• Un témoin dans la ville, Edouard Molinaro, 1959 

    Pierre Verdier assassine sa maitresse, Jeanne, en la faisant tomber du train. Quelques temps après, il est acquitté de ce meurtre au bénéfice du doute. Soulagé, il rentre chez lui, mais il va tomber sur Ancelin qui est le mari de Jeanne et qui veut venger la mort de celle-ci. Il l’assassine à son tour en faisant croire qu’il s’agit d’un suicide. Il réalise ainsi le crime parfait, mais en sortant de chez Verdier, il croise un chauffeur de taxi que Verdier avait commandé quelques minutes auparavant. Ayant peur d’être reconnu, Ancelin va rechercher Lambert et tenter de l’assassiner. Il le retrouve et le pourchasse. Après avoir agressé Lambert, Ancelin va être à son tour poursuivi par les chauffeurs de taxi à travers toute la ville. Ayant à la fois la police et les chauffeurs de taxi sur le dos, Ancelin va finir par se réfugier dans le jardin d’acclimatation où il va se retrouvé piégé. 

    Un témoin dans la ville, Edouard Molinaro, 1959

    Pierre Verdier assassine Jeanne 

    Contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là, le film ne s’appuie pas sur un roman de Boileau et Narcejac. Il semble seulement que ce soit eux qui en aient eu l’idée, encore que le ton fasse aussi penser à Frédéric Dard. Le travail sur le scénario est, du moins officiellement, le fait d’une équipe importante qui compte encore Gérard Oury, Edouard Molinaro et  jusqu’à Alain Poiré le producteur de chez Gaumont qui à cette époque orientait l’esthétique de la maison de production. L’originalité de l'histoire est de faire de l’assassin de Verdier le héros de cette tragédie. Ancelin est un homme ordinaire, un camionneur, quelque part un prolétaire, il tue Verdier qui au contraire est un industriel riche autant que cynique qui sait très bien qu’il s’en tirera lors d’un procès parce que les preuves contre lui sont insuffisantes. Même si on peut désapprouver la vengeance d’Ancelin, il est clair qu’il est plus sympathique que l’amant de sa femme. Il reste cependant dans l’ambiguïté parce que dès lors qu’il est en danger, il est capable de tuer. C’est donc un homme obstiné qui se met à la recherche de Lambert parce que celui-ci pourrait le reconnaître. C’est ici qu’intervient le monde des radio-taxis et plus précisément de ce petit peuple laborieux qui travaille la nuit. Car la véritable originalité du film se trouve ici : faire de ce monde de nuiteux un personnage en lui-même sans se fixer sur telle ou telle personne en particulier. Certes Lambert et Liliane ont un rôle un peu plus central que les autres, mais ils se fondent dans cette masse.

     Un témoin dans la ville, Edouard Molinaro, 1959

    Ancelin a retrouvé Verdier 

    La romance qui existe et se développe entre Lambert et Liliane est sans doute ce qu’il y a de plus artificiel dans le film qui par ailleurs s’attache plus au comportement proprement dit qu’à ses motivations. Cette perspective permet d’éclater le récit à travers des petits portraits du patron du bistrot, de la jeune femme qui conduit elle aussi les taxis, ou ces jeunes filles qui sont derrière leur micro pour distribuer la clientèle. Sur le plan technique et malgré la très bonne photo d’Henri Decaë qui va devenir le photographe des films de la Nouvelle Vague tout en restant le photographe attitré de Jean-Pierre Melville,  on peut considérer que la réalisation est moins précise que celle du Dos au mur. Mais cela est compensé par un usage intensif des décors urbains naturels. Edouard Molinaro utilisera de longs plans en mouvement, ce qui permet à la fois de dynamiser l’histoire, mais aussi de donner de la profondeur de champ et de mettre en lumière la densité exceptionnelle de Paris à cette époque. C’est la partie la plus réussie du film : mélanger les décors mouvants des rues et des avenues plongées dans les ténèbres et ceux plus statiques des chambres d’hôtel ou des bistrots.

     Un témoin dans la ville, Edouard Molinaro, 1959

    En sortant de chez Verdier Ancelin croise un chauffeur de taxi 

    La distribution est exceptionnelle. D’abord par la présence presque silencieuse et massive de Lino Ventura. C’est déjà à l’époque une vedette, en effet il fait des succès colossaux avec Le gorille vous salue bien et Le fauve est lâché. Mais l’homme voit loin, et dès cette époque il va diversifier ses rôles de façon à ne pas se faire enfermer dans un idéal-type comme l’a fait Eddie Constantine à la même époque dans les rôles de Lemmy Caution et autres agents américains décontractés. Certes il reste toujours dans le registre grave du film noir, mais il n’hésite pas à jouer des personnages marqués par le destin et par l’absence de morale[1]. On  dit qu'il a choisi lui-même le rôle d'Ancelin quand on lui proposait celui de Lambert. Le couple Lambert-Liliane est bien moins intéressant. Co-production franco-italienne oblige on a choisi deux Italiens – Franco Fabrizzi et Sandra Milo – pour incarner deux parisiens !  Ce ne sont pas deux mauvais acteurs, le premier a eu l’occasion de faire la preuve de son talent chez Fellini, Comencini ou Antonioni, et la seconde sera parfaite dans Classe tous risques de Claude Sautet où elle retrouvera Lino Ventura. Mais ils ne collent pas ensemble, et n’arrivent pas à faire oublier leurs origines transalpines. Les autres petits rôles sont tout à fait excellents, à commencer par Robert Dalban. Certes il a toujours joué les utilités pour la Gaumont, mais là il est un peu plus vivant que l’ordinaire et vaut le détour. On saluera aussi la prestation énergique de Michèle Luccioni en femme chauffeur de taxi. Bref tout ça donne une humanité à l’ensemble. Quelques silhouettes intéressantes viennent aussi se fondre dans le décor : Daniel Ceccaldi en client du taxi, Jacques Monod dans celui de l’avocat de Berthier et même Jean Ferrat passé faire de la figuration dans le métro ! Françoise Brion dans le rôle de Jeanne n’a pas le temps de faire remarquer la qualité de son jeu, elle meurt dès les premières minutes.

