•  8 mm, Eight millimeter, Joel Schumacher, 1999

    A la fin des années 90, l’Amérique s’enfonçait dans une crise morale qui se traduisait par des films néo-noirs qui reflétaient une vision glauque et pessimiste de l’avenir. C’était déjà le cas de Show girls dont nous avons parlé précédemment, mais c’est sans doute encore plus le cas de 8 mm. En effet, le film est d’une telle noirceur qu’il se situe au-delà du réalisme ordinaire des films qu’on classe généralement dans la catégorie néo-noir. En vérité on retrouve déjà ce genre de thématique avec Hardcore de Paul Schrader en 1979. En quelque sorte ce genre de film va couvrir les années Reagan dont l’optimiste feint ne peut masquer le délabrement économique et social de l’Amérique. Le renouveau de l’Amérique, c’est-à-dire son apaisement moral devra curieusement attendre les années Clinton et l’amélioration sensible de la conjoncture économique. Bien entendu, il ne faut pas chercher un message politique explicite ou implicite dans ce film, mais il y a au moins une correspondance assez nette entre le développement d’une époque tourmentée et les réalisations filmiques destinées à satisfaire un public plus ou moins voyeur de ses propres errements. 

    8 mm, Eight millimeter, Joel Schumacher, 1999 

    Tom est engagé par la veuve d’un milliardaire 

    Tom Welles est un détective marié qui a une petite fille. Il est obsédé par son travail et néglige un peu sa famille. Il s’est construit cependant une bonne réputation. Un jour la veuve d’un milliardaire lui propose d’enquêter sur un film qu’elle a retrouvé dans le coffre-fort de son mari. Le film montre une jeune fille qui se fait assassiner. Mme Christian lui demande de retrouver cette fille, elle veut savoir s’il s’agit d’un simulacre ou de quelque chose de plus sordide, un snuff movie. Tom va donc partir de ce que montre le film, retrouver laborieusement l’identité de la jeune fille, puis remonter la piste dans l’univers de la pornographie crasseuse californienne de ceux qui l’ont assassinée. Au fur et à mesure que son enquête avance, il va devenir lui-même une sorte de vengeur avec pour but de punir ceux qui ont tué cette malheureuse jeune fille. Il remontera jusqu’à un réalisateur aussi raté que fou et dégénéré qui utilise la puissance maléfique d’un certain Machine qui n’opère que cagoulé. Pour cela il va s’allier à un jeune homme, Max California, qui travaille dans un sex shop et qui va le guider dans l’univers crasseux du porno SM. Il obtiendra gain de cause, mais au prix d’un traumatisme dont il aura du mal à se défaire dans l’avenir. Le scénario est de Kevin Walker qui a eu pas mal de succès en travaillant pour David Fincher, notamment sur Seven et sur The game. Il s’est fait une spécialité de mêler une forme de réalisme trash à des formes évoluant vers le fantastique. C’est également lui qui a fait le scénario de Sleepy Hollow de Tim Burton. 

    8 mm, Eight millimeter, Joel Schumacher, 1999 

    Tom partira d’un film pour retrouver une jeune fille assassinée 

    Il y a pourtant un sentiment de déjà-vu. Cette histoire en rappelle plusieurs autres. D’abord Hardcore qui était aussi une dérive dans un univers plutôt glauque et dérangeant. Mais il est aussi par son esprit proche du film de William Friedkin, Cruising, qui date de 1980 et qui parlait de la contamination d’un inspecteur de police qui côtoyait en permanence le mal dans le milieu trouble des homosexuels. Le message du film de Joel Schumacher n’est cependant pas très clair. En effet face au mal absolu que représente la pornographie SM qui plonge dans le crime, il semble nous opposer la stabilité de la famille représentée par la femme et la fille de Tom, comme si les turpitudes présentées à l’écran étaient le résultat de la dissolution de celle-ci. Les pornographes criminels sont sans famille, et la jeune fille assassinée souffrait elle-même de ne pas avoir de père et de vivre dans une famille recomposée. La fin du film passe pas mal de temps à montrer que pour exorciser ses démons, Tom doit d’abord se transformer en véritable vengeur avant de revenir balayer la pelouse de son jardin. Les motivations de ces pornographes ne sont pas explicitées, il est dit que cela est inutile : ils sont mauvais, arrogants, et ils aiment ça ainsi que le confessera le sinistre Machine. L’idée est qu’on ne peut s’en sortir qu’en les éradiquant définitivement de la surface de la terre. C’est donc un message assez peu nuancé. 

