• Low down, Jeff Preiss, 2014

    Low down, Jeff Preiss, 2014

    Encore une biopic d’un jazzman maudit et drogué ! Elle a été tournée avant Born to be blue qui contait la vie difficile de Chet Baker[1]. On a dit la difficulté qu’il y avait avec ce genre de films. Mais le jazz est suffisamment ancré dans la culture étasunienne pour que l’on trouve en permanence des réalisateurs pour se lancer dans ce pari hasardeux. En effet, ce genre de film n’a jamais de succès. Low down n’échappe pas à la règle, bien que salué par la critique, il a été complètement boudé par le public, au point qu’en France il ne sortira sans doute pas dans les salles et il faudra se contenter de le voir sur un support numérique. Born to be blue qui est plutôt un bon film n’a pas eu de succès, et pourtant la personnalité de Chet Baker est autrement plus célèbre, connue et admirée que celle de Joe Albany. Ce dernier est un pianiste de jazz qui n’est même pas connu des amateurs de jazz. Seuls les connaisseurs un peu pointus savent qu’il a existé, entre autres pour avoir été le compagnon de misère de Charlie Parker. Il a très peu enregistré de disques, et n’a commencé à se faire connaitre en Europe que dans les années soixante-dix lorsque le jazz était à la mode et payait enfin les musiciens. 

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    Le film est basé d’abord sur le livre de souvenirs d’Amy-Jo Albany, la propre fille de Joe Albany. Elle a du reste collaboré au scénario, ce qui est donné pour un gage de fidélité. J’en profite pour dire ici que le livre est excellent, non pas parce qu’il parle de Joe Albany, mais parce qu’il raconte à travers une sorte de puzzle la vie d’une petite fille dont les deux parents sont des drogués et qui n’a que l’amour de son père auquel elle peut se raccrocher. C’est une bien curieuse éducation qu’elle a eu. On peut dire qu’elle s’est construite toute seule, aussi bien parce qu’elle avait des parents défaillants que  parce qu’elle était de santé fragile et n’allait pas très souvent à l’école. Sa mère ayant rapidement abandonné la partie, elle s’en passa plus ou moins bien. A travers ce livre où se retrouve tous les marqueurs de la contre-culture des années soixante et soixante-dix – le jazz, la drogue, la libération sexuelle, il s’agit d’un parcours initiatique forcément douloureux où l’enfant apparait bien plus responsable que ses parents. Quoi que le parcours d’Amy-Joe soit difficile, on en arrive à se demander si cette marginalité n’a pas finalement été la meilleure des éducations ! Ecrit dans un style très imagé et cru, c’est très drôle quoique mélancolique et la lecture en vaut le détour.

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    Aly-Jo admire le talent de son père 

    Mais c’est sans doute là la première difficulté. En effet l’ouvrage est volontairement décousu, comme le sont les souvenirs qui affleurent un peu dans n’importe quel ordre. Il est donc difficile d’en extraire une histoire avec un début, un développement et une fin. Ici ce n’est plus la relation entre Joe et Amy-Jo qui est privilégiée comme dans l’ouvrage, mais le point de vue d’Amy-Jo qui doit faire sa vie avec une mère qui a disparu et un père absent. On assistera donc de loin aux problèmes rencontrés par Joe pour continuer à exister dans l’ombre de sa fille, porté par la musique. Sans doute mon jugement sur ce film est-il faussé par le fait que, avant de le voir, j’ai lu le livre qui, je le répète, est très bon. Mais il apparaît que le film est très édulcoré par rapport à ce que raconte Amy-Jo. Par exemple, dans le film elle n’a pas de relation sexuelle visible, et elle reste bien sage avec son petit copain, un batteur de rock un peu épileptique. Dans le livre au contraire elle conte des histoires plutôt scabreuses, notamment cette relation plus ou moins consentie avec son oncle. Egalement elle explique que très tôt elle va toucher à la dope, ce qu’on ne verra pas dans le film. Le film apparait donc sage, trop sage. Alors que le livre évoque la folie et la plongée dans l’abime d’une époque : sa mère a eu une longue liaison avec Allen Grinsberg par exemple.

