• Mêmes les assassins tremblent, Split second, Dick Powell, 1953

     Mêmes les assassins tremblent, Split second, Dick Powell, 1953

    Encore un film noir de série B, et un très bon d’ailleurs. Non seulement le scénario est très cynique autant que désespéré, mais en outre la réalisation est excellente aussi. Comme quoi on peut faire de grands films avec des acteurs de second rang et des moyens manifestement limités. C’est aussi la première réalisation de Dick Powell, acteur populaire qui a fait quelques excursions remarquées dans le domaine du noir, notamment en incarnant Philip Marlowe en 1944 dans Murder my sweet.

     Mêmes les assassins tremblent, Split second, Dick Powell, 1953 

    La volage Kay raccompagne son amant 

    Deux évadés de prison, braqueurs de fourgons, cherchent à retrouver le butin qu’ils ont planqué. Mais l’un des deux est blessé. Ils ont rendez-vous avec un troisième larron, muet, qui doit les aider dans leur cavale. En chemin, pour changer de voiture, ils vont emprunter celle de la riche Kay qui raccompagne son amant, pendant que son mari, médecin dévoué, travaille. Ce n’est pas tout, pour assurer leur sécurité, et parce que la voiture de Kay tombe en panne d’essence, ils vont aussi embarquer avec eux un journaliste et une jeune femme qu’il a prise en stop. Sam a des idées de génie, d’abord il pense se planquer dans une ville abandonnée au milieu d’une zone qui va être victime d’une expérience nucléaire. En outre il fait pression pour que le mari de Kay, le médecin les rejoigne pour soigner Bart. Tout se passerait à peu près bien, mais voilà que Sam est saisi du démon de midi et va faire des avances à Kay. Ce n’est pas du goût de son amant, Arthur. Celui-ci s’interpose, mais se fait proprement occire. Kay va s’efforcer dès lors de séduire Sam, elle craint en effet qu’il ne les tue tous et s’offre à lui. Alors que la tension monte et que le vieux Asa et Larry le journaliste tentent plus ou moins leur chance, le docteur arrive finalement. Le temps est compté puisque la bombe doit exploser bientôt, néanmoins il arrive à opérer Bart d’une manière à peu près satisfaisante. Cependant les autorités militaires ont décidé pour cause de météo d’avancer l’heure de l’explosion. Dès lors c’est le sauve qui peut, Kay, Sam et Bart s’en vont dans la voiture du médecin, tandis que Dottie, Larry et le docteur vont se réfugier sous la conduite d’Asa dans un vieux puit de mine où ils pensent se trouver à l’abri de l’explosion.

     Mêmes les assassins tremblent, Split second, Dick Powell, 1953 

    Sam Hurley a embarqué tout le monde 

    La trame de la prise d’otage par des évadés ou des fuyards est vieille comme le monde, mais ici l’angoisse de cette confrontation inégale est redoublée de la crainte de l’explosion nucléaire. Ce n’est pas pour autant un film de science fiction. Les conflits qui vont se faire jour entre les protagonistes de ce qui devient rapidement un huis clos, sont finalement à l’image du conflit qu’il peut y avoir entre le développement de l’énergie nucléaire et le respect de la vie et de la nature. Le film ne donne pas une image consolante de ce qu’il peut nous advenir. En attendant, les personnages sont tous d’une très grande ambiguïté. D’abord il y a Sam, un ancien héros de guerre, cruel, il a l’habitude de tuer tous ceux qui se mettent en travers de sa route. Mais il est fidèle en amitié et pour rien au monde il laisserait tomber son copain Bart. Pour le reste, il sait en quoi s’en tenir sur l’âme humaine et particulièrement sur la duplicité des femmes. Ensuite il y a Kay justement, femme adultère et riche qui ne sait pas trop ce qu’elle veut, sans courage, elle se laisse guider par les caprices du moment. Elle ne peut plus se racheter, et même son mari en est dégouté. Il lui est venu en aide par devoir, car un médecin est d’abord un homme de devoir, mais il sait très bien que rien ne pourra recommencer avec elle. Bart, le gangster blessé, est d’un certain point de vue bien plus moral que cette femme de la bourgeoisie à qui rien n’a manqué dans sa vie. Il ne croira jamais que Sam puisse le trahir, mais il s’opposera pourtant à lui lorsque ce dernier voudra abandonner les otages ligotés, à la merci de l’explosion nucléaire. Dans le jeu des oppositions de caractères, il y a aussi Dottie, apparemment une femme sans morale et sans ressources, et pourtant elle trouvera le courage elle aussi de s’opposer à Sam. Elle en sera récompensée puisqu’elle trouvera l’amour auprès du jeune journaliste en mal de copie.

