• Paul Verhoeven, Showgirls, 1995

     Paul Verhoeven, Showgirls, 1995

    Paul Verhoeven est surtout un cinéaste de l’effet provocateur. Il lui est arrivé d’avoir quelque succès, notamment avec Basic instinct qui lui permirent de construire une carrière internationale. Typique du cinéma hollywoodien des débuts des années quatre-vingt-dix, il a pu apparaître comme un réalisateur sulfureux avec des audaces qui finalement ont bien vieillies. Showgirls a connu un destin très particulier. En effet, il venait juste après l’énorme succès de Basic instinct, mais il n’a eu aucun succès à sa sortie et la critique l’a esquinté comme un film à la vulgarité complaisante. Et puis par la suite, il est devenu comme une sorte de film culte et il a fini par rapporter de l’argent avec la commercialisation des DVD et maintenant des Blu ray. Si bien que la critique a cru devoir se raviser et trouver très bon ce sur quoi elle crachait naguère[1]. J’ai, au contraire, fait le chemin inverse, je l’avais vu à sa sortie en salles, et je l’avais apprécié justement comme une sorte de critique de la vulgarité moderne et éventée de l’Amérique et de ses valeurs culturelles frelatées. 

    Paul Verhoeven, Showgirls, 1995 

    A son arrivée à Las Vegas, Nomi va danser dans des boites de seconde catégorie 

    Nomi Malone arrive à Las Vegas dans l’espoir de danser et de trouver le succès. Prise en stop par un petit voyou, elle va se faire dépouiller de ses affaires. Mais elle va rencontrer la gentille Molly qui travaille dans le showbiz comme habilleuse. Celle-ci va l’introduire dans le milieu un peu glauque des danseuses nus qui se produisent dans des boîtes de lap dance qui oscillent entre la prostitution et le strip-tease. Mais c’est grâce à cet emploi qu’elle va être remarquée par la meneuse de revue Cristal Connors qui est la célébrité locale et qui fait les beaux jours du casino le Stardust. Elle va la prendre sous son aile, et avec l’aide son amant qui est aussi le directeur artistique du casino, elle va lui faire grimper les échelons de la gloire. Nomi fait pourtant semblant de rêver avec le danseur James Smith à une carrière véritablement artistique où la danse compterait plus que l’érotisme. Agressive et ambitieuse, elle va cependant prendre la place de Cristal Connors après l’avoir envoyée à l’hôpital ! Entre temps, elle lui a aussi piqué son amant, le triste Zack. Mais dans ce monde cruel où tout le monde se déteste, Molly qui admire le chanteur Andrew Carver va subir un viol collectif. Nomi va venger Molly, et ensuite elle va repartir comme elle était venue, sans rien, et sans avenir. 

    Paul Verhoeven, Showgirls, 1995 

    Cristal va prendre sous son aile Nomi 

    Le scénario de Joe Eszterhas avec qui Verhoeven avait déjà collaboré est assez ronronnant. Il suit très exactement le développement de All about Eve de Mankiewicz qui lui date de 1950. Si on regarde ces deux films de ce point de vue, force est de constater que le milieu artistique américain s’est bien dégradé ! En effet on passe du théâtre haut de gamme, basé sur une culture classique, au milieu frelaté de la danse moderne où la dimension esthétique n’a plus aucune importance.  C’est le personnage de James Smith qui est en fait la clé de l’histoire. Danseur complètement raté, il vend du vent à toutes les filles qu’il rencontre en leur promettant de leur apprendre à danser. Petit escroc au sentiment, il va finir par renoncer et s’en va retourner vers un boulot d’épicier loin des paillettes et de l’argent. C’est donc un milieu dans lequel tout le monde ment à tout le monde et où chacun se ment à soi-même.  Nomi n’est pas en reste. Elle n’est guère sympathique, elle traîne d’ailleurs avec elle un passé sulfureux fait de racolages et de petite délinquance. On l’apprendra plus tard. Bien sûr il lui reste des sentiments humains pour son amie Molly. Mais elle utilise tout le monde, Cristal, Zack, tout ce qui passe à sa portée et quand il le faut, elle n’hésite pas à ouvrir les cuisses. La seule qui semble trouver un peu grâce aux yeux du réalisateur est finalement Cristal. Personnage ironique et désabusée, elle se drogue pourtant, mais finalement aura une grandeur d’âme qui lui permettra de donner son pardon à Nomi. 

