• Sicario, Denis Villeneuve, 2015 

    Kate Macer, agent du FBI est choisie pour accompagner une expédition contre un cartel de la drogue. Cette expédition apparait rapidement comme à la limite de la légalité. Dirigée par Matt Graver au statut assez flou, le louche Alejandro les accompagne. L’équipe mêle des vétérans de l’armée, des policiers ordinaires. Ils vont monter des opérations au Mexique où ils enlèveront dans des conditions rocambolesques un membre du cartel de Juarez pour le faire parler. Le but est d’atteindre Diaz, de remonter jusqu’à lui. Mais Alejandro a aussi comme but de venger sa famille quoi a été assassinée dans des conditions atroces. Il parviendra à ses fins, en utilisant le chantage et la violence, mais laissera Kate complètement désemparée, ayant perdu ses dernières illusions sur la noblesse de son métier.

     Sicario, Denis Villeneuve, 2015

    Le FBI investit une maison où elle croit trouver des otages 

    C’est un sujet qui commence à être beaucoup traité. Probablement parce que les conséquences du trafic de drogue entre les Etats-Unis et le Mexique sont incontrôlables et inquiètent les citoyens. Ce ne sont plus de simples opérations de police à laquelle on assiste, mais de véritables actes de guerre où tous les coups sont permis. Du reste ce sont des anciens de la guerre en Irak qui participent aux coups durs. Un tel sujet se prête à la débauche de violence, et on est assez bien servi de ce côté. On verra ainsi des corps mutilés et pendus, exposés pour que la population comprenne qu’elle doit d’abord s’occuper de ses affaires et moins de celles de la drogue et de son trafic. Si l’argument est assez simple, le scénario est par contre assez compliqué. En effet l’histoire n’est pas traitée de façon linéaire, mais elle s’éparpille volontairement entre Kate, Alejandro et Matt Graver. Cela permet de cacher pendant un long moment à Kate les véritables objectifs de l’opération. C’est suffisamment embrouillé pour tenir le spectateur en haleine, mais pas assez pour lui faire lâcher l’histoire. Certainement que l’aspect le plus faible est la naïveté de Kate qui est toujours prise en défaut et qui l’amène à avoir des réactions pour le coup inappropriées. Le personnage de son adjoint Reggie n’est pas très utile et ralentit plutôt l’action. 

    Sicario, Denis Villeneuve, 2015

    L’équipe américaine appuyée par la police mexicaine va kidnapper un narco-trafiquant à Juarez 

    Mais ces petits défauts du scénario qui sont sensés donner un peu d’humanité à une histoire qui en manque pas mal, sont très largement compensés par une mise en scène nerveuse qui ne laisse pas trop de temps pour les interrogations. Les scènes de haute tenue sont nombreuses, à commencer par l’opération qui est menée à l’intérieur de la ville de Juarez. Certes il y a une débauche de moyens, mais cela ne suffirait pas à donner du rythme : le cortège pris dans les embouteillages et  qui risque de se faire canarder à tout moment évolue dans une atmosphère étouffante. Mais il y a des scène plus calmes comme cette rafle des Mexicains qui veulent immigrer aux Etats-Unis et dont Alejandro va servir pour découvrir l’entrée du tunnel, ou encore ces scènes entre le policier mexicain corrompu et son fils. Tout cela sonne juste et évite les excès de sentiment. Même quand les scènes sont spectaculaires comme l’investigation du tunnel, elles sonnent d’abord justes. On a une dose de réalisme suffisante et la manière dont est filmé le Mexique comparativement aux Etats-Unis renforce l’aspect dominateur de ce pays qui finalement ne fait pas grand-chose pour aider son voisin du Sud à s’en sortir aussi bien en se développant qu’en luttant efficacement contre la puissance des cartels. On a en effet plus l’impression d’une action au coup par coup que d’une stratégie bien pensée et menée sur le long terme.

    Sicario, Denis Villeneuve, 2015 

    Le soir Kate regarde Juarez s’emflammer 

    L’interprétation est à la hauteur. Emily Blunt est parfaite dans le rôle de Kate, une femme qui se cherche et qui s’applique à suivre les procédures pour se donner une armature, mais qui ne parvient tout de même pas à maîtriser la situation dans laquelle elle s’est embarquée. Benicio Del Toro est impeccable dans le rôle d’un vengeur un peu neurasthénique qui ne brûle que pour sa vengeance. Et puis il y a Josh Brolin qui est aussi très bien dans le rôle d’un chef de bande un peu cynioque, mais au service de la loi. Mais n’allez pas croire que Villeneuve sait filmer que de l’action. Il lui arrive de s’attarder sur les visage et de donner un peu d’incertitude à des personnages qui en apparence doivent toujours masquer leurs manques. Dans l’ensemble la direction d’acteur est bonne.

