• San-Antonio, Ne mangez pas la consigne, Fleuve Noir, 1961 

    Merci à Jacques Le Piton 

    C’est un roman clé dans la saga du commissaire San-Antonio. Il s’inscrit dans la lignée des titres qui portent sur la négritude et qui ont été inaugurés par Ma sale peau blanche, consécutivement à son voyage aux Etats-Unis. La couleur de la peau a été en effet une véritable obsession pour Frédéric Dard. De nombreux ouvrages et nouvelles se passent à Harlem, quartier noir, comme à part et en résistance contre l’uniformité blanche, bourgeoise et nantie. C’est également avec cet ouvrage que San-Antonio va changer dans l’usage du vocabulaire : il ne parle plus de Nègre – fusse avec une majuscule – mais de Noir. La différence n’est pas innocente comme on le sait. Comme on le sait, dans les années quatre-vingt, il intégrera à son équipe un balayeur sénégalais qui deviendra un policier efficace, cultivé et plein d’humour. Jérémie Blanc sera le fer de la lance de la croisade politique de Frédéric Dard – pourtant réputé ne pas se mêler de celle-ci – contre le Front National.   

    C’est une histoire assez simple, mais très bien menée. Par inadvertance San-Antonio découvre une tête d’homme de couleur dans un casier de la consigne de gare Saint-Lazare. Comme il va en découvrir encore deux autres, cette série le lance sur la piste d’un criminel en série. Les choses avancent vite – contrairement à beaucoup d’autres aventures où le commissaire nous dit qu’il n’y comprend rien – et il découvre rapidement l’identité des cadavres, mais aussi les criminels potentiels qui sont une famille d’Américains qui travaillent pour le SHAPE, les Weston. Pour les confondre, il va se déguiser en noir grâce au génie d’un laborantin. Il se met donc dans la peau d’un  noir. Une belle rouquine l’attire dans un piège, et il manque de se faire assassiner et réduire dans un atelier d’emboutissage des voitures périmées. Evidemment il s’en sortira et confondra les coupables : en fait cette série de meurtres est la conséquence d’un viol ancien qui s’est passé aux Etats-Unis. Au passage San-Antonio confondra un autre assassin qui avait cru malin de copier les crimes de la consigne pour détourner l’enquête de la police et se débarrasser à moindre frais de sa femme. 

    Ecriture 

    C’est encore une époque où San-Antonio se veut anticlérical. C’est la cousine Adèle qui lui sert d’exutoire. Elle fait partie de la parentèle que San-Antonio n’aime pas car elle vient troubler son intimité avec sa mère. Comme un enfant jaloux il la martyrise sinon physiquement, au moins moralement. C’est un peu la même chose qu’avec le cousin Hector. Adèle est une vieille fille confite en religion, ce qui agace San-Antonio. 

    « N’exagérons rien : on se marre bien. Après le bénédicité, Adèle nous raconte les plaies variqueuses de la chaisière et la gastrite de M. le curé. Elle nous apprend de même, et je lui en sais gré, que le fils aîné de sa voisine vient d’entrer à pieds joints dans les Contributions directes et qu’il s’est acheté une 2 CV Citroën. » 

    « Et si tu veux le fond de ma pensée, Antoine…

     J’ai le vertige par avance. Je titube au bord du gouffre !

     — Si tu veux le fond de ma pensée, c’est un peu sacrilège.

     — Ah oui !

     — Le Seigneur, dans sa grande bonté, t’a doté d’une peau blanche, tu n’as pas le droit de la noircir même en plaisantant.

     — Parce que tu trouves que c’est un cadeau, une peau blanche ? Tu estimes que le Seigneur a distribué les couleurs de peau comme on distribue les grades dans l’armée ?

     M’man me téléphone un regard suppliant, dont, à ma grande honte, je ne tiens pas compte.

     Adèle ne répond pas tout de suite because elle a un nid de vermicelle dans la gargante.

     J’en profite pour la doubler au sprint.

     — Vois-tu, Adèle, les gens comme toi ne pensent pas assez que Jésus est né juif. Tu vas me dire que pour racheter l’humanité c’était nécessaire ?

     Elle est groggy, l’Adèle. Tout en suffoquant, elle récite des exorcismes. Mon petit doigt me chuchote qu’elle va écourter son séjour ici. À son âge on n’a plus envie de se damner. » 

    Comme d’habitude San-Antonio se laisse aller à ses penchants sadiques, non seulement il martyrise ce pauvre Pinaud, se moque de Bérurier, mais souhaite du mal à ceux qui l’entourent. 

    « Un vieux monsieur, vêtu d’une houppelande, claudique en direction du bureau de tabac. Je constate qu’une peau de banane aux doigts écartés jonche sa trajectoire, mon subconscient espère confusément des émotions fortes, mais le vieux monsieur enjambe la peau de banane et, comme la salle voisine, j’en suis pour mon attente. Raté ! » 

    On note que dans cet épisode, il emploie pour une fois correctement le mot chouïa. En effet dans les premiers épisodes de la saga, il employait ce mot qui vient de l’arabe et qui signifie « un peu » comme un  équivalent de « joli ». Par exemple dans Réglez lui son compte, il écrivait « J’étais allé y manger une bouillabaisse avec une poupée tout ce qu’il y a de chouïa. ». Ce qui était incorrect, un contresens. 

    Dans Ne mangez pas la consigne, il utilise correctement cette formule argotique.

    « Mon cœur se calme un chouïa. Je ne suis pas sorti de l’auberge… »

    « Je m’offre un chouïa de gymnastique suédoise. » 

    Rapport avec d’autres titres écrits par Frédéric Dard 

    L’œuvre de Frédéric Dard est ainsi construite que les titres se répondent les uns les autres. Recyclant inlassablement ses idées, à travers ses différents noms de plume, il avance en laissant des traces qui permettent de le retrouver derrière des titres les plus invraisemblables. A croire qu’il a suivi la recette du Petit Poucet !

    Le premier titre qui vient à l’esprit des lecteurs de San-Antonio est Turlute gratos les jours fériés. L’intrigue se noue autour d’une femme, belge, qui pour se venger d’un viol collectif que sa fille a subi en Afrique, enlève des jeunes noirs pour les martyriser et s’en servir comme cobaye. Ici encore le thème de la vengeance est rapproché de l’idée de pratiques louches dans des laboratoires.     

     

     San-Antonio, Ne mangez pas la consigne, Fleuve Noir, 1961

    Mais avant ce San-Antonio, il y a d’autres titres qui renvoient directement ou par la bande à Ne mangez pas la consigne.

    San-Antonio, Ne mangez pas la consigne, Fleuve Noir, 1961 

    En 1964 paraît sous le nom de Marcel G. Prêtre, chez Ramoni, éditeur suisse, La peau des autres. Manifestement ce texte est de la plume de Frédéric Dard. Et si d’autres écrits signés Marcel G. Prêtre ne sont pas tout à fait des créations originales de Dard, il semble que souvent Prêtre amenait les histoires et dard les mettaient en forme, celle-ci développe un ethématique dardienne. Le plus troublant est sans doute qu’on y retrouve tous les éléments des décors de Ne mangez pas la consigne. Ça se passe pour partie à Saint-Germain des Près, il y a des étudiants dont certains étrangers et américains. La famille du héros est originaire de la campagne : ici les deux oncles de Jean ont remplacé la tante Adèle dans la représentation d’une France peu moderne mais bonne. Le centre de l’intrigue repose dans les deux cas sur la possibilité de transformer la pigmentation d’un blanc en noir grâce à un eproduit de laboratoire, ce qui lui permet de se mettre dans la peau d’un noir et de comprendre ainsi en quoi le racisme est un vrai fléau. On y reconnaitra au passage ce goût de Frédéric Dard pour rabaisser les Américains et les renvoyer à leur racisme comme à leur vulgarité. Le sujet cependant s’est déplacé vers la ségrégation aux Etats-Unis. Nous sommes à l’époque de la lutte pour les droits ciiviques, et le héros y participe activement, et de façon assez extravagante. Cela tourne au conte édifiant avec à la fois un aspect rêvé et un message moralisateur. Pour ceux qui auarit des doutes sur la paternité de cet ouvrage, il y a une allusion à « la vipère lubrique », allusion qui est très personnelle à Frédérice Dard, une sorte de private joke adressé à lui-même. Il avait beau dire et beau faire, Frédéric Dard aimait aussi les ouvrages à message.Ce roman signé Marcel G. Prêtre sera republié au Fleuve noir 20 ans plus tard sous le titre de Question de couleur. Il est très probable d’ailleurs que tous les titres de Marcel G. Prêtre republiés en Fleuve Noir soient de la plume de Dard. On ne sait pas pourquoi la famille de Frédéric Dard s’obstine à minimiser cet aspect de son œuvre.

     San-Antonio, Ne mangez pas la consigne, Fleuve Noir, 1961 

    Dans Ne mangez pas la consigne, les Weston travaille au SHAPE la base de commandement de l’OTAN qui se trouve à Roquencourt dans l’Ouest de la région parisienne. Sans doute le SHAPE est il le symbole d’une modernité à la fois souhaitée et redoutée aussi bien par les Français que par Frédéric Dard. Les employés de cet organisme sont un peu lointains et comme absents. D’autres romans de Dard utilisent ce décor : Les scélérats, très beau roman, qui date de 1959 et L’homme de l’avenue – novellisation d’un des sketches du films de Gérard Oury, Le crime ne paie pas – qui parait en 1962.

     San-Antonio, Ne mangez pas la consigne, Fleuve Noir, 1961 

    Le SHAPE à Rocquencourt au début des années soixante 

    Le « nègre »  

    Le « nègre » a toujours fasciné Frédéric Dard, au sens propre, mais aussi au sens figuré. Au fur et à mesure que le temps passera, le portrait du « nègre » s’affinera. Il passera son temps à louer les grandes capacités sexuelles que la légende attribue aux noirs. Mais il a été aussi un nègre littéraire, en effet, il a été la plume de toute une kyrielle d’individus, avec cette particularité étrange qu’ils étaient moins connus que lui : que ce soit Marcel G. Prêtre, Jean Redon, André Berthomieu ou encore Jean Murelli et Agnès Laurent. Mais il advint aussi que Frédéric Dard devint le « nègre » de la créature qu’il avait engendrée – San-Antonio – il se vengea ensuite de belle façon en l’évinçant des gros romans hors-série qu’il signait San-Antonio. 

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  • Frédéric Dard a créé deux séries de quatre volumes dans les années cinquante, séries qui mettent en œuvre des gangsters sans morale et cruels. La première date de 1952, Les confessions de l’Ange Noir, a été publiée à La pensée moderne, maison d’édition dirigée par Jacques Grancher, le fils de Marcel G. Grancher qui avait en quelque sorte lancé Dard dans le grand bain du journalisme et de la littérature populaire. La seconde est celle des confessions de Kaput, qui cette fois est éditée par le Fleuve Noir en 1956. 

    De l’Ange noir à Kaput, la cruauté de Frédédric Dard  

    Les deux séries se ressemblent par leur cynisme, leur thématique et par la complaisance des scènes de violence et de torture. Mais l’intérêt de les lire suivant leur chronologie, permet de mesurer les progrès considérables que Frédéric Dard a faits dans l’écriture des romans noirs. L’ambiance de cette époque est celle de l’explosion des ventes de la Série Noire, et l’émergence des auteurs comme Albert Simonin et Auguste Le Breton qui développent des récits du point de vue des truands. Le langage qui va avec cette tendance-là est celui de l’argot sensé être le parler vrai des voyous. Notons qu’entre la rédaction des deux séries consacrées à des gangsters sans scrupules, Frédéric Dard a rencontré Albert Simonin et a travaillé avec lui à une adaptation théâtrale du Cave se rebiffe.

      De l’Ange noir à Kaput, la cruauté de Frédédric Dard

    Les deux séries qui ne comportent d’ailleurs pas de nom d’auteur, comme si Frédéric Dard les reniait dès leur parution, sont écrites à la première personne du singulier et présentent la lente dérive d’un assassin en série plus ou moins séduisant. On a comparé ces deux séries à San-Antonio. Ce n’est pas tout à fait exact. Certes il y a de ressemblances dans l’écriture, une simplicité de la phrase, l’usage de l’argot, mais ces deux séries reflètent plutôt l’ambiguïté de Dard par rapport au commissaire San-Antonio. En effet Kaput et l’Ange noir sont avant tout des hommes de désordre. San-Antonio est tout le contraire. Non seulement il remet de l’ordre pour le compte de la société, mais il est aussi le chantre de la famille par l’étalage qu’il fait de ses sentiments envers sa mère. Je suppose que Frédéric Dard non seulement se livrait à l’écriture de ces sagas criminelles pour des raisons alimentaires, mais aussi comme un contrepoids à cette notion d’ordre moral qui trouble le roman noir dans sa version policière.  On remarque que dans les deux séries les scènes de cruauté sont abondantes et les deux « héros » semblent jouir de la violence qu’ils infligent à leurs victimes. S’il y a une parenté avec les œuvres signées San-Antonio, elle doit être recherchée dans les grands formats où le commissaire n’apparait plus des œuvres comme La nurse anglaise où le « bonheur se trouve dans le crime ».