     Un témoin dans la ville, Edouard Molinaro, 1959

    Ancelin suit Lambert dans le métro 

    Si la scène de la mort de Jeanne n’a rien de remarquable malgré sa violence, la filature de Lambert par Ancelin dans le métro est exceptionnellement bien filmée et rythmée. Elle préfigure ce que Melville fera du métro dans Le samouraï. C’est le clou du film, rien que pour elle on peut revoir le film encore plusieurs fois. La limite du film est cependant liée à son principe : le film se résume à une double traque, Ancelin traque Lambert, et la police et les chauffeurs de taxis traquent Ancelin. Autrement dit le scénario n’est pas assez dense. Les scènes qui voient par exemple Ancelin dans son milieu de camionneurs nous paraissent un peu surajoutées, un peu comme si elles visaient à donner au film une longueur standard.

     Un témoin dans la ville, Edouard Molinaro, 1959

    Les taxis de nuit se rejoignent dans un bistrot 

    Le film, à petit budget, a été un très bon succès public et en général la critique l’a plutôt apprécié. Il semble bien que la musique y ait contribué. En effet elle est signée par Barney Wilen et Kenny Dorham un peu sur le modèle de ce qui avait été remarqué l’année précédente avec Ascenseur pour l’échafaud. La musique, très bonne au demeurant, lui a donné cette patine particulière avec le temps d’une modernité finalement très datée : décors extérieurs et musique de jazz étaient les deux ingrédients nécessaires à cette nouvelle forme d’esthétique dans le film noir à la française. Le film reste cependant très intéressant même s’il est moins attachant que Le dos au mur par exemple.

     Un témoin dans la ville, Edouard Molinaro, 1959

    Ancelin essaie de se cacher dans le jardin d’acclimatation

     

     


    [1] Dans Sursis pour un vivant, toujours scénarisé par Frédéric Dard, il sera sous la direction de Victor Merenda le patron d’un étrange hôtel destiné à faire disparaître les personnes déprimées !

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  • Le dos au mur, Edouard Molinaro, 1958, adapté de Frédéric Dard

    Les adaptations cinématographiques des ouvrages de Frédéric Dard n’ont pas toujours été à la hauteur de l’œuvre. Mais celle-ci est très intéressante et parmi les meilleures. Le dos au mur est basé sur Délivrez nous du mal, écrit en 1956 et publié au Fleuve noir. C’est selon moi le premier ouvrage de Frédéric Dard qui inaugure le cycle de ce que Dominique Jeannerod a nommé les romans de la nuit et qui va donner à son auteur cette réputation non usurpée de maître du roman noir. Cet ensemble de romans très courts, souvent écrits à la première personne, des romans un peu neurasthéniques, très noirs, qui se centrent sur la question de l’amour vu comme une maladie à laquelle on ne peut que difficilement échapper. Délivrez nous du mal se présente comme une confession, alternant le récit de ce qui a amené le héros en prison, et celui de l’attente d’une condamnation à mort qui sera éminente. La conduite de l’ensemble l’amènera finalement à accepter son sort. Le titre qui n’a pas été retenu pour l’adaptation renvoie à la culpabilité comme un des fondements de la civilisation chrétienne. Il est à mon sens plus parlant. En 1957 Frédéric Dard a obtenu le prestigieux Grand prix de la littérature policière, et en 1958, le très bon film de Robert Hossein, Toi le venin, a obtenu un grand succès public[1]. C’est dans un contexte très favorable que Gaumont va entreprendre la production de ce film. Frédéric Dard participe à l’écriture du film et des dialogues. 

    Le dos au mur, Edouard Molinaro, 1958, adapté de Frédéric Dard

    Jacques Decret, riche industriel, qui rentre trop tôt d’une partie de chasse, se rend compte que sa femme le trompe. Malade de jalousie, il va ourdir un plan diabolique pour se venger. Il va faire chanter les deux amants. Mais le but n’est pas seulement de mettre sur le grill sa femme Gloria, c’est aussi de faire croire à sa femme que c’est Yves Normand qui exerce ce chantage, donc de le détruire à ses yeux. Le couple aux abois va faire appel à des « copains » qui à leur tour vont menacer Jacques, mais celui-ci trouve les moyens de les détourner de leur mission. Pour rendre crédible son plan, il engagera un détective privé qui va remettre des billets dont Gloria a relevé les numéros, en se faisant passer pour un producteur de théâtre. Gloria croit alors que c’est Yves qui l’a fait chanter, elle va le tuer. Elle en appellera, en désespoir de cause, à son mari pour la sortir d’affaire. Celui-ci emportera le cadavre qu’il bétonnera dans le mur de son usine. Peu à peu Gloria se rapproche de son mari qui n’hésite plus à lui désigner l’endroit où se trouve le cadavre. Mais la nuit de Noël elle va comprendre que c’est bien Jacques qui a tout manipulé. Elle se suicidera après avoir dénoncé son mari à la police.

     Le dos au mur, Edouard Molinaro, 1958, adapté de Frédéric Dard

    Le cadavre d’Yves Normand est retrouvé par Jacques Decret 

    Dans le roman de Dard, il y a deux aspects complémentaires : l’intrigue proprement dite qui rappelle la déconfiture de Jacques et le plan machiavélique que sa jalousie va lui dicter, et puis une longue méditation douloureuse sur la mort et l’amour, les deux étant liés par le crime. Les chapitres alternent la description de cette histoire qui l’y a amené et l’attente de la guillotine que Jacques finira par admettre. Seul le premier aspect qui met en œuvre l’ingéniosité de l’intrigue a été retenu dans l’adaptation. A mon sens cela affaiblit le propos, car en même temps qu’il s’agit d’un plaidoyer contre la peine de mort, c’est aussi une prise de conscience de la fragilité des êtres et de leur vanité d’exister. Le livre de Dard, excellemment écrit[2], est bien plus cruel qui montre un homme prenant un réel plaisir à se venger et à torturer sa femme. Il ne supporte pas que sa femme lui ait préféré un petit gigolo qui en outre se drogue. Dans le film au contraire on a l’impression que Jacques agit seulement pour retrouver l’amour de Gloria, ce qui rend sa démarche quelque part plus noble. Le nom du héros était Charles Blondoit dans le roman, il deviendra Jacques Decret.

