• Plein soleil, René Clément, 1960

     Plein soleil, René Clément, 1960

    Plein soleil est un film clé, aussi bien dans la carrière d’Alain Delon, que dans celle de René Clément. Alain Delon n’avait fait jusque-là que de toutes petites choses au cinéma comme Quand la femme s’en mêle, Christine ou Sois belle et tais-toi. Si cela lui avait permis de révéler déjà une forte présence à l’écran, rien ne disait qu’il était un comédien talentueux. Plein soleil va tout changer. On sait que c’est en voyant ce film que Luchino Visconti décida de l’engager pour Rocco et ses frères. Par ailleurs, René Clément était déjà un réalisateur reconnu dans le monde entier, ayant obtenu d’énormes succès auprès de la critique et du public, ayant raflé à cette époque déjà de nombreux grand prix à Cannes et à Venise. Il avait déjà fait La bataille du rail, Jeux interdits, Les maudits, Au-delà des grilles, avec une forte imprégnation de la thématique de la guerre et de ses séquelles. Mais Plein soleil réoriente sa carrière et sa manière de faire du cinéma. C’est son premier « film noir ».  au fil des années, Plein soleil prend une importance de plus en plus grande et devient un classique pour les cinéphiles du monde entier.

      Plein soleil, René Clément, 1960

    Le sujet est connu : Tom Ripley est mandaté par Greenleaf, un richissime entrepreneur pour décider son fils Philippe rentrer aux Etats-Unis. Mais durant ce voyage il va se créer une intimité bizarre entre Tom et Philippe, une intimité faite d’admiration et de haine qui va pousser Tom à tuer Philippe lors d’un périple en mer, puis de prendre sa place aussi bien pour jouir de son argent que dans le cœur de Marge. Tom éliminera tous ceux qui se trouvent sur son chemin, comme ce pauvre Freddy Miles qui dès le départ ne l’aimait pas et s’en méfiait.  

     Plein soleil, René Clément, 1960

    La trame est celle d’un roman  de Patricia Highsmith. Elle était déjà un auteur reconnu, son premier ouvrage, Strangers in a train, avait connu un gros succès et avait été adapté par Alfred Hitchcock. Certes le film n’était pas très bon, mais il avait eu un retentissement énorme[1]. Patricia Highsmith était donc un auteur célèbre qui semblait ouvrir la voie à une autre façon d’écrire des romans noirs. Les siens étaient volontiers psychologiques et amoraux. Mais Plein soleil est une adaptation de Mr. Ripley, on pourrait dire que d’un certain point de vue il en trahit le principe. En effet dans l’esprit de Patricia Highsmith, Tom Ripley est dans ce premier épisode un tueur en série qui échappe par sa malice au châtiment en permanence. Cet anti-héros sera d’ailleurs le sujet de pas moins de 6 romans entre 1955 et 1991. C’est donc le personnage central de l’œuvre de Patricia Highsmith. Bien que le film et le livre aient tous les deux un caractère amoral et très moderne, ils différent sur de nombreux points. Pour aller très vite, disons que Highsmith a un peu plus insisté sur l’homosexualité latente de Tom Ripley. Quoi que par la suite elle ait avancé que l’homosexualité de Ripley n’était pas un problème, puisque par la suite il sera même marié. Mais enfin l’ouvrage est la description d’un jeune homme, Tom, qui est très séduisant et très intelligent, mais terriblement coincé et mal dans sa peau. Le crime qu’il va commettre le libérera de ses propres insuffisances. René Clément même s’il souligne l’ambiguïté de la scène où Tom enfile les vêtements de Philippe, met plus en avant l’opposition entre un fils de milliardaire et un jeune homme pauvre qu’il ne cesse de rabaisser. Il y a donc un aspect lutte des classes qui n’est pas vraiment souligné chez Highsmith. D’ailleurs dans le livre Greenleaf, le fils, qui porte le prénom de Richard – dans le film il se prénomme Philippe sans que cela change beaucoup les choses – vit à l’aise, mais n’est pas aussi riche qu’il ne paraîtra dans le film. Bohème et un peu dépressif, il a seulement une rente, il ne se gêne pas pour vivre sur le maigre pécule de Tom. La fin est bien sûr différente, puisque dans le film Ripley sera arrêté, non pas parce que le crime ne paie pas, mais plutôt parce que les amours de Marge et de Tom sont fausses et vouées nécessairement à l’échec.