      De l’Ange noir à Kaput, la cruauté de Frédédric Dard

    Les deux héros évidemment sont expliqués par leur contexte familial et environnemental qui leur est défavorable et les pousse justement sur la pente fatale du crime. Ils différent pourtant : l’Ange noir est beaucoup plus brutal et beaucoup moins sophistiqué que Kaput. Et il ne rêve guère de rachat. Kaput se révèle plus sentimental. C’est d’ailleurs cet aspect qui donne un peu plus de profondeur à Kaput. L’Ange noir est un pantin frénétique qui ajoute l’action à l’action, il est sans repos.

    Egalement on remarque que les intrigues de Kaput sont un peu plus élaborées. Ecrites un peu plus tard que celles de l’Ange Noir, elles recyclent quelques aspects de grands romans noirs. Par exemple  dans La dragée haute, c’est l’univers de Plein soleil de Patricia Highsmith qui est utilisé, ou encore dans Pas tant de salades, on retrouve une thématique qui est celle du Facteur sonne toujours deux fois, transposé dans l’univers des forains. Comme les aventures de Kaput se passent en France ou en Italie et qu’elles existent dans des milieux mieux ciblés et décrits, elles ont plus de consistance que celles de l’Ange noir.

    De l’Ange noir à Kaput, la cruauté de Frédédric Dard  

    L’Ange noir n’est pas tout à fait creux cependant, même si on y reconnait cette Amérique de pacotille que Frédéric Dard aimait mettre en scène dans ses premiers romans noirs, avec des noms orthographiés de manière étrange. On y trouvera déjà dans Le boulevard des allongés une partie de la trame des Salauds vont en enfer, trame déjà présente dans la nouvelle La belle, ou encore dans Le bouillon de onze heures, le début raconte l’histoire de l’Ange noir qui surprend un homme en train de s’envoyer une forte liasse de billets par la poste et qui en tentant de récupérer cet argent est le témoin d’un homme qui tombe dans la cage de l’ascenseur, on reconnait là le début d’un San-Antonio, Du mouron à se faire qui sera publié trois ans après. C’était la manière de Frédéric Dard de recycler des bribes d’histoires qu’ils pensaient originales, ne voulant pas se forcer en permanence à innover.

     

    La série l’Ange noir est illustrée par Jef de Wulf, ça ne vaut pas les dessins de Gourdon, mais il s’améliorera et deviendra un illustrateur infatigable de la littérature polardière, érotique et populaire. Il illustrera par exemple les couvertures de la magnifique série d’André Héléna, Les compagnons du destin. Avec le temps les éditions originales de l’Ange noir sont devenues inabordables pour le commun des mortels, tandis que les Kaput restent accessibles : c’est sans doute le fait que les tirages n’étaient pas de la même importance.  

    De l’Ange noir à Kaput, la cruauté de Frédédric Dard

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  •  Un officier de police sans importance, Jean Larriaga, 1973

    C’est l’histoire de deux frères : l’un, Pierre, est un voyou sérieux qui exerce son métier comme un artisan, il aime le travail bien fait et n’aspire qu’à vivre tranquillement en marge de la loi. Le plus jeune, Camille, fait un peu n’importe quoi pour se procurer de l’argent et pour se payer sa drogue. Il vit avec son ami Dov, et Dani qui partage ses charmes entre les deux jeunes hommes. A partir de cette opposition les destins vont se télescoper et entraîner tout le monde sur la pente fatale. En effet, la même nuit où Pierre casse le coffre d’un diamantaire, son frère agresse dans le même immeuble la caissière d’un cinéma. Celle-ci donne l’alerte, Camille et Dov s’enfuient, mais Pierre se fait arrêter. Il va tomber sur un policier consciencieux, Serge Monnier, qui voudrait bien le faire tomber pour d’autres cambriolages.

     Un officier de police sans importance, Jean Larriaga, 1973 

    Pierre est un casseur sérieux 

    Apprenant que Pierre a été arrêté, Camille est traversé par l’idée saugrenue de prendre l’officier de police en otage en vue de l’échanger contre Pierre. Rapidement la police comprend qui est derrière cet enlèvement et sollicite l’aide de Pierre pour négocier la libération de l’officier de police. Les choses se compliquent encore quand Fabienne pour aider son mari sollicite l’aide de Scotto pour délivrer Monnier. Mais Scotto se fait descendre. Finalement le trio est repéré dans une maison inhabitée et la maison est cernée. Mais Monnier est très malade. Le commissaire Dekervan tente de négocier la vie de Monnier contre la possibilité de fuir pour le trio infernal. Mais les choses tourneront très mal : le trio sera abattu et Monnier décédera.

     Un officier de police sans importance, Jean Larriaga, 1973 

    Pierre est arrêté 

    C’est un très bon film noir, bien rythmé, avec des astuces dans le scénario. Les véritables héros si on peut dire ce sont ces jeunes délinquants qui font émerger une nouvelle forme de criminalité qui, dans le sillage de Mai 68, est apparue comme en rupture des formes plus traditionnelles. D’ailleurs que ce soit Scotto ou Pierre, ce sont des artisans, des hommes qui aiment le travail bien fait et qui n’ont rien à faire dans des fiestas qui démolissent les plus fragiles dont ils ne comprennent pas les motivations. C’est cette opposition qui donne du corps au film. Si en apparence ces jeunes gens sont complètement paumés et sans valeur, ils ont pourtant un sens de l’amitié et une sorte de solidarité qui les mènera jusqu’à leur anéantissement. Tout oppose Pierre et Camille : l’un vit marié, d’une manière bourgeoise, l’autre est impliqué dans un trio, se drogue, consume sa vie.

    Malgré cela Pierre ne rejette pas son jeune frère, même si celui-ci l’agace au plus haut point pour toutes les emmerdes qu’il lui apporte. De même Camille a de l’admiration pour son ainé.

     Un officier de police sans importance, Jean Larriaga, 1973 

    Monnier le soupçonne d’autres cambriolages 

    L’interprétation reflète ce parti pris de regarder du côté de la jeunesse : c’est Marc Porel qui interprète Camille qui est le plus présent à l’écran. Il incarne tout à fait bien ce petit voyou sans trop de cervelle. Marc Porel qui a fait une petite carrière en Italie avec ses faux airs d’Alain Delon, est décédé assez jeune, à l’âge de 34 ans, d’après ce qu’on sait d’une overdose. Dov est interprété par Julian Négulesco qui tournera beaucoup par la suite, mais qui avait encore à cette époque un fort accent étranger. Sans doute Dani est la plus étonnante de ce trio. Elle arrive très bien à faire passer les doutes de Joëlle quant à la destinée de leur trio, dès lors qu’elle comprend que leur cavalcade est sans issue.

