• Pour en finir avec le maccarthysme, Jean-Paul Török, L’harmattan, 1999.

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    Jean-Paul Török est un ancien critique à Positif. Le mot ancien est très bon. Car Török est vieux, très vieux. Son seul titre de gloire aurait été d’avoir participé au scénario d’un film de Claude Sautet. Pour le reste il éructe des insanités qui sont d’un conformisme assez à la mode par les temps qui courent.

    Il s’est fait plus récemment reprendre vertement par Dominique Rabourdin à propos d’un livre qu’il a commis sur André Breton, André Breton et la hantise de l’absolu, publié aussi chez L’harmattan en 2011. Comme de nombreux anciens gauchistes, il pense être dans le coup en reniant tout ce qu’il avait vénéré au temps de sa jeunesse. Mais justement c’est ce qui fait de la vieillesse un naufrage quand on récuse ses amours de jeunesse.

    Si l’ouvrage sur Breton est réactionnaire, que dire de celui sur le maccarthysme ? Il est carrément planté à l’extrême droite. C’est un pavé de 580 pages bourré d’erreurs factuels et de fautes d’orthographes. Mais à la limite ce n’est pas cela qui est important. Le plus important est la thèse avancé par Török : au fond nous dit-il, ceux qui ont été pourchassés par l’HUAC, l’avaient bien cherché, ils n’ont eu que ce qu’ils ont mérité et ceux qui les ont dénoncé ont eu raison. Il fallait protéger la société américaine et Hollywood de la subversion bolchévique. Et donc il s’ensuit qu’Elia Kazan est un héros. Il prend donc la thèse de la droite américaine au sérieux.

    L’ouvrage de Török est de seconde main, mais il s’appuie sur une littérature américaine assez imposante. Le problème est qu’il lit un peut tout dans le désordre et il a du mal à comprendre ce qu’il lit : mettre sur le même pied Burch et Navsasky est une faute de goût évidente. Il confond les ouvrages d’historiens et ceux de propagande d’extrême droite.

    La façon dont est soutenue cette thèse est encore pire que la thèse elle-même. Török pratique un amalgame des plus douteux. Il prend prétexte du fait que la Parti communiste américain était effectivement une boutique stalinienne pour en déduire que tous ceux qui étaient à gauche à Hollywood étaient des staliniens pur et dur qui visaient à l’établissement d’un régime totalitaire aux Etats-Unis. D’ailleurs pour lui, Roosevelt est aussi un dangereux bolchéviste et son pouvoir était tout à fait dictatorial. Il reprend sur ce point d’ailleurs les propos de l’extrême-droite américaine : le New Deal a été un échec social et économique, sans même se demander pourquoi Roosevelt a été élu 4 fois pas les Américains.

    Török n’est du reste pas plus clair sur l’affaire Rosenberg. D’un côté il nous dit que « les » Rosenberg étaient bien membres d’un réseau d’espionnage, de l’autre il nous dit que si c’était bien avéré pour Julius, c’était loin d’être prouvé pour Ethel. En outre selon Török lui-même les renseignements que J. Rosenberg auraient transmis aux Russes ne valaient pas un clou. Ce qui confirme que la Chasse aux sorcières était plus un instrument de politique interne qu’une nécessité militaire dans le combat de la Guerre froide.

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    Dalton Trumbo et son épouse devant la Commission des Activités Antiaméricaines

    Amalgame encore lorsque pour démontrer la nocivité de la propagande stalinienne dans le cinéma hollywoodien, il cite des films comme Mission to Moscow. Certes ce film est plutôt idiot et véhicule une idéologie qui pue un peu. Mais cela participait de l’effort de guerre, il fallait convaincre les Américains d’entrer dans le conflit et donc de présenter l’alliance avec l’URSS comme une nécessité impérative.

    Au fil des pages l’inénarrable Török va redéfinir ce que doit être un cinéma apolitique. Il reprend d’ailleurs les arguments d’Anna Raynd dont nous avons déjà parlé. Cela suppose par exemple que les westerns ne véhiculent aucune idéologie particulière, et que John Wayne, lorsqu’il massacre des grandes quantités d’Indiens ne fait pas de politique non plus. Autrement dit l’idéologue c’est toujours l’autre !

    L’idée centrale de Török est que les communistes, vachement malins, tu parles, manipulent l’opinion en faisant passer des messages presque subliminaux dans les scénarios des films auxquels ils participent. Et donc pour lui il est normal de chasser le parti communiste, ne serait-ce que parce qu’ils sont sournois. Ce qui est une curieuse façon de soutenir la démocratie.