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    Amy-Jo se réfugie chez sa grand-mère 

    Ici on filmera le séjour en prison de Jo Albany comme un passage assez soft en prison, alors que le pianiste avait une trouille noire de cet enfermement. De même l’intimité entre Joe et Amy-Jo est complètement gommée. Sans doute est-ce aussi parce que le livre se passait sur plusieurs années. Joe Albany avait eu en effet à charge sa fille alors qu’elle n’avait que cinq ans et cela a amené celle-ci à avoir très tôt une éducation d’adulte, tant en ce qui concerne la musique qu’en ce qui concerne les lectures ou le cinéma. Elle partageait beaucoup avec son père, l’accompagnant même assez souvent dans les cabarets où il jouait. D’ailleurs elle racontera qu’elle ira aussi en Europe avec lui au moment où il attendra une certaine reconnaissance. Ici Amy-Jo reste sur son quant-à-soi. Elle est là un peu comme un juge au-dessus de la vie chaotique des autres, sérieuse et appliquée. Or dans la réalité elle a bel et bien été entraînée dans cette vie décousue et sombre que menait son père. Comme on le voit, le principal défaut du film est d’être une version aseptisée du récit d’Amy-Jo. On ne verra même pas Joe se droguer.

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    Joe accompagne sa fille au collège 

    Le second défaut est que le film ne possède guère d’humour, il se veut un peu documentaire. Or évidemment la quantité de personnages extravagants qui gravitent dans cet univers est telle, que le livre d’Amy-Jo fourmille de scènes cocasses, voire burlesques. Sachant qu’elle a vécu une enfance exceptionnelle, pour le meilleur et pour le pire, elle la retranscrit comme telle. Alors que dans le film, on a l’impression qu’elle a une existence parfaitement réglée, certes que les parents sont un peu extravagants, mais que la grand-mère remet les choses dans l’ordre en étant un point stable dans l’univers de cette adolescente. L’interprétation est à l’avenant. John Hawkes dans le rôle de Joe Albany n’est pas mauvais, il s’est d’ailleurs fait un physique bien de circonstance. Mais il est absent, c’est à peine s’il passe dans le film et dans l’existence d’Amy-Jo. Elle Fanning joue sa fille, mais elle n’est pas en phase. D’abord elle est bien trop grande, presqu’aussi grande que son père. Ensuite, elle est trop âgée et ne peut pas représenter cette enfance en danger permanent. Son air renfrogné rend le film difficile à supporter. Dans la réalité, Amy-Jo était petite et fragile, craintive aussi et en difficulté dans ses relations sociales. Glenn Glose ne serait pas trop mal dans le rôle de la grand-mère, mais elle ne possède pas cette sorte de folie qui lui donnerait une autre dimension que celle d’une mamie gâteau très équilibrée et gardienne du foyer puis de l'ordre et de la morale.

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    La renommée de Joe ne dépasse pas les petits cercles d’initiés 

    Enfin le dernier écueil du film est qu’il est filmé un peu n’importe comment. Il ne semble pas que le réalisateur ait aimé son sujet. Il n’y a pas de rigueur dans la sélection des plans rapprochés ou non. D’ailleurs le plus souvent Jeff Preiss se contenter de filmer des face à face mollassons en plans rapprochés. Les extérieurs ne sont pas utilisés suffisamment, et l’univers de la prison ressemble à un hôpital. Bref il n’y a rien à sauver, si ce n’est la musique de Joe Albany qu’on pourra entendre de ci de là. Mais on a l’habitude des échecs de ce type en ce qui concerne les jazzmen.

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    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/born-to-be-blue-robert-budreau-2015-a125706232

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