• Lino Ventura, Philippe Durant, First, 2014

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    Lino Ventura a été un acteur à la popularité immense et durable. Philippe Durant lui avait déjà consacré un livre en 1987 chez Favre. Cette nouvelle biographie est plus complète et corrigée sur de nombreux points. Dans les années cinquante Lino Ventura est d’abord un second rôle qui va réaliser une carrière sur sa présence physique. Mais bien sûr si déjà il se fait remarquer, c’est qu’aussi il a une manière bien à lui de jouer les durs. Dès ses premières apparitions aux côtés de Jean Gabin, les critiques ne s’y trompent pas. Il va atteindre la notoriété des premiers rôles avec Le gorille vous salue bien. Tourné en 1958, ce film d’espionnage plutôt léger connaitra un succès foudroyant. A partir de là Lino Ventura va gérer sa carrière avec une grande intelligence. Il refusera de se faire enfermer dans des rôles appartenant au registre des films d’action sans consistance. Voulant éviter de se perdre comme pu le faire Eddie Constantine, il refusera de réendosser le costume du Gorille pour tourner une suite. 

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    Classe tous risques de Claude Sautet

    C’est dans les années soixante que se construira le meilleur de sa carrière. Il avait déjà fait de nombreuses apparitions dans des films noirs, mais c’est sa rencontre avec José Giovanni qui va changer sa trajectoire. En 1960, c’est d’abord Classe tous risques de Claude Sautet. Le film a été monté à l’initiative de Lino Ventura. Après avoir lu le livre de José Giovanni, il imposera Claude Sautet comme réalisateur. C’est un film novateur sur le plan esthétique et Lino Ventura impose ce personnage tragique de l’homme seul, courant presque délibérément à sa perte. Philippe Durant donne des détails sur le tournage et la réception de ce film. Contrairement à une légende tenace le film eut un bon accueil à la fois de la part de la critique et du public et devint, à juste titre, une sorte de classique du film noir. Comme le personnage est plus ou moins démarqué du véritable Abel Danos, truand reconverti pendant l’Occupation dans la Carlingue, il y a un côté sulfureux qui rappelle le passé trouble de José Giovanni lui-même pendant la guerre et à la Libération. Claude Sautet a toujours prétendu ignorer au moment du tournage la vraie histoire d’Abel Danos. Cela semble pourtant assez difficile à croire. Mais en tous les cas, même si on peut s’étendre à l’infini sur cette question, le film reste terriblement humain.

    En 1961, le succès inattendu d’Un taxi pour Tobrouk fait de Lino Ventura une énorme vedette. Le début des années soixante va permettre à Lino Ventura d’élargir son public notamment en s’orientant vers la comédie parodique. Il tournera sans trop de conviction Les tontons flingueurs qui sera sa première collaboration avec Georges Lautner et qui triomphera au box-office, avant de devenir au début du XXIème siècle un film culte à cause des bons mots d’Audiard. 

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    Les grandes gueules de Robert Enrico 

    Mais cela ne fait guère avancer sa carrière du point de vue de la qualité. C’est José Giovanni qui va le ramener au drame noir avec Les grands gueules. Il adaptera son propre roman, Le haut fer, avec Robert Enrico. C’est d’ailleurs José Giovanni qui entretemps était devenu un scénariste connu et respecté, qui aura été cherché Robert Enrico dont il avait apprécié La rivière du hibou pour la réalisation. Le film sera un triomphe au box-office et sur le plan de la critique qui saluera ici le choix des grands espaces et le souffle de l’aventure. Sa carrière patinera quelque peu, c’est le demi-échec de La métamorphose des cloportes, ou encore le demi-succès de Ne nous fâchons pas. 

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    Le deuxième souffle  de Jean-Pierre Melville 

    C’est pourtant Jean-Pierre Melville qui va relancer la carrière de Lino Ventura en adaptant un autre ouvrage de José Giovanni, Le deuxième souffle. C’est encore l’histoire d’un truand vieillissant – inspiré de Gustave Méla – dont le seul intérêt pour la vie est de préserver encore un peu sa réputation. Cette fois les relations avec le réalisateur seront tendues, non seulement avec Lino Ventura, mais aussi avec José Giovanni qui aura du mal à supporter la façon dont Melville tirait la couverture à lui. Mais au final c’est un film noir, magnifique, un film qui fera le tour du monde. Le succès public sera au rendez-vous, la critiquer appréciera, et même José Giovanni pourtant très dur avec Melville reconnaitra la qualité du travail de Melville. Lino Ventura domine la distribution et porte le film sur ses larges épaules. 

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    Les aventuriers de Robert Enrico 

    Dans la foulée de ce succès Lino Ventura continuera sa collaboration avec José Giovanni. D’abord en s’associant avec Alain Delon pour partager l’affiche des Aventuriers. C’est un film qui oscille entre le film noir et le film d’aventure dont la fraîcheur de ton surprendra le public et la critique. Ce sera un nouveau succès bien entendu. C’est à cette époque que José Giovanni décida enfin à passer à la mise en scène. 