    8 mm, Eight millimeter, Joel Schumacher, 1999 

    Il a retrouvé la mère de la jeune fille assassinée 

    Mais ce n’est pas là le seul défaut du film. Il y a d’abord un manque de rythme évident. Ça se traine assez bien. Et je ne dis pas ça en pensant à la nécessaire longueur de l’enquête proprement dite puisqu’on comprend bien qu’une enquête de ce type ne peut être que longue et difficile. C’est plutôt que la caméra s’attarde trop sur les tourments qui affecte Tom. L’autre point important est la faible utilisation des décors extérieurs. On passe en effet de Miami à Los Angeles et de Los Angeles à New York sans que l’atmosphère change trop. Certes on comprend bien que Schumacher a voulu donner une allure un peu claustrophobe à son film, mais il eut pu mieux contextualiser l’histoire en la renvoyant à son insertion géographique, ce que savent faire très bien les réalisateurs de séries télévisées par exemple. La crasse esthétisante dans laquelle baigne le film apparaît alors particulièrement artificielle. Cela donne nécessairement une image assez plate, un manque de profondeur de champ. L’autre point très critiquable est le côté voyeur du film qui s’exprime curieusement sans rien montrer, juste en suggérant ! On pourrait dire qu’il s’agit là d’une sorte d’escroquerie morale. Schumacher n’a jamais été un bon cinéaste, cinéaste tape à l’œil, il n’est pas connu pour sa subtilité. Cela se traduit ici par la lourdeur des scènes familiales avec les lancinantes menaces de la femme de Tom, Amy, qui somme son mari en permanence de quitter son métier et de s’occuper de sa famille. C’est pleurnichard en diable, et surtout assez illogique puisque sa femme ne travaillant pas, Tom est bien obligé d’aller au charbon. 

    8 mm, Eight millimeter, Joel Schumacher, 1999 

    Max California travaille dans un sex shop 

    C’est une distribution assez haut de gamme. A cette époque Nicolas Cage qui venait de tourner le tourmenté 8mm s’engagea dans le projet de Scorsese, Bringing Out the Dead, dans un rôle tout aussi déjanté. Il avait un beau palmarès, ayant tourné sous la direction de son oncle, Francis Ford Coppola, plusieurs films dont le très beau Peggy Sue got married, mais aussi sous celle de David Lynch ou encore de Brian de Palma, c’est seulement dans les années 2000 qu’il devint le roi du navet. Ici il est assez insignifiant, il en fait trop dans le genre tourmenté, les grimaces sont assez malvenues. Il hésite entre le détective à l’ancienne, persévérant et honnête jusqu’à la mort, et l’enquêteur qui ne sait plus pourquoi il travaille sur une affaire qui le tue. Il ne manifeste pas assez sa rage devant tant de turpitude et d’immoralité.

    Il y a le jeune Joachim Phoenix qui est évidemment très bien dans le rôle d’un musicien de rock raté qui va donner son amitié et sa vie pour Tom. James Gandolfini est aussi excellent dans le rôle du salaud Eddie Poole. Peter Stormare est étonnant aussi dans le rôle du dégénéré Dino Velvet. C’est un habitué des rôles de débiles profonds, cruels et sans avenir et qui fait presque toujours tuer avant la fin du film. Amy Morton incarne la malheureuse Mme Mathews avec beaucoup d’émotion et d’intensité. Il est regrettable qu’elle n’ait pas poursuivi sa carrière au cinéma. Le ratage de cette distribution, c’est sans doute Catherine Kenner dans le rôle de la femme éplorée de Tom. Mais il faut dire qu’un tel emploi est impossible à jouer. 

    8 mm, Eight millimeter, Joel Schumacher, 1999 

    Tom est piégé par Dino Velvet et Eddie Poole 

    Malgré un budget de 40 millions de dollars, qui a mon sens n’est pas justifié par ce qu’on voit à l’écran, le film obtint un succès très moyen. Sans doute cela provient-il d’un mélange des genres, un côté gore assez mal assumé, une histoire de détective assez classique et une analyse des fantasmes de l’Amérique de la fin des années 90. Peu de scènes intéressantes peuvent être retenues, peut être celles des rencontres entre Tom et la pauvre Mme Mathews. Les moments où Tom espionne Eddie Poole, ou encore quand il recherche l’identité de sa fille. Cependant, il reste que ce film est un jalon de plus dans la décomposition du film néo-noir, et à ce titre il est intéressant. 

    8 mm, Eight millimeter, Joel Schumacher, 1999 

    Tom devient le vengeur

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  •  Paul Verhoeven, Showgirls, 1995

    Paul Verhoeven est surtout un cinéaste de l’effet provocateur. Il lui est arrivé d’avoir quelque succès, notamment avec Basic instinct qui lui permirent de construire une carrière internationale. Typique du cinéma hollywoodien des débuts des années quatre-vingt-dix, il a pu apparaître comme un réalisateur sulfureux avec des audaces qui finalement ont bien vieillies. Showgirls a connu un destin très particulier. En effet, il venait juste après l’énorme succès de Basic instinct, mais il n’a eu aucun succès à sa sortie et la critique l’a esquinté comme un film à la vulgarité complaisante. Et puis par la suite, il est devenu comme une sorte de film culte et il a fini par rapporter de l’argent avec la commercialisation des DVD et maintenant des Blu ray. Si bien que la critique a cru devoir se raviser et trouver très bon ce sur quoi elle crachait naguère[1]. J’ai, au contraire, fait le chemin inverse, je l’avais vu à sa sortie en salles, et je l’avais apprécié justement comme une sorte de critique de la vulgarité moderne et éventée de l’Amérique et de ses valeurs culturelles frelatées. 

