• Préméditation ?, André Berthomieu, 1959

     Préméditation ?, André Berthomieu, 1959

    A la fin des années cinquante, les ouvrages signés Frédéric Dard rapportaient plus d’argent que ceux signés San-Antonio. Non seulement les tirages étaient tout aussi élevés, mais la plupart de ces romans publiés dans la collection Spécial police faisaient l’objet d’adaptations cinématographiques et donc Frédéric Dard était payé pour le sujet, mais aussi pour le scénario et les dialogues. En 1958, Frédéric Dard avait écrit un scénario, En légitime défense, pour André Berthomieu, il en avait tiré un ouvrage qu’il signa pour des raisons obscures du nom du réalisateur[1]. Berthomieu qui avait commencé sa carrière avant-guerre, était plutôt spécialisé dans les comédies légères, avec Bourvil, Luis Mariano ou Jean Richard. Il avait assez de succès. En légitime défense, tourné en 1958, reçut un accueil mitigé, mais c’était un film à petit budget et donc il fut suffisamment rémunérateur. Préméditation ? est l’ultime production de Berthomieu, il décédera juste après. C’est un film qui détonne dans sa filmographie. Le support de cette œuvre est un roman noir de Frédéric Dard, sans doute un des meilleurs de ces romans de la nuit.  

      Préméditation ?, André Berthomieu, 1959

    Bernard Sommet a assassiné sa femme et son ami Stéphane, prétendant qu’il les aurait surpris en revenant inopinément d’un voyage avorté à Angers. Le juge Lenoir est chargé d’instruire l’affaire. Il est assisté de son greffier Martinot. C’est Sylvie Foucot qui est chargée de la défense de Bernard. Dès les débuts de la confrontation, le juge Lenoir pense que Bernard est coupable, non pas des meurtres qu’il a avoués, mais d’assassinat. Il va donc tenter de démontrer qu’il y a eu préméditation et donc que Bernard a tout manigancé. Il va procéder d’abord à une reconstitution qui ne donne pas grand-chose, mais ensuite il va rassembler des éléments qui peu à peu accablent Bernard. Mais les relations entre Bernard et Sylvie vont évoluer. Elle tombe en effet amoureuse de son client, et lui ne fait rien pour la dissuader. Dans le but de la manipuler, il va faire semblant d’être aussi amoureux d’elle. Alors que tout semble perdu, Sylvie annonce que le valet de Stéphane a des lettres compromettantes à vendre qui démontreraient que la femme de Bernard et Stéphane entretenait bien une relation adultérine. Bernard est sous le choc. Mais en réalité ces lettres sont des faux comme le démontrera le juge Lenoir. Dès lors Bernard comprend que sa femme ne l’a jamais trahi, et il va avouer la préméditation, ce qui le condamnera à la peine capitale.

    Préméditation ?, André Berthomieu, 1959 

    Le juge Lenoir procède à la reconstitution 

    Si dans la lettre le film est très fidèle à l’histoire, l’esprit est complètement trahi. Bien que cela ne soit pas signalé au générique, il est pourtant très probable que ce soit Frédéric Dard lui-même qui ait réalisé l’adaptation et les dialogues du film et donc lui-même qui ce soit trahi. L’ouvrage est écrit à la première personne du singulier, donc très subjectif. Il s’étend sur les motivations et la personnalité névrotique de Bernard, ses indécisions, ses tourments face à ses propres mensonges et à ses manques. Mais sans doute pour des raisons de budget, le film n’a pas suivi tout à fait cette piste. En effet, pour être fidèle au roman, il eut fallu par exemple introduire des flash-backs pour expliquer les relations troubles de Bernard avec les personnes qu’il a assassinées. On trouve bien cela, mais oralement, seulement dans la confession qu’il fait à Sylvie. On s’attend d’ailleurs lors du premier tête à tête entre Bernard et son avocate justement à un retour en arrière qui ne vient pas.  Le second point important est que dans le roman, l’avocate est une fille un peu délaissée, handicapée, boiteuse, qui vit seule avec sa vieille maman, ce qui explique qu’elle joue presque sa vie dans la défense de Bernard. Dans le roman c’est bien elle qui fait fabriquer les fausses lettres d’amour de sa femme à Stéphane. Or, le film ne le dit pas, pour le comprendre, il faut avoir lu le livre.

     Préméditation ?, André Berthomieu, 1959

    Sylvie a troqué ses vieux habits contre un tailleur qui la met en valeur

    Ces aménagements font que le film se passe dans un huis clos qui se partage principalement entre le bureau du juge et le parloir de la prison. Et donc la manière de filmer va s’en ressentir terriblement. Il y a peu d’espace pour filmer, Berthomieu multiplie les gros plans, champ-contrechamp, les mouvements d’appareil sont réduits au minimum. Si bien qu’à part les dialogues qui évoluent un peu, les scènes du début et de la fin sont presqu’interchangeables. Cette pauvreté de moyens, le film est produit par André Berthomieu lui-même, est seulement rompue au début par quelques vues de la prison de la Santé, du palais de justice et la scène de la reconstitution. Ce parti-pris fait qu’on a l’impression que l’histoire n’avance pas. Les scènes qui révèlent une passion amoureuse chez Sylvie ne sont pas très convaincantes non plus.