    Les autres acteurs sur lequel le film a été vendu, sont beaucoup moins présents à l’écran. Mais ils sont très bons. Robert Hossein qui a consacré la plus grande partie de sa carrière d’acteur de cinéma au film noir, était déjà impliqué fortement dans le théâtre, n’acceptait plus que des petits rôles, alors même qu’il était très connu aussi bien en France qu’en Italie. Il est ici Pierre, avec tendresse et rudesse. Raymond Pellegrin, lui aussi un des piliers du film noir à la française, incarne le commissaire Dekervan. Ces deux acteurs avaient déjà tourné sous la direction de Jean Larriaga dont un des talents était sans doute une solide direction d’acteur. Même si c’est dans une très courte apparition la présence de Georges Géret est tout à fait bienvenue, dans le rôle de Scotto, il renforce ce côté artisanal, presque prolétarien de la vieille pègre. Enfin bien qu’il passe le plus clair de son temps attaché et les yeux bandés, on ne peut pas oublier la forte présence de Charles Denner qui exprime tout un tas de sentiments avec sa voix ou avec son corps.

    Un officier de police sans importance, Jean Larriaga, 1973 

    Camille enlève Serge Monnier 

    Que retenir de la manière de filmer de Larriaga ? D’abord une grande capacité à utiliser les décors naturels qui ancrent bien le film dans la banalité du quotidien, que ce soit ceux de la banlieue ou celui du garage de Scotto, ou encore l’aéroport de Villacoublay. Mais il y a bien d’autres choses intéressantes, comme ces mouvements de caméra quand Fabienne sème les policiers qui la suivent dans le métro – scène qui lorgne évidemment du côté de Melville, ou cette longue scène de la visite de la maison inhabitée par un agent immobilier et une vieille rombière qui cherche la bonne affaire. L’enlèvement de Monnier est filmé avec une multiplication des angles de prises de vue qui donne du champ au film, et qui aussi renforce la tension au cœur de l’histoire proprement dite.

     Un officier de police sans importance, Jean Larriaga, 1973 

    Fabienne sème la police dans le métro 

    Le principe de ce film est surtout de ne pas juger, ni pour condamner, ni pour excuser, mais plutôt de présenter des logiques, des dynamiques qui se télescopent et conduisent au drame. A sa sortie le film n’a connu aucun succès. Sans doute a-t-il été très mal distribué puisque même moi qui guettait ce genre de film je n’ai jamais pu le voir en salle. C’est très dommage, en tous les cas on peut le redécouvrir aujourd’hui en DVD ce qui n’est déjà pas si mal. C’est bien plus qu’un polar du samedi soir. On regrette que Jean Larriaga n’ait pas continué dans cette voie qui semblait faire pour lui.

     Un officier de police sans importance, Jean Larriaga, 1973 

    Scotto vient délivrer Monnier

     Un officier de police sans importance, Jean Larriaga, 1973 

    Le commissaire Dekervan espère négocier la libération de Monnier grâce à Pierrre

     Un officier de police sans importance, Jean Larriaga, 1973 

    Dov et Camille présente Monnier à Dekervan

     Un officier de police sans importance, Jean Larriaga, 1973 

    Jean Larriaga sur le tournage avec Robert Hossein et Marc Porel

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  • L’affaire de la 99ème rue, 99 river street, Phil Karlson, 1953 

    C’est un peu plus qu’un film B, mais ce n’est pas un budget important et les acteurs sont des acteurs de second rang. Mais c’est un film noir signé Phil Karlson et cela veut dire qu’il y a une certaine qualité cinématographique qui vaut généralement le déplacement. Sans doute Phil Karlson ne s’attendait pas à être considéré dans le temps comme un auteur à part entière, sans doute se considérait-il plutôt comme un bon artisan. Mais voilà, il faut bien reconnaître qu’avec les années qui ont passé, on arrive aisément à reconnaître un vrai style.

    C’est l’histoire d’un ancien boxeur, Driscoll, qui a échoué aux portes du titre mondial. Et depuis il vivote petitement, ce qui alimente non seulement ses aigreurs, mais aussi celles de sa femme, Pauline, qui l’a épousé parce qu’elle croyait qu’il allait devenir riche et qu’elle pourrait en profiter. Mais voilà la déconfiture de Driscoll est telle qu’elle est obligée de travailler comme fleuriste et Driscoll est devenu chauffeur de taxi. Son seul rêve est maintenant de faire suffisamment d’économies pour pouvoir prendre en charge une station-service. Mais le hasard veille et rien ne va se passer comme Driscoll le voudrait. Tout d’abord sa femme s’est pris un amant, Rawlins, et s’est acoquinée avec un voyou qu’elle va aider à dévaliser une bijouterie. Driscoll la surprend cependant dans les bras de Rawlins et il lui vient comme une envie de mourir. Dans le café où il a l’habitude de prendre son café, il croise une habituée, Linda, qui espère décrocher enfin un rôle dans un théâtre de Broadway. Mais voilà qu’elle demande de l’aide à Driscoll, elle prétend avoir tué un homme. Celui-ci se laisse entraîner, mais il va se révéler que c’est une supercherie, ayant le sang chaud, il va envoyer au tapis la clique du théâtre qui s’est moqué de lui. Ce qui va amener celle-ci à porter plainte. Driscoll est donc recherché par la police. Pendant ce temps Rawlins cherche à vendre les diamants qu’il a volés, mais Christopher, le receleur, ne veut plus traiter avec lui au motif que Pauline est maintenant au courant et surtout parce que le vol des bijoux a entraîné un meurtre. Rawlins va alors imaginer un plan diabolique pour se débarrasser de Pauline et réaliser l’échange du butin contre de l’argent. Il va se débrouiller pour qu’on croie que Driscoll a tué sa femme. Ça sent vraiment mauvais pour Driscoll qui est pourchassé maintenant pour deux raisons, le fait d’avoir rossé des théâtreux et celui bien plus grave d’avoir assassiné sa femme. Malgré cette situation des plus périlleuses, il va recevoir l’aide de Linda qui regrette de l’avoir entraîné dans cette mise en scène au théâtre, et qui veut se racheter. Et puis bien sûr, il recevra celle de son ami Stan qui est standardiste et qui dispache les appels aux taxis tout au long de la nuit. Bien entendu les affaires de Driscoll vont finir par s’arranger et il pourra monter sa station-service et filer le parfait amour avec Linda.

     L’affaire de la 99ème rue, 99 river street, Phil Karlson, 1953 

    Driscoll regarde à la télévision le combat qui mit un terme à sa carrière 

    C’est un scénario solide avec de nombreuses ramifications e de nombreux retournements de situation. Rawlins veut piéger Driscoll, mais lui-même est traqué par Christopher et sa bande. Driscoll qui se trouve entre deux femmes doit également échapper à la police. Le mérite de cette histoire est sans doute d’abord de se centrer sur des petites gens dont les rêves ne sont pas très élaborés. Mais évidemment il y a aussi cette idée de ces personnages qui sont attirés par ce qui brille et par les biens de consommation. C’est le cas de la  pauvre Pauline qui sera durement châtiée pour avoir voulu accéder à tout prix à des rêves bien peu poétiques de richesse. Les caractères sont très opposés entre Pauline et Linda d’une part, mais aussi entre Rawlins et Driscoll d’autre part. En effet le faux couple Rawlins et Pauline pratique le mensonge l’adultère et la tromperie. Leur cupidité leur sera fatale. De l’autre côté Driscoll et Linda renoncent aux rêves moisis de la réussite matérielle et visent finalement une vie plus riche et meilleure sur le plan des sentiments.

     L’affaire de la 99ème rue, 99 river street, Phil Karlson, 1953 

    Pauline épouse frustrée travaille comme fleuriste 

    La quasi-totalité du film se déroule la nuit. Aux traditionnels coins de rue et aux embûches qu’on peut trouver sur les quais, il y  a les ombres mystérieuses du théâtre qui semble vide et à l’abandon. Le théâtre est par essence le lieu de la fausseté, un peu comme si Phil Karlson voulait nous dire qu’à l’inverse le cinéma est plus juste et moins truqué.

    Mais si les scènes de nuit sont remarquablement bien filmées, le plus réussi ce sont sans doute les scènes d’action. La bataille entre Mickey et Driscoll est homérique et quand Driscoll cogne les théâtreux qui s’amusent à ses dépens, on y croit tout à fait. Mais il y a aussi tout ce mouvement autour des taxis et de la recherche justement du taxi de Driscoll. Il y a toujours de beaux mouvements d’appareil, et le rythme ne ralentit jamais. Bien évidemment le fait que le scénario vise une fin heureuse plombe un peu le film. Mais toute la première partie qui voit s’accumuler sur la tête de ce pauvre Driscoll les ennuis les plus inattendus, ne faiblit pas et renforce cette idée de fatalité propre au film noir.

    Beaucoup de scènes sont excellentes et originales, comme ces moments où Rawlins et Pauline piège Driscoll. La longue tirade de Linda qui veut faire croire à Driscoll qu’elle a tué un homme qui voulait abuser d’elle.

    L’affaire de la 99ème rue, 99 river street, Phil Karlson, 1953 

    Au théâtre Driscoll manifeste sa mauvaise humeur 

    L’interprétation est intéressante à commencer par John Payne qui en général a plutôt un jeu morne et taciturne, et qui montre ici qu’il peut avoir des prestations plus nuancées. Il a beaucoup tourné de films de genre, western et films noirs, mais c’est sans doute dans le film noir qu’il a obtenu ses meilleurs rôles, notamment avec Phil Karlson qui l’avait déjà engagé dans Kansas City Confidential, où il jouait aussi une sorte de prolo qui tombe par hasard dans une histoire de hold-up très embrouillée.

    Linda est interprété par Evelyn Keyes qui elle aussi avait trové un excellent rôle dans le film noir avec l’excellent The prowler de Joseph Losey. Elle a quelques scènes qui montrent tout son abattage, lorsqu’elle fait croire à Driscoll qu’elle a tué un homme – même si elle en rajoute un peu, ou lorsqu’elle cherche à séduire Rawlins. La très belle Peggie Castle dont Phil Karlson adore filmer les belles jambes, est Pauline. Cantonnée à des petits emplois  dans des petits films et à la télévision, elle se maria 4 fois et mourut jeune, à 45ans. Le plus étonnant est sans doute Brad Dexter dans le rôle de Rawlins. A la fois brutal et rusé, calculateur il évitera de tomber dans le piège tendu par Linda.

     

    On remarque aussi quelques habitués des seconds rôles de films noirs, comme par exemple Jack Lambert dans le rôle de Mickey, ou Jay Adler dans celui du louche Christopher. Et bien sûr Frank Faylen dans le rôle du « copain » Stan, l’ami fidèle de Driscoll.

    L’affaire de la 99ème rue, 99 river street, Phil Karlson, 1953  

    Le sinistre Mickey veut mettre la main sur les diamants 

    L’ensemble tient bien la route, même si ce n’est pas un chef d’œuvre. Le plus plaisant est sans doute cette façon de filmer les petites gens, le milieu des chauffeurs de taxi, les employés et les habitués du bar où Driscoll se ressource ou encore l’ambiance laborieuse du port. 99 river street confirme qu’il faut bien considérer Phil Karlson comme un réalisateur majeur de films noirs.

     

    L’affaire de la 99ème rue, 99 river street, Phil Karlson, 1953

    Driscoll sait se servir de ses poings

     L’affaire de la 99ème rue, 99 river street, Phil Karlson, 1953 

    La fourbe Pauline tend un piège à son mari

     L’affaire de la 99ème rue, 99 river street, Phil Karlson, 1953 

    Pauline et Rawlins regarde Driscoll se jeter dans la gueule du loup

    L’affaire de la 99ème rue, 99 river street, Phil Karlson, 1953  

    Driscoll tente de retrouver Rawlins

     L’affaire de la 99ème rue, 99 river street, Phil Karlson, 1953 

    Linda tente de piéger Rawlins 

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  • Remerciements à Jacques le Piton et Michel Bergnes 

    A travers la saga du commissaire San-Antonio, Frédéric Dard réglait quelques comptes à des confrères qu’il ne supportait pas. Parmi ceux-ci il avait pris l’habitude de prendre comme têtes de Turc, des écrivains conservateurs, catholiques et académiciens. Ils sentaient en effet un peu la poussière et la morale à trois sous. Il y en  a trois qui revienne fréquemment : Paul Claudel, François Mauriac et Daniel-Rops. Frédéric Dard a donc contribué à ce travail de démolition contre un establishment littéraire guindé et poussiéreux. En dézinguant ces auteurs très populaires, ce n’est pas seulement à une critique de ce qu’ils sont que se livre Frédéric Dard, il revendique aussi une écriture populaire, plus directe et plus chaleureuse. C’est une manière de dénoncer la cuistrerie des intellectuels qui ont pignon sur rue. Sur le plan littéraire ils leur reproche surtout d’être ennuyeux à mourir, presqu’autant que Marguerite Duras et Alain Robbe-Grillet, autres têtes de Turc.

    A travers le traitement qu’il inflige à ces académiciens, on voit que Frédéric Dard se sert de sa culture d’une manière négative, puisque s’il dénigre ces auteurs, il les a tout de même lus. D’ailleurs à quelques exceptions près, Céline, Albert Cohen, Dard se sert négativement des citations qu’il fait de ses confrères.

    Cette mauvaise manie de s’en prendre à des écrivains catholiques, académiciens et bien-pensants, commence dès le premier opus, Réglez lui son compte¸ en 1949. Et elle ne s’arrêtera pas. Bien évidemment, pour que cela fonctionne, il faut que ces écrivains aient une certaine surface médiatique, qu’ils soient connus à défaut d’être lus. Dard manifeste ainsi sa mauvaise humeur contre une littérature embourgeoisée. Les plus jeunes lecteurs ne connaissent sans doute pas ces auteurs, et il est bon de leur rappeler pourquoi San-Antonio était un peu plus que taquin avec eux. 

    Les portraits photographiques de ces académiciens bigots qu’on publie à cette époque dans les journaux se passent de commentaires. Les piques qu’il envoie à ces écrivains sont tellement fréquentes qu’on finit par comprendre qu’ils symbolisent tout ce conservatisme bondieusart que Frédéric Dard déteste. Il faut dire que dans les années cinquante-soixante, Dard ne met pas en scène sa foi catholique, bien au contraire il n’en manque pas une pour critiquer l’Eglise, ses pompes et son hypocrisie, que ce soit par le biais de la cousine de Félicie Adèle, du cousin Hector ou justement en s’attaquant aux écrivains qu’on vient de citer. Même Félicie est gentiment moquée pour son attache à la pompe religieuse, mais elle est en quelque sorte pardonnée parce qu’elle est d’une autre époque. Le plus souvent dans ces années-là il se présente comme quelqu’un qui doute très fortement de l’existence de Dieu.  Et c’est bien sûr au nom de ce doute qu’il brocarde avec la régularité d’un métronome ces trois académiciens.

    Notez que ces trois écrivains considérables par leur place dans la sphère culturelle de la France entre 1930 et 1970, sont tous les trois des grands admirateurs et laudateurs du général De Gaulle dont Frédéric Dard se méfiait beaucoup après son retour en politique[1]. Il est vrai que cette obséquiosité chez Claudel est plus tardive et qu’elle succède à des propos plus que réactionnaires dans son Ode au Maréchal Pétain. C’est mai 68 et ses suites qui emporteront ces écrivains et les mettront peu à peu au rebus de la mémoire. Leur place a été autant importante que l’emprise de l’Eglise sur la vie sociale et culturelle de la France était puissante. Les critiquer, c’est d’une certaine manière revendiquer sa modernité, une nécessaire rupture par rapport à une France assoupie et ronronnante. En somme, dans la logique de Frédéric Dard, être académicien est une circonstance aggravante à l’état d’écrivain bigot et conservateur.

    Le trouble Paul Claudel

    Ces écrivains catholiques qui ulcéraient Frédéric Dard 

    C’est la tête de Turc préférée de San-Antonio. Je ne crois pas me tromper en disant que c’est l’auteur critiqué qui est le plus cité dans la saga du commissaire. Deux choses irritent Frédéric Dard chez Paul Claudel, Le soulier de satin et son théâtre en général, mais aussi le fait qu’il ait écrit un poème au Maréchal Pétain durant l’Occupation et ensuite une ode au général De Gaulle à la Libération. Comme il n’avait pas beaucoup de goût pour les uniformes, on imagine quel effet cela lui a fait de voir cet académicien changer son fusil d’épaule pour échapper aux règlements de comptes à la Libération. Et encore à l’époque où Dard moque Claudel, en long en large et en travers, on ne connaissait pas les détails sordides des difficultés et de l’internement de Camille Claudel. Si le naturalisme de Mauriac passe encore, les prétentions modernistes de Claudel dans le théâtre sont incidemment condamnées. 

    « Vous vous en doutez, moi, derrière mon piano, je n’en mène pas trop large ; c’est un programme qui ne me séduit pas énormément et j’aimerais encore mieux assister à une pièce de Paul Claudel qu’à la petite cérémonie dont mon marchand de mort aux rats vient de parler. » Réglez lui son compte (1949), réédition Fleuve Noir, 1981, p. 89. 

    « Les deux clowns se cassent leurs instruments sur la tête et le nez énorme de l’auguste vient de s’allumer.

    Il a en outre une touffe de tifs qui se dressent à la verticale. Béru s’étouffe. Il se libère. Il coule comme un brie en pleine Brie à midi un 14 Juillet. Il dit que c’est drôle ! Il le croit ! Il préfère ça à Claudel, et il n’a peut-être pas tort. » San-Antonio renvoie la balle, Fleuve Noir, p. 176.1960.

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    « — Mon premier est une perturbation atmosphérique. Je crois que c’est orage, qu’en penses-tu ?

     — Ça me paraît valable ; ensuite ?

     — Ensuite, ça se complique, lamente le Chétif. Paul Claudel a écrit mon deuxième au maréchal Pétain, puis au général de Gaulle.

     — Ode ! dis-je sans hésiter, car j’ai une culture tellement vaste que j’envisage de faire appel à la main-d’œuvre étrangère au moment de la récolte. » Béru contre San-Antonio, Fleuve Noir, 1967, p. 10. 

    « Agir promptement, mais ne pas s’emballer. Jamais confondre chaude-pisse et première communion, c’est pas le même cierge qui coule, comme aurait dit Paul Claudel dans son ode à Pompidou. » T’es beau tu sais, Fleuve Noir, 1972, p. 227 

    « J’examine ce pauvre monde d’une œillée captatrice, comme l’écrit Claudel dans son Ode au président Mitterrand, et n’ai aucune peine, mais par contre la joie, d’aviser Bruno Formide assis près de la fenêtre dans un fauteuil, occupé à lire la vie édifiante de saint Tignasse de l’Aloyau qui fonda l’ordre des Jésuites. » Du bois dont on fait les pipes, Fleuve Noir, 1982, p. 31. 

    « Lorsqu’on se retrouve, vers le milieu de cette ménagerie, nous sommes bredouilles : Pas plus de Fan Dé Chi Choun que d’expressions argotiques dans une ode de Paul Claudel au Maréchal Pétain. », Mesdames, vous aimez ça, Fleuve Noir, 1994, p. 73.