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    Le rapace de José Giovanni 

    José Giovanni fit ses armes avec un petit film fauché, La loi du survivant. Contrairement à ce que dit Philippe Durant, ce fut un succès public et critique. C’est d’ailleurs ce film qui révéla le talent de Michel Constantin. En tous les cas ce succès permis à José Giovanni de monter des projets plus ambitieux. C’est ainsi qu’il adapta Le rapace de John Carrick. C’est un roman étrange, une méditation désabusée sur la révolution et ses conséquences, à mi-chemin entre le film noir et le film d’aventure. Le tournage fut très difficile, mais le résultat fut très bon, tant du point de vue de la critique que du point de vue du public. Curieusement ce film étrange coïncide avec les événements de Mai 68, période où justement la question de la révolution était à l’ordre du jour un peu partout dans le monde. 

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    L’armée des ombres de Jean Pierre Melville 

    En 1968 Ventura connu un succès énorme en participant au film d’Henri Verneuil, Le clan des siciliens. Il n’y tenait qu’un rôle secondaire aux côtés de Delon et de Gabin. Adapté par José Giovanni d’un roman d’Auguste Le Breton que Philippe Durant semble détester, c’est un produit commercial assez peu consistant. Il faudra à Lino Ventura attendre L’armée des nombres et une nouvelle  collaboration avec Melville pour qu’il retrouve un rôle à la mesure de son talent. Là encore le tournage ne se passera pas bien. Melville et Ventura ne se parlant plus, il fallut l’intermédiaire d’un assistant pour que le réalisateur donne ses consignes à son acteur principal. Mais le résultat est excellent. Sans être un triomphe du box-office, le public fut au rendez-vous. La critique ne vit pas dans un premier temps l’intérêt de ce film. Il faut dire qu’à l’époque de sa sortie, l’étoile de la résistance et du général De Gaulle avait fortement pali. Cependant ce film a fini par s’imposer comme un classique du film de Résistance. Et Lino Ventura était extraordinaire dans le rôle de Gerbier, un solitaire obsédé par sa mission. 

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    Dernier domicile connu de José Giovanni 

    Dans la foulée, Lino Ventura va tourner une nouvelle fois avec José Giovanni. Ce sera une adaptation d’un ouvrage paru dans la Série noire, Dernier domicile connu de Joseph Harrington. Film noir en couleurs, le film emprunte au cinéma américain, cette notion d’errance dans la ville. Leonetti est un commissaire déclassé pour avoir causé des ennuis à un fils de famille. Consciencieux, il doit retrouver l’adresse d’un témoin qui pourrait être capital dans le procès d’un truand. Associé avec une jeune inspectrice qui apprend le métier, ils vont avancer pas à pas. Si le tournage a été un peu pénible, notamment parce que Lino Ventura ne supportait pas Marlène Jobert, gloire montante du cinéma français qui avait triomphé dans Le passager de la pluie, le résultat fut excellent à la fois sur le plan commercial et sur le plan de la critique.

    Ce film termine une époque pour Lino Ventura. Il va diversifier de plus en plus sa carrière. Il connaitra du reste le succès avec des comédies comme L’aventure c’est l’aventure, ou La bonne année de Claude Lelouch, mais sa carrière ne présentera plus la même homogénéité. Les succès alterneront avec les échecs. Et il triomphera une nouvelle fois avec José Giovanni dans un film pourtant sans grand intérêt, Le ruffian.

    Si l’ouvrage de Philippe Durant s’attache comme il se doit surtout à la carrière cinématographique de Lino Ventura, il donne aussi des informations sur sa vie privée. Il détaille par exemple sa longue relation avec Yanou Collart, une actrice de second rang rencontrée sur le tournage de L’aventure c’est l’aventure pour laquelle il refusera de divorcer, étant attaché à certaines traditions familiales. 

    L’ouvrage est intéressant et plutôt bien écrit, si ce n’est les nombreuses coquilles qui émaillent l’ouvrage. On peut reprocher tout de même à Philippe Durant son amour immodéré pour les bons mots de Michel Audiard à qui par ailleurs il a consacré un autre ouvrage. On y rencontre quelques lacunes, comme celle que j’ai relevée à propos du film de José Giovanni La loi du survivant. Mais dans l’ensemble c’est très bien documenté. C'est un bel hommage à un homme qui a défendu certaines valeurs viriles au cinéma, l'amitié, le respect de la parole donnée et le sens de l'honneur.

    « Le feu aux poudres, Henri Decoin, 1957Thierry Cazon & Julien Dupré, L’étrange cas du Docteur Greene et de Mister Chase, Editions du Lau, 2014 »
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