     Préméditation ?, André Berthomieu, 1959 

    Bernard ne veut plus répondre aux questions du juge 

    Berthomieu ne sait pas choisir un point de vue. Alors que le roman décortique l’âme noire de Bernard, le montre comme la victime d’une sentimentalité refoulée, un homme aux abois sur le plan sentimental aussi bien que sur le plan matériel, ici on a l’impression d’un simple délinquant qui a tué pour résoudre seulement ses problèmes de liquidités monétaires. Vers la fin il reviendra cependant à l’ambiguïté thématique du film. Le cœur de l’affaire est la jalousie. En effet quand Bernard croit que sa femme l’a trompé réellement avec Stéphane, il se met à l’aimer. Mais on a l’impression aussi que Sylvie n’a fait fabriquer ces faux que dans le but de démasquer les véritables sentiments de Bernard à son endroit. Car elle aussi est jalouse ! Elle ne supporte pas que Bernard lui préfère sa femme, avec tout le mal qu’elle se donne pour le tirer d’affaire. L’obstination du juge Lenoir devient un élément déterminant de l’histoire, comme s’il s’agissait d’une lutte à mort entre lui et le criminel. Ce qui fait que le film bascule vers la description d’un étrange triangle formé du juge, de Bernard et de l’avocate. Dans le roman le juge n’avait pas plus d’importance que de révéler un destin. 

    Préméditation ?, André Berthomieu, 1959 

    Le gardien explique à Bernard que tout n’est pas perdu 

    L’interprétation est donc fondée sur un trio. D’abord Jean-Claude Pascal qui était une vedette importante au début des années cinquante, mais qui se trouvait en 1959 clairement sur la pente déclinante. Il avait d’ailleurs commencé à se reconvertir en chanteur de variétés. C’était un acteur assez raide tout de même, assez peu moderne donc. On pourrait penser que cela va avec l’idée qu’on se fait d’un personnage froid en apparence comme Bernard Sommet, mais en réalité, ça ne passe pas très bien, d’autant qu’il est maquillé d’une manière atroce. Il retrouve dans ce film Pascale Roberts qui jouait déjà dans Le fric, un film noir de Maurice Cloche. Celle-ci n’est pas très à son aise, sauf peut-être dans la scène finale de plaidoirie. Jean Desailly est évidemment très bon dans le rôle du juge Lenoir, mais il est toujours bon dans ces rôles de grand bourgeois un peu autoritaire, un peu ironique. Il est secondé ici par Jacques Dufilho qui incarne le greffier avec qui il partage ses réflexions. 

    Préméditation ?, André Berthomieu, 1959 

    Sylvie travaille sous le regard inquiet de sa mère 

    Il y a donc bien peu de choses à sauver de ce film. Il y a peut-être cette scène étrange où on verra le juge discuter avec sa femme, tout en mangeant sa soupe. Son épouse lui explique comment il est possible qu’il se trompe. C’est le genre de scène qui se retrouvera bien plus tard chez Hitchcock, dans Topaz en 1969 et sur laquelle Truffaut aimait à s’extasier.

     Préméditation ?, André Berthomieu, 1959 

    Bernard est convoqué au parloir 

    Le film n’a eu guère de succès à sa sortie, ni sur le plan commercial, ni sur le plan de la critique, et c’est ce qui explique que pendant des années il n’était pas visible. Le voilà aujourd’hui enfin disponible en DVD par la grâce de René Château Vidéo. Il est important non pas sur le plan artistique, mais surtout pour les dardophiles qui s’intéressent au travail de Frédéric Dard dans le domaine cinématographique. Comme je l’ai dit au début, c’est un très bon roman noir qui a servi de support à un film noir médiocre. Or on peut se demander pourquoi Frédéric Dard a souvent été porté à l’écran par des mauvais cinéastes. Rares sont en effet les réussites cinématographiques d’après ses romans, mais il y en a. Le plus souvent l’échec provient du fait que ses scénarios ont été mis en scène par des cinéastes médiocres incapables d’obtenir des budgets suffisants. Il manifestera d’ailleurs plusieurs fois son ressentiment à l’endroit de ce milieu, le décrivant comme un milieu peuplé d’escrocs et d’analphabètes. « A l’époque j’écrivaillais pour le cinéma », dira-t-il dans Je le jure. Mais on pressent aussi qu’il n’a pas su trouver le bon chemin pour obtenir de ce milieu des réalisateurs de talent, à part Hossein bien sûr ou encore Marcel Bluwal.

     Préméditation ?, André Berthomieu, 1959 

    Sylvie développe une belle plaidoirie



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/en-legitime-defense-andre-berthomieu-1958-a127979240 

    « Equipe de l’ombre, Frédéric Dard, Editions Lugdunum, 1941Bob le flambeur, Jean-Pierre Melville, 1955 »
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