•  J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Robin Davis aime le roman noir et le film noir. Il a donc adapté, I Married a Dead Man en 1983, certainement en connaissant le film de Mitchell Leisen avec Barbara Stanwyck. C’est donc un remake, et comme on va le voir la trame est à peu près la même. Mais évidemment quand on veut faire un remake, il faut se demander pourquoi, et en quoi cela peut être intéressant. Il est très rare que les remakes soient aussi intéressants que leur modèle. La première justification peut être de vouloir en faire un film français, mais ce dépaysement pose toujours pas mal de problèmes, puisqu’en même temps on doit aussi respecter l’œuvre initiale. Les changements de lieux initient très souvent une transformation des personnages. À cette époque Robin Davis avait une très bonne cote. Il avait fait en 1979 La guerre des polices qui avait été un très gros succès et puis Le choc en 1982 avec Alain Delon et Catherine Deneuve, d’après un roman de Jean-Patrick Manchette. Contrairement à ce que certains malveillants ont dit, Le choc ne fut pas un échec au box-office, certes la critique avait été mauvaise, mais le public a suivi, même si ce ne fut pas un triomphe pour Alain Delon qui produisait le film. Par contre suite à J’ai épousé une ombre, il tentera une adaptation d’un superbe roman de Charles Williams, Hit Girl. Il avait essayé de faire un film simple, sans vedette. Ce film où les acteurs principaux étaient Florent Pagny et Nathalie Cardone, deux chanteurs de variétés, fut un vrai four. Sorti nulle part, il en a existé une copie qu’en VHS, et je ne l’ai découvert que récemment ! Cet échec commercial sonnera malheureusement le glas de la carrière cinématographique prometteuse de Robin Davis qui se rabattra sur la télévision pour continuer à faire son métier. Il avait été longtemps l’assistant de Georges Lautner qui selon moi n’a jamais eu grand-chose à dire sur le plan de la réalisation, et c’est sans doute là qu’il avait pris cette manière de viser un cinéma populaire dont le « noir » était le véhicule idéal. Ce segment, florissant sans les années soixante-dix et quatre-vingts, sera bientôt abandonné plus par les producteurs eux-mêmes, influencés par une critique « nouvelle vague »[1], que par le public d’ailleurs. Et c’est pour partie une des explications de la dégringolade du cinéma français aussi bien sur le plan commercial – les films français ont de grosses difficultés sur le marché international, alors que jusque dans les années quatre-vingts, le cinéma français était le deuxième à l’exportation – que sur le plan esthétique – on n’arrête pas de se lamenté sur la médiocrité du cinéma français, assis entre deux chaises – la volonté de faire des comédies stupides pour remplir les caisses et celle de faire un cinéma emmerdant, censé s’adresser à un public semi-instruit. Les films de Bob Swaim, La nuit de Saint-Germain des Prés, La balance, ou d’Alain Corneau, Police Python, La menace ou encore Le Choix des armes, marchaient très bien et se diffusaient facilement à l’étranger. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Frank va se séparer d’Hélène qui est enceinte de huit mois 

    Dans les régions de l’est de la France, Frank est un ouvrier sans travail à la recherche d’un emploi, dans la difficulté, il décide de se débarrasser d’Hélène, sa fiancée, qui est enceinte de huit mois. Désespérée elle prend un train pour Bordeaux. Pendant le voyage elle se lie d’amitié avec un jeune couple, Patricia et Bertrand Meynard. La femme est aussi enceinte de huit mois. Mais le train à un accident, et quand Hélène se réveille, elle est à l’hôpital où elle a accouché par césarienne d’un petit garçon. Comme les Meynard sont décédés tous les deux, elle va prendre sans le vouloir la place de Patricia. Les parents de Bertrand qui n’ont jamais connu Patricia, viennent la voir et l’adoptent comme leur belle-fille, ils s’en sentent responsables ainsi que du bébé. Les Maynard sont de riches vignerons du bordelais, ils aont également un autre fils, Pierre, qui travaillent avec eux, et bien qu’il ait une liaison avec une ouvrière embouteilleuse, il commence à s’intéresser à Patricia. Elle l’intrigue aussi parce qu’elle fait beaucoup de fautes et qu’elle paraît un petit peu louche. Quand Pierre lui offre un stylo, elle signe malencontreusement Hélène en l’essayant ! 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Dans le train Hélène se lie avec les Meynard 

    Les choses vont se compliquer parce que Fifo qui comprend que Pierre est attiré par Patricia, est jalouse. Lorsque Patricia commence à recevoir des billets anonymes, lui demandant qui elle est, elle pense que c’est Fifo qui les lui envoie, mais celle-ci se disculpe facilement. Près une période de chamailleries, Pierre et Patricia entame une liaison. Ce bonheur est toutefois troublé parce que Madame Meynard veut la coucher sur son testament, ce qu’elle refuse. Mais bientôt, c’est Frank qui réapparait. Il explique à Hélène comme il l’a retrouvée. Il exige d’elle de l’argent. Hélène refuse, mais Frank continue à exercer son chantage sur la mère Meynard, lui révélant l’usurpation d’identité. Quant Hélène apprend cela, elle donne rendez vous à Frank et le tue d’un coup de poignard. Pierre va l’aider à dissimuler le corps. La mère Maynard, sur son lit de mort, dicte une lettre à son notaire pour prendre le meurtre de Frank à sa charge, et dédouaner Hélène. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Les secours arrivent pour tenter de sauver les passagers 

    Si donc la trame est la même, le film de Robin Davis va faire plusieurs déplacements très importants. D’abord Frank, contrairement au Stephen de No Man for Her Own, n’est pas un voyou d’habitude. Certes c’est un salaud, mais il a comme excuse qu’il est dans une situation difficile, un ouvrier sans emploi. Sa malignité s’explique par sa situation matérielle. Et après tout, on peut comprendre qu’il est jaloux de la jeune femme qu’il a répudiée méchamment. Contrairement à Stephen, il est plutôt dans une situation d’échecs à répétition, et il semble chercher les ennuis. Il les trouvera. Il trimbale avec lui une haