comme sociale ou avancée. C’était plus difficile avec les patrons juifs des grands studios, que ce soit les frères Warner, Louis Mayer ou Cohn. En réalité cela se fit en deux temps : d’une part en démontrant à ces moguls que leur intérêt économique était de combattre les syndicats, et d’autre part en leur demandant de faire la preuve, en chassant le rouge, qu’ils étaient des vrais américains et pas seulement des Juifs apatrides. Car comme je l’ai dit plus la Commission était essentiellement raciste et savait parfaitement manipuler l’opinion et instiler la peur.

    Le film noir paya un lourd tribut à cette guerre. On peut dire que c’est la Commission qui l’entraîna vers sa fin. C’est bien la preuve d’ailleurs que le film noir jouait un rôle subversif. John Berry, Jules Dassin s’exilèrent, Abraham Polonsky à qui on doit le très beau Forceof evil, ne tournera plus. John Garfield, l’icône du film noir, en mourrut. Kazan devint Kazan, un pauvre type rongé de culpabilité tournant des films honteux comme Sur les quais pour se justifier de ses pratiques de délation, passant d’une vision sociale de la réalité à un soutien au patronat et à l’entreprise privée. 

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    Humphrey Bogart et Lauren bacall emmenant une manifestation protestant contre les pratiques de la Commission des activités anti-américaines 

    Beaucoup regretèrent de s’être laisser effrayer. Mais le mal était fait. Des acteurs comme Edward G. Robinson ne fut ensuite plus que l’ombre de lui-même.

    Tout se passa un peu comme si la Commission voulait favoriser le western, clair, blanc lumineux et raciste – John Wayne en quelque sorte – en écarter le film noir, peu coloré, ambigu, urbain par nature. Le triomphe de la Commission c’est le triomphe de John Wayne que Paul Newman stigmatisera dans un film à mon sens trop méconnu WUSA. En passant du film noir au western et à Walt Disney, Hollywood régressait d’un cinéma adulte vers un cinéma infantilisant

    Le cinéma américain a toujours suivi des cycles. Dans les annnées trente et quarante, il participa à l’émancipation culturelle des Etats-Unis, dans les années cinquante et soixante, il fut dominé par les options d’extrême droite. Mais dans les années soixante-dix, il redevint un écho de la critique sociale, et c’est du reste à cette époque qu’on s’intéressa à nouveau au film noir en même temps qu’il dénonce plus clairement les rêves moisis de l’American ay of life.

    Après l’élection de cette canaille de Ronald Reagan, mauvais acteur, mauvais en tout, de nouveau Hollywood rentra dans la nuit, produisant des films stupides, jouant de la technologie et des effets spéciaux pour soutenir son message néo-libéral qui va si bien avec la mondialisation économique.

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    Quand en 1999, Martin Scorsese remit un Oscar à Kazan pour l’ensemble de son œuvre, cela fit beaucoup de remous. De nombreux acteurs et réalisateurs furent outrés. Mais c’était bien plus qu’un hommage à Kazan, c’était le propre reniement de ce que Scorsese avait représenté dans les années soixante-dix. On oublie qu’un des premiers films importants de Scorses fut Bertha Boxcar, film social, de gauche, voire anarchioste et pro-syndicaliste. C’est le malheureux Scorsese qui achèvera sa carrière dans la biopic honteuse d’Howard Hugues, The aviator qui rejoint dans l’ignominie le film d’Eastwood sur HooverHHiHhHiHoooo.  

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