    Paul Verhoeven, Showgirls, 1995 

    A son arrivée à Las Vegas, Nomi va danser dans des boites de seconde catégorie 

    Nomi Malone arrive à Las Vegas dans l’espoir de danser et de trouver le succès. Prise en stop par un petit voyou, elle va se faire dépouiller de ses affaires. Mais elle va rencontrer la gentille Molly qui travaille dans le showbiz comme habilleuse. Celle-ci va l’introduire dans le milieu un peu glauque des danseuses nus qui se produisent dans des boîtes de lap dance qui oscillent entre la prostitution et le strip-tease. Mais c’est grâce à cet emploi qu’elle va être remarquée par la meneuse de revue Cristal Connors qui est la célébrité locale et qui fait les beaux jours du casino le Stardust. Elle va la prendre sous son aile, et avec l’aide son amant qui est aussi le directeur artistique du casino, elle va lui faire grimper les échelons de la gloire. Nomi fait pourtant semblant de rêver avec le danseur James Smith à une carrière véritablement artistique où la danse compterait plus que l’érotisme. Agressive et ambitieuse, elle va cependant prendre la place de Cristal Connors après l’avoir envoyée à l’hôpital ! Entre temps, elle lui a aussi piqué son amant, le triste Zack. Mais dans ce monde cruel où tout le monde se déteste, Molly qui admire le chanteur Andrew Carver va subir un viol collectif. Nomi va venger Molly, et ensuite elle va repartir comme elle était venue, sans rien, et sans avenir. 

    Paul Verhoeven, Showgirls, 1995 

    Cristal va prendre sous son aile Nomi 

    Le scénario de Joe Eszterhas avec qui Verhoeven avait déjà collaboré est assez ronronnant. Il suit très exactement le développement de All about Eve de Mankiewicz qui lui date de 1950. Si on regarde ces deux films de ce point de vue, force est de constater que le milieu artistique américain s’est bien dégradé ! En effet on passe du théâtre haut de gamme, basé sur une culture classique, au milieu frelaté de la danse moderne où la dimension esthétique n’a plus aucune importance.  C’est le personnage de James Smith qui est en fait la clé de l’histoire. Danseur complètement raté, il vend du vent à toutes les filles qu’il rencontre en leur promettant de leur apprendre à danser. Petit escroc au sentiment, il va finir par renoncer et s’en va retourner vers un boulot d’épicier loin des paillettes et de l’argent. C’est donc un milieu dans lequel tout le monde ment à tout le monde et où chacun se ment à soi-même.  Nomi n’est pas en reste. Elle n’est guère sympathique, elle traîne d’ailleurs avec elle un passé sulfureux fait de racolages et de petite délinquance. On l’apprendra plus tard. Bien sûr il lui reste des sentiments humains pour son amie Molly. Mais elle utilise tout le monde, Cristal, Zack, tout ce qui passe à sa portée et quand il le faut, elle n’hésite pas à ouvrir les cuisses. La seule qui semble trouver un peu grâce aux yeux du réalisateur est finalement Cristal. Personnage ironique et désabusée, elle se drogue pourtant, mais finalement aura une grandeur d’âme qui lui permettra de donner son pardon à Nomi. 

    Paul Verhoeven, Showgirls, 1995 

    Nomi va supplanter Cristal 

    La plupart du temps les danseuses sont nues presqu’entièrement, et s’offrent dans des shows qui sont d’une vulgarité affligeante, avec une musique aussi pourrie que la chorégraphie. C’est donc d’un monde décadent dont on nous entretient ici. Mais la manière dont cela est filmé est assez complaisante, même si ce côté trash est bien mis en valeur : cela est présenté comme l’issue presqu’historique et fatale de la société de consommation. Verhoeven n’épargne rien au spectateur, comme si la mise en spectacle de ces corps transpirants offerts au voyeurisme, était l’envers de la misère matérielle de ces sortes de prolétaires du spectacle qui vivent d’ailleurs dans des conditions sordides, dans des ruelles sombres, dans des campings cars plantés n’importe où au bord des voies rapides. Il y a une vraie critique du capitalisme à l’âge de la société de consommation et des paillettes destinées à rendre supportable un monde qui n’en finit pas de crever. Mais en dehors de la complaisance du regard, l’absence de dimension morale de la quasi-totalité des personnages apparaît comme une course à l’abîme sans issue possible. C’est à mon sens négliger plus ou moins volontairement une dimension latente de la société, c’est que celle-ci reconstruit tant bien que mal des éléments destinés à redonner du sens aux rapports sociaux. Ce n’est pas seulement faire preuve d’optimisme que de dire que malgré la déchéance de l’homme dans la société moderne, il lui reste des attributs de l’humanité. 

    Paul Verhoeven, Showgirls, 1995 

    Molly va payer très cher son admiration pour le chanteur Andrew Carver

    Le simplisme du message politique est souligné par le simplisme de la mise en scène tapageuse au possible. Les séquences des numéros de dance et de spectacle sont très longues et répétitives, même si elles sont filmées avec beaucoup d’énergie et de mouvement. Le rythme est soutenu par un montage racoleur qui multiplie les plans de coupe. Et puis il faut bien dire que la naïveté de Molly et de Nomi n’a pas de sens dans ce monde décrit comme ultra-dur. Les dialogues sont également réduits à la portion congrue et sans consistance. Nomi est aussi trop agressive dans certaines scènes, alors que dans d’autres elle reste très passive et soumise. Cela déséquilibre l’ensemble.

