• Nous sommes tous des assassins, André Cayatte, 1952

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    André Cayatte s’est construit une solide réputation de réalisateur avec des films noirs, des films à thèse qui sont presque toujours des plaidoiries simples et efficaces. Ce n’est pas sans raisons qu’il a été d’abord avocat. Après avoir abandonné la robe, il se tourna vers le journalisme, l’écriture de romans et enfin vers la réalisation. A la Libération il eut cependant quelques soucis, car il avait travaillé pour la Continental, mais bien entendu, cela ne signifiait en rien qu’il ait collaboré. En tous les cas c’est Nous sommes tous des assassins qui va connaître un gros succès public qui installe Cayatte comme un des grands réalisateurs de l’immédiat après-guerre. Ce fut aussi une des têtes de turcs de la Nouvelle Vague et à ce titre, la critique le dévalorisa largement. Mais il fait partie des très bons réalisateurs de l’après-guerre et son œuvre mérite d’être redécouverte.

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    René est un gars de la Zone

    C’est l’histoire de René Leguen, enfant de la Zone, qui vit de bric et de broc, dans la misère noire. Tombé dans la Résistance par hasard, il va devenir un tueur qui exécute les basses œuvres de son réseau. C’est à ce titre qu’il sera compromis dans le meurtre d’un imprimeur, meurtre ordonné part son supérieur. Mais ayant pris l’habitude de tuer, il ne saura plus distinguer le bien du mal et continuera après la Libération. Il finira par tuer un flic et un garçon de bains, ce qui va l’amener à être jugé et comdamné à mort. La deuxième partie du film va être consacré à l’attente de l’exécution. C’est l’occasion à la fois de faire le portrait de condamnés divers et variés et de leurs réaction face à l’échéance fatale, mais c’est aussi celle de montrer que tous ces condamnés ont en commun la fatalité de leur destiné : ils ne sont pas individuellement responsables, même s’ils sont coupables.

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    René est attiré par Rachel qui le repousse rudement

    C’est donc à la fois le procès de la justice et de l’hypocrisie de la bourgeoisie qui protège un ordre social fondé sur la misère : les plus défavorisés n’ont aucun moyen de se défendre. Le crime est présenté comme un sous-produit d’une société injustice et peu généreuse. Au-delà d’un réquisitoire contre la peine de mort c’est celui d’une société profondément inégalitaire qui est présenté : le crime est une maladie, mais une maladie sociale et non pas individuelle. Certes la charge est parfois un peu lourde, comme lorsque le médecin présente son point de vue selon lequel la médecine est finalement plus compétente pour résoudre la criminalité, mais c’est néanmoins très efficace. Le médecin, comme l’avocat, est présenté comme la conscience morale de la société, le procureur, la police, les gardiens, comme des êtres assez bornés qui ne comprennent pas les racines du mal.

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    Les condamnés à mort guettent les moindres bruits 

    C’est filmé dans un style réaliste, avec une prédilection pour les décors qui donnent au film sa dimension de plaidoyer contre la misère. Mais l’interprétation est aussi très bonne. Il faut dire que le choix des acteurs est excellent. Mouloudji, bien sûr, mais aussi Raymond Pellegrin en Corse indigné et vengeur, Paul Frankeur dans le rôle d’un gardien de prison, Louis Seigner en aumonier dépassé par les événements, un rôle qui va bien avec sa haute silhouette replète. On reconnait aussi Roland Lesaffre qui coupe les cheveux et encore Georges Poujouly qui tournait en même temps Les jeux interdits de René Clément et Nous sommes tous des assassins, ce qui entraîna des tensions entre les deux réalisateurs car Cayatte avait massacré – pour les besoins de son film – la coupe de cheveux du jeune acteur. Dans les deux cas Georges Poujouly s’appelait Michel. C’est également un des tous premiers rôles de Roger Hanin.

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    En prison René apprend à lire

    Malgré les années, ce film se voit encore très bien et si la peine de mort n’est plus aujourd’hui un problème, il est facile de voir que la justice d’aujourd’hui n’est pas toujours très juste et s’exerce encore à la tête du client.

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    Les aumoniers des prisons ont aussi des états d’âme

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    L’avocat essaie de gagner du temps, mais il se heurte à l’hypocrisie des bourgeois

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    Les gardiens viennent arracher le condamné à la vie

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    Le père qui a tué sa fille ne veut pas mourir

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    Michel représente une sorte d’espoir

    Jean Meckert a tiré un roman de ce scénario. Cayatte et Spaak l’ont cautionné en le préfaçant. Cependant, c’est au final un ouvrage assez différent du film. Les raisons sont nombreuses : tout d’abord il me semble que le roman de Meckert se perd moins en considérations annexes. En se centrant sur le personnage de LeGuen, le récit devient plus cohérent. Le film en effet passait la première partie à décrire les tribulations de Leguen, et la seconde à décrire les diverses réactions des condamnés à mort face à leur destin.

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    La seconde différence est dans le ton : Meckert est finalement plus pessimiste que Cayatte et Spaak. C’est ainsi qu’il ne les suit pas quand ceux-ci montrent qu’au fond les bourgeois peuvent aussi être éduqués et devenir bons : pour lui ils sont inamendables, et ce d'autant plus qu'ils sont cultivés et maîtris le language. Egalement il insistera sur la vie de Michel chez les paysans, agravant la critique que Cayatte et Spaak avaient adressée à ces familles qui recueillent des petits orphelins ou des enfants placés pour avoir de la main d’œuvre quasiment gratuite à disposition.

    Il faut noter que Meckert a aussi bouleversé la chronologie, sans qu’on soit sûr que le propos y gagne vraiment. Mais enfin, une chornologie non-linéaire donne un genre moderne.

    Mais tout cela ne ferait pas un livre de Meckert, s’il n’y avait cette écriture particulière, usant d’un argot assez proche du vécu. Il présente la société comme une entité rétrograde et mortifère, usant de toutes les armes qu’elle peut se trouver, au besoin de celles qu’elle fabrique pour la circonstance pour se débarrasser de problèmes qu’elle ne veut pas regarder en face. Il s’est au passage contenté d’effleurer le problème de Gino que le film traite plus complètement puisqu’on assiste au meurtre du donneur. Si Meckert l’élimine c’est aussi parce qu’il ne peut lui trouver de résonnance avec les méfaits d’une société profondèment inégalitaire. De même, Cayatte et Spaak dressait un portrait finalement assez équilibré des aumoniers de prison, Meckert lui enfonce le clou de l’anticléricalisme, laissant au curé la responsabilité d’un discours sur la nécessité pour la société de se venger.

    On note aussi que les grandes scènes d’émotion ne sont pas du tout les mêmes. Dans le film c’est l’idée que peut-être la rédemption du petit Michel aura lieu, dans le livre, ce sont plutôt les regrets de René par rapport à sa sœur prostituée.

     

    Au final il est bien difficile de dire laquelle des deux œuvres est la plus forte, mais il est certain que Meckert a su faire du Meckert, et du bon Meckert, à partir d’un matériel qui lui aété donné comme une commande. Mais ce n’est pas la seule fois où Meckert adaptera du Cayatte-Spaak sous forme de recréation littéraire puisqu’en 1954, il jouera le même jeu avec Justice est faite, un autre plaidoyer sur les aléas de la justice.

    « LES AMANTS DE LA NUIT, They live by night, DE NICHOLAS RAY & DES VOLEURS COMME NOUS, Thieves like us DE ROBERT ALTMAN, DEUX ADAPTATIONS DU LIVRE D’EDWARD ANDERSONThe intruder, Roger Corman, 1962 »
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