     Sicario, Denis Villeneuve, 2015

    L’équipe se dirige vers le tunnel 

    Ce n’est pas le chef-d’œuvre annoncé à Cannes à grands coups de trompettes, on s’en doutait un peu, mais dans le désert cinématographique présent, c’est un excellent polar. C’est saignant et désenchanté juste ce qu’il faut. 

    Sicario, Denis Villeneuve, 2015

    Kate s’égare dans le tunnelAlejandro s’en va vers sa destinée 

    Sicario, Denis Villeneuve, 2015 

    Alejandro s'en va vers sa destinée

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  •  Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947

    Bien que le film soi signé du cosmopolite Alberto Cavalcanti, c’est un film typiquement britannique. Il faut resituer d’abord ce film dans le contexte de l’immédiat après-guerre où la reconstruction de l’Angleterre a engendré beaucoup d’espoir mais aussi beaucoup de frustration, avec la pénurie et le marché noir qui va avec. Vers cette époque les Anglais qui n’ont jamais eu une cinématographie importante, ont donné quelques films noirs très intéressants, par exemple Il pleut toujours le dimanche dont nous avons parlé ici même, qui date de la même année et qui comportait de nombreuses similitudes avec They made me a fugitive[1]. Il y a une manière de filmer qui se veut réaliste et qui peut être considérée comme le pendant du néo-réalisme italien, bien que ce soit tourné en studio. Il y a également un grand cynisme dans ces films et une tendance à exposer le sordide des bas-fonds de Soho.

     Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947 

    Derrière une entreprise de funérailles se cache un trafic bien organisé 

    Clem Morgan est un ancien pilote de la RAF, un héros, qui s’ennuie la guerre finie, et pour rompre avec le quotidien, plutôt que de chercher un job honnête, va s’introduire dans une bande de trafiquants sans scrupules qui sont organisés autour de Narcy et de son commerce de funérailles. Il prend cette activité comme un amusement. Ce trafic n’est pas un simple jeu : Clem qui veut bien trafiquer, mais pas de la drogue, va être trahi et livré à la police par Narcy qui en profite pour lui souffler sa fiancée. Condamné à 15 ans pour la mort d’un policier, Clem va être contacté par la belle Sally qui rêve de se venger de Narcy qui l’a délaissée pour se mettre en ménage avec Ellen, l’ex de Clem. Celui-ci va réussir à s’évader et va tenter de faire la preuve de son innocence tout en se vengeant de Narcy. Sur ce chemin très escarpé, les pièges seront nombreux puisqu’il est poursuivi aussi bien par la police que par la bande de Narcy.

     Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947 

    En prison Clem reçoit la visite de Sally 

    Cette trame en vaut une autre, et tout va se jouer sur les détails du scénario comme de la mise en scène. Jusqu’à la fin on pense que cette histoire devrait bien se terminer pour Clem qui a toute la sympathie de la police qui le croit innocent du meurtre de l’agent de police. Mais cela ne se passe pas ainsi. La réalité est toujours plus noire qu’on le croit : il n’y aura pas d’issue. Bien que Sally et Clem manifestent une attirance l’un pour l’autre, ils sont également motivés par un désir de vengeance ambiguë. Narcy se révèle par contre entièrement cruel et sournois, tout d’une pièce, il n’y a rien à sauver chez lui. Il y a un souci de réalisme important dans la description d’une pègre veule et besogneuse, avec ses petites mains, ces petites lâchetés aussi. La police utilise également une drôle de méthode pour travailler, toujours un peu en retard, elle se contente de compter les points en affichant un flegme pour le coup tout à fait britannique. La description de l’évasion est pleine de rebondissements : c’est d’abord cette femme qui veut que Clem assassine son mari alcoolique, son histoire dans l’histoire sera curieusement abandonnée au cours du film sans qu’on sache très bien pourquoi, puis c’est un étrange camionneur qui le prend en stop.

    Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947  

    Narcy demande des comptes à Sally 

    Le film est sombre, très sombre et pluvieux, sans doute pour mieux en renforcer le caractère britannique. L’atmosphère est claustrophobique. Et cet aspect glauque est renforcé par le trafic qui a lieu au sein de la boutique d’articles funéraires. C’est filmé en plans plutôt serrés et les plans larges sont peu nombreux. Cela permet à Cavalcanti de s’attarder sur les visages et de jouer sur les expressions. C’est d’ailleurs ce qui le différencie des films noirs américains où les grimaces importent moins que la gestuelle et la position des corps. Les bouges qui sont filmés n’ont rien de glamour, dans ces espaces étriqués se presse toute une faune suante et grinçante. D’ailleurs tous les lieux visités transpirent la pauvreté. Le budget n’ayant sans doute pas été très important, il y a des ellipses curieuses dans l’histoire. Par exemple le fait que l’évasion proprement dite n’ait pas été filmée, ou que l’on ne s’attarde pas sur la façon dont Clem se débarrasse du camionneur bavard. Mais ce n’est pas gênant.

    Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947  

    Clem va trouver de l’aide chez Sally 

    Trevor Howard est Clem Morgan. C’est un excellent acteur qui n’avait pas encore composé le personnage de militaire u Troisième homme qui lui collera à la peau et qu’il reprendra maintes et maintes fois par la suite. Il met beaucoup d’énergie et de cynisme dans son rôle. Sally Gray est Sally. Elle est bien, mais sans plus. Ce sont les deux seuls acteurs qui ont un peu d’allure. Le reste de la distribution est très britannique, avec des physiques assez difficiles qui passent plutôt mal à l’écran. Griffith Jones est insipide dans le rôle de  Narcy. Vida Hope dans le rôle de cette femme étrange qui rêve de la mort de son mari est par contre étonnante, emmenant avec elle une folie froide qui glace le spectateur. Les membres de la bande de Narcy ont des bonnes têtes patibulaires à souhait. Mais l’ensemble du jeu est un peu trop théâtral.

     Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947 

    Les hommes de Narcy veulent retrouver  Soapy 

    Bien que très britannique dans sa manière d’être filmé – Cavalcanti était d’origine brésilienne, il avait fait une carrière en France avant de s’installer en Angleterre – cette œuvre prouve le caractère universel du film noir qui s’adapte bien à des cultures différentes pour peu qu’elles partagent un peu de modernité. Il est donc un peu plus qu’une curiosité.

     Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947 

    Cora est recherchée de partout

     Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947 

    Sur les toits luisant de pluie, l’explication finale va avoir lieu

    Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/il-pleut-toujours-le-dimanche-it-s-allway-rains-on-sunday-robert-hamer-a114844854

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  •  Le témoin à abattre, Illegal, Lewis Allen, 1955

    Lewis Allen s’est illustré dans quelques petits films noirs de très bonne facture, Suddenly, avec Frank Sinatra en 1955, Appointment with danger avec Alan Ladd, ou encore Desert Fury un curieux film noir, mais en couleur, qui donna un de ses premiers rôles à Burt Lancaster.  C’est à mon sens un cinéaste injustement oublié. Illegal mérite un peu plus qu’un détour. Les raisons de s’intéresser à ce film sont très nombreuses, entre autre il s’agit d’un scénario de W.R. Burnett.

     Le témoin à abattre, Illegal, Lewis Allen, 1955 

    Clary va être exécuté malgré l’intervention de Scott 

    C’est l’histoire d’un procureur, Victor Scott, qui réussit tout ce qu’il entreprend, notamment à faire condamner ceux qu’il croit être coupables. Un homme droit, un peu rigide sans doute, qui aspire à devenir un jour gouverneur. Mais dans ce scénario bien huilé, il va y avoir un sacré grain de sable. Il fait condamner Clary à la chaise électrique, or juste avant qu’il ne soit exécuté un homme s’accuse du crime pour lequel Clary a été jugé coupable. Scott va chercher à intervenir pour suspendre l’exécution, mais son intervention est trop tardive. Il se sent dès lors obligé de démissionner, et après s’être mis à boire va devenir un avocat qui travaille aussi pour la canaille. Malin, ses succès lui rapportent pas mal d’argent. En même temps il est amoureux sans le dire de son assistante Ellen, mais il se trouve trop âgé pour se résoudre à l’épouser. Il la pousse dans les bras de Ray Borden, or celui-ci qui travaille au bureau du procureur, se révèle être la taupe d’un gangster notoire, Garland. La tension va monter et Ellen qui s’est finalement mariée avec Ray, va tuer celui-ci. Dès lors la tâche de Scott sera de la sauver de la chaise électrique.