    L’interprétation est plutôt bonne, Nomi est interprétée par une sorte de grande cruche, Elisabeth Berkley, qui, à cause justement de l’insuccès du film, disparaitra pratiquement d’Hollywood. Tout en jambe, elle ne nous cache rien de son anatomie. Mais elle a beaucoup d’énergie et d’abattage. C’est la magnifique Gina Gershon qui est Cristal Connors. Bien que son rôle soit secondaire, elle éclaire le film.  Elle a beaucoup de subtilité et interprète encore une fois le rôle d’une femme attirée par les femmes avec beaucoup de talent. On peut voir le film que pour elle. Les hommes sont bien moins lotis. Zack est joué par le pâle Kyle MacLachlan. 

    Paul Verhoeven, Showgirls, 1995 

    Nomi va quitter Las Vegas comme elle y est venue 

    L’ensemble est assez raté, mais conserve un parfum de film noir intéressant. Il confirme cependant que Verhoeven n’est pas un grand cinéaste, mais seulement un réalisateur qui a su s’adapter au tournant des blockbusters des années quatre-vingt-dix.

     

     


    [1] On trouve ce genre de contrition sous la plume de Samuel Blumenfeld. http://www.lemonde.fr/m-moyen-format/article/2016/07/29/showgirls-et-accueil-glacial_4976291_4497271.html

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  •  Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 1960

    Au début des années soixante va commencer de s’égrener la longue litanie des films qui voient une famille, ou un couple, ou une femme, pratiquement sans histoire, être confrontés à une violence qui vient de l’extérieur sous la forme de marginaux ou de voyous qui ne respectent plus les codes de l’American Way of Life. Des gens sans foi ni loi qui vont remettre en question la morale ordinaire et la hiérarchie des valeurs. Le mal n’a plus de justification dans des conditions de vie matérielle misérables, mais il devient une partie essentielle de ceux qui agissent à contre-courant, mais qui restent formatés par la jalousie qui nait inévitablement dans la société de consommation. On trouve cela par exemple dans Lady in a cage[1]. Mais il y en a beaucoup d’autres qui mettent en scène des malades, dont celui-ci qui est un peu le chef d’œuvre de Leslie Stevens qui par ailleurs n’a pas fait grand-chose.

     Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 1960 

    Boots et Duke se sont installés dans une maison inoccupée 

    Surgis de nulle part, deux marginaux, Boots et Duke, cherchent l’aventure, ils agressent le gérant d’une station-service à qui ils volent de quoi manger de quoi boire. Puis, voyant passer une belle blonde, Ann, au volant d’une Corvette, ils décident de la suivre en forçant un vieil homme à les véhiculer. Ils vont s’installer dans la maison voisine, avec dans l’idée de se farcir la blonde qui prend d’innocents bains de soleil au bord de sa luxueuse piscine. Par ailleurs Ann s’ennuie, elle se sent délaissée par son mari qui a plutôt la tête dans ses affaires que dans son cul ! Elle aimerait, on le comprend, avoir un peu plus de sexe dans sa vie. Aussi quand Duke se présente à sa porte sous des prétextes divers et variés, elle se laisse aller à flirter avec lui, quoiqu’elle se méfie de son intrusion. Pour autant l’idée de Duke n’est pas de la violer, mais de l’amener à ce qu’elle le désire, afin ensuite de la refiler à Boots qui se chargerait de la finir. L’affaire va prendre un tour dramatique quand Roger, le mari de Ann, doit aller à San Francisco pour ses affaires. Duke va forcer un peu la main à Ann pour faire une petite fête, l’alcool, la musique, Ann est prête à céder à Duke, mais celui-ci laisse sa place à Boots. Or celui-ci est impuissant. Tout va tourner en eau de boudin. Duke et Boots vont se battre à mort, et Ann ne survivra qu’à cause du retour de Roger. Tout rentrera dans l’ordre avec la mort de Boots.

     Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 1960 

    Ann ouvre la porte à Duke qui se prétend jardinier 

    Evidemment comme la trame est très ténue, tout va reposer sur la mise en scène et les intentions qu’elle découvre. On remarquera tout d’abord que tout oppose le couple Carlyle – Ann et Roger – au couple de marginaux – Duke et Boots. On voit ces deux dégénérés surgir de nulle part, ne sachant où ils vont, usant d’une liberté dont ils ne savent que faire. Ils n’ont pas d’argent. Mais ils vont être attirés comme les mouches par le miel par la richesse : une belle blonde, une voiture de sport décapotable ou une piscine où il fait bon se prélasser. Dès lors le conflit ne peut que commencer entre ces marginaux et des gens qui ont un statut social très élevé. Duke et Boots n’ont même pas de noms, ils passent leur temps à en changer. Ils n’ont donc pas d’identité véritable. Ce qui va être le point de rencontre entre Duke et Anne, c’est le sexe. Tous les deux sont en manque, mais pas pour les mêmes raisons. Le premier est prisonnier de sa pauvreté, la seconde au contraire de sa richesse ! Duke désire Ann en tant qu’objet. Il ne réalisera pas ce désir, sans dote lui aussi est-il impuissant. Ann au contraire identifie Duke comme un homme authentique, violent et brutal, il est couvert de sueur, mal rasé et sans doute ne se met-il pas de déodorant ! C’est donc un film sur le désir comme élément de la lutte des classes ! Ann a beau se faire chatte pour motiver son mari, elle n’obtient rien en échange. La misère sexuelle est la contrepartie de la société de consommation. C’est un thème qui va devenir à la mode dans les années soixante. 

    Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 1960 

    Boots va espionner comment Duke s’y prend avec

     Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 1960 

    Roger et Ann se préparent un petit cocktail 

    Sur le plan cinématographique proprement dit, il faut bien dire que le film tarde à trouver son rythme. Il le trouvera en effet seulement dans le dernier tiers. Là ça devient franchement très bien. Pour le reste il y a quelques scènes de drague d’Ann envers son mari, et il est piquant de savoir qu’en filmant Ann, Leslie Stevens filmais sa propre femme ! ce pourrait être d’ailleurs une pièce de théâtre, plutôt bavard le film joue avec un tout petit nombre de personnages et la faible dispersion des lieux. Il ne semble pas que quelque scène ait été filmée en studio. Le film fait assez bien ressortir l’enfermement de gens riches, mais sans plus. C’est d’ailleurs cette rupture qui fait plonger Ann. Stevens utilise alors des décors naturels relativement simples qu’il présente comme autant de pièges possibles. Beaucoup de choses se passent dans les regards, et le regard de Roger est vide d’expression, tandis que celui de sa femme papillonne pour trouver une issue. Les sourires sont aussi faux que la couleur des cheveux d’Ann ! l’ensemble crée une tension forte entre les personnages, et si Ann a légitimement peur de Duke, c’est Duke qui craquera le premier devant l’agressivité sexuelle de la jeune femme. Les barrières entre les classes sont matérialisées par des vitres qui donnent à voir, mais séparent, ou des grillages. C’est souvent dans le cadrage de ces plans que la photo est excellente.

     Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 1960 

    Boots espionne à son tour Duke et Ann 

    La distribution est dominée par le couple Kate Manx, Corey Allen. Ils ne sont pas mal du tout. La première joue de sa perversité, mais aussi de cette hésitation entre séduction et répulsion pour un homme qui est de basse extraction. Elle n’avait pas cependant un physique extraordinaire. Blonde, élancée, elle avait un nez difficile à filmer car trop pincé. Corey Allen est Duke, avec son ambiguïté propre, aussi bien parce qu’il ne sait pas trop s’il veut être un salopard, ou s’il se rend compte d’une idylle impossible. Pris à son propre piège, il n’arrivera même pas à consommer son forfait. Il est très émotif, perdu, et même à un moment il se mettra à pleurer. Comme Boots il est sans doute impuissant. Ce qui ne l’empêchera pas de tuer Boots et de tenter de liquider Ann. Le troisième personnage est Boots, incarné par le toujours très bon Warren Oates. Il joue les idiots ici, ce n’est ni la première fois, ni la dernière. Mais il est moins présent à l’écran que les deux autres et peut se permettre de cabotiner un peu, le rôle s’y prête. Certains ont vu dans la relation entre Boots et Duke une relation homosexuelle. C’est toutefois difficile à affirmer.

     Propriété privée, Private property, Leslie Stevens, 1960 

    Duke a livré Ann à Boots 

    C’est un film a tout petit budget on parle de 60 000 $. Mais le retour sur investissement fut très bon puisque le film, malgré la censure aux Etats-Unis, rapporta 2 millions de dollars. Tourné en 1959, il fut sur les écrans en 1960 et fut tout de suite attaqué par les ligues de vertu. Il a été tourné dans la propre maison de Leslie Stevens, et c’est sa propre femme qu’il filma dans le rôle d’Ann. Il semble d’ailleurs que ce couple-là était à la dérive dans la vie réelle. Kate Manx mourra en 1964 dans des conditions pour le moins curieuses alors qu’elle était en train de divorcer d’avec Leslie Stevens. De sombres histoires de fric étaient sous-jacentes à ce divorce difficile.

    Malgré la très bonne réputation qui l’accompagne, on ne peut pas dire que Private property soit une grande réussite. Il intéresse parce qu’il ose et qu’il est filmé avec des bouts de ficelle, mais pour le reste on reste un peu sur sa faim tout de même. D’un point de vue historique, il s’inscrit dans le renouvellement du film noir avec d’autres petits films fauchés comme Blast of silence[2] qui avait tout de même une autre tenue.

     

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/la-femme-en-cage-lady-in-a-cage-walter-grauman-1964-a114844670

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/allen-baron-un-cineaste-noir-a114844940

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  •  Le solitaire, Thief, Michael Mann, 1981

    Le titre français ne rend pas une image juste du contenu du film. Thief est plus précis. Frank est un voleur, plutôt un perceur très sophistiqué de coffres-forts, mais il est loin d’être solitaire. Il a des amis très solides et aspire à une relation stable et normale avec Jessie. C’est un film de braquage, avec une description minutieuse des techniques utilisées qui s’inscrit dans une longue série dans laquelle on rangera aussi bien Criss cross de Robert Siodmak que Le cercle rouge de Melville. Tous les films de Michael Mann sont très loin d’être bons, on en trouve même de franchement mauvais et ennuyeux. Mais il a réussi dans le genre néo-noir quelques longs métrages qui sortent un peu de l’ordinaire, comme l’excellent Heat. Thief est très bon, et sa réédition assez récente en Blu ray permet de le mieux apprécier encore. 

