• Meutre prémédité, A blueprint for murder, Andrew Stone, 1953

     Meutre prémédité, A blueprint for murder, Andrew Stone, 1953

    Andrew Stone, à l’intérieur d’une carrière compliquée qui débuta à l’époque du muet et qui touchait un peu tous les genres, a réalisé quelques films noirs très intéressants qui valent vraiment le détour. J’avais commenté ici l’excellent Highway 301 qui datait de 1950[1]. C’est un auteur complet, non seulement il écrivait ses scénarios, mais il était aussi son propre producteur.  Très bon technicien, sobre dans ses choix, on se demande pourquoi il n’a pas fait une meilleure carrière. Il avait tout pour passer sur des projets plus ambitieux, mais peut-être a-t-il été freiné par la logique des studios de l’époque, ou par une incompétence chronique à ne pas savoir se mettre en valeur. Si Andrew Stone connait et maîtrise les codes du film noir, il les fait aussi évoluer vers un peu plus de suspense.

     Meutre prémédité, A blueprint for murder, Andrew Stone, 1953 

    Whitney Cameron est troublé par la mort de Polly 

    Lorsque Whitney Cameron est appelé en urgence par Lynne, sa belle-sœur, c’est pour apprendre que Polly, sa nièce, a été hospitalisée dans un état grave. Celle-ci va décéder quelques heures après. Le frère de Whitney étant mort auparavant, il se considère un peu comme responsable des deux enfants Polly et Doug. C’est en rendant visite à un couple d’amis, les Sargent, qu’il se rend compte que la mort de Polly est suspecte. Maggie Sargent qui écrit des romans policiers pense tout de suite à un empoisonnement. Whitney interroge la police à ce sujet, et peu à peu les indices s’accumulent pour faire de Lynne la véritable coupable, d’autant que son mari est mort lui aussi dans des conditions étranges. Elle aurait empoisonné Polly à la strychnine, car une fois les enfants morts, elle pourrait devenir très riche. Mais les preuves manquent et la justice est obligé de relâcher la jeune femme qui déclare qu’elle va partir avec Doug en Europe pour un an. Cette perspective glace Whitney qui craint qu’elle assassine Doug durant ce voyage. Il va donc embarquer sur le navire de croisière avec elle, et il prendra le prétexte qu’il est tombé amoureux de Lynne. Celle-ci se méfie bien un peu, mais elle va rentrer dans son jeu. Whitney envisage de l’empoisonner. Il découvre dans sa mallette des cachets de strychnine parmi de l’aspirine. Il va en dissoudre un dans le cocktail que Lynne prend, puis il lui avoue devant l’officier qu’il l’a empoisonnée avec un de ses propres cachets et que si elle avoue ses crimes, elle aura encore le temps de sauver sa peau. Après un suspense glacial, elle cédera et tout rentrera dans l’ordre.

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    C’est Maggie qui va deviner que Polly a été empoisonnée 

    C’est un film à petit budget, pourtant très soigné. La thématique est assez simple : derrière des rapports bourgeois et policés, il se trame des choses assez peu présentables car assassiner des jeunes enfants pour de l’argent représente peut-être le sommet de la turpitude dans cette volonté de bafouer l’innocence. Si Whitney qui mène l’enquête et tente de protéger Doug est le personnage principal du film, celui qu’on voit le plus à l’écran, c’est pourtant Lynne qui est le véritable sujet. Voilà une femme qui est belle, jeune, riche qui joue aussi très bien du piano, qui a tout pour plaire et qui pourtant cache sous cette apparence attrayante une véritable aigreur née de la frustration de ne pas pouvoir hériter de la fortune de son mari. Cette frustration qui est le moteur de l’intrigue, renvoie à une frustration sexuelle assez évidente. C’est une femme sans amour, et du reste dès qu’elle verra Whitney lui déclarer sa flamme elle marchera dans cette nouvelle illusion. Lynne vit d’illusions : non seulement elle peut penser que l’argent est un but en soi, mais en outre elle succombe à l’illusion d’un amour finalement sans fondements. On peut passer sur l’irréalisme de certains aspects du scénario, notamment sur le fait que le plan de Whitney pour confondre Lynne est plutôt vaseux. La première partie du film à cet égard est plus convaincante que la seconde. Dans cette première partie on verra les hésitations de Whitney face à ce qui est pourtant évident. Mais on verra aussi les difficultés de la justice ordinaire, persuadée pourtant de la culpabilité de Lynne, à agir efficacement, engoncée qu’elle est dans un ensemble de règlements et de lois qui sont sensées protéger le citoyen ordinaire. Cet échec explique que l’individu seul est apte à régler cette question se chargeant lui-même d’ailleurs de tuer Lynne dont il connait les intentions mauvaises. Cette thématique du justicier solitaire, importée du western, se retrouvera ensuite au début des années soixante-dix dans les films comme Dirty Harry[2] ou Death wish[3]. Sauf que par la suite ce seront des hommes durs qui régleront les problèmes à coups de révolvers. Ici Whitney reste dans la logique de l’homme ordinaire qui se débat avec sa propre culpabilité et qui craint tout le temps de se tromper.

