• Leur dernière nuit, Georges Lacombe, 1952

    Leur dernière nuit, Georges Lacombe, 1952

    Continuons sur  notre lancée en revenant à Jean Gabin comme héros de film noir. Je signale par parenthèse qu’il avait tourné avant la guerre dans des films noirs comme Pépé le moko ou comme Le jour se lève, qui avaient fait le tour du monde et qui d’ailleurs avaient fait l’objet de remakes américains. Cela pour dire que si le film noir est très largement américain, il a des racines en France et plus particulièrement dans les héros interprétés par Jean Gabin. Dans un film de très belle facture, celui-ci va retrouver un personnage un peu similaire à celui de Lussac dans Miroir. En effet, dans Leur dernière nuit, il est encore un gangster qui se dissimule sous les traits d’un honnête fonctionnaire, bibliothécaire de surcroît. C’est encore avant Touchez pas au grisbi qui va finalement positionner Gabin définitivement dans le rôle d’une sorte de parrain du milieu parisien. Bandit, certes, mais au grand cœur. C’est une version singulière de l’anarchisme que Jean Gabin a toujours plus ou moins professée.

     Leur dernière nuit, Georges Lacombe, 1952 

    Ruffin est chef bibliothécaire 

    Madeleine Marsan arrive de province pour trouver du travail à Paris à une époque où cela semble un peu difficile. Elle s’installe dans une pension de famille où elle se lie avec Pierre Ruffin, bibliothécaire en chef, qui va l’aider à lui trouver du travail. Mais Ruffin est aussi connu comme chef de gang sous le nom de Fernand. Ce n’est pas vraiment un bandit de vocation, mais c’est en faisant des hold-up qu’il trouve l’argent pour racheter des terres. Mais le coup que Fernand et sa bande réalisent dans une usine importante tourne mal. Ses complices sont abattus et lui-même est arrêté. Il refuse de donner son identité. Profitant ensuite d’un transfert vers la prison, il s’évade avec un autre prisonnier[1]. Dès lors il va être traqué par la police, mais Madeleine va l’aider avec beaucoup de spontanéité. Madeleine et Pierre vont vivre une histoire d’amour plutôt tourmentée, ce qui les rapproche, c’est d’abord le fait qu’ils sont des réprouvés. Chacun à leur manière a souffert de situations fatales qui les ont entraînés sur la pente savonnée. L’issue de la chasse à l’homme sera évidemment tragique.

    Leur dernière nuit, Georges Lacombe, 1952  

    Madeleine cherche désespérément du travail 

    Histoire criminelle, Leur dernière nuit est aussi celle qui lie deux solitudes et deux destins. Ce sont tous les deux des marginaux, chacun dans leur genre, et ils vivent l’impossibilité d’une réhabilitation. Si Madeleine est décalée dans le monde de l’enseignement où elle s’insère, Pierre est aussi peu à son aise en tant que bibliothécaire qu’en tant que chef de bande. La police apparaît pour ce qu’elle est, la représentante d’une justice aveugle qui se moque de qui elle condamne et des motivations réelles des délinquants. Cette histoire sombre est complètement reliée à ce que fut Paris, un Paris encore populaire fait de petites gens et de petites communautés repliées sur leur quartier. C’est sans doute cet aspect particulier qui fait que le film est très réussi. Que ce soit les lieux parcourus, la pension de famille, la bibliothèque ou le salon du coiffeur, les décors sont extrêmement bien choisis. Les extérieurs, notamment les quais et leurs péniches, donnent ce goût très particulier d’un monde révolu.

     Leur dernière nuit, Georges Lacombe, 1952 

    Chez le coiffeur Ruffin récupère de l’argent 

    Il est toujours très difficile quand il s’agit de Jean Gabin de parler des réalisateurs qui l’ont accompagné. « Jean Gabin » est presqu’un sous-genre cinématographique à part. Georges Lacombe est un cinéaste aujourd’hui presque totalement oublié, mais qui connut de grands succès populaires, notamment avec Jean Gabin. Il excellait dans le drame mais aussi dans l’utilisation des décors parisiens. C’était un réalisateur plutôt précis et vif qui savait donner du rythme à ses histoires. Leur dernière nuit  n’a pas été un très gros succès pour Jean Gabin, mais c’est un film qui au fil des années tient bien la route. La mise en scène est sobre, peu de mouvements de caméras, mais toujours justes. La scène du hold-up raté est remarquable de précision, tout à fait digne des films noirs américains, et s’enchaîne avec la course poursuite qui aboutira à l’arrestation de Ruffin. Les ponts les escaliers donnent aussi une dureté particulière à l’histoire, comme autant d’obstacles qu’il faudra franchir pour les deux amants. Le quai des orfèvres, le défilé des pèlerines réglé comme un ballet, tout cela est filmé avec une œil assez sûr.

    Leur dernière nuit, Georges Lacombe, 1952  

    La bande à Fernand vole la paie des ouvriers dans une usine 

    C’est un véhicule parfait pour un Jean Gabin qui commençait tout doucement à s’empâter, si dans la première partie il s’applique à donner le change, caché derrière sa moustache, dans la seconde partie il devient complètement vulnérable et s’en remettra à la fatalité, y compris en se laissant aller à des sentiments pour Madeleine. Celle-ci est interprétée par Madeleine Robinson qui est ici très bonne. En effet elle avait un physique un peu difficile, grande, massive, mais ici elle arrive à incarner une forme de fragilité qu’elle ne combat qu’en se dévouant à Ruffin qu’elle veut sauver et que pourtant elle perdra. Dès qu’elle prend Ruffin en charge, elle se transforme en ménagère et en femme d’intérieur, s’occupe de son linge, dresse le couvert, assure son confort. Les autres acteurs ne sont pas très importants, à l’exception de Robert Dalban, qui à l’époque était marié avec Madeleine Robinson. Il interprète le policier qui traque avec ruse et obstination Ruffin, mettant à jour les uns après les autres tous ses petits secrets. Il retrouvera un rôle similaire dans Le monte-charge de Marcel Bluwal d’après Frédéric Dard. A l’évidence d’ailleurs Leur dernière nuit  a influencé Frédéric Dard, que ce soit dans les rapports que noue cet étrange trio, ou encore que ce soit dans les moyens que Ruffin met en œuvre pour se tirer d’affaire , par exemple la nuit qu’il passe avec une prostituée sans la toucher.

     Leur dernière nuit, Georges Lacombe, 1952 

    La police enquête à la pension du Duc d’Aumale

     

    Si tous les films de Jean Gabin ne sont pas de qualité équivalente dans les années cinquante, Leur dernière nuit  est un très bel épisode de cette légende et donne des lettres de noblesse au film noir à la française que d’aucuns prétendent n’avoir jamais existé.

     Leur dernière nuit, Georges Lacombe, 1952 

    Ruffin vient trouver le coiffeur, le soupçonnant de l’avoir trahi

     Leur dernière nuit, Georges Lacombe, 1952 

    Madeleine rêve de partir loin de France avec Pierre

     Leur dernière nuit, Georges Lacombe, 1952 

    Pierre tente une dernière fois d’échapper à la police

     

     


    [1] L’évasion est inspirée d’un fait divers qui défraya la chronique, il s’agit de l’évasion de René Girier, dit René-la-canne, qui avait scié le plancher du fourgon cellulaire. On retrouve cette évasion plusieurs fois sous la plume d’Auguste Le Breton, et à l’écran dans Le clan des Siciliens, encore avec Jean Gabin.

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