    Le solitaire, Thief, Michael Mann, 1981 

    Frank perce les coffres 

    Frank travaille dans le casse haut de gamme. Il ouvre des coffres, récupère des diamants et les revend. Il est propriétaire d’une entreprise d’achat et de vente de voitures d’occasion, mais ce n’est qu’une couverture. Il est aussi propriétaire d’un bar. Se sentant vieillir un peu, il aimerait passer à autre chose, et vivre pleinement sa relation avec Jessie. Mais tout ne se passe pas comme il le voudrait. Quoique très prudent, et ne travaillant qu’avec des personnes sûres, les ennuis vont pleuvoir. D’abord il y a son vieux copain Okla qu’il va voir en prison et qui lui demande de le faire sortir rapidement car il se sent mourir et pense qu’il n’en aura pas pour longtemps. Egalement il doit mettre les choses au point avec Jessie qui doute de sa relation avec lui. Mais surtout, le plus pénible, c’est qu’au moment de négocier le produit de son dernier larcin, son receleur se fait assassiner par la mafia. Il va donc commencer par se faire payer l’argent que la mafia a piqué dans les poches de celui-ci. Tout semble aller bien, mais le chef mafieux, Leo qui reconnait en lui un professionnel de haut niveau, lui propose de l’embaucher pour faire des coups classieux et qui rapportent beaucoup. Frank hésite bien sûr, mais, ayant besoin rapidement de liquide, il finit par accepter. Certainement il met là le doigt dans l’engrenage d’un jeu mortel. Et cela d’autant que les flics qui surveillent Leo vont le prendre en charge et commencer à faire pression sur lui pour qu’il leur refile de la thune, un pourcentage sur ses coups. Mais Frank est un dur, un vrai de vrai. Il va faire front à toutes ses obligations : il fera sortir Okla de prison, même si celui-ci mourra pratiquement sur le seuil de la prison, puis ayant éloigné les flics de sa route, il va réaliser un casse très sophistiqué et difficile pour une somme de 830 000 $ avec lesquels il veut disparaitre pour s’en aller vivre avec Jessie sa romance. Tout se passerait bien si Leo n’avait pas l’idée de conserver Frank a tout prix et de ne lui remettre qu’une partie de la somme qui lui revient. Dès lors la guerre entre Leo et Frank est déclarée, forçant celui-ci à se séparer de Jessie pour ne pas la compromettre.

     Le solitaire, Thief, Michael Mann, 1981 

    Frank donne des explications directes à Jessie 

    Malgré quelques faiblesses sur la fin, le scénario, fondé sur un ouvrage de Frank Honimer est solide, arrivant à concilier une intrigue assez complexe avec un dosage rigoureux des scènes d’action et de casse. C’est le premier film de long métrage de Michael Mann qui venait de la télévision. Il choisit une lumière bleutée, sans doute lui aussi, comme beaucoup d’autres, s’est-il inspiré de Melville, et il détaille les casses avec une telle minutie qu’on en comprend tout à fait la technique difficile. On dit que pour ce film Mann a bénéficié des conseils de vrais casseurs de coffres-forts. Une grande partie du film, peut-être la moitié, se passe la nuit. A la différence de The driver dont il tire aussi son inspiration, il choisit de travailler le côté psychologique de l’affaire, tout sera dévoilé de l’enfance sans père de Frank et de sa quête impossible d’une famille. Okla est comme un père pour lui, et il aimerait bien fonder une famille avec Jessie, mais celle-ci est stérile ! Dans l’impossibilité de résoudre cela, Frank va tout détruire autour de lui, allant jusqu’à se séparer de Jessie. On aura droit à plusieurs séquences rondement filmées : les casses bien sûr, mais aussi les poursuites en voiture avec les flics et les règlements de compte vers la fin. Michael Mann maitrise parfaitement le rythme des scènes d’action, grâce à un montage très serré qui multiplie les angles de prise de vue. Il n’y a pas de temps mort, et la frénésie de Frank gagne peu à peu le spectateur ! 

    Le solitaire, Thief, Michael Mann, 1981  

    Okla demande à Frank de le faire sortir de prison

    Le film a été produit par James Caan, c’est donc un véhicule à sa gloire. Celui-ci a toujours connu des hauts et des bas dans sa carrière, jouant même pour Claude Lelouch !, mais il a fait quelques films très intéressants, notamment avec Coppola, Le parrain, bien sûr, mais aussi le fort peu connu Jardin de pierres. Et puis encore le très excellent Tueur d’élite de Sam Peckinpah. C’est peut-être ici qu’il atteint ses sommets. Il est très bon, à la fois très violent et très attachant pour les siens, froid et dur, habité d’une colère rentrée qui finit par l’aveugler. Peu-êttre est-ce son meilleur rôle. Jessie est incarnée par la vieillissante Tuesday Weld : elle est pathétique dans ce rôle de la femme qui a essuyé tous les déboires possibles et imaginables et qui espère toujours qu’une porte s’ouvrira, tout en craignant le pire. Le coup de génie est de faire interpréter le boss Leo par le débonnaire Robert Prosky qui se comporte en bon père pour séduire et attirer Frank dans sa bande, mais qui se révèle un gangster redoutable et intraitable. On retrouvera le trop rare James Belushi dans le petit rôle du comparse fidèle de Frank, mais il n’y a pas grand-chose à en dire. L’ensemble de la distribution est bon. 

