• My son John, Leo McCarey, 1953

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    Des films anticommunistes, les Américains en ont fait beaucoup. Cependant, il faut distinguer trois sortes de films anticommunistes :

    1. les premiers qui prennent pour cible le régime dictatorial qui s’était établi à l’Est de l’Europe et en URSS. Il s’inscrit dans une logique géostratégique et mise sur les peurs qui anticipent un conflit violent, peut-être atomique.

    2. les seconds qui s’intéressent aux conflits militaires qui ont déjà surgi à la périphérie des Empires : Berlin, la Corée ou le Viêtnam.

    3. enfin les troisièmes s’intéressent à la propagation des idées communistes au cœur même des Etats-Unis, minant la démocratie, l’armée et les autres piliers de l’american way of life. Ce dernier groupe est celui qui apparaît comme le plus sournois, le plus faux. Prompt à aiguiser la paranoïa latente du public, il procède à un amalgame douteux entre des revendications sociales pour faire évoluer le système et les activités d’espions prêts à tout pour amener la guerre. C’est à ce dernier  groupe que My son John appartient.

    Est-ce le pire film de propagande que les Américains ont produit ? Peut-être. Unanimement considéré comme un navet, ce film est pourtant intéressant dans une perspective historique, aussi bien en ce qui concerne la formation d’une mentalité américaine, que parce qu’il enseigne sur le cinéma et la chasse aux sorcières. L’histoire est de Leo McCarey qui fut pourtant un réalisateur marqué à gauche. Contrairement à beaucoup de films de ce genre, celui-ci bénéficiera d’un solide budget et d’une distribution soignée. On peut se demander pourquoi Leo McCarey plutôt connu pour ses comédies décapantes avec Laurel et Hardy ou les Marx Brothers s’est lancé dans cette entreprise périlleuse avec le zèle des convertis de fraîche date. En vérité à cette époque le FBI comme l’HUAC ne sont pas dans une forme éblouissante. J. Edgar Hoover est contesté, notamment parce qu’il s’amuse à traquer les communistes – du moins ce qu’il en reste aux Etats-Unis – et délaisse la lutte contre la mafia avec laquelle il est acoquiné. Et puis l’HUAC n’a pas fait la preuve que le communisme était un réel danger pour la nation. Il faut donc augmenter la pression sur Hollywood de façon à montrer au public que le FBI et l’HUAC font leur travail et que cela porte des résultats, qu’on ne dépense pas l’argent du contribuable sans bonne raison.

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    Avant que les deux bons fils partent combattre le communisme en Corée, ils vont un petit peu à l’Eglise

     

    L’histoire est simplette, et les caractères plus qu’indigents. John  revient dans sa famille après avoir passé du temps à l’étranger. Cette famille est une famille de patriotes, de bons chrétiens qui vont à la messe tous les dimanches. John a deux autres frères qui partent pour la guerre en Corée, de bons américains, bien sains et solides. John déjà est présenté comme un intellectuel, mauvais point pour lui, car on sait ce que ça donne quand on réfléchit un peu trop. Mais en outre, il n’est pas marié, et sa préciosité semble indiquer qu’il aurait des mœurs douteuses (un peu comme le chef du FBI quoi !). Pire encore il ricane quand on lui parle de religion, c’est dire s’il est vraiment mauvais.

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    John réapparaît pour le plus grand plaisir de sa mère

     

    Cependant les parents, bons chrétiens, bons patriotes, ne sont pas si bêtes. Rapidement la mère comprend que les coups de fil douteux que John reçoit, ses mystérieux rendez-vous, ne sont pas très catholiques. D’autant qu’un bon agent du FBI, Stedman, se ramène avec de drôles de questions sur John. Finalement pour en avoir le cœur net, maman Jefferson va espionner son fils en le suivant et va découvrir le pot aux roses. John est un agent communiste ! La logique du film est que John meure dans un accident d’auto alors qu’il essaie d’échapper à la police, mais il a eu le temps de laisser ses confessions, et pour l’amour de sa mère il va dénoncer sur des bandes magnétiques la perversité des communistes qui sont partout, même là où on les attend le moins, au sein de votre propre famille peut être.

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    Les rapports de John avec son père se tendent

     

    Ce n’est évidemment pas le premier film anti-communiste. Mais c’est presqu’un modèle des dérives que ces films à message peuvent amener. Souvent citer comme un archétype de la paranoïa ambiante de l’époque, il surprend par sa grossièreté et ses mensonges appuyés  comme des mantras. Le pire est sans doute de vouloir imposer un modèle familial comme modèle indépassable : tous ceux qui s’en écartent sont maudits et finissent mal. Ils ne peuvent être habités que par le démon. De même John est peut-être homosexuel, il n’a pas de fiancée, il ne songe pas à se marier. C’est déjà suspect. Le communisme vu sous cet angle est un manquer de virilité évident. Pire que ça, John fait le malin, il dénigre les valeurs patriotiques et religieuses, il ricane. A l’inverse de cet idéaltype, l’agent du FBI Stedman, qui est bien un peu louche au début, apparait comme fort sympathique et compatissant. On comprend bien qu’il est là pour aider. La mère aime son fils bien sûr, et même si elle est déchirée, elle va choisir la défense de la patrie. C’est d’ailleurs toute l’ambiguïté de ce film car d’un côté on présente la famille comme un horizon indépassable, et de l’autre on montre que celle-ci passe nécessairement après les intérêts supérieurs de la nation. IL y a cependant un point essentiel qu'il faut retenir : avec le développement du capitalisme libéral, toutes les valeurs familiales et patriotiques vont être emportées