    Plein soleil, René Clément, 1960 

    A Rome Philippe et Tom font la fête 

    Le livre a été une grande réussite et salué comme tel. Il obtiendra le Grand Prix de la Littérature Policière en 1957 dans la catégorie roman étranger. Cette même année-là, Frédéric Dard,  avait obtenu ce même prix dans la catégorie roman français. Rapprocher les deux auteurs n’est pas du tout fortuit. En effet, le roman de Patricia Highsmith a exercé une influence sans doute décisive sur l’évolution de la carrière du créateur de San-Antonio. Il s’en inspirera directement pour écrire un épisode de Kaput intitulé La dragée haute. Le scénario est moins diffus que le livre, il ramasse les développements, élimine les scènes répétitives et simplifie les personnages : par exemple dans le film Marge et Philippe habitent ensemble une belle maison, tandis que dans le roman ils ont des relations plus distantes.

     Plein soleil, René Clément, 1960 

    Tom commence à s’identifier à Philippe en enfilant ses vêtements 

    Détesté par la Nouvelle Vague, et particulièrement par le cuistre François Truffaut dont les œuvres ont beaucoup vieilli, le film de René Clément est pourtant résolument moderne et ne s’apparente en rien à une production de studio sensée qualifiée la production de qualité à la française. La mobilité de la caméra, le tournage sur les lieux de l’action rendent le film bien plus juste et fort que n’importe quelle œuvre de studio d’Hitchcock que Truffaut encensait de façon inconsidérée. Dans Plein soleil, on trouvera de nombreuses scènes filmées à même le quotidien, par exemple l’errance de Tom et Philippe au début dans Rome, avec une lumière relativement faible et peu artificielle, ou encore la belle scène où Delon traverse le marché aux poissons au milieu de la foule ordinaire. Il y a des moments de bravoure lorsque Delon se retrouve tout seul sur le bateau. On sait que la scène fut difficile à tourner et que Delon était malade à cause de la mer. Mais il y a des scènes plus étonnantes par exemple celle où Delon enfile les vêtements de Philippe et commence à se regarder en reprenant les intonations de Philippe. C’est évidemment Ronet qui doublait Delon dans cette imitation, mais ce narcissisme est glaçant. Toutes les scènes sont millimétrées, René Clément assurant lui-même le montage du film, il y a une vigueur étonnante pour un film qui a plus de cinquante ans d’âge maintenant. On en rajoutera encore deux autres : celle où Tom apprend à contrefaire la signature de Philippe. Alors que Patricia Highsmith ne s’intéresse pas à l’aspect technique de la question, au contraire Clément en mettant l’accent sur celui-ci donne à Tom l’aspect d’un artisan qui peaufine peu à peu ses compétences criminelles. Et puis bien sûr le meurtre de Freddy et l’évacuation pénible du cadavre. 

    Plein soleil, René Clément, 1960 

    Tom annonce à Philippe qu’il a le projet de le tuer et de prendre son identité 

    Si les décors n’ignorent rien de la pauvreté du pays que Tom et Philippe traversent, ils donnent pourtant à voir aussi une certaine joie de vivre qu’avant on attribuait spécifiquement à l’Italie. On remarque que le crime initiatique de Tom a lieu au bord d’un yacht de toute beauté, symbole de la richesse satisfaite des puissants de ce monde. Dans le livre c’est seulement au bord d’un petit canot à moteur que le meurtre se déroule. L’excellente photo d’Henri Decae qui fut comme on le sait le photographe de Jean-Pierre Melville et qui retravaillera avec René Clément, capte magnifiquement la lumière de l’Italie du Sud, la blancheur des maisons, le bleu du ciel et de la mer. On ressent presque physiquement cette chaleur torride. Il y a aussi cette manière particulière de saisir l’architecture de la ville de la maison. C’est lui qui choisissait les objets qui décoraient les lieux.