     Meutre prémédité, A blueprint for murder, Andrew Stone, 1953 

    La police ne reste pas les bras croisés 

    On soulignera l’excellence de la mise en scène. Le film est assez court, 77 mn, et sa densité exige un montage ramassé, sans fioriture. Andrew Stone maitrise parfaitement la durée. Il saisit particulièrement bien la profondeur de champ, notamment dans les scènes qui parlent du travail de la police, ou quand Whitney parait se laisser endormir par les mélodies que mouline Lynne sur son magnifique piano à queue. Seul le téléphone – invention moderne s’il en est – le rappellera à la réalité. Le travelling arrière qui suit de façon méditative Whitney dans les couloirs de l’hôpital sous le défilement des lampes électriques, reprend cette forme particulière du film noir avec éclairage tamisé et ce point lumineux qui éclaire l’individu seul comme sa conscience. Mais Andrew Stone ne cherche pas la prouesse technique, c’est ce qui le différencie d’Hitchcock par exemple et qui nous le rend plus humain. Il saisit les visages : Lynne présente un visage de marbre, d’un sang froid incroyable en toute circonstance et Whitney montre au contraire tous les tourments qu’il traverse. Ce qui nécessite évidemment de multiplier les gros plans qui en disent finalement plus long que des discours. Il y a aussi une manière de filmer l’hôpital ou les objets de la vie quotidienne qui vise à donner une image de la modernité. Le milieu décrit est celui de la haute bourgeoisie. Whitney voyage pour ses affaires dans le monde entier, et Lynne peut se permettre de voyager en Europe pendant un an sans problème. La caméra s’attarde sur les vêtements bien coupés, le manteau de fourrure de Lynne. Là encore deux interprétations sont possibles : soit on le comprend comme le fait que les riches aussi ont leurs problèmes, ou au contraire que viser la consommation de produits de luxe ne protège en rien des aléas de la vie, comme une critique de la société de consommation.

     Meutre prémédité, A blueprint for murder, Andrew Stone, 1953 

    Lynne est maintenant clairement soupçonnée 

    L’interprétation est centrée d’abord sur Joseph Cotten qui est excellent dans ce rôle d’un homme ambigu, à la fois déterminé à protéger le petit Doug, et en même temps craignant de commettre une faute morale grave en accusant Lynne. Il a beaucoup contribué au développement du film noir, mais son physique plus ordinaire a beaucoup moins marqué les esprits que d’autres acteurs, il est pourtant l’archétype de l’homme moderne, américain, confronté au crime. Grand et mince, enveloppé de costumes cintrés très élégants, il use d’une forme de nonchalance qui donne une résonnance étrange à ses interprétations. Jean Peters a fait une carrière brève mais pourtant intéressante. Elle fut la partenaire de Richard Widmark dans Pick up on south street de Samuel Fuller, et on l’a vu aussi dans Niagara d’Henry Hathaway, encore aux côtés de Joseph Cotten et elle sera la compagne de Burt Lancaster dans Bronco Apache de Robert Aldrich. Ici elle fait preuve d’une détermination et d’un sang-froid étonnant et très convaincant, conservant cette part de mystère qui fait tout l’intérêt de son personnage. Vers la fin du film elle fera preuve aussi d’une sensualité un peu exubérante, illustrant le thème du feu qui couve sous les cendres. Le reste de la distribution est moins remarquable, Gary Merrill est Fred Sargent et la très bonne Catherine McLeod incarne sa malicieuse épouse dont l’imagination débordante conduira Whitney à douter de Lynne. Les policiers sont très bien dessinés aussi dans leur routine obstinée, incarnant cette machine anonyme et un peu aveugle.

