• Né voyou, René Nivois et Jérôme Pierrat, La manufacture des livres, 2012

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    Jérôme Pierrat qui connait très bien les gens du milieu et qui possède surtout l’art de les faire causer, s’est attelé ici à confesser René Nivois. C’est un livre étrange. D’un côté il nous renseigne sur la voyoucratie, du moins celle qui existait dans les années quatre-vingts et qui s’effiloche au fil du temps, et c’est toujours intéressant de connaître le parcours de ceux qui font profession de voyou. Forcément, d’une façon ou d’une autre cela renvoie à la société dans laquelle nous vivons : quels crimes laisse-t-elle permettre ? Et pourquoi ? La criminalité des années 2010 est plutôt animée maintenant par les turpitudes des cols blancs et des voyous des marchés financiers, c’est pour cela qu’on a créé le néologisme bienvenu de « banksters ». D’un autre côté on se demande ce qui pousse les grands bandits à aller à confesse. Ce n’est pas la menue monnaie que leur versera La manufacture de livres qui peut les motiver. La plupart de ceux qui se livrent à ce genre d’exercice n’attendent pas après cela pour assurer leur retraite. Ils ne cherchent pas non plus à présenter leur parcours de façon édifiante pour en tirer une quelconque leçon de morale. C’est au-delà du bien et du mal.

    Or Nivois se mouille, on comprend, même si c’est à mots couverts qu’il a exécuté ou fait exécuter un certain nombre de ses ennemis, notamment il aurait commandider le meurtre spectaculaire, par un sniper, de Raymond Vaccarizzi qui était en prison et considéré comme le grand caïd lyonnais. Il ne se cherche cependant pas d’excuse – et probablement c’est ce qui fait l’intérêt de son témoignage – ni pour ses activités de proxénète, ni pour le racket qu’il exerça sur d’autres maquereaux plus rileux que lui, ni pour le trafic de drogue qu’il structura plus ou moins bien depuis l’Espagne. Il est un des premiers à avoir utilisé le go fast pour passer la frontière espagnole avec du produit.

    Nivois est de ces voyous qui viennent de la rue et plus particulièrement de milieux très défavorisés. Ce n’est pas une excuse, mais plutôt une explication. Fils d’un père alcoolique et violent, il deviendra lui-même très violent. Guère porté à l’étude et à la méditation, il vit au jour le jour, comme si son parcours était tracé par une force supérieure à celle de sa détermination. Un peu comme s’il s’appliquait à lui-même le slogan situationniste de mai 68 : vivre sans temps mort, jouir sans entrave. Preuve que le calcul coût-avantage n’est pas le fort des voyous, il paiera son comportement d'illégaliste de vingt-quatre ans de prison.

    Le ton de l’interview, puisque c’est d’une longue interview dont il s’agit, est assez étrange, parce que si Nivois ne fait pas acte de repentance – ce dont on lui sait gré – mais il n’a pas l’air d’avoir été très heureux de sa vie de voyou. Il ne fait rien non plus pour se rendre sympathique, c’est donc un témoignage au premier degré, sec comme un coup de trique.

    L’autre intérêt de l’ouvrage est qu’il décrit combien cela fut finalement simple de devenir voyou à la fin des années soixante, plutôt que de faire le choix de travailler pour gagner des clopinettes cintrées, et combien l’évolution des mœurs permit de conforter ce choix dans les décennies suivantes.

    La tonalité de l’ouvrage est donc bien noire, ce n’est pas tout à fait un documentaire puisque le seul point de vue mis en avant est celui de Nivois, mais est-ce de la littérature noire, tant il est remarquable par l’absence d’effet littéraire ? 

    « José Bénazéraf et Frédéric DardSavages, Oliver Stone, 2012 »
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