    Le solitaire, Thief, Michael Mann, 1981 

    La préparation du braquage est longue 

    Le film recèle cependant quelques défauts dus à l’insuffisance du scénario. Par exemple Frank doit affronter des flics véreux qui veulent le faire chanter, puis il s’en débarrasse très facilement, trop facilement. Car en effet, si les flics le perdent, ils devraient pourtant pouvoir le retrouver à filant Leo qu’ils ont dans le collimateur depuis des lustres. De même, à la fin, lorsque Frank triomphe après avoir décimé la bande de Leo, on ne sait pas s’il va retrouver ou non Jessie. Cette incertitude est-elle voulue ? Mais cela ne nuit pas à l’ensemble. On remarquera que Frank s’humanise et laisse tomber sa méfiance quand Leo lui propose de lui donner un enfant. Il en a les larmes aux yeux, mais sa déconvenue sera d’autant plus grande quand Leo dira à Frank que ce gosse il ne l’a qu’en location ! Car dans ce film il y a aussi une critique sous-jacente de la société de consommation. Tout s’achète et se vend : les bébés, les juges et les policiers, comme les Cadillac et les chemises en soie ! Si bien que les casseurs ne vivent vraiment qu’au moment où ils accomplissent leur tâche professionnelle qui consiste à percer les coffres, mais pas quand ils dépensent leur butin ! La minutie de la description des casses donne un côté prolétarien au film – c’est souvent le cas dans ce genre de film. Frank va rencontrer un ouvrier très compétent qui va lui fabriquer des instruments. Lors de cette rencontre, ils moqueront le contremaître en blouse blanche comme quelqu’un qui ne comprend rien à la tâche. Les casseurs possèdent en effet ce que les bourgeois ne posséderont jamais : une habileté technique dont ils peuvent être fiers. Lors du dernier casse, tandis que ses complices vident les coffres, Frank s’assoit pour jouir du travail accompli. La lutte entre Leo et Frank c'est aussi un peu le miroir de la lutte des classes entre un capitaliste qui entend profiter au maximum de la force de travail et du talent de Frank.

     Le solitaire, Thief, Michael Mann, 1981 

    Frank savoure le résultat de son travail

    C’est donc un film qu’on peut voir et revoir sans ennui, et on saluera au passage la très belle photo de Donald E. Thorin dont s’était là aussi le premier film de long métrage. La critique a été bonne, et le public fut au rendez-vous. Avec le temps le film a pris une patine qui permet de le classer parmi les innovations du genre néo-noir au tout début des années quatre-vingts.

     Le solitaire, Thief, Michael Mann, 1981 

    Leo a dans l’idée de faire travailler Frank pour lui et à ses conditions 

    Le solitaire, Thief, Michael Mann, 1981 

    Avant de régler ses comptes, Frank brûle toutes ses activités

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  • The Driver, Walter Hill, 1978

    Walter Hill est un réalisateur et un scénariste intéressant. Il a travaillé avec Peckinpah sur l’adaptation de The getaway de Jim Thompson, mais aussi pour Paul Newman sur deux très bons films, The Mackintosh man et The drowning pool. En tant que réalisateur on retiendra Hard times, 48 hours, Geronimo ou encore The long riders. Sa carrière oscilla entre westerns sophistiqués et polars bourrés d’adrénaline. The driver est pourtant un petit peu plus ambitieux. Dans le genre néo-noir, il est en effet atypique et ouvre une nouvelle manière de faire qui va essaimer. Quel que soit l’appréciation qu’on portera sur ce film, il faut partir du fait qu’il est d’abord une innovation formelle dans le genre de films de braquage.

     The Driver, Walter Hill, 1978 

    La police poursuit les braqueurs 

    Un chauffeur très habile participe à des hold-up. Il vole les voitures dont il se servira, fuit rapidement les lieux du crime, et se débarrasse sans coup férir des véhicules qu’il a utilisés. Il gagne très bien sa vie. Mais un policier un peu fêlé va se mettre dans la tête de le coincer. D’abord en interrogeant des gens qui l’ont vu au volant de la voiture. Mais comme personne ne le reconnait, il va lui tendre un piège. Il image donc un gros coup de façon à l’amener à le commettre. Au début le chauffeur se fait tirer l’oreille, mais bientôt il conçoit ça comme un défi et va foncer tête baisser dans le piège. Il a deux ennemis : les bandits avec qui il fait le hold-up été qui vont tout faire pour le priver de ses droits sur le butin, et bien sûr le flic à moitié siphonné qui ne rêve que de l’arrêter. Il va pouvoir cependant compter sur la complicité d’une joueuse de poker, celle-là même qui lui a fourni un alibi et qui se trouve aussi être harcelée par le flic qui pense qu’elle ment. Le hold-up va réussir, mais ses complices seront tués, et il va devoir négocier lui-même le produit de son butin pour retrouver des petites coupures en lieu et place des billets qu’il pense être marqués. Il va devoir surmonter des pièges nombreux, et s’il ne pourra finalement retrouver son butin, il triomphera tout de même d’une certaine façon. 