    Mais, malgré ces modifications, cela reste un très bon film noir. C’est aussi le premier film d’Edouard Molinaro qui débuta sa carrière de cinéaste justement par le film noir, avant que de sombrer dans l’insignifiance cinématographique… et le succès commercial avec des comédies grand-public. Mais en 1958, il a encore de l’ambition sur le plan esthétique et il va être un des rares à intégrer clairement les codes du film noir américain qui à cette époque commence à obtenir une reconnaissance critique véritable. En 1959 il tournera encore Des femmes disparaissent d’après Georges Morris-Dumoulin, un film façon série noire, et l’excellent Un témoin dans la ville, sur un scénario attribué à Boileau et Narcejac. A chaque fois il accompagnait les images d’une musique de jazz d’excellente qualité. 

     Le dos au mur, Edouard Molinaro, 1958, adapté de Frédéric Dard

    Jacques apprend que sa femme a une liaison 

    Le film est servi par une très belle photo de Robert Lefebvre qui a travaillé entre autres avec Henri Decoin, avec Jacques Becker sur Casque d’or ou encore avec René Clément sur Le château de verre. Mais évidemment cette photo ne serait rien si elle ne mettait en valeur le propos. Molinaro utilise en effet avec une grande précision la grammaire du film noir, les escaliers, les ombres qui absorbent dans les rues les passants indélicats, les stores vénitiens. Il y a bien sûr une spécificité française, avec les décors de l’usine ou ceux de la belle maison de Jacques. Le film joue sur cette opposition entre la réussite matérielle de Jacques, il est un grand industriel, il possède une belle voiture, une belle maison, et aussi, croit-il, une belle jeune femme, et sa déconfiture lorsqu’il a la révélation de la tromperie de Gloria. Car Gloria entretient une sorte de gigolo – cette figure reviendra dans de nombreux romans de Frédéric Dard – qui lui rappelle sa jeunesse et ses tentations aventureuses. Jacques représente la sécurité et le sérieux de l’existence, et Yves exactement l’inverse. C’est donc l’histoire d’un trio, un trio tronqué toutefois parce que l’amant apparait comme extrêmement creux. Il est seulement l’enjeu d’un affrontement entre Jacques et Gloria. Jacques ne sait toutefois pas pourquoi il se laisse aller à une telle jalousie. Aime-t-il Gloria ? Ne la considère-t-il pas seulement comme sa propriété ? Nous aurons la réponse à la fin du film seulement. C’est donc aussi un film sur la solitude. D’ailleurs Gloria, presque soumise, qui ne supporte pas d’être seule se rapprochera de son mari après que celui-ci aura coulé le corps de son amant dans le béton ! Dans le roman de Frédéric Dard, il y avait une amertume chez Jacques qui venait de cette relative insouciance de Gloria. Au fond de lui Jacques sait qu’il y a un malentendu : il ne sait pas qui est Gloria, il connait ses réactions, et pour cela il peut la manipuler comme il l’entend, mais au-delà il ne sait rien de ses espérances et de ses incertitudes. C’est bien cette impossibilité de la vie de couple qui va faire de lui un criminel, bien que finalement il sera condamné sans avoir tué personne !

     Le dos au mur, Edouard Molinaro, 1958, adapté de Frédéric Dard

    Gloria attend un coup de fil d’Yves 

    On remarque que l’achèvement de l’affaire se dénoue pendant la nuit de Noël, alors que le couple s’apprête à réveillonner bourgeoisement. Cette nuit de Noël qui a obsédé Frédéric Dard, il écrira plusieurs nouvelles sur le thème, sera aussi le cœur du drame du Monte-charge, et qui est une autre adaptation très réussie d’un ouvrage de Frédéric Dard[3]. La séquence du début qui nous montre comment Jacques va se débarrasser du corps est remarquablement bien filmée. Tout est silencieux, et la caméra va s’attarder sur les détails qui pourraient faire capoter l’entreprise. Cette scène est assez longue, mais elle installe le film justement dans sa noirceur : Jacques manipule le corps, le roule dans un tapis, le plonge dans le béton. C’est difficile et éprouvant pour un homme peu habitué, on le comprend, aux efforts physiques. Il y a là une justesse du découpage, comme du timing de l’opération.

    Le dos au mur, Edouard Molinaro, 1958, adapté de Frédéric Dard

    Jacques vient retirer le courrier à la poste 

    La distribution est assez étrange. Il y a Jeanne Moreau, habituée à cette époque au cinéma noir et au cinéma de Frédéric Dard, elle a tourné déjà dans M’sieur la Caille d’après Francis Carco sur un scénario de Dard, puis dans L’étrange Monsieur Steve qui est encore un scénario de Dard – signé pourtant Marcel G. Prêtre cette fois. Elle sera ensuite aspirée par la Nouvelle Vague et fera la carrière internationale que l’on sait. Mais elle reviendra vers Frédéric Dard dans l’adaptation de La vieille qui marchait dans la mer et qui sera sans doute son dernier grand rôle[4]. Elle est très bien, dans un registre assez connu, la femme adultérine et un peu grave qui lutte pour protéger son gigolo et sa propre insouciance. Plus étonnant est Gérard Oury. On oublie trop souvent qu’avant d’être un réalisateur à succès, il fut un acteur. En tant que réalisateur, il tournera La menace, une adaptation d’un ouvrage de Frédéric Dard, Les mariolles, puis en 1962 il connaitra le succès public avec Le crime ne paie pas, film pour lequel Frédéric Dard écrira un des sketches. Servi par un physique peu glamour, un peu mou, il incarne Jacques Decret, un industriel assez imbus de lui-même et de sa propre réussite, un petit bourgeois obstiné dans l’idée de vengeance qui ne comprendra que peu à peu l’enjeu de sa démarche. Il est excellent, c’est autour de lui et de sa subjectivité qu’est construit le film. Les seconds rôles sont bien, mais plutôt conventionnels. Philippe Nicaud est l’amant de Gloria, à la fois profiteur et insouciant. Un peu trop théâtral sans doute, mais il a peu de scènes importantes, on se demande comment un physique pareil pouvait susciter les passions. Il y a encore un très bon Jean Lefebvre, le détective privé un rien désabusé qui épaule Jacques dans ses curieuses entreprises, sans doute parce que lui aussi connait le même type de souci que son client. Et aussi Claire Maurier qui n’a pas fait la carrière qu’elle eut méritée, elle est excellente dans le rôle de l’ancienne maitresse d’Yves devenue patronne de bar, mais revenue de tout. Elle retrouvera Frédéric Dard en 1960 lorsque celui-ci réalisera lui-même Une gueule comme la mienne d’après un de ses romans.