     Le témoin à abattre, Illegal, Lewis Allen, 1955 

    Scott démissionne et se met à boire 

    C’est vraiment une histoire de Burnett, avec les faiblesses d’un homme qui se redresse peu à peu sans trop se faire d’illusion sur ses propres ambiguïtés et sur l’issue de son combat. Il se sait tout à fait corruptible depuis qu’il a failli dans le procès de Clary, et s’il garde une certaine morale, ce n’est plus la morale ordinaire des tribunaux, plutôt celle d’une conscience qui doute. Ce n’est pas innocent de passer du statut de procureur (DA aux Etats-Unis) à celui d’avocat. Contrairement à ce qu’on pourrait croire c’est en faisant ce chemin et en acceptant de défendre la canaille qu’il se grandit lui-même. Mais Scott n’est qu’un homme et il doit en permanence se contrôler pour ne pas dévoiler ses sentiments à Ellen qu’il entend protéger de lui-même ! En toile de fond il y a un système judiciaire des plus contestables, un innocent est condamné, un chef de gang échappe à toute poursuite, un peu comme une allusion à l’hystérie qui avait été orchestrée par J. Edgar Hoover au moment de la chasse aux sorcières où les Américains voyaient des communistes partout, alors qu’un mal plus profond, le crime organisé, rongeait la société.

     Le témoin à abattre, Illegal, Lewis Allen, 1955 

    A l’audience Scott avale le contenu d’une bouteille de poison 

    L’excellente distribution est dominée par un Edward G. Robinson au mieux de sa forme. Il ne faut jamais oublier tout ce que le film noir lui doit. Ici, il était déjà vieillissant, il avait passé la soixantaine, mais c’était aussi à cette époque un acteur sur le déclin qui avait été mis à l’index par la Commission des Activités Anti-Américaines pour avoir eu l’audace d’avoir eu des idées de gauche, en réalité on lui en voulait d’être juif. Et les studios en avaient profité pour lui raboter son salaire. Mais peut être est ce cette situation qui donne le fond de vérité à un homme déchu qui se redressera contre toute attente. C’est un de ses derniers grands rôles, ensuite il devra se contenter de seconds rôles dans des films plus ou moins importants. Il forme un duo tout à fait crédible avec Nina Foch qui incarne sa protégée Ellen. Cette actrice est d’ailleurs une habituée des films noirs, mais elle retrouvera Edward G. Robinson dans Les dix commandements, avant de se consacrer à la télévision. On retrouvera d’autres habitués du film noir, comme Albert Dekker dans le rôle de Garland ou l’étonnant Jay Adler dans le rôle d’un petit malfrat qui a tué un boxeur. Mais en réalité c’est Jayne Mansfield qui est le clou de la distribution. Elle sera encore plus remarquable dans The burglar de Wendkos[1], mais ici dans un rôle tout à fait secondaire elle éclaire le film.

    Le témoin à abattre, Illegal, Lewis Allen, 1955  

    Scott a maintenant ses entrées chez Garland 

    Ce n’est pas un film à gros budget, ce qui n’empêche pourtant pas les très belles scènes, comme celles qui sont tournées dans le tribunal ou comment Clary est conduit à la chaise électrique. Certes il y a peu de scènes d’action proprement dites, mais la mort de Andy le tueur est de toute beauté. Et la poursuite en voiture nous permet de revoir les belles bagnoles américaines à travers de Los Angeles avec un détour par le Parker Center ce haut lieu de la police et de la justice californienne.

     Le témoin à abattre, Illegal, Lewis Allen, 1955 

    La fascinante Angel O’hara joue du piano 

    Le côté assez désenchanté du film fait, et la mort de Scott fait qu’on a comparé ce film à Asphalt jungle dont le scénario était aussi de Burnett. Ce n’est pas une bonne comparaison parce que Illegal n’est pas un portrait d’hommes qui transgressent des lois, mais plutôt celui de la difficile adéquation de la loi avec la vérité. En tous les cas si ce n’est pas le meilleur de Lewis Allen, Illegal est très bon et les années n’ont pas eu beaucoup de prise sur lui.