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    John Huston en soutien, aux « 10 » d’Hollywood

    Ce faisant en développant cette thèse idiote, Török passe à côté du sujet. Il ne veut pas comprendre que la chasse aux rouges – même lorsqu’ils sont rose pâle – est une revanche de l’establishment sur le Roosevelt et le New Deal. Poursuivant l’idée bête selon laquelle l’administration Roosevelt était une sorte de démocratie populaire, il ne se rend même pas compte du grotesque de sa proposition, car si elle avait été une dictature, aurait-elle toléré les complots de Edgar Hoover ? Car c’est bien cette bourrique du FBI qui a préparé tous les dossiers et toutes les preuves pour accabler les rouges d’Hollywood, les menacer, les faire chanter pour qu’ils avouent leur crime.

    Török note à juste titre que les procès staliniens amenaient des victimes à se déclarer coupables, mais il n’imagine pas que le même système pouvait fonctionner de façon symétrique en Amérique. A moins qu’il ne fasse la bête !

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     John Garfield devant la Commission des activités antiaméricaines

     

    Se rangeant derrière le drapeau de l’extrême-droite Török nous explique que les grèves et le rôle néfaste des syndicats s’inscrivaient dans une volonté du Parti communiste américain de renverser la société. Ce qui suffirait selon lui à justifier les poursuites à l’encontre de tous les artistes hollywoodiens qui se rangeraient du côté des travailleurs. Il ne lui vient pas à l’idée que si des grèves violentes se développent c’est aussi parce que le prolétariat souffre et ne supporte plus les inégalités et les injustices.

    Mais Török considère que le cinéma ne doit ni être un élément de culture, ni proposer des éléments de critique sociale. Il en veut ainsi beaucoup au film noir qui transforme le film policier en élément de critique sociale et qui dresse un parallèle dangereux entre le capitalisme et le monde de la criminalité. Pour lui le cinéma doit rester un divertissement – on ne sait trop ce que c’est en dehors des films de Walt Disney, et encore – tout le reste est bourrage de crâne et les producteurs doivent reprendre le contrôle sur les créatifs. On ne contestera pas le fait que Török puisse préférer Walt Disney et John Wayne au film noir et à John Garfield, c’est bien son droit. Ce qui ne nous plait pas est le fait qu’il veuille régenter la création et filtrer pour le public ce qu’il peut recevoir. Ces idées pour le coup peu démocratiques vont d’ailleurs l’amener à des erreurs d’analyse très importantes qui disqualifient tout son travail. Par exemple il trouve assez anormal, communiste pour tout dire, de présenter dans les films de cette période des femmes en voie d’émancipation. Il trouve ça contraire aux valeurs traditionnelles de l’Amérique. Passons sur ce qu’il entend par tradition. Mais le plus grave est que si les femmes se lancent dans un mouvement d’émancipation, elles ne le font pas sous la houlette des communistes, mais simplement parce que leur statut dans la société a changé, du simple fait que les hommes sont massivement partis à la guerre.

    De cette analyse confuse sur le cinéma il ressort que l’administration démocrate est responsable des difficultés ses studios en les obligeant, au nom des lois anti-trust à vendre leurs salles. Il ne suppose pas une minute que la baisse de la fréquentation a peut-être deux autres raisons :

    - la première est le déferlement de la télévision ;

    - la seconde est la déliquescence des films hollywoodiens. Plus la chasse aux sorcières va éloigner le cinéma d’un genre fictionnel adulte, et moins les spectateurs répondront présent.

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    Cette vieille canaille de Walt Disney, crypto-nazi, mouchardant ses petits camarades devant la Commission des activités antiaméricaines

     

    Homme d’extrême droite, Török a d’ailleurs des références culturelles de ce côté. Par exemple, il cite souvent Dies, l’un des premiers chasseurs de rouges, mais sans dire que celui-ci non seulement était pour un rapprochement avec l’Allemagne et contre l’entrée en guerre des Etats-Unis, mais qu’il était un des plus virulents comptenteurs de l’administration rooseveltienne. Et un antisémite notoire. L’autre référence phare de Török est Hergé, le père de Tintin. Il le cite pour dire combien cet homme fort inspiré avait bien compris avant tout le monde la nature profonde du régime soviétique. Mais c’est l’hôpital qui se moque de la charité, puisqu’en effet Hergé était un fervent soutien de la collaboration avec l’Allemagne nazie ce qui n’est pas un modèle de démocratie.

    Il se retrouve donc en bonne compagnie. Mais il ne nous dit pas que les principaux agents de la lutte contre les rouges ont tous mal fini. Parnell Thomas a été en prison pour escroquerie, McCarthy a sombré dans l’ivrognerie et le paranoïaque Nixon a été destitué.

    Je me rends compte que j’ai été bien long sur ce livre médiocre, mais en même temps, ce travail reflète l’illusion de beaucoup, et d’ailleurs des communistes staliniens aussi, de croire qu’en contrôlant le cinéma on finira bien par contrôler aussi les cerveaux. Pour ceux-là les surprises sont à venir !

     

    Bibliographie

     

    Victor Navasky, Les délateurs, Balland, 1970

    « Sang et or, Body and soul, Robert Rossen, 1949Comanche station, Budd Boetticher, 1959 »
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