     Le dos au mur, Edouard Molinaro, 1958, adapté de Frédéric Dard

    Il fabrique des lettres anonymes 

    Ce film et l’équipe qui l’a réalisé, montre que vers la fin des années soixante, à côté de la Nouvelle Vague, il y avait une tendance à s’approprier les codes du film noir, tels que les américains les avaient développés. Cela donna quelques très bons films, dont Le dos au mur. Sur le tournage il y avait aussi Claude Sautet comme assistant réalisateur qui allait bientôt réaliser le magnifique Classe tous risques[5]. Claude Sautet avait aussi travaillé auparavant sur un scénario de Frédéric Dard, Le fauve est lâché, un film qui sera réalisé par Maurice Labro avec Lino Ventura. Cette nébuleuse du film noir à la française de cette époque désigne un courant nouveau qui concurrence la Nouvelle Vague dont les protagonistes sont de la même génération. Mais ils n’obtiendront pas la même reconnaissance critique, sans doute parce que le film noir à cette époque n’était reconnu comme un genre important que lorsque les Américains s’en occupaient ! C’est ce qui fait que, périodiquement, on redécouvre quelques perles de cette époque et qu’on en ressort étonné. Petite anecdote, lorsque Jacques va à la poste retirer le courrier, il se fait piéger grâce à une grosse enveloppe rouge. On retrouve cette idée dans un San-Antonio, La vérité en salade, idée reprise encore dans J'suis comme ça. Comme quoi Frédéric Dard savait recycler les bonnes idées.

     Le dos au mur, Edouard Molinaro, 1958, adapté de Frédéric Dard

    Jacques attend Gloria

    Le dos au mur, Edouard Molinaro, 1958, adapté de Frédéric Dard

    Gloria s’est suicidée

     

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/toi-le-venin-robert-hossein-1959-a117526410

    [2] A cette époque c’est son livre je pense le mieux écrit, il y a une densité et une fluidité d’écriture qu’il n’avait pas su trouver jusqu’alors.

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/le-monte-charge-marcel-bluwal-1962-adapte-de-frederic-dard-a114844976

    [4] Notez qu’elle tournera aussi dans Trois jours à vivre de Gilles Grangier en 1958. Un très bon film noir adapté d’un roman de Peter Vanett que je soupçonne pour ma part d’être un pseudonyme oublié de Frédéric Dard.

    [5] http://alexandreclement.eklablog.com/classe-tous-risques-claude-sautet-1960-a114844830

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  • Le cinéma de Frédéric Dard    

    Frédéric Dard est connu et reconnu comme un des plus grands écrivains du XXème siècle. On sait qu’il a exercé son talent dans un peu tous les genres. Des gaudrioles à la San-Antonio, aux romans sombres qu’il signait de son vrai patronyme, en passant par des besognes diverses et variées de journaliste[1]. Lorsqu’il s’installa aux Mureaux dans la banlieue parisienne, il ne savait pas encore quel serait son devenir. Il commença à se faire connaître avec l’adaptation théâtrale de La neige était sale de Georges Simenon, il s’impliqua alors dans un gros travail de dramaturge, adaptant Francis Carco, Guy de Maupassant, ou Robert Louis Stevenson[2]. Œuvrant pour le Grand Guignol avec son ami Robert Hossein, mais aussi pour d’autres scènes, il y connut des succès mitigés, mais il aimait le théâtre et d’ailleurs il n’abandonnera jamais cette activité, revenant périodiquement à cette passion. Du théâtre au cinéma il n’y a qu’un pas qu’il franchit allègrement vers le milieu des années cinquante. Son œuvre cinématographique est importante à plus d’un titre, d’abord parce qu’elle pose Frédéric Dard comme un des fournisseurs incontournables du film noir à la française, que ce soit à travers l’adaptation de ses romans ou par des scénarios originaux. Il écrira au moins une cinquantaine de scénarios. C’est surtout la période 1955-1961 qui est la plus prolifique. Comme on le sait, il sera aussi metteur en scène pour une adaptation d’un de ses ouvrages majeurs : Une gueule comme la mienne. Il y a des allers-retours réguliers entre l’œuvre écrite et l’œuvre filmée. Les salauds vont en enfer sont d’abord une pièce pour le Grand Guignol, puis un film, puis enfin un ouvrage[3]. Ou encore le scénario de En légitime défense sera novellisé et signé André Berthomieu, nom du réalisateur, avec une dédicace à Frédéric Dard !

      Le cinéma de Frédéric Dard

    Cependant cette œuvre abondante reste assez mal connue. Beaucoup de films étaient des petites œuvres sans prétention, orientées vers un vaste public. Et puis la Nouvelle Vague est passée par là et a brouillé les cartes. Des films ont disparu complètement de la circulation comme les films espagnols de José Antonio de la Loma. D’autres sont très difficiles à voir comme l’adaptation des Bras de la nuit de Jacques Guymont. L’accident dans la version de Edmond T. Gréville se trouve, mais avec difficulté, par contre Les menteurs toujours du même Edmond T. Gréville est totalement invisible. C’est dommage parce que Edmond T. Gréville ce n’est pas n’importe qui. Gaumont de temps en temps en ressort quelques-uns comme Toi le venin, ou Le dos au mur qui fut un des premiers films d’Edouard Molinaro. Il est d’ailleurs incroyable que l’on puisse voir facilement le film d’André Berthomieu, Légitime défense, et que Préméditation ? du même réalisateur ait complètement disparu[4]. On aimerait bien que quelqu’un, chez Gaumont, chez René Chateau ou ailleurs, se préoccupe de ces absences troublantes. Ceux qui lisent ce blog et qui auraient des idées pour combler ces lacunes sont les bienvenus. Pour ces raisons et quelques autres, je n’aurais donc pas la prétention à l’exhaustivité.