     Le témoin à abattre, Illegal, Lewis Allen, 1955 

    Blessé, Scott fait témoigner Angel contre Garland


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/le-cambrioleur-the-burglar-paul-wendkos-1957-a114844896

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  • Le monde de San-Antonio, n° 75, hiver 2015-2016

    La lecture du Monde de San-Antonio est indispensable. D’un côté elle maintien la flamme toujours vivante autour de Frédéric Dard, et de l’autre elle nous permet toujours de faire des découvertes importantes. Dans la dernière livraison, on trouvera un peu de tout, des nouvelles de la fille de Frédéric Dard, Joséphine, et puis un article de Serge Amoré sur les avertissements qui servent d’introduction aux aventures de San-Antonio. Cela fait partie du jeu avec les formes littéraires. En effet, personne ne doute une minute que les aventures du commissaire aient un quelconque rapport  à la réalité. Cette prise de distance est en même temps une manière de se démarquer des auteurs populaires qui ont parfois tendance à se prendre un peu trop au sérieux. C’était le cas d’ailleurs dans la collection Espionnage du Fleuve Noir.

     

    A côté de cet article, on trouvera aussi un texte assez rare de Frédéric Dard, Sortilèges de Noël. C’est un conte publié le 24 décembre 1979 dans le journal La Suisse. Cela confirme l’importance et l’ambiguïté de la Noël dans l’œuvre de Frédéric Dard, par exemple Le monte-charge est tout entier déterminé par la nuit de Noël qui apportera le malheur à Albert. Ici encore le message est très ambigu, puisqu’il s’agit de pauvres gens qui maintiennent plus ou moins une certaine gaieté malgré la misère matérielle qui les prive d’un Noël festif. On retrouvera aussi dans ce conte à la fois la fascination de Dard pour la négritude, mais aussi cette passion pour les histoires  fantastiques. D’ailleurs en joignant la négritude et le fantastique, on retrouve là le principe de d’un des meilleurs ouvrages de Frédéric Dard sous son nom, Ma sale peau blanche. Enfin, ce texte montre que même devenu un grand auteur  respecté, Dard avait conservé cette passion pour le texte court.  

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  •  Les tueurs, The killers, Robert Siodmak, 1946

    Une des œuvres les plus célèbres et les plus représentatives du film noir. Sa célébrité déborde le cercle des cinéphiles monomaniaques qui, comme moi, passe un temps déraisonnable à regarder des vieilles pellicules en noir et blanc, espérant y trouver toujours quelque chose d’étonnant. Pourtant au départ ce n’est qu’une petite nouvelle d’Hemingway, quelques pages écrites comme en passant, un récit de Nick Adams, le jeune homme qui est censé être le double de l’auteur lui-même. On connait le sujet : deux tueurs arrivent dans un petit restaurant de la banlieue de Chicago, et après avoir neutralisé le patron et son employé, ils vont tuer Andreson, un ancien boxeur d’origine suédoise. Nick Adams va réussir cependant à s’échapper et à prévenir le « suédois ». Mais celui-ci ne veut plus fuir et acceptera son sort.

     Les tueurs, The killers, Robert Siodmak, 1946 

    Deux tueurs patibulaires se présentent 

    La nouvelle n’est en fait que le point de départ du film : c’est en quelque sorte sa fin. Jim Reardon va être chargé d’enquêter sur le suédois. Cela va être l’occasion de multiples flash-backs emboîtés les uns dans les autres. Au fur et à mesure qu’il progresse dans son enquête, l’histoire continue de courir autour d’une sombre histoire de hold-up et de butin pas très justement partagé. A la base du  chef-d’œuvre de Siodmak il y a d’abord un scénario complexe et astucieux dû à Anthony Veiller. A ce scénario auraient collaboré également Richard Brooks et John Huston. Siodmak serait arrivé d’ailleurs un peu par hasard sur le tournage, Don Siegel avait été contacté pour le réaliser.

     Les tueurs, The killers, Robert Siodmak, 1946 

    Le suédois ne veut plus   fuir 

    C’est un film de Siodmak dans la manière de travailler les ombres, les plans larges ou la profondeur de champ, la mobilité toujours très sûre de la caméra. Mais c’est tout autant un film du grand producteur Mark Hellinger. C’est lui qui a lancé Burt Lancaster avec qui il tournera encore Les démons de la liberté de Dassin, dont il produira aussi The naked city. Ces films sont emblématiques du film noir des années quarante. Mais Hellinger décédera très jeune d’une crise cardiaque et n’aura pas le temps d’accomplir une très longue carrière. Richard Brooks qui avait travaillé avec Hellinger et qui venait comme lui du journalisme, lui consacrera un roman. C’était un producteur très directif et autoritaire qui savait parfaitement ce qu’il voulait. Et on peut dire sans trop se tromper qu’il a eu une influence considérable sur l’évolution de Robert Siodmak vers le genre noir.