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    Stedman pose des questions

     

    Film éminemment paranoïaque, My son John est difficile à analyser. Certes il est facile de saisir la grossièreté du message, sa lourdeur, son côté bourrage de crâne au premier degré. Il autant plus difficile à analyser qu’on ne connait pas ce qu’a pu faire John pour le compte des sournois communistes, on sait seulement qu’il a un poste assez élevé à Washington. Si bien que le film devient complètement abstrait et se rabat sur les signes qui indiquent que John est passé à l’ennemi. La preuve du communisme de John n’est pas dans le vol d’un document, dans un acte de sabotage, mais plutôt dans la trahison des valeurs américaines. Ces fameuses valeurs qui n’existent pas dans une tradition particulière et qui vont d’ailleurs se construire très précisément dans ce moment de la chasse aux sorcières à Hollywood. Cette approche nécessaire pour un film de propagande, en fait une œuvre parfaitement abstraite et assez incompréhensible aujourd’hui. Mais le fait que Leo McCarey joue sur le fait que les communistes sont athées, intellectuels, travaillent à Washington, ne sont pas mariés, un peu efféminés s’inscrit dans cette tradition de l’extrême-droite américaine qui dès le début du New Deal avait l’administration Roosevelt dans le viseur. Le fait que la famille se nomme Jefferson en dit long aussi sur la trahison de John. Il y a  aussi cette idée étrange selon laquelle le communisme ne peut être qu’une idée importée de l’étranger, sous-entendant par-là que l’américanisme, lui n’est pas une idée importée, mais bien l’expression d’une vérité fondamentale liée à cette terre.

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    Evidemment un communiste qui jure sur la Bible ne peut être qu’un fourbe

     

    La réalisation proprement dite du film souffre d’un problème de fond : Robert Walker qui incarne John est mort pendant le tournage du film. Ce qui veut dire qu’il a fallu le rapetasser avec des plans sortis de nulle part, voire empruntés à Strangers in the train d’Alfred Hitchcock. Est-ce que le film aurait été meilleur pour autant ? On n’en sait rien, mais le fait qu’il faille entendre la confession de John sur bande magnétique donne une couleur particulière à l’histoire.

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    La mère de John va jusqu’à Washington pour essayer de comprendre

     

    Très théâtral, saturé de dialogues, peu de décors, la mise en scène est très statique. On notera cependant quelques scènes intéressantes, comme ces images de carte postale au début du film qui montre la vie heureuse des banlieusards unis au sein d’une bonne famille. Ou encore les agents du FBI visionnant les scènes qu’ils ont espionnées et qui montre le désarroi de la mère. La photo est excellente, elle est due à Harry Strading Sr qui a fait entre autre celle de Johnny Guitar, Angel Face et plusieurs films avec Elia Kazan.

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    Stedman découvre la mort de John

     

    Si la mise en scène apparaît décousue, la distribution n’est pas forcément des plus probantes. Certes Robert Walker est toujours très bon dans un rôle cynique, et on comprend bien quelle carrière il a ratée. Dean Jagger qui joue le père Jefferson, ne paraît pas très convaincu par son texte. Il paraît gêné aux entournures, comme s’il ne croyait pas à son personnage. Van Heflin surjoue le bon agent du FBI, Stedman, qui, malgré la sympathie qu’il éprouve pour la mère, doit faire son travail au nom des intérêts supérieurs de la nation, Van Heflin a troujours eu des difficultés à jouer des rôles carrés et sans ambiguité. Seule Helen Hayes paraît convaincu par l’intérêt de ce film. Elle est très bien en mère tourmentée qui voit son fils mal tourner, la priver d’une vie de famille dont elle avait rêvée.

     

    Ce film est considéré aux Etats-Unis comme l’archétype du film de propagande pour les idées anticommunistes, et tous les commentateurs le désignent comme une sorte de pièce de musée, probablement sont-ils fascinés par cette facilité et la grossièreté avec laquelle Leo McCarey assène des poncifs servant de socle à la propagande d’extrême-droite. L’effet est encore plus net soixante ans plus tard. Comment a-t-on pu commettre pareille horreur ?

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    Leo MacCarey dirige Robert Walker

    « La cité de la violence, Citta violenta, Sergio Sollima, 1970I was a communist for the FBI, Gordon Douglas, 1951 »
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