• Pas de printemps pour Marnie, Marnie, Alfred Hitchcock, 1964

     Pas de printemps pour Marnie, Marnie, Alfred Hitchcock, 1964

    Ce film intervient juste après Les oiseaux et juste avant Le rideau déchiré. Autant dire qu’il s’inscrit dans une lignée de films qui vont amener peu à peu Hitchcock vers une désaffection grandissante du public. Les studios vont se méfier de plus en plus de lui. Courant d’échec en échec, il va avoir de plus en plus de mal à trouver des budgets conséquents et des vedettes de premier rang. Marnie est le deuxième et dernier film réalisé avec Tippi Hedren : Les oiseaux avait eu un bon succès public et une très bonne réception critique. Il faut dire aussi que les relations de Tippi Hedren avec Hitchcock furent des plus orageuses, et on sait que ce dernier fit tout ce qu’il put pour empêcher celle qu’il avait découverte de profiter de sa célébrité soudaine en la blacklistant des studios hollywoodiens, allant jusqu’à la payer pour ne rien faire puisqu’elle était sous contrat avec lui ! Bien qu’elle doive sa célébrité à Hitchcock qui l’avait découverte, il va de soi que les relations qu’elle entretint avec lui furent un enfer pour elle et rendirent le reste de sa carrière très difficile[1].

     Pas de printemps pour Marnie, Marnie, Alfred Hitchcock, 1964 

    Marnie change de ville après avoir volé son patron 

    Marnie est une voleuse pathologique et une menteuse qui souffre d’un traumatisme grave : un meurtre qu’elle a vécu dans son enfance. L’argent qu’elle vole lui permet d’acheter de somptueux cadeaux pour sa mère. Froide comme un glaçon, elle a peur des hommes, des orages et de la couleur rouge. Incapable de se fixer nulle part elle court après l’amour de sa mère et manifeste aussi une passion pour les chevaux. Jusqu’au jour où elle rencontre Mark qui tombe amoureux d’elle. Mais elle le volera tout de même et tentera de le fuir, sauf que Mark est obstiné : il va la rattraper et dès lors il va en faire sa femme avec le but ultime de la guérir de ses obsessions. Mark qui est un peu policier et un peu psychanalyste va régler tout seul cette ténébreuse affaire. Marnie lui demandera enfin de l’aide et retrouvera sa place de femme dans l’ombre de son puissant mari.

    Pas de printemps pour Marnie, Marnie, Alfred Hitchcock, 1964 

    Marnie est engagée chez Rutland 

    Le traitement de ce sujet grave laisse assez perplexe. Il s’y mêle en effet des moments très forts et très intenses avec des scènes franchement ridicules et laides. C’est qu’Hitchcock a voulu faire un film noir psychanalytique, ce qui n’est jamais une bonne idée. Le traitement est un peu dans la lignée de La maison du Dr Edwardes, assez sauvage dans le traitement de la réminiscence des traumatismes enfouis. Donc de temps en temps, presqu’avec la régularité d’un métronome Hitchcock nous assène des couleurs rouges baveuses pour bien nous signaler l’arrivée d’un début de commencement de solution au drame de Marnie. Mais malheureusement le film ne s’en tient pas à ce type de vulgarisation : voilà qu’il nous assène aussi des leçons plutôt bizarres sur la vie de couple et la manière de solutionner les problèmes conjugaux. Comme Mark sait que Marnie est traumatisée à la simple idée qu’un homme la touche, il patiente un peu, mais pas trop, et enfin se décide à la violer ! Sans doute Hitchcock réalisait il ainsi un fantasme inavoué puisque d’après ce qu’on en sait ses avances envers Tippi Hedren ne furent pas couronnées de succès. Le message du film nous suggère que Marnie paye là ses écarts de conduite. Le déséquilibre du film est patent, mais il est aggravé par le fait qu’Hitchcock ne sait pas trop quoi faire des personnages secondaires comme par exemple Lil qui apparaît un peu comme une ennemie de Marnie, et puis qui tout soudain disparait sans qu’on comprenne pourquoi. Une autre piste est ouverte quoiqu’aussi vite refermée, c’est celle de la façon dont Mark va éviter la prison pour sa femme. Le moins qu’on puisse dire est que c’est un film déconcertant.