     Meutre prémédité, A blueprint for murder, Andrew Stone, 1953 

    Whitney découvre qu’on peut acheter facilement du poison 

    Si on passe sur les invraisemblances du scénario – il est assez peu crédible que Whitney veuille empoisonner Lynne pour protéger Doug ou encore que celle-ci veuille empoisonner encore Doug, alors même qu’elle sait qu’elle est soupçonnée de meurtre – et si on s’attache à la psychologie des personnages, alors c’est un film plutôt intéressant qui a très bien passé les années, justement à cause d’une mise en scène rigoureuse et une très bonne direction d’acteurs.

     Meutre prémédité, A blueprint for murder, Andrew Stone, 1953 

    Whitney ébauche un flirt avec Lynne

     Meutre prémédité, A blueprint for murder, Andrew Stone, 1953 

    Quand Whitney lui dit qu’il l’a empoisonnée, Lynne fait preuve d’un sang-froid remarquable



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/le-temoin-de-la-derniere-heure-highway-301-andrew-stone-1950-a114844698 

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/l-inspecteur-harry-dirty-harry-don-siegel-1971-a130654048 

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/le-justicier-dans-la-ville-death-wish-michael-winner-1974-a130966678 

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  • Commentaires

    1
    Lucjs
    Lundi 28 Mai 2018 à 08:56

    Un des très rares films noirs (si pas le seul) où un enfant est la victime d'un crime, me semble-t-il; il y a un enfant qui meurt dans l'explosion d'une bombe dans "Agent secret" (1936), mais ce n'est pas un crime délibéré.

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    2
    Lundi 28 Mai 2018 à 12:33

    Dans The big heat de Frtiz Lang, un enfant meurt dans l'explosion d'une voiture, et aussi dans Cry vengeance de Mark Stevens dont je parlerai bientôt. Mais il doit y en avoir d'autres. Dans The Man Who Knew Too Much c'est un enfant qu'on menace de tuer. Mais vous avez raison, c'est plutôt rare qu'on parle d'assassiner des enfants.

      • Lucjs
        Lundi 28 Mai 2018 à 13:32

        Si je ne me trompe, dans The Big Heat, c'est en fait le père qui est visé* (je ne sais pas dans Cry Vengeance, que je n'ai pas encore vu); ce que je voulais souligner c'est qu'ici, c'est l'enfant qui est visé et que le crime réussit.

        * il me semble qu'il y aussi un film avec Delon où sa femme et son enfant meurent dans l'explosion de sa voiture (?)

    3
    Lundi 28 Mai 2018 à 22:07

    Oui c'est exact Pour le film de Delon c'est les Grands fusils

     

     

      • Lucjs
        Mardi 29 Mai 2018 à 09:01

        Ayant un doute, j'ai regardé hier une partie de "The Big Heat"; c'est la femme de Glenn Ford seule qui est tuée dans l'explosion; du coup,  j'ai aussi regardé "Cry Vengeance", et là aussi comme le dit lui-même le tueur (remarquable composition), la mort de l'enfant était un accident, et ça se passe avant le film lui-même. Cela dit, j'attends avec impatience votre chronique sur ce film, que j'ai trouvé remarquable (et très émouvant par certaines scènes). Merci de me l'avoir fait découvrir.

         

    4
    Mardi 29 Mai 2018 à 16:51

    Oui, on hésite toujours à présenter les enfants comme des victimes d'un acharnement spécifique. Comme vous le signalez on ne voit pas la mort des enfants de Big heat et de Cry vengeance à l'écran, on en voit que les conséquences. Je vais mettre un billet sur Cry vengeance dans quelques jours. Pour l'instant je vais parler de Tourneur, puis du livre de Tadié sur le roman noir et enfin du film très rare et que je n'avais jamais vu, "Symphonie pour un massacre". Voilà !

      • Lucjs
        Mardi 29 Mai 2018 à 17:58

        Merci. Petite correction : dans Big Heat, il n'y a pas du tout de mort d'enfant, contrairement à Cry Vengeance. Et ça explique sans doute pourquoi le personnage joué par Marc Stevens est saisi d'une véritable folie meurtrière, contrairement à Glenn Ford.

         

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