    Evidemment ces piques répondent à la veulerie de Paul Claudel qui après s’être réjoui de la chute de la république en 1940, se félicita de son retour ! Voici ci-dessous les textes incriminés[2]. Ce n’est pas un hasard si Dard dont les premiers San-Antonio sont aussi un hommage à la Résistance, s’en prend à ce monument de la littérature. 

    Paroles au Maréchal   (poème publié le 10 mai 1941 dans Le Figaro)
     
    Monsieur le Maréchal, voici cette France entre  vos  bras, lentement 
    qui n'a que vous et qui ressuscite à voix basse. 
    II y a cet immense corps, à qui le soutient si lourd et qui pèse de tout son   poids. 
    Toute la France d'aujourd'hui, et celle de demain avec elle, qui est la 
    même qu'autrefois! 
    Celle d'hier aussi qui sanglote et qui a honte et qui crie tout de même 
    elle a fait ce qu'elle a pu! 
    C'est vrai que j'ai été humiliée, dit-elle, c'est vrai que j'ai été vaincue. 
    II n'y a plus de rayons à ma tête, il n'y a plus que du sang dans de la boue. 
    II n'y a plus d'épée dans ma main, ni l'égide qui était pendue à mon cou. 
    Je suis étendue tout de mon long sur la route et il est loisible au plus lâche de m'insulter. 
    Mais tout de même il me reste ce corps qui est pur et cette âme qui ne s'est pas déshonorée! 
    ...................................................................................................... Monsieur le Maréchal, il y a un devoir pour les morts qui est de ressusciter. 
    Et certes nous ressusciterons tous au jour du jugement dernier. 
    Mais c'est maintenant et aujourd'hui même qu'on a besoin de nous et qu'il y a quelque chose a faire ! 
    France, écoute ce vieil homme sur toi qui se penche et qui te parle comme un père. 
    Fille de Saint-Louis, écoute-le ! Et dis, en as-tu assez maintenant de la politique ? 
    Cette proposition comme de l'huile et cette vérité comme de l'or...

     

    Au général de Gaulle   (poème publié le 23 décembre 1944 dans Le Figaro).

     
    Tout de même, dit la France, je suis sortie ! 

    Tout de même, vous autres! dit la France, vous voyez qu'on ne m'a pas eue et que j'en suis sortie! 

    Tout de même, ce que vous me dites depuis quatre ans, mon général, je ne suis pas sourde! 

    Vous voyez que je ne suis pas sourde et que j'ai compris! 
    Et tout de même, il y a quelqu’un, qui est moi-même, debout ! et que j’entends qui parle avec ma propre voix !

    VIVE LA FRANCE ! II y a pour crier : VIVE LA FRANCE ! quelqu’un qui n’est pas un autre que moi !

    Quelqu’un plein de sanglots, et plein de colère, et plein de larmes ! ces larmes que je ne finis pas de reboire
    depuis quatre ans, et les voici maintenant au soleil, ces larmes ! ces énormes larmes sanglantes!

    Quelqu’un plein de rugissements, et ce couteau dans la main, et ce glaive dans la main, mon général, que je me suis arraché du ventre ! Que les autres pensent de moi ce qu'ils veulent ! Ils disent qu'ils se sont battus, et c'est vrai !

    Et moi, depuis quatre ans, au fond de la terre toute seule, s'ils disent que je ne me suis pas battue, qu'est-ce que j'ai fait ?

    Ils ont eu le goût de la bataille dans la bouche tout le temps, et moi, quand on est vivant, est-ce qu'ils savent ce que c'est que d'avoir dans la bouche le goût de la mort ?

    Il y a tout de même une chose qu'ils ne savent pas et que je sais, c'est cette étroite compagnie que je tiens depuis quatre ans avec la mort !

    C'est ce cœur qui ne fléchit pas et cette main lentement dans la nuit qui cherche une arme quelconque !

    C'est cet ennemi étouffant dans la nuit fibre à fibre qu'il faut s'arracher du corps avec les ongles !

    Et tout à coup, me voici de nouveau dans la lumière debout et mes entrailles dans les mains ainsi qu'une femme qui enfante !

    C'est le matin ! et je vois le grand Arc de triomphe tout blanc qui resplendit dans la lumière innocente !

    Et maintenant ce que les autres pensent de moi, ça m'est égal !

    Et ce qu'ils veulent faire de moi, ça m'est égal ! et la place qu'ils disent qu'ils veulent bien m'accorder, ça m'est égal ! 

    Et vous, Monsieur le Général, qui êtes mon fils, et vous qui êtes mon sang, et vous, Monsieur le soldat ! et vous, Monsieur mon fils à la fin qui êtes arrivé !

    Regardez-moi dans les yeux, Monsieur mon fils, et dites-moi si vous me reconnaissez !

    Ah ! c'est vrai, qu'on a bien réussi à me tuer, il y a quatre ans ! et tout le soin possible, il est vrai qu'on a mis tout le soin possible à me piétiner sur le cœur !

    Mais le monde n'a jamais été fait pour se passer de la France, et la France n'a jamais été faite pour se passer d'honneur ! Regardez-moi dans les yeux, qui n'ai pas peur, et cherchez bien, et dites si j'ai peur de vos yeux de fils et de soldat !

    Et dites si ça ne nous suffit pas, tous les deux, ce que vous cherchez dans mes yeux et ce que bientôt je vais trouver dans vos bras !

    Le jour à la fin est venu ! ce jour depuis le commencement du monde qu'il fallait, à la fin il est arrivé !

    Délivre-moi de cette chose à la fin, ô mon fils, que Dieu t'envoie pour me demander !

    — Et que dois-je donc te demander ? dit le Général.

    — La foi !

    Les autres ça m'est égal ! mais dis que ça ne finira pas, cette connaissance à la fin qui s'est établie entre nous !

    Le reste ça m'est égal ! Mais toi, donne-moi cette chose qui n'est pas autre chose que tout !

    Ils ont cru se moquer de moi en disant que je suis femme !

    Le genre de femme que je suis, ils verront, et ce que c'est dans un corps que d'avoir une âme !

    Ils m'ont assez demandé mon corps, et toi, demande-moi mon âme !

    Et le Général répond : Femme, tais-toi ! et ne me demande pas autre chose à mon tour que ce que je suis capable de t'apporter.
    — Que m'apportes-tu donc ô mon fils ?

    Et le Général, levant le bras, répond :

    — La Volonté !