     Pas de printemps pour Marnie, Marnie, Alfred Hitchcock, 1964 

    Marnie craint les orages 

    Mais c’est loin d’être le plus mauvais d’Hitchcock : ceux qui viendront après seront carrément lamentables. Il y a malgré tout quelque chose d’attachant dans ce film. Sans doute le mystère qu’il donne à Marnie et qui rappelle par les scènes de transformation du personnage un peu Vertigo. On découvre, bien au-delà de ces histoires à dormir debout de traumatisme, peu à peu la fragilité de Marnie. Mais il y a encore cette opposition entre un univers de gens très riches et bien dans leur peau et celui des pauvres gens représenté par Marnie et sa mère qui subissent tous les outrages du manque d’argent. D’ailleurs Mark réglera les problèmes de Marnie les uns après les autres grâce à sa fortune... et avec un peu d’humanité tout de même. Il y a tout de même une analyse de la violence des rapports entre les hommes et les femmes qui pourrait tout à fait satisfaire certaines féministes d’aujourd’hui. N’est-ce pas une sorte de prison que propose Mark à Marnie lorsqu’il la piège ? Mark ne manque d’ailleurs pas une occasion de faire valoir sa virilité, que ce soit dans ses rapports avec Marnie, ou que ce soit quand s’amorce une tentative de chantage sur le champ de courses.

     Pas de printemps pour Marnie, Marnie, Alfred Hitchcock, 1964 

    Sur le champ de courses, Marnie est reconnue 

    La mise en scène est tout aussi déséquilibrée que le scénario. Hitchcock a bien sûr du métier. Il y a donc de très bonnes choses, comme les rapports au sein de l’entreprise de Strutt ou celle de Mark, filmés minutieusement avec de beaux mouvements de grue. Et les tête-à-tête pourtant très bavards sont menés avec beaucoup de nervosité, comme un combat entre les deux protagonistes. Et puis des grossièretés étonnantes. Non seulement cette identification des traumatismes à des couleurs, comme dans Vertigo, mais surtout des transparences filmées un peu n’importe comment : la scène de chasse à courre est carrément ridicule, même pour l’époque. La perruque qui sert à rajeunir la mère de Marnie est également d’un très mauvais effet. De même quand Mark déshabille Marnie pour la première fois, c’est assez ridicule. Il reste cependant un rythme assez soutenu qui fait passer bien des choses.

     Pas de printemps pour Marnie, Marnie, Alfred Hitchcock, 1964 

    Mark tente de comprendre l’étrange conduite de Marnie 

    Je crois que c’est l’interprétation qui fait que tout de même le film se laisse voir. Le jeu étrange de Tippi Hedren y est pour beaucoup, mélange de naïveté et de dureté – elle a notamment une curieuse bouche – une sorte de Catherine Deneuve qui n’aurait pas 2 de tension, mais aussi son accent particulier dont elle joue. On regrette que par la suite elle n’ait pas trouvé des rôles à la hauteur de son talent. En tous les cas malgré les vicissitudes du tournage, c’est ici qu’elle trouvera son meilleur rôle. Le faire-valoir, Mark,  c’est Sean Connery qui faisait tout cette année-là pour casser son image selon lui trop marqué par James Bond. Il est très bien, crédible dans ce rôle d’un homme qui se croit plus malin qu’il n’est, mais qui parfois perd un peu la tête. Patron d’une maison d’édition, il entretient presque naturellement un rapport avec la vie et ses problèmes par l’intermédiaire de livres. Le film se résume largement dans ce tête-à-tête entre ces deux personnages, en et encore entre les deux c’est bien Marnie qui est le plus intéressant, les autres personnages à part celui de Lil interprété par l’étrange et intéressante Diane Baker n’ont pas grand intérêt. Bruce Dern qui était encore au tout début de sa carrière incarne le marin de passage qui se fait occire.

     Pas de printemps pour Marnie, Marnie, Alfred Hitchcock, 1964 

    La clé du mystère se trouve à Baltimore

    Curieusement on peut aussi rapprocher ce film de La femme de paille avec encore Sean Connery, l’ambiance, les oppositions entre la richesse et la pauvreté, la manipulation. Mais dans l’ensemble c’est un film qui, comme presque toute la production d’Hitchcock a très mal vieilli.

     Pas de printemps pour Marnie, Marnie, Alfred Hitchcock, 1964 

     Pas de printemps pour Marnie, Marnie, Alfred Hitchcock, 1964  

     


    [1] Patrick McGillan, Alfred Hitchcock, une vie d’ombres et de lumières, Actes Sud, 2011.

    « Les jeux dangereux, Pierre Chenal, 1958La femme de paille, Woman of straw, Basil Dearden, 1964 »
    Partager via Gmail

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :