• Made in France, Nicolas Boukhrief, 2016

     Made in France, Nicolas Boukhrief, 2016

    Très souvent on dit que les Français évitent les sujets politiques et sont, contrairement aux Américains, peu intéressés à mettre en images l’actualité brulante. Mais voilà que coup sur coup deux films viennent de sortir sur des sujets plus que brulants : l’un est une œuvre de fiction, Made in France, de Nicolas Boukhrief sur le parcours des djihadistes de l’intérieur, et l’autre est un documentaire sur les salafistes, intitulé sobrement Les salafistes. Le premier devait sortir le 18 novembre 2015, mais pour cause d’attentats, la date a été repoussée puis finalement le film ne sera visible que sur Internet. Le second a mis en scène les longues tergiversations de la malheureuse Fleur Pellerin, ministresse de l’inculture qui se flattait naguère de ne jamais avoir lu Patrick Modiano.

    Si l’on voulait une preuve que nous sommes en guerre : la voilà ! On en est d’une manière ou d‘une autre à s’autocensurer, à dénier toute parole libre. La peur règne, et sans doute est-ce cette atmosphère malsaine qui entoure le film qui nous oblige quelque part à le regarder. Mais même si le contexte de ce film est capital pour comprendre ce qu’il peut bien vouloir dire, revenons au film lui-même. Il s’agit bel et bien d’un film noir, un thriller mâtiné de réflexion politique. Après avoir vu ce film, on ne comprend pas vraiment ce que les distributeurs craignaient en le projetant. Il semble bien que rien ne redeviendra comme avant tant qu’on ne pourra pas faire et voir ce genre de film sans être menacé. On remarque évidemment que les religieux, musulmans ou catholiques, dès qu’ils versent dans l’intégrisme, se hâte de vouloir interdire des films, voire de mettre le feu dans les cinémas. Il me souvient que le film de Scorsese sur le Christ – La dernière tentation du Christ – avait été projeté dans une ambiance menaçante et avait entraîné des attentats à Paris, un cinéma avait brûlé.   

    Made in France, Nicolas Boukhrief, 2016

    Les prêches habituels contre l’Occident dégénéré 

    Made in France est un film noir. Sam est un journaliste franco-algérien, marié, père d’un enfant, féru de culture musulmane, il va infiltrer une cellule djihadiste en formation presque par inadvertance. Hassan qui revient d’Afghanistan veut convaincre Sam, Driss, Sidi et Christophe de commettre des attentats en plein Paris au nom du Djihad. Devant cette menace, Sam va se rendre à la police et balancer toute la cellule. Celle-ci va exercer un chantage sur lui, et lui demander de continuer à participer à la mise en place des attentats pour essayer de remonter jusqu’aux commanditaires. Le petit groupe hésite sur la cible, ce ne sont pas des professionnels. Mais l’affaire va tourner très mal : Sidi va mourir dans un affrontement ridicule avec la police, et Hassan va tuer Driss. Néanmoins le projet d’attentat va se développer jusqu’à ce qu’Hassan se rende compte que Sam les a dénoncés. Ce sera un miracle si l’attentat n’a finalement pas lieu.

     Made in France, Nicolas Boukhrief, 2016

    Sam se rendant compte que les choses vont trop loin va à la police 

    La façon dont est écrit le film ne laisse aucune place pour une réflexion sociologique sur les raisons qui poussent certains jeunes de la banlieue à se propulser dans des entreprises plus qu’hasardeuses, ces raisons qui ont fait couler beaucoup d’encre. Et la réalisation de Nicolas Boukhrief ne nous en dira pas plus sur les déterminations réelles des uns et des autres. C’est à peine si on comprend que le groupe est fait de personnalités très dissemblables où chacun a une vision très particulière de la religion et des règles de vie qui vont avec. Le récit est articulé dans l’affrontement indirect entre Sam, musulman très modéré, et Hassan qui est traversé par une sorte de folie criminelle dont on ne connaitra jamais les raisons. C’est sans doute la première lacune du film. Mais il y a d’autres insuffisances scénaristiques. Par exemple la police laisse curieusement seul Sam face à la menace d’Hassan. Les états d’âme de Driss ne sont pas très compréhensibles. Ou encore lorsque Sam sur la fin du film ne fait pas attention au fait qu’Hassan a encore un flingue dans la main et menace de le tuer. Il ne s’en sortira qu’en faisant exploser la voiture de Christophe.

    Cependant, il y a de très bonnes choses, le portrait d’Hassan qui se révélera être un affabulateur doublé d’un paranoïaque. Et qui montre que finalement l’exemple des attentats filmés et diffusés tous les jours sur Internet ou à la télévision va servir de détonateur pour des vocations djihadistes plus ou moins bien formulées : on verra du reste Christophe prendre un plaisir évident à filmer les préparatifs de l’attentat. Les hésitations de Sam qui cherche à se retirer de sa propre enquête parce qu’il a peur sont bien analysées. Ou encore quand Hassan cherche à justifier des attentats qui tueront nécessairement des enfants en renvoyant à la situation dans les Territoires palestiniens. Cela sonne juste.

    Made in France, Nicolas Boukhrief, 2016

     Driss a des états d’âme 

    Plus problématique est la réalisation. J’avais assez apprécié Le convoyeur de Boukhrief, mais ici ça manque manifestement de moyens. Sans doute est-ce pour cela que les gros plans sont multipliés et que les décors extérieurs sont aussi mal utilisés, or il y a bien une insertion spatiale des djihadistes autoproclamés dans la banlieue parisienne qui par endroits s’apparente à un sanctuaire pour les terroristes, et de cela on ne verra rien. Le film est plutôt bavard, même Zora la silencieuse épouse d’Hassan se met à parler sans raison. Boukhrief hésite sans doute trop entre l’action et l’explication, cela penche parfois vers le film à thèse dans l’opposition entre Hassan, un musulman finalement peu au fait de la religion, et Sam, un bon connaisseur de celle-ci mais qui en a une interprétation très modérée. Ce qui n’empêche pas qu’il y ait de très belles scènes dès que le film retourne vers les codes du polar, la visite aux marchands d’armes par exemple, la confrontation directe avec la police lors du vol des explosifs. Ou la scène qui ouvre le film dans laquelle un imam ordinaire prêche contre l'Occident dégénéré. C’est vigoureux et enlevé.

     Made in France, Nicolas Boukhrief, 2016

    Hassan pense que Sam est un flic 

    La distribution est dominée évidemment par Malik Zidi et Dimitri Storoge qui incarnent respectivement Sam et Hassan. Mais on ne peut pas dire qu’elle soit particulièrement efficace. Il y a un peu de mollesse dans la direction d’acteurs. Malgré toutes ces réserves, le film existe et a le mérite de s’attaquer à un sujet des plus brulants. Et comme je l’ai dit en commençant cette chronique c’est une manière de lutter contre une censure implicite que de le voir.

    Détail assez amusant, l’affiche du film où se mêlent la Tour Effel et une Kalachnikov a été ensuite détournée par Daesch pour sa propre propagande.

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