• Michael McCauley, Jim Thompson, Coucher avec le diable, Jim Thompson, Sleep with the devil, Rivages, 1993

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    Lorsque j’ai commencé à lire Jim Thompson, vers la fin des années soixante, je m’imaginais que sa gloire allait de soi et qu’il était un auteur connu et reconnu. Je n’étais pas le seul à penser ainsi. Pour nous Thompson faisait partie des grands auteurs du noir, comme Chandler, Hammett, Horace McCoy ou encore James M. Cain. Il est vrai que pour des raisons particulières, la France accordait une place importante à ses auteurs. Mais en vérité dans le domaine de ce qu’on nomme la littérature populaire, le « noir » se vend bien moins que les ouvrages de suspense ou les « thrillers », probablement parce que le lectorat recherche dans le « polar » un divertissement qui ne l’inquiète pas trop. Charles Williams est un auteur oublié dont le dernier ouvrage n’a même pas été traduit en français. On lisait pourtant Thompson dans les douteuses traductions de la Série noire, mais sa prose était suffisamment robuste pour passer au-delà de ces extravagances éditoriales.

    La reconnaissance de Jim Thompson a été très tardive aux Etats-Unis et est due à l’adaptation du Lien conjugal sous la houlette de Sam Peckinpah, The getaway dont j’ai parlé il y a quelques mois. En France ce furent aussi les adaptations cinématographiques d’Alain Corneau de Des cliques et cloaques sous le titre Série noire en 1979 et de Bertrand Tavernier, 1275 âmes sous le titre de Coup de torchon en 1981. Mais sur le plan éditorial, celui qui a œuvré en France le plus pour la reconnaissance de Jim Thompson c’est François Guérif. C’est lui qui non seulement a publié des romans importants de Thompson dans les collections qu’il dirigeait et que la Série noire avait négligés. C’est lui également qui entreprit chez Rivages de faire retraduire Jim Thompson dans des versions un peu plus respectueuses. Les premières incursions de Guérif dans la publication de Thompson inédits ne furent pas des succès immenses, et si aujourd’hui il a les moyens de continuer à le faire c’est essentiellement parce que la collection qu’il dirige a eu un énorme succès grâce à James Ellroy.

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    Jim Thompson à droite avec au centre Louis L’amour 

    Par ailleurs, peu d’auteurs de romans noirs ont accédé à cette sorte de consécration qui fait que l’on écrive sur eux. L’ouvrage de McCauley s’inscrit dans le courant de cette consécration tardive de l’œuvre de Thompson aux Etats-Unis. Son objectif est de mettre en relation ce que l’on sait de la vie de Thompson avec ses romans. Cette correspondance est d’ailleurs assez étonnante, puisque de l’avis de tous Thompson était plutôt quelqu’un d’aimable et de tranquille ; sauf qu’il portait une lourde hérédité – un père qui avait porté à l’excès le rêve américain d’une réussite fondée sur l’entrepreneuriat – et qu’il était alcoolique. Cette dernière caractéristique est sans doute une des raisons majeures dans ses difficultés éditoriales.

    Jim Thompson développa aussi ses talents d’écrivains dans le moment du New Deal. Il fut en effet embauché dans le cadre d’un programme fédéral destiné à soutenir les écrivains que la Grande dépression avait malmenés.  C’est à mon sens le passage le plus intéressant de l’ouvrage de McCauley. On y voit en effet Thompson s’inscrire dans un courant de pensée très à gauche, rédigeant  notamment une Histoire du travail en Oklahoma qui lui attirera les pires ennuis. Ayant mis en évidence la sauvagerie du capitalisme, les pressions s’accumulèrent à son endroit. Il fut accusé d’être communiste, et le gouverneur de l’Etat empêcha la publication de son ouvrage. Thompson n’était probablement pas communiste, ni sur le plan des idées, ni dans la réalité. Mais il est évident qu’il avait une vision plus que critique de l’individualisme philosophique sur lequel est fondé le rêve américain.

    Le reste de la vie de Jim Thompson est un peu plus connu. Que ce soit les petits boulots qu’il a exercé ici et là – notamment dans les champs de pétrole –, ses relations difficiles avec le monde du cinéma ou ses déboires familiaux. Cette vie chaotique a été bien sûr un terreau fécond pour la formation de son univers glauque et désespéré.

    De longs extraits de la prose de Jim Thompson permettent également de mettre en valeur toute la force de son style, que ce soit dans les dialogues ou dans la description de cette vie intérieure.

    Le défaut de l’ouvrage est peut-être de résumer un peu trop longuement les ouvrages de Jim Thompson lui-même. Si cela est intéressant lorsqu’il s’agit d’ouvrages inachevés, non publiés ou partiellement perdus, cela l’est moins pour les romans qui ont été publiés. Car si on lit une biographie sur un sujet aussi pointu, c’est bien qu’on connait déjà les ouvrages de l’auteur. Egalement l'ouvrage met assez peu en avant la question sexuelle, notamment cette angoisse de la castration qui parcourt l'oeuvre de Thompson. Mais ces réserve ne doit pas nous faire oublier l’intérêt majeur de l’ouvrage pour tous ceux qui s’intéressent à Jim Thompson et à son œuvre pour le moins tourmentée. 

     

    Il existe une autre biographie de Thompson, celle de Robert Olito, Savage Art: A Biography of Jim Thompson, parue en 1996 chez Vintage, je ne l’ai pas encore lue, mais ça ne saurait tarder.

     

    « Le filet, La red, Emilio Fernandez, 1953Jim Thompson, Un meurtre et rien d’autre, Rivages, 2013 »
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