    Je remarque que la période de haute productivité pour le cinéma coïncide pour Frédéric Dard avec le développement de son cycle de romans noirs. Après 1962, au fur et à mesure que San-Antonio connait un succès de plus en plus énorme, il va s'éloigner un petit peu de ce milieu dans lequel il est apparu comme une sorte de pilier.

    Dans les semaines qui viendront, je vais parler longuement de ces films, montrer qu’ils ont une sorte d’unité, bien que les résultats parfois très décevants alternent avec de belles réussites. On va y découvrir ou redécouvrir quelques petites pépites qui valent le détour. Dans ce travail acharné, Dard créa un véritable univers noir, reconnaissable au premier coup d’œil, avec des acteurs particulièrement taillés pour son écriture, comme Robert Hossein, Marina Vlady, ou encore, mais on y fait moins attention, Henri Vidal, Lino Ventura et Jeanne Moreau. On verra aussi que des indices sérieux existent pour nous laisser entendre qu’il a participé à certains films, sans que son nom apparaisse au générique. Nous parlerons aussi de films auxquels n’est pas habituellement associé Frédéric Dard, mais qui comportent des coïncidences troublantes.

      Le cinéma de Frédéric Dard

    Le cinéma est une activité qui a beaucoup fasciné Frédéric Dard, on en trouve des traces dans plusieurs ouvrages dont Les Yeux pour pleurer[5], une sorte de réécriture de Sunset Boulevard, avec une femme vieillissante, réalisatrice de films à succès[6]. Les Mureaux où il a longtemps résidé, ont baptisé leur salle de cinéma Cinéma Frédéric Dard. C’est une manière excellente de rendre hommage à la    diversité de son talent. A l’instar de Georges Simenon, il tient une place décisive aussi dans le développement d’un certain cinéma.

    Liste non exhaustive des films de long métrage scénarisés ou dialogués par Frédéric Dard

     Les films accompagnés d'une astérisque ne sont pas officiellement attribués à Frédéric Dard  

    1955, M’sieur la Caille, André Pergament

    1955, Ça va barder, John Berry*

    1956, Les salauds vont en enfer, Robert Hossein

    1956, La bande à papa, Guy Lefranc

    1956, Fernand cow-boy, Guy Lefranc*

    1957, Action immédiate, Maurice Labro

    1957, L’irrésistible Catherine, André Pergament

    1957, L’étrange monsieur Steve, Raymond Bailly

    1958, En légitime défense, André Berthomieu

    1958, La fille de Hambourg, Yves Allégret

    1958, Trois jours à vivre, Gilles Grangier*

    1958, le dos au mur, Edouard Molinaro

    1958, Toi le venin, Robert Hossein

    1959, Le fauve est lâché, Maurice Labro

    1959, Sursis pour un vivant, Victor Merenda

    1959, 12 heures d’horloge*, Geza von Radvanyi

    1959, Tentations, Un mundo para mi, José-Antonio de la Loma

    1959, La nuit des espions*, Robert Hossein 

    1960, Une gueule comme la mienne, Frédéric Dard

    1960, 8 femmes en noir, Victor Merenda

    1960, Les yeux sans visage*, Georges Franju

    1960, Les scélérats, Robert Hossein

    1960, Préméditation ?, André Berthomieu

    1961, Le bourreau attendra, Fuga desesperada

    1961, Dans l’eau qui fait des bulles*, Maurice Delbez

    1961, La menace, Gérard Oury

    1961, Les menteurs, Edmond T. Gréville

    1961, Les bras de la nuit, Jacsques Guymont

    1962, Le crime ne paie pas, Gérard Oury

    1962, L’empire de la nuit, Pierre grimblat

    1962, Le monte-charge, Marcel Bluwal

    1963, L’accident, Edmond T. Gréville

    1966, Sale temps pour les mouches, Guy Lefranc

    1968, Béru et ces dames, Guy Lefranc

    1976, Les magiciens, Claude Chabrol

    1981, San-Antonio ne pense qu’à ça, Joël Séria

    1982, Y’a-t-il un français dans la salle ?, Jean-Pierre Mocky

    1986, Le caviar rouge, Robert Hossein

    1991, La vieille qui marchait dans la mer, Laurent Heynemann

    1993, Le mari de Léon, Jean-Pierre Mocky

    1994, Coma, Denys Granier-Deferre

    2004, San-Antonio, Frédéric Auburtin 

     


    [1] Voir le remarquable ouvrage de Lionel Guerdoux et Philippe Aurousseau, Berceau d’une œuvre Dard, Frédéric Dard, écrivain et journaliste, Editions de l’oncle Archibald, 2016.

    [2] Il serait excellent de publier dans un fort volume les textes de l’univers théâtral de Frédéric Dard.

    [3] Voir l’excellente présentation de, Hugues Galli, Thierry Gauthier et Dominique Jeannerod, Les salauds vont en enfer, Fréderic Dard, EUD, 2015.

    [4] Film adapté du très beau Toi qui vivais, Fleuve Noir, 1958.

    [5] Fleuve noir, 1957.

    [6] A propos de ce film de Billy Wilder, il existe une novellisation sous le nom d’Odette Ferry qui est attribuée à Frédéric Dard, Boulevard du crépuscule, Amiot Dumont, 1951. Il aurait également novellisé Le gouffre aux chimères, toujours du même Billy Wilder, pour les éditions Le Carrousel, sous marque du Fleuve Noir en 1953, toujours sous le nom d’Odette Ferry. Certains témoignages laissent entendre que C’est cette même Odette Ferry qui aurait introduit Dard dans le milieu du cinéma. 