     Plein soleil, René Clément, 1960 

    Solitaire, Tom se promène au milieu du marché 

    Evidemment la grande réussite du film va être portée par des acteurs en état de grâce. Au premier rang de la distribution il y a Delon qui devait au départ incarner Philippe Greenleaf et Maurice Ronet, bien plus connu alors devait être Tom, il avait été engagé suite à une défection de Jacques Charrier alors une grande vedette suite au film de Marcel Carné, Les tricheurs, mais Delon finalement convainquit René Clément s’inverser la distribution. René Clément qui s’est toujours bien entendu avec Delon et qui aimait louer sa loyauté et son intelligence, s’est par la suite félicité d’avoir suivi ce choix. Delon domine le film, du début jusqu’à la fin. Séduisant et manipulateur, il déploit une énergie formidable dans cette volonté de dépouiller totalement Philippe de tous ses attributs. Maurice Ronet est aussi très bon, mais il disparait avant la moitié du film. Il incarne très bien ce riche oisif, méprisant, joueur et mélancolique. Et puis il y a Marie Laforêt dans le rôle de Marge. Elle a dit par la suite qu’elle s’était plutôt ennuyée durant le tournage, Delon, Ronet et Clément faisant un peu bande à part. Les seconds rôles sont très bien typés, particulièrement celui de Freddy tenu par Bill Kearns dont la spécialité était de jouer les Américains un peu lourds dans des films européens. Erno Crisa incarne l’inspecteur Riccordi et une mention spéciale doit être accordée à Elvire Popesco qui – tiens encore une coïncidence – retrouvera plus tard sur la scène Frédéric Dard pour La dame de Chicago. On y croisera aussi dans un rôle de figuration Romy Schneider qui à l’époque était la fiancée officielle d’Alain Delon.

     Plein soleil, René Clément, 1960 

    L’inspecteur Riccordi enquête sur la disparition de Philippe 

    René Clément avait conscience de la réussite exceptionnelle de Plein soleil. Il avait pris un grand soin au choix des lieux de tournage dans l’Italie qui respectent assez bien les lieux décrits par Patricia Highsmith. Il avait aussi accordé une attention particulière à la musique de Nino Rotta qui devait pour incarner le sud de l’Italie s’inspirer de Bellini le grand compositeur romantique sicilien. Le succès public fut immédiat, mais surtout il fut mondial et durable. Dans les années soixante c’est un film qu’on ressortait fréquemment. Mais avec le temps et les nombreuses rééditions en DVD puis en Blu ray, le film a encore pris de l’épaisseur et est vu maintenant comme un chef d’œuvre incontournable. Il est vrai qu’il n’a pas pris une ride. Il aura d’ailleurs une postérité étonnante. D’abord parce que le film de Jacques Deray qui date de 1968, La piscine, film dans lequel Delon tue une nouvelle fois Maurice Ronet, est clairement démarqué de Plein soleil. Mais il y a eu aussi avant cela Claude Chabrol qui en 1962 tournera L’œil du malin  sur un scénario de Paul Gégauf qui avait travaillé avec René Clément sur Plein soleil. Mais évidemment Claude Chabrol n’est pas Clément et Jacques Charrier n’est pas Delon. On ne dira rien ici du film d’Anthony Minghella, Le talentueux M. Ripley, qui date de 1999, si ce n’est que malgré des moyens financiers importants et une bonne distribution reste relativement inutile.

     Plein soleil, René Clément, 1960 

    Tom va séduire Marge 

    Lors de sa ressortie en Blu ray, Delon s’était rendu à Cannes pour rendre un vibrant hommage à René Clément en 2013. C’était aussi l’année du centenaire de la naissance du réalisateur qui aimait beaucoup les bateaux et qui passait une partie de son temps libre dans sa maison de Monte Carlo.

    Voici le lien ci-dessous de l’hommage que Delon rendit à René Clément lors de la ressortie en 2013 de Plein soleil 

    http://www.inthemoodforcinema.com/archive/2015/11/09/critique-de-plein-soleil-de-rene-clement-de-9-novembre-2015-5713310.html 

     Plein soleil, René Clément, 1960 

    Tom se croit à l’abri de la justice 

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/l-inconnu-du-nord-express-strangers-on-a-train-hitchcock-1951-a114844738

    « Une plaie ouverte, Patrick Pécherot, Gallimard, 2015Les tueurs, The killers, Robert Siodmak, 1946 »
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