    Paul Verhoeven, Showgirls, 1995 

    Nomi va supplanter Cristal 

    La plupart du temps les danseuses sont nues presqu’entièrement, et s’offrent dans des shows qui sont d’une vulgarité affligeante, avec une musique aussi pourrie que la chorégraphie. C’est donc d’un monde décadent dont on nous entretient ici. Mais la manière dont cela est filmé est assez complaisante, même si ce côté trash est bien mis en valeur : cela est présenté comme l’issue presqu’historique et fatale de la société de consommation. Verhoeven n’épargne rien au spectateur, comme si la mise en spectacle de ces corps transpirants offerts au voyeurisme, était l’envers de la misère matérielle de ces sortes de prolétaires du spectacle qui vivent d’ailleurs dans des conditions sordides, dans des ruelles sombres, dans des campings cars plantés n’importe où au bord des voies rapides. Il y a une vraie critique du capitalisme à l’âge de la société de consommation et des paillettes destinées à rendre supportable un monde qui n’en finit pas de crever. Mais en dehors de la complaisance du regard, l’absence de dimension morale de la quasi-totalité des personnages apparaît comme une course à l’abîme sans issue possible. C’est à mon sens négliger plus ou moins volontairement une dimension latente de la société, c’est que celle-ci reconstruit tant bien que mal des éléments destinés à redonner du sens aux rapports sociaux. Ce n’est pas seulement faire preuve d’optimisme que de dire que malgré la déchéance de l’homme dans la société moderne, il lui reste des attributs de l’humanité. 

    Paul Verhoeven, Showgirls, 1995 

    Molly va payer très cher son admiration pour le chanteur Andrew Carver

    Le simplisme du message politique est souligné par le simplisme de la mise en scène tapageuse au possible. Les séquences des numéros de dance et de spectacle sont très longues et répétitives, même si elles sont filmées avec beaucoup d’énergie et de mouvement. Le rythme est soutenu par un montage racoleur qui multiplie les plans de coupe. Et puis il faut bien dire que la naïveté de Molly et de Nomi n’a pas de sens dans ce monde décrit comme ultra-dur. Les dialogues sont également réduits à la portion congrue et sans consistance. Nomi est aussi trop agressive dans certaines scènes, alors que dans d’autres elle reste très passive et soumise. Cela déséquilibre l’ensemble.

    L’interprétation est plutôt bonne, Nomi est interprétée par une sorte de grande cruche, Elisabeth Berkley, qui, à cause justement de l’insuccès du film, disparaitra pratiquement d’Hollywood. Tout en jambe, elle ne nous cache rien de son anatomie. Mais elle a beaucoup d’énergie et d’abattage. C’est la magnifique Gina Gershon qui est Cristal Connors. Bien que son rôle soit secondaire, elle éclaire le film.  Elle a beaucoup de subtilité et interprète encore une fois le rôle d’une femme attirée par les femmes avec beaucoup de talent. On peut voir le film que pour elle. Les hommes sont bien moins lotis. Zack est joué par le pâle Kyle MacLachlan. 

    Paul Verhoeven, Showgirls, 1995 

    Nomi va quitter Las Vegas comme elle y est venue 

    L’ensemble est assez raté, mais conserve un parfum de film noir intéressant. Il confirme cependant que Verhoeven n’est pas un grand cinéaste, mais seulement un réalisateur qui a su s’adapter au tournant des blockbusters des années quatre-vingt-dix.

     

     


    [1] On trouve ce genre de contrition sous la plume de Samuel Blumenfeld. http://www.lemonde.fr/m-moyen-format/article/2016/07/29/showgirls-et-accueil-glacial_4976291_4497271.html

    « Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 19608 mm, Eight millimeter, Joel Schumacher, 1999 »
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  • Commentaires

    1
    Tony
    Lundi 8 Mai 2017 à 14:01

    Trouver à ce film un parfum de film noir ou néo-noir est assez audacieux mais pourquoi pas? En tout cas, sur le même thème, Scorcese aurait sûrement donné quelque chose de plus intéressant. Sauf à considérer, bien sûr, que Verhoeven ait sciemment commis un film creux pour exposer la vacuité du monde qu'il dépeint et celle des êtres qui le peuplent. Reste Gina Gershon, évidemment, comme vous le signalez. Elle est plus sensuelle toute habillée qu'Elizabeth Berkley toute nue!

    2
    Lundi 8 Mai 2017 à 15:01

    Oui, je suis assez d'accord avec ce que vous dites, mais d'autres films qui vont emprunter la même voie durciront le récit en l'entraînant plus fermement vers le noir. Ce qui est assez curieux c'est que lors de sa sortie, ce film m'avait frappé par sa noirceur, et qu'en le revoyant je ne l'ai plus trouvé aussi intéressant que cela. En quelque sorte j'ai fait le chemin inverse de la critique ordinaire !!

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