• M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931

     M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931

    C’est évidemment un film très connu et reconnu comme un chef d’œuvre du cinéma allemand. Il est probablement le modèle des films de sérial killer et de tueur d’enfants. Ce premier film parlant de Fritz Lang n’est pourtant pas très facile à analyser, tant son message est ambigu. En effet plusieurs critiques ont souligné la proximité qu’il y avait avec une idéologie nazie sous-jacente. Ce sont souvent ceux qui veulent y voir une critique de la République de Weimar, considérée comme faible. Ils avanceront que Théa Von Harbou, l’auteur du scénario avait des sympathies pour le nazisme, et le fait que Peter Lorre soit un acteur juif d’origine hongroise, désigné comme la source du mal, en rajoute dans ce sens. La marque qu’il porte sur l’épaule de son manteau rappelle aussi évidemment la marque qui fut apposée ensuite aux juifs, la fameuse étoile jaune. Du reste Les espions, tourné en 1928, conservait des relents d’antisémitisme assez marqués. D’autres au contraire, y verront une analyse prophétique du nazisme dans cette pègre qui prétend se substituer à un Etat de droit. Ils y verront aussi une critique de la peine de mort et un plaidoyer pour l’irresponsabilité. Fritz Lang lui-même encouragera ce dernier type d’approche. Ce qui est certain, c’est que le film est en rapport étroit avec la montée des tensions dans les années trente. Mais on sait aussi qu’ex-post il est aussi assez facile de trouver des significations qui n’y sont peut-être pas. Je me garderais d’avoir un avis tranché sur cette question épineuse.

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    Beckert achète un ballon pour la petite Elsie Beckman 

    A Berlin en 1930, Hans Beckert est un assassin d’enfants qui met la ville en émoi. La police le traque et met en œuvre des grands moyens qui vont mettre la pègre sur les dents, car les rafles continuelles l’empêche de continuer à faire sa besogne. Sous la direction de Schränker, elle va mettre en place un quadrillage de la ville. Bientôt Beckert qui s’apprète à récidiver va être repéré et suivi. Il se réfugie dans un immeuble de bureaux qui va se vider pour la nuit. Schränke et ses hommes vont investir les lieux, et essayer de le repérer. Parallèlement la police a découvert des indices qui la mènent à Beckert. Le commissaire Lohmann lance ses filets. Mais les hommes de Schränke vont s’enfuir avant l’arrivée de la police en emmenant avec eux le malheureux Beckert. Dans l’immeuble des bureaux, il ne reste plus que Franz. La police va le cuisiner pour qu’il dise ce qu’il sait. Etant accusé de meurtre, il est forcé de parler et dévoile le lieu où est détenu Beckert. Pendant ce temps c’est un véritable procès qui est mis en place par la pègre, Schränker lui-même se donnant le rôle du procureur. La foule l’approuve et demande aussi la condamnation à mort de Beckert. Celui-ci va se défendre comme il peut expliquant qu’il ne peut pas échapper à ses pulsions, et que c’est comme si un deuxième lui-même se chargeait de ces crimes odieux. Dans cette parodie de justice un des membres de la pègre est choisi pour tenir le rôle de l’avocat de la défense. Il plaide l’irresponsabilité et demande que Beckert soit rendu aux autorités qui se chargeront de le mettre hors d’état de nuire. Mais ce simulacre n’ira pas jusqu’au bout, la police intervient et arrête aussi bien Beckert que Schränke qui était lui aussi recherché pour des homicides. La fin du film présente la comparution de Beckert devant un tribunal. Mais si on ne connaîtra pas la sentence, dans l’assistance la mère de la petite Elsie Beckman aura le mot de la fin en énonçant que quelle qu’elle soit, elle ne pourra ramener sa fille à la vie.

