• Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 1960

     Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 1960

    Au début des années soixante va commencer de s’égrener la longue litanie des films qui voient une famille, ou un couple, ou une femme, pratiquement sans histoire, être confrontés à une violence qui vient de l’extérieur sous la forme de marginaux ou de voyous qui ne respectent plus les codes de l’American Way of Life. Des gens sans foi ni loi qui vont remettre en question la morale ordinaire et la hiérarchie des valeurs. Le mal n’a plus de justification dans des conditions de vie matérielle misérables, mais il devient une partie essentielle de ceux qui agissent à contre-courant, mais qui restent formatés par la jalousie qui nait inévitablement dans la société de consommation. On trouve cela par exemple dans Lady in a cage[1]. Mais il y en a beaucoup d’autres qui mettent en scène des malades, dont celui-ci qui est un peu le chef d’œuvre de Leslie Stevens qui par ailleurs n’a pas fait grand-chose.

     Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 1960 

    Boots et Duke se sont installés dans une maison inoccupée 

    Surgis de nulle part, deux marginaux, Boots et Duke, cherchent l’aventure, ils agressent le gérant d’une station-service à qui ils volent de quoi manger de quoi boire. Puis, voyant passer une belle blonde, Ann, au volant d’une Corvette, ils décident de la suivre en forçant un vieil homme à les véhiculer. Ils vont s’installer dans la maison voisine, avec dans l’idée de se farcir la blonde qui prend d’innocents bains de soleil au bord de sa luxueuse piscine. Par ailleurs Ann s’ennuie, elle se sent délaissée par son mari qui a plutôt la tête dans ses affaires que dans son cul ! Elle aimerait, on le comprend, avoir un peu plus de sexe dans sa vie. Aussi quand Duke se présente à sa porte sous des prétextes divers et variés, elle se laisse aller à flirter avec lui, quoiqu’elle se méfie de son intrusion. Pour autant l’idée de Duke n’est pas de la violer, mais de l’amener à ce qu’elle le désire, afin ensuite de la refiler à Boots qui se chargerait de la finir. L’affaire va prendre un tour dramatique quand Roger, le mari de Ann, doit aller à San Francisco pour ses affaires. Duke va forcer un peu la main à Ann pour faire une petite fête, l’alcool, la musique, Ann est prête à céder à Duke, mais celui-ci laisse sa place à Boots. Or celui-ci est impuissant. Tout va tourner en eau de boudin. Duke et Boots vont se battre à mort, et Ann ne survivra qu’à cause du retour de Roger. Tout rentrera dans l’ordre avec la mort de Boots.

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    Ann ouvre la porte à Duke qui se prétend jardinier 

    Evidemment comme la trame est très ténue, tout va reposer sur la mise en scène et les intentions qu’elle découvre. On remarquera tout d’abord que tout oppose le couple Carlyle – Ann et Roger – au couple de marginaux – Duke et Boots. On voit ces deux dégénérés surgir de nulle part, ne sachant où ils vont, usant d’une liberté dont ils ne savent que faire. Ils n’ont pas d’argent. Mais ils vont être attirés comme les mouches par le miel par la richesse : une belle blonde, une voiture de sport décapotable ou une piscine où il fait bon se prélasser. Dès lors le conflit ne peut que commencer entre ces marginaux et des gens qui ont un statut social très élevé. Duke et Boots n’ont même pas de noms, ils passent leur temps à en changer. Ils n’ont donc pas d’identité véritable. Ce qui va être le point de rencontre entre Duke et Anne, c’est le sexe. Tous les deux sont en manque, mais pas pour les mêmes raisons. Le premier est prisonnier de sa pauvreté, la seconde au contraire de sa richesse ! Duke désire Ann en tant qu’objet. Il ne réalisera pas ce désir, sans dote lui aussi est-il impuissant. Ann au contraire identifie Duke comme un homme authentique, violent et brutal, il est couvert de sueur, mal rasé et sans doute ne se met-il pas de déodorant ! C’est donc un film sur le désir comme élément de la lutte des classes ! Ann a beau se faire chatte pour motiver son mari, elle n’obtient rien en échange. La misère sexuelle est la contrepartie de la société de consommation. C’est un thème qui va devenir à la mode dans les années soixante. 

    Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 1960 

    Boots va espionner comment Duke s’y prend avec

     Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 1960 

    Roger et Ann se préparent un petit cocktail 

    Sur le plan cinématographique proprement dit, il faut bien dire que le film tarde à trouver son rythme. Il le trouvera en effet seulement dans le dernier tiers. Là ça devient franchement très bien. Pour le reste il y a quelques scènes de drague d’Ann envers son mari, et il est piquant de savoir qu’en filmant Ann, Leslie Stevens filmais sa propre femme ! ce pourrait être d’ailleurs une pièce de théâtre, plutôt bavard le film joue avec un tout petit nombre de personnages et la faible dispersion des lieux. Il ne semble pas que quelque scène ait été filmée en studio. Le film fait assez bien ressortir l’enfermement de gens riches, mais sans plus. C’est d’ailleurs cette rupture qui fait plonger Ann. Stevens utilise alors des décors naturels relativement simples qu’il présente comme autant de pièges possibles. Beaucoup de choses se passent dans les regards, et le regard de Roger est vide d’expression, tandis que celui de sa femme papillonne pour trouver une issue. Les sourires sont aussi faux que la couleur des cheveux d’Ann ! l’ensemble crée une tension forte entre les personnages, et si Ann a légitimement peur de Duke, c’est Duke qui craquera le premier devant l’agressivité sexuelle de la jeune femme. Les barrières entre les classes sont matérialisées par des vitres qui donnent à voir, mais séparent, ou des grillages. C’est souvent dans le cadrage de ces plans que la photo est excellente.

     Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 1960 

    Boots espionne à son tour Duke et Ann 

    La distribution est dominée par le couple Kate Manx, Corey Allen. Ils ne sont pas mal du tout. La première joue de sa perversité, mais aussi de cette hésitation entre séduction et répulsion pour un homme qui est de basse extraction. Elle n’avait pas cependant un physique extraordinaire. Blonde, élancée, elle avait un nez difficile à filmer car trop pincé. Corey Allen est Duke, avec son ambiguïté propre, aussi bien parce qu’il ne sait pas trop s’il veut être un salopard, ou s’il se rend compte d’une idylle impossible. Pris à son propre piège, il n’arrivera même pas à consommer son forfait. Il est très émotif, perdu, et même à un moment il se mettra à pleurer. Comme Boots il est sans doute impuissant. Ce qui ne l’empêchera pas de tuer Boots et de tenter de liquider Ann. Le troisième personnage est Boots, incarné par le toujours très bon Warren Oates. Il joue les idiots ici, ce n’est ni la première fois, ni la dernière. Mais il est moins présent à l’écran que les deux autres et peut se permettre de cabotiner un peu, le rôle s’y prête. Certains ont vu dans la relation entre Boots et Duke une relation homosexuelle. C’est toutefois difficile à affirmer.

     Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 1960 

    Duke a livré Ann à Boots 

    C’est un film a tout petit budget on parle de 60 000 $. Mais le retour sur investissement fut très bon puisque le film, malgré la censure aux Etats-Unis, rapporta 2 millions de dollars. Tourné en 1959, il fut sur les écrans en 1960 et fut tout de suite attaqué par les ligues de vertu. Il a été tourné dans la propre maison de Leslie Stevens, et c’est sa propre femme qu’il filma dans le rôle d’Ann. Il semble d’ailleurs que ce couple-là était à la dérive dans la vie réelle. Kate Manx mourra en 1964 dans des conditions pour le moins curieuses alors qu’elle était en train de divorcer d’avec Leslie Stevens. De sombres histoires de fric étaient sous-jacentes à ce divorce difficile.

    Malgré la très bonne réputation qui l’accompagne, on ne peut pas dire que Private property soit une grande réussite. Il intéresse parce qu’il ose et qu’il est filmé avec des bouts de ficelle, mais pour le reste on reste un peu sur sa faim tout de même. D’un point de vue historique, il s’inscrit dans le renouvellement du film noir avec d’autres petits films fauchés comme Blast of silence[2] qui avait tout de même une autre tenue.

     

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/la-femme-en-cage-lady-in-a-cage-walter-grauman-1964-a114844670

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/allen-baron-un-cineaste-noir-a114844940

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