      Les tueurs, The killers, Robert Siodmak, 1946

    Il y a évidemment les morceaux de bravoure qu’on connait : l’arrivée des tueurs dans la petite ville au début de la nuit. Ou le travelling avant qui permet de traverser sans encombre l’appartement luxueux de Colfax. Et puis il y a les ambiances très travaillées comme celle du restaurant où Lubinsky vient pour arrêter Kitty, ou l’atmosphère du combat de boxe.

    Mais tous les codes du film noir sont là, utilisés à bon escient et sans ostentation, les jalousies qui plongent les pièces dans la pénombre, l’importance des escaliers, que ce soit quand les tueurs montent chez Ole, ou quand Reardon et Lubinsky viennent pour coincer Colfax et Kitty. La précision de la mise en scène se trouve non seulement dans les scènes en mouvement, comme le hold-up, mais dans des plans plus statiques comme le baiser que Kitty accorde à Ole pour ensuite le trahir. Cette simple scène est terrible tant elle dévoile les mauvaises intentions de Kitty qui s’entortille autour d’Ole pour mieux l’affaiblir et le tuer. Il y a des scènes presque tendres entre Ole et le vieux truand Charleston qui aime à contempler les étoiles à travers les barreaux de sa cellule. Mais il y a beaucoup de finesse aussi dans la façon dont Siodmak rend le trouble qui gagne Reardon dans sa confrontation avec Kitty.

     Les tueurs, The killers, Robert Siodmak, 1946 

    Jim Reardon est chargé d’enquêter sur la mort du suédois 

    Le film est centré sur le personnage de Reardon interprété par le très bon Edmond O’Brien, mais ce n’est pas lui qu’on retient. Ce sont les deux débutants qui ne sont pas tant présents que cela à l’écran. C’était en effet le premier film de Burt Lancaster et le film qui fit d’Ava Gardner la star que l’on connait. Ils ont une telle aura que même leur absence c’est encore eux !! Burt Lancaster déploie déjà dans le rôle d’Ole toute l’étendue de sa palette. Il est tour à tour sûr de lui et de sa force, puis désespéré et suicidaire quand il comprend que Kitty l’a abandonné. Ava Gardner n’est pas très à l’aise dans ce rôle de femme fatale. Elle n’a encore guère de métier, mais sa seule présence est magique, dégageant une énergie incroyable. Albert Dekker est impeccable avec sa perruque dans le rôle de Colfax. Les petits rôles sont tenus par des spécialistes du film noir, les tueurs sont incarnés par William Conrad et Charles McGraw, et on reconnaîtra Jack Lambert dans le rôle de Dum-Dum.

     Les tueurs, The killers, Robert Siodmak, 1946 

    Ole est séduit tout de suite par Kitty 

    On peut préférer Criss-Cross de Siodmak qui dans le genre noir semble un peu plus aboutit, quoiqu’il reprenne la même thématique d’un homme qui se perd presque volontairement pour une femme qui manifestement se moque de lui. Dans ce film il y aura d’ailleurs une scène de hold-up presque similaire. Mais en tous les cas on peut voir et revoir très souvent ce film sans s’en lasser et en y redécouvrant toujours quelque chose de nouveau. Il y aura un remake de ce film par Don Siegel, en 1964, rebaptisé en France, A bout portant. Film en couleurs fait pour la télévision, il est pourtant très bon et propulse Lee Marvin sur le devant de la scène. Et puis il y aura un autre film inspiré des Tueurs, un court métrage réalisé en 1956 par Andrei Tarkovsky, il s’agissait de son diplôme de fin d’études qui manifestement était inspiré du film de Siodmak.

     Les tueurs, The killers, Robert Siodmak, 1946 

    Ole veut récupérer le butin

     Les tueurs, The killers, Robert Siodmak, 1946 

    Reardon retrouvera Kitty

    Les tueurs, The killers, Robert Siodmak, 1946

    Siodmak et Hellinger sur le tournage de The killers

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