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    La population s’embrase pour l’histoire du tueur d’enfants 

    Le film a eu un énorme retentissement dans le monde entier. Et il est aussi devenu un modèle pour les films noirs. On va d’ailleurs trouver des formes esthétiques qui se répéteront ensuite tout au long du cycle du film noir. Il y a d’abord la traque dans les rues qui utilise les ombres et les lumières comme une spécificité urbaine. Cela correspond assez bien à l’opposition entre la pègre qui agit dans les anfractuosités des immeubles et la police qui fonctionne au grand jour, souvent avec des moyens démesurés. Beckert lui-même est un furtif qui se glisse parmi les ombres. Il passe son temps à se dissimuler. Ensuite il y a cette manière alternée de raconter l’histoire, en la racontant de plusieurs points de vue différents. Celui de la police et de la société, celui de la pègre, et enfin celui de Beckert lui-même. Lang utilise des éléments urbains pour faire ressortir l’accablement des petites gens. La mère d’Elsie est blanchisseuse. Elle attend sa fille qui va bientôt revenir de l’école. On comprend qu’elle est seule, elle ne met la table que pour deux couverts. Son logis est propre mais pauvre, elle manifeste une grande dignité, même lorsqu’elle manifeste son angoisse. Cette scène de l’attente est très sensible et remplie d’émotion. Le moindre bruit dans l’escalier l’interpelle. Mais bientôt elle comprend que sa fille ne reviendra pas, elle l’appelle alors comme une bête blessée dans les escaliers puis à travers la fenêtre.

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    Beckert est maintenant marqué 

    Egalement la description presque documentaire du travail de la police dans la traque de l’assassin est un procédé qui sera repris à l’envie par le cinéma américain. Avec toujours les mêmes rapports entre la police et l’autorité politique, ou entre la police et la presse. D’ailleurs l’assassin se trahira dans la lettre qu’il envoie aux journaux. Mais il y a aussi des formes elliptiques qui sont plus personnelles à Lang. Par exemple pour décrire l’angoisse de la mère d’Elsie, Lang filme les espaces vides, les escaliers ou le grenier. Ou encore il utilise souvent le procédé de montrer un individu ou un ensemble d’individus dans leur surprise, alors que le spectateur ne sait pas qu’elle est la cause de cette surprise. C’est le cas quand Franz sort du trou qu’il a creusé pour explorer l’étage du dessous, ou quand on voit les pégreleux lever tous de conserve les bars, alors qu’ils sont en train de juger Beckert. L’aveugle figurant le destin, aussi bien celui de la petite Elsie que celui de Beckert, sera repris plusieurs fois à l’écran. Lang a également cette capacité d’utiliser les travellings-arrière pour donner l’impression de la densité de la foule.

    M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931 

    La pègre traque Beckert 

    Le film n’évite pas la caricature, il y a de nombreux personnages grotesques à commencer par le commissaire Lohmann qui n’a rien d’un Maigret. Quand il apprend que la bande à Schränker a mis la main sur Beckert, il crache le mégot de son cigare en roulant des yeux ronds. C’est un film de studio, et ça se voit. La ville sensée être Berlin manque ainsi un peu de densité et de vérité. Cela empêche Lang de jouer sur la profondeur des espaces et donc l’oblige à resserrer ses plans. Mais on pourra toujours lui trouver l’excuse que nous sommes en 1931. Egalement il abuse des plongées contre plongées, aussi bien pour opposer un petit homme bien mis de sa personne et binoclard à un géant manifeste d’origine modeste, comme un renversement bouleversant des valeurs naturelles. La mise en scène est plus fluide dans le simulacre de procès. Dès qu’il n’y a plus de fuite possible en dehors d’un espace bien balisé, Lang est bien plus à l’aise. Il y a aussi un relâchement évident dans la direction du jeu des enfants : ils ne semblent pas présents, alors qu’ils sont pourtant les proies désignées.

     M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931

    Le marchand aveugle reconnait Beckert à sa voix 

    La scène de la cave est le clou du film. Mais elle repose en grande partie sur l’extraordinaire performance de Peter Lorre. Il est vrai qu’il avait un physique assez étrange, et ses yeux en billes de loto renforçaient cette étrangeté. Mais ce n’est pas qu’un regard. Il a aussi une gestuelle très particulière, il sait se servir de son corps aussi bien que de sa voix. Et si les autres acteurs semblent avoir un jeu très ancien, accentuant l’expressivité, soit parce qu’ils viennent du théâtre, soit parce qu’ils avaient l’expérience du muet, Peter Lorre est bien plus moderne. On peut voir et revoir ce film autant qu’on veut, il reste toujours très prenant et marque une étape important dans le développement des thèmes du cycle du film noir. 

    M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931

    Schränker accuse Beckert 

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    Beckert explique ses pulsions meurtrières

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