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  • M, Joseph Losey, 1951

    Le film de Joseph Losey reprend pour des raisons assez confuses le scénario que tourna Fritz Lang. Il ne voulait pas le tourner, mais il avait besoin d’argent, et ce d’autant qu’il était traqué par l’HUAC et qu’il préparait son départ pour l’Europe. C’est un film maudit en quelque sorte, non seulement parce qu’il a été tourné dans des conditions curieuses, mais parce que sa réception n’a pu se faire dans des bonnes conditions. Il y a eu d’un côté la critique qui ne voulait pas entendre parler du remake d’un grand classique, et de l’autre les forces de la réaction, dont la Légion américaine, qui ont organisé son boycott. Fritz Lang qui n’avait pas vue le film le dénigra à son tour, un peu comme s’il était interdit de faire des remakes de chefs-d’œuvre, pourtant lui ne s’est pas gêné pour donner de nouvelles moutures des chefs-d’œuvre de Jean Renoir, que ce soit Scarlet street qui reprend La chienne, ou Human desires qui est une version modernisée et américanisée de La bête humaine. Le film de Losey, on ne pouvait le voir jusqu’à une date récente que dans des mauvaises copies et encore très difficilement. Aujourd’hui on peut le visionner en Blu ray, et avec un peu de chance en salle dans une très bonne copie.

     M, Joseph Losey, 1951

    Martin achète un ballon à un aveugle pour l’offrir à Elsie 

    A Los Angeles le solitaire Martin attire des petites filles en leur offrant des bonbons ou des ballons. Il vit seul, dans l’ombre de sa mère. La police est sur les dents, et toute la ville réclame des résultats rapides. Mais la multiplication des opérations policières amène la pègre à prendre les choses en main sous la direction de Charlie Marshall. Celle-ci va traquer Martin et finir par le repérer. Pendant ce temps la police a retrouvé la piste de Martin qui s’avère être un ancien délinquant sexuel. Elle le retrouve par le biais de ses fichiers : un policier lui rendant visite va trouver les preuves de ses forfaits dans la collection de chaussures des petites filles qu’il cache. Alors qu’il vient de prendre en mains une petite fille, des jeunes voyous vont le suivre jusqu’à une sorte de supermarché. Martin et la petite fille se cachent dans un réduit chargé de mannequins. La pègre va le capturer et l’amener dans un entrepôt où elle va  le juger. Mais la police va intervenir et arrêter tout le monde.

     M, Joseph Losey, 1951

    La solitude de Martin 

    Le scénario est à peu près le même, et pourtant c’est un film très différent de celui de Fritz Lang. Dans la manière de filmer, comme en insérant des détails qui n’existaient pas dans le projet initial, Losey crée une œuvre très personnelle. En effet, c’est un pur film noir avec tout ce que cela peut signifier. Il va être donc débarrasser des tics propres à Lang qui font de cette histoire une galerie de personnages grotesques et souvent caricaturaux. D’ailleurs Martin, le tueur, est un homme parfaitement ordinaire dont le physique un peu passe partout se fond dans la foule. Il y a une humanité dans l’approche du personnage du tueur qui n’apparaissait pas dans le film de Lang : Losey insistera sur la solitude de Martin. C’est une manière de souligner son irresponsabilité.  

     M, Joseph Losey, 1951

    Pottsy demande aux petits voyous de surveiller la ville 

    Le second aspect remarquable et remarqué est l’usage des décors de la ville de Los Angeles. Alors que le film de Lang était assez claustrophobe et sentait trop le studio, le film de Losey utilise des longs plans séquences qui vont mettre en œuvre la profondeur de champ. Techniques que s’appropriera ensuite Lang dans ses meilleurs films noirs. Le film respire. La longue course de Martin pour échapper à ceux qui le suivent utilise les longues diagonales des pentes ou des escaliers, et aussi les tunnels, comme des éléments explicatifs. Ces scènes qui insèrent Martin dans une ville déjà assez déshumanisée s’opposent à celles qui sont tournées dans la petite chambre occupée par le tueur. Cette opposition est sans doute la représentation de sa schizophrénie. Car le film de Losey insiste un peu plus que celui de Lang sur la maladie du sérial killer. Dans l’original, il est dit très peu de choses sur les causes de ces crimes. Même si à la fin dans sa défense Peter Lorre se présente comme quelqu’un qui souffre, il reste une figure monstrueuse et déshumanisée. Losey au contraire insiste sur les origines de la folie de Martin : c’est sa mère et l’éducation qu’elle lui a donnée qui est cause. D’ailleurs il rapprochait le passage à l’acte de Martin d’une forme d’homosexualité refoulée. Ce n’est pas sans raison que le portrait de cette mère âgée et au visage sévère trônait sur le table de nuit de Martin.

     M, Joseph Losey, 1951

    Martin a été marqué 

    Losey reprendra de nombreux passages du film de Lang, le ballon qui roule tout seul, celui qui s’envole dans les airs, ou encore la marque que Martin aperçoit sur son épaule dans le miroir. Dans l’ensemble le film de Losey est plus resserré sur la personnalité de Martin, et s’intéresse un peu moins à la traque policière ou à celle de la pègre. Le film fait 1 h 24 contre 1 h 47 dans la version de Lang[1]. D’ailleurs comme Losey refuse l’aspect grotesque du film de Lang, il se sent moins à l’aise que celui-ci pour traiter les réactions de la pègre. Ça l’intéresse moins de présenter celle-ci comme une forme de contre-pouvoir, et d’ailleurs, il soulignera le côté Opéra de quatre sous du film de Lang. Il ne peut pas trouver d’équivalent réaliste dans la vie réelle de Los Angeles. On remarque que les petits délinquants qui vont suivre Martin sont très jeunes et préfigurent les petits voyous qui vont peupler les films hollywoodiens dans la lignée de La fureur de vivre. Ils ont des allures de rockers, dans l’habillement et dans la coiffure.