    Le scénario est de Chester Erskine, un homme de théâtre et cela explique sans doute le fait qu’on se retrouve pratiquement dans un huis clos. Parmi les scénarios qu’il écrivit figure tout de même Angel face d’Otto Preminger ce qui n’est évidemment pas rien. 

    Mêmes les assassins tremblent, Split second, Dick Powell, 1953

    Kay se vend corps et âme à Sam en espérant qu’il lui laissera la vie sauve 

    La réalisation est solide et nerveuse, on en oublie qu’il s’agit d’un huis clos, presqu’une pièce de théâtre. Cela vient du fait que les codes du film noir sont particulièrement bien utilisés et que les mouvements de caméra sont bien étudiés. Ce n’est pas étonnant, car non seulement Dick Powell les avait assimilés durant les tournages des films noirs auxquels il avait participé, mais c’est aussi Fred Fleck, un vieux routier, qui l’assistait et qui lui aussi avait participé au développement des codes du film noir. N’oublions pas aussi le rôle d’Albert S. D’Agostino qui, en tant que directeur artistique a donné une certaine homogénéité au film noir de la grande époque. Le rythme est nerveux, les éclairages utilisent autant que possible les contrastes d’un beau noir et blanc. Il y a une sobriété bienvenue, on n’insiste pas sur les scènes d’action, de la violence soit, mais sans plus. Tout se joue dans les regards et les attitudes. Les scènes où Sam mate les rebellions en formation sont très juste sur le plan psychologique : c’est le mâle dominant.

     Mêmes les assassins tremblent, Split second, Dick Powell, 1953 

    Asa va aider le docteur à soigner Bart 

    Bien que les acteurs soient des abonnés aux séries B, ou des acteurs de second plan, ou peut-être à cause de cela justement, cela donne au film une vérité très forte, comme s’il ne s’agissait pas d’acteurs mais de personnages pris dans la vie ordinaire. D’abord il faut saluer la performance de Stephen McNally dans le rôle de Sam. Il trouve ici son meilleur rôle, il a une autorité remarquable. Il passe facilement de la méchanceté la plus lugubre à la tendresse pour son vieux complice qui risque de lâcher la rampe d’un moment à l’autre. Mais sans doute son physique ingrat et sa petite taille l’ont empêché de faire une carrière un peu plus distinguée. Dottie est interprétée par la troublante Jan Sterling qu’on a pu trouver remarquable dans de nombreux films noirs auparavant, mais si elle tient son rang convenablement, ce n’est pas le personnage féminin le plus remarquable du film. Peut-être cela vient-il de sa coiffure puisqu’en effet, et contrairement à ses habitudes, elle est frisée comme un mouton. C’est Kay, interprétée par la trop rare Alexis Smith qui lui vole la vedette. Elle pleurniche à bon escient dès lors qu’elle n’arrive pas à séduire, elle est magnifique de lâcheté, vicieuse comme un âne qui recule, elle possède une présence étonnante. Richard Egan dans le rôle du médecin est très lisse, très propre, mais c’est sans doute comme ça que dans ces années-là on se représentait le sérieux de la science.

    Mêmes les assassins tremblent, Split second, Dick Powell, 1953 

    Sam espère que Bart s’en sortira 

    C’est certainement ce qui s’est fait de mieux dans les débuts des années cinquante en matière de film noir, et pour ceux qui ne le connaissent pas encore il y a urgence à la découvrir. Il est classé par certains parmi les 100 meilleurs films noirs. Et c’est justifié.

     Mêmes les assassins tremblent, Split second, Dick Powell, 1953 

    Asa et Neal contemplent les dégâts de l’explosion atomique

    « Dillinger, John Millius, 1973Lionel Guerdoux et Philippe Aurousseau, Berceau d’une œuvre Dard – Frédéric Dard écrivain et journaliste – 1938-1950, Editions de l’Oncle Archibald, 2016 »
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