    The Driver, Walter Hill, 1978 

    Le chauffeur balance la voiture qui a servi au hold-up dans une casse 

    Walter Hill mise essentiellement sur le comportement de ses personnages. Il n’y a pas l’ombre d’une analyse psychologique ou sociale dans leur détermination. Ce sont des caricatures un peu glacées et nocturnes d’une certaine Amérique qui court presque sans raison après le pognon. Impavides et sans sentiment aucun, ils évoluent dans un monde où l’efficacité prime sur tout le reste. Manifestement il a beaucoup vu les films de Jean-Pierre Melville, et son personnage principal dans les affrontements aussi bien avec la police qu’avec le gang, est dérivé du Samouraï. Y compris dans la scène où la joueuse de poker feint de ne pas le reconnaître. Les courses automobiles sont à la fois inspirées de Bullit, film sur lequel Walter Hill avait travaillé, et de French connection. Mais s’il s’est inspiré de Melville, Walter Hill va à son tour inspirer d’autres réalisateurs, notamment Michael Mann – celui de Heat aussi bien que celui de Collateral. Ce sont les mêmes images glacées et nocturnes, la même minutie dans le développement des braquages et la manière d’éviter les pièges. Thief du même Michael Mann est également dans cette lignée. C’est également ce film qui a inspiré quoi qu’on en dise le très faible Drive de Nicholas Winding Refn. C’est donc un film capital dans le redéploiement du film noir du dernier quart du XXème siècle. Ce film est un peu passé inaperçu lors de sa sortie, mais par la suite, il est devenu emblématique de cette modernité mortifère et saturée d’objets.

     The Driver, Walter Hill, 1978 

    Il rencontre une joueuse de poker qui est son alibi 

    Walter Hill recycle bon nombre de scènes qu’il a déjà imaginée dans le passé, comme lorsque l’inspecteur cherche la mallette qui contient le butin du hold-up. On a vu déjà cela en effet dans The Getaway. La direction d’acteurs est assez innovante. Le chauffeur est incarné par Ryan O’Neal qui, après le triomphe mondial du très mièvre Love story, cherchait à tout prix à casser son image de jeune premier très propre et très gentil. Il connut quelques succès, mais à vrai dire il ne retrouva jamais sa gloire passée. Ici il est excellent, tout autant que mutique, et arrive à faire passer beaucoup de dureté dans son regard comme dans ses gestes retenus. Peut-être est-ce son meilleur rôle ? En tous cas, c’est parmi ce qu’il aura fait de mieux. Le flic déjanté est incarné par le toujours très bon Bruce Dern qui a des tas de fois interprété des personnages loufoques et pleins de dérisoire ironie. Plus étonnant est sans doute de voir Isabelle Adjani dans le rôle d’une joueuse de poker, elle ne semble guère à sa place et ne comprend sans doute pas très bien ce qu’elle fait dans ce film. Tous les autres rôles sont tenus par des habitués de ce genre de films et vont donc avoir un physique en conséquence :  Felice Orlandi et Matt Clark vont compléter le trio de flics, tandis que Rudy Ramos et Joseph Wales jouent les méchants gangsters sans foi ni loi.

     The Driver, Walter Hill, 1978 

    Le hold-up s’est mal passé et il faut fuir rapidement 

    La manière dont c’est filmé peut cependant déconcerter. On pense à un Robert Bresson qui se serait shooté ! Il reste tout de même des séquences très fortes, outre les course de voitures qui ouvre et ferme le film, il y a la poursuite dans le train qui se termine par la mort cruelle du voleur de magot. Et bien sûr la scène finale quand on comprend que le magot a disparu. Ce que deviendront les protagonistes on n’en sait rien. Et l’idylle qui s’ébauche entre le chauffeur et la joueuse de poker ne semble pas mener très loin. Dès que la violence éclate, Walter Hill est au rendez-vous, avec ironie parfois dès lors que les situations se retournent. Certes on n’en est pas encore – peut-être par faute de moyens – à la sophistication des hold-up comme dans Heat, mais il y a une belle vivacité avec ses vitres qui descendent sous l’impact des balles. Forcément dès qu’on veut donner un peu de crédibilité aux scènes d’action, il faut travailler beaucoup sur le montage. C’est le cas ici. Le travail est remarquable de ce point de vue et utilise très bien la photo qui est excellente, bien dans le ton des années soixante-dix quand on rejetait ce caractère léché et pastellisé qui se retrouve dans presque tous les films d’aujourd’hui.

     The Driver, Walter Hill, 1978 

    Il a été piégé par son partenaire 

    Il est assez étrange aussi que dans ce film tout reste anonyme, comme fondu dans le halo pâle de la nuit. Nous sommes dans une ville sans nom. Ce pourrait être n’importe quelle ville américaine. Si les grands boulevards font penser à Los Angeles, la gare, mais aussi les petites ruelles étroites et sordides s’en éloignent, on pourrait tout aussi bien être à New York. Du reste, les protagonistes n’ont pas de nom, comme si leurs rencontres éphémères ne le permettaient pas. C’est une coquetterie stylistique qu’on trouve dans certaines nouvelles de Dashiell Hammett, ou dans la série de détective développée par Bill Pronzini qui eut son heure de gloire vers la même époque à laquelle a été tourné ce film.

     The Driver, Walter Hill, 1978 

    L’inspecteur pourra-t-il arrêter le chauffeur ? 

    S’il n’est pas complètement abouti, c’est donc un film très intéressant dans ses intentions avec de superbes séquences, mais également par sa place centrale du film noir moderne. 

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