     Comme on dit, « y‘en a qui ne chient pas la honte ! » 

    Daniel-Rops

    Ces écrivains catholiques qui ulcéraient Frédéric Dard  

    Daniel-Rops dont le véritable patronyme était Henri Petiot – apparemment il n’avait pas de lien de parenté avec ce Petiot dont on se souvient pour avoir occis une quantité invraisemblable de ses contemporains – est aujourd’hui un auteur complètement oublié. C’est le plus catholique militant des trois. Il a passé son temps à réécrire et à expliquer la Bible, à refaire l’histoire de l’Eglise. On peut dire qu’il ne survit dans les mémoires que parce qu’il est cité dans les ouvrages signés San-Antonio. Mais si Frédéric Dard continuera à s’en prendre à Mauriac et Claudel presque jusqu’à la fin de sa vie littéraire, dès la fin des années soixante, Daniel-Rops a disparu de son horizon littéraire. Il faut dire qu’après sa mort, en 1965, ses tirages déclinent, et les temps ayant changé, la pratique de la religion catholique s’étiolant, il est rapidement sorti de la mémoire collective, au point que Frédéric Dard va renoncer à s’en prendre à lui. Pourtant c’était un écrivain dont les tirages étaient véritablement astronomiques. Mort où est ta victoire fut sans doute son plus gros succès, et d’ailleurs San-Antonio le cite plusieurs fois. 

    « Je le défrime. C’est un grand gnace maigre comme un fakir, avec une figure de lavement mal digéré et des paupières bombées comme celles d’une grenouille ou de M. Daniel-Rops (de l’Académie Française par Jésus interposé). » Des gueules d’enterrement, Fleuve Noir, 1956, p. 43 

    « En sortant de piste sous les vivats, le Gros a retrouvé tout son « pep ». Il faut dire que son exploit de la soirée restera dans les annales. N'a-t-il pas réussi à avaler les œuvres complètes de Daniel-Rops traduites en italien ? Je veux bien qu'elles avaient été imprimées sur papier-bible, mais quand même ! » En peignant la girafe, Fleuve Noir, 1963, p. 66 

    Dans le passage suivant il se paye d’un seul coup d’un seul, deux académiciens en même temps. 

     

    « Si vous continuez à faire vos bouches en distributeurs d’œufs du jour, moi je vous fous un prochain bouquin dans le style Mauriac ; retenez bien ce que je vous dis ; c’est pas une menace en l’air ! Parce que, entre nous et la collection de la « Pléiade », la différence qu’il y a entre M. Daniel Rollmops et moi (la beauté mise à part) c’est qu’il sera jamais capable d’écrire un « San-Antonio ». » En peignant la girafe, Fleuve Noir, 1963, p. 195.

    François Mauriac 

    Ces écrivains catholiques qui ulcéraient Frédéric Dard 

    Pour Mauriac et Claudel, c’est un peu plus compliqué que pour Daniel-Rops. Ils ont acquis malgré tout un certain respect auprès de l’intelligentsia. Mauriac a été le compagnon de route du général De Gaulle, et il a obtenu le prix Nobel de littérature. Frédéric Dard le traite un peu moins mal que Daniel-Rops, mais il n’en souligne pas moins le côté ennuyeux et rigide du bonhomme englué dans une morale désuète. Sans doute aussi a-t-il apprécié la noirceur de ses drames plutôt que les tourments de la foi. Mais Mauriac écrit dans Le Figaro, ce qui est pour Frédéric Dard, le comble de l’ennui et de la bien-pensance. Dans la manière de s’en prendre à Mauriac, Dard rejoint Le canard enchaîné qui lui reproche de se ranger systématiquement du côté du pouvoir et d’en justifier par avance toutes les turpitudes, et elles sont nombreuses dans le gaullisme réformé d’après 1958. Le canard enchainé comparait Mauriac à une mante religieuse, à cause de sa maigreur et de sa manière de croiser les mains comme pour prier en permanence. 

    « Elle est longue, mince, blonde, avec des nichemards bien accrochés ; des yeux noisette, striés de vert ; une bouche tellement sensuelle que vous vendriez le dernier roman de François Mauriac pour vous en rendre acquéreur ; et des pommettes un peu saillantes… » J’ai bien l’honneur de vous buter, Fleuve Noir, 1955, p 26-27.  

    « Oui, j’aurais la nostalgie de ces bons contemporains. Le temps me durerait de leurs sublimes créations parmi lesquelles on compte : le Festival de Cannes ; la canne à pêche ; les romans de François Mauriac ; et le coup du père rançois ! » Les anges se font plumer, Fleuve Noir, 1957, p.148 

    « Les hommes ont toujours tendance à donner aux milieux qu’ils traversent la couleur de leurs pensées. (Oh ! ce que je l’ai réussie, celle-là ! Du Mauriac de la bonne année. Mauriac ! l’académicien qui fait penser… à quelqu’un de triste.) »Du mouron à se faire, Fleuve Noir, 1955, p. 149. 

    « J’ai dû vous la faire déjà, en ce cas mettez-la précieusement de côté et quand vous en aurez douze, adressez-les à François Mauriac qui vous enverra par retour un superbe porte-clés représentant le général Dis-heures-dix en train d’embrasser Monnerville. » Béru et ces Dames, Fleuve Noir, 1967, p. 312  

    Ces écrivains catholiques qui ulcéraient Frédéric Dard

    Curieusement, la reconnaissance littéraire tardive de Frédéric Dard le poussera vers des bondieuseries d’un autre âge qui font apparaître le Frédéric Dard des années cinquante-soixante comme finalement plus contestataire que celui des années quatre-vingt. Après s’être rallié à François Mitterrand, en 1984 il va converser avec Monseigneur Mamie, qui pourtant représente ce qu’il y a de plus intégriste chez les catholiques et en faire un ouvrage, pas drôle du tout. Digne de Daniel-Rops justement ! Mais parallèlement il n’en continua pas moins ses leçons de dévergondage dans la saga du commissaire jusqu’à la fin de sa vie en étalant une sexualité de plus en plus scabreuse. Il est vrai que dans les années quatre-vingts, l’emprise de l’Eglise sur la vie civile en France à complètement disparue. Il ira jusqu'à obtenir une audience privée avec Jean-Paul II

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    [1] Bien entendu Frédéric Dard n’a jamais remis en question le rôle du général De Gaulle dans la Résistance. Mais comme il était proche de Marcel Grancher, il avait adopté les idées de celui-ci sur le fait que la Résistance ce n’était pas que le général De Gaulle et les communistes.

    [2] Il n’y a que ce bourricot de Philippe Sollers pour trouver des excuses à Claudel, mais il en a trouvé aussi à l’immonde Céline. http://www.pileface.com/sollers/spip.php?article794

     
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