     M, Joseph Losey, 1951

    Martin essaie d’échapper à ses poursuivants 

    Comme toujours avec Losey la direction et le choix des acteurs sont remarquables. Bien sûr il y a d’abord la performance de David Wayne. Acteur de second rang, souvent cantonné à des rôles légers dans des petites comédies, il est ici impressionnant. Dans toutes les scènes il montre sa souffrance, par des petits gestes, des tics, des attitudes souvent minuscules. A la fin du film, alors que tout le long il aura été quasiment muet, il sort tout ce qu’il a sur le cœur, non pas tant pour se justifier que pour se repentir et expliquer. Cette scène grandiose qui n’a été réalisée qu’en une seule prise a été, aux dires de Joseph Losey lui-même, applaudie longuement par les figurants et l’équipe du film. C’est une performance remarquable, qu’on ne saurait comparer à celle du génial Peter Lorre pour autant. Mais tous les autres acteurs du film sont très bons, que ce soit Howard Da Silva dans le rôle du policier désabusé qui mène l’enquête, ou Steve Brodie dans celui de son adjoint plutôt partisan de la méthode brutale. Du côté de la pègre on a Martin Gabel dans celui du boss – il préfigure dans ce type de rôles d’ailleurs Joe Pesci qui s’illustrera dans les films de Scorsese – ou encore Raymond Burr qui n’a qu’un petit rôle, mais dont la silhouette écrasante va donner une certaine densité au film. Tous les acteurs sont très bien choisis, y compris les plus insignifiants, par exemple la mère de la petite Elsie qui sait si bien faire passer l’angoisse sur son visage quand elle comprend que sa fille ne rentrera pas. On note qu’une partie de l’équipe sera mise sur la liste noire, Howard Da Silva, Martin Gabel ou encore l’excellent Luther Adler qui interprète l’avocat alcoolique. Rien que cet énoncé suffit à mesurer le désastre que fut la liste noire sur la créativité d’Hollywood. Notez également que Losey s’intéresse un peu plus aux enfants, il les filme mieux que ne le faisait Lang, il leur donne ainsi une personnalité. 

    M, Joseph Losey, 1951

    Martin et la petite fille se sont cachés dans un grand immeuble 

    La photo est de Ernest Laszlo, elle est elle aussi excellente et donne du corps non seulement aux scènes d’intérieur avec ce jeu des noirs et blancs comme dans la scène où Martin se trouve dans son lit en train de méditer sur sa propre solitude, mais aussi dans les scènes d’extérieur qui font de Los Angeles un personnage à part du film. Bertrand Tavernier qui a construit sa cinéphilie dans les années cinquante et soixante, disait que plus le temps passait et plus il trouvait que les films américains de Losey étaient ce qu’il avait fait de mieux. Je le pense aussi. Il y a une cohérence dans les films noirs de Losey qui va disparaître ensuite dans une approche plus éclectique dans sa période anglaise. En tous les cas, qu’on le compare ou non avec le film de Lang, M est un vrai chef d’œuvre qui mérite le détour. Pour ma part je le préfère à celui de Lang, je le trouve plus vrai et plus dynamique. Petite anecdote, c’est Robert Aldrich qui était, comme sur The prowler, l’assistant de Joseph Losey. Il fait également une petite silhouette parmi la bande des truands.

    M, Joseph Losey, 1951 

    Martin plaide sa cause face à une foule hostile

     


    [1] Encore que pour ce film il est difficile de parler de durée, tant il a été monté et remonté dans des versions différentes, souvent sans l’avis du réalisateur.

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  •  M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931

    C’est évidemment un film très connu et reconnu comme un chef d’œuvre du cinéma allemand. Il est probablement le modèle des films de sérial killer et de tueur d’enfants. Ce premier film parlant de Fritz Lang n’est pourtant pas très facile à analyser, tant son message est ambigu. En effet plusieurs critiques ont souligné la proximité qu’il y avait avec une idéologie nazie sous-jacente. Ce sont souvent ceux qui veulent y voir une critique de la République de Weimar, considérée comme faible. Ils avanceront que Théa Von Harbou, l’auteur du scénario avait des sympathies pour le nazisme, et le fait que Peter Lorre soit un acteur juif d’origine hongroise, désigné comme la source du mal, en rajoute dans ce sens. La marque qu’il porte sur l’épaule de son manteau rappelle aussi évidemment la marque qui fut apposée ensuite aux juifs, la fameuse étoile jaune. Du reste Les espions, tourné en 1928, conservait des relents d’antisémitisme assez marqués. D’autres au contraire, y verront une analyse prophétique du nazisme dans cette pègre qui prétend se substituer à un Etat de droit. Ils y verront aussi une critique de la peine de mort et un plaidoyer pour l’irresponsabilité. Fritz Lang lui-même encouragera ce dernier type d’approche. Ce qui est certain, c’est que le film est en rapport étroit avec la montée des tensions dans les années trente. Mais on sait aussi qu’ex-post il est aussi assez facile de trouver des significations qui n’y sont peut-être pas. Je me garderais d’avoir un avis tranché sur cette question épineuse.

     M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931

    Beckert achète un ballon pour la petite Elsie Beckman 

    A Berlin en 1930, Hans Beckert est un assassin d’enfants qui met la ville en émoi. La police le traque et met en œuvre des grands moyens qui vont mettre la pègre sur les dents, car les rafles continuelles l’empêche de continuer à faire sa besogne. Sous la direction de Schränker, elle va mettre en place un quadrillage de la ville. Bientôt Beckert qui s’apprète à récidiver va être repéré et suivi. Il se réfugie dans un immeuble de bureaux qui va se vider pour la nuit. Schränke et ses hommes vont investir les lieux, et essayer de le repérer. Parallèlement la police a découvert des indices qui la mènent à Beckert. Le commissaire Lohmann lance ses filets. Mais les hommes de Schränke vont s’enfuir avant l’arrivée de la police en emmenant avec eux le malheureux Beckert. Dans l’immeuble des bureaux, il ne reste plus que Franz. La police va le cuisiner pour qu’il dise ce qu’il sait. Etant accusé de meurtre, il est forcé de parler et dévoile le lieu où est détenu Beckert. Pendant ce temps c’est un véritable procès qui est mis en place par la pègre, Schränker lui-même se donnant le rôle du procureur. La foule l’approuve et demande aussi la condamnation à mort de Beckert. Celui-ci va se défendre comme il peut expliquant qu’il ne peut pas échapper à ses pulsions, et que c’est comme si un deuxième lui-même se chargeait de ces crimes odieux. Dans cette parodie de justice un des membres de la pègre est choisi pour tenir le rôle de l’avocat de la défense. Il plaide l’irresponsabilité et demande que Beckert soit rendu aux autorités qui se chargeront de le mettre hors d’état de nuire. Mais ce simulacre n’ira pas jusqu’au bout, la police intervient et arrête aussi bien Beckert que Schränke qui était lui aussi recherché pour des homicides. La fin du film présente la comparution de Beckert devant un tribunal. Mais si on ne connaîtra pas la sentence, dans l’assistance la mère de la petite Elsie Beckman aura le mot de la fin en énonçant que quelle qu’elle soit, elle ne pourra ramener sa fille à la vie.

     M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931

    La population s’embrase pour l’histoire du tueur d’enfants 

    Le film a eu un énorme retentissement dans le monde entier. Et il est aussi devenu un modèle pour les films noirs. On va d’ailleurs trouver des formes esthétiques qui se répéteront ensuite tout au long du cycle du film noir. Il y a d’abord la traque dans les rues qui utilise les ombres et les lumières comme une spécificité urbaine. Cela correspond assez bien à l’opposition entre la pègre qui agit dans les anfractuosités des immeubles et la police qui fonctionne au grand jour, souvent avec des moyens démesurés. Beckert lui-même est un furtif qui se glisse parmi les ombres. Il passe son temps à se dissimuler. Ensuite il y a cette manière alternée de raconter l’histoire, en la racontant de plusieurs points de vue différents. Celui de la police et de la société, celui de la pègre, et enfin celui de Beckert lui-même. Lang utilise des éléments urbains pour faire ressortir l’accablement des petites gens. La mère d’Elsie est blanchisseuse. Elle attend sa fille qui va bientôt revenir de l’école. On comprend qu’elle est seule, elle ne met la table que pour deux couverts. Son logis est propre mais pauvre, elle manifeste une grande dignité, même lorsqu’elle manifeste son angoisse. Cette scène de l’attente est très sensible et remplie d’émotion. Le moindre bruit dans l’escalier l’interpelle. Mais bientôt elle comprend que sa fille ne reviendra pas, elle l’appelle alors comme une bête blessée dans les escaliers puis à travers la fenêtre.

     M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931

    Beckert est maintenant marqué 

    Egalement la description presque documentaire du travail de la police dans la traque de l’assassin est un procédé qui sera repris à l’envie par le cinéma américain. Avec toujours les mêmes rapports entre la police et l’autorité politique, ou entre la police et la presse. D’ailleurs l’assassin se trahira dans la lettre qu’il envoie aux journaux. Mais il y a aussi des formes elliptiques qui sont plus personnelles à Lang. Par exemple pour décrire l’angoisse de la mère d’Elsie, Lang filme les espaces vides, les escaliers ou le grenier. Ou encore il utilise souvent le procédé de montrer un individu ou un ensemble d’individus dans leur surprise, alors que le spectateur ne sait pas qu’elle est la cause de cette surprise. C’est le cas quand Franz sort du trou qu’il a creusé pour explorer l’étage du dessous, ou quand on voit les pégreleux lever tous de conserve les bars, alors qu’ils sont en train de juger Beckert. L’aveugle figurant le destin, aussi bien celui de la petite Elsie que celui de Beckert, sera repris plusieurs fois à l’écran. Lang a également cette capacité d’utiliser les travellings-arrière pour donner l’impression de la densité de la foule.

    M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931 

    La pègre traque Beckert 

    Le film n’évite pas la caricature, il y a de nombreux personnages grotesques à commencer par le commissaire Lohmann qui n’a rien d’un Maigret. Quand il apprend que la bande à Schränker a mis la main sur Beckert, il crache le mégot de son cigare en roulant des yeux ronds. C’est un film de studio, et ça se voit. La ville sensée être Berlin manque ainsi un peu de densité et de vérité. Cela empêche Lang de jouer sur la profondeur des espaces et donc l’oblige à resserrer ses plans. Mais on pourra toujours lui trouver l’excuse que nous sommes en 1931. Egalement il abuse des plongées contre plongées, aussi bien pour opposer un petit homme bien mis de sa personne et binoclard à un géant manifeste d’origine modeste, comme un renversement bouleversant des valeurs naturelles. La mise en scène est plus fluide dans le simulacre de procès. Dès qu’il n’y a plus de fuite possible en dehors d’un espace bien balisé, Lang est bien plus à l’aise. Il y a aussi un relâchement évident dans la direction du jeu des enfants : ils ne semblent pas présents, alors qu’ils sont pourtant les proies désignées.

     M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931

    Le marchand aveugle reconnait Beckert à sa voix 

    La scène de la cave est le clou du film. Mais elle repose en grande partie sur l’extraordinaire performance de Peter Lorre. Il est vrai qu’il avait un physique assez étrange, et ses yeux en billes de loto renforçaient cette étrangeté. Mais ce n’est pas qu’un regard. Il a aussi une gestuelle très particulière, il sait se servir de son corps aussi bien que de sa voix. Et si les autres acteurs semblent avoir un jeu très ancien, accentuant l’expressivité, soit parce qu’ils viennent du théâtre, soit parce qu’ils avaient l’expérience du muet, Peter Lorre est bien plus moderne. On peut voir et revoir ce film autant qu’on veut, il reste toujours très prenant et marque une étape important dans le développement des thèmes du cycle du film noir. 

    M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931

    Schränker accuse Beckert 

    M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931

    Beckert explique ses pulsions meurtrières

     M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931

     M, le maudit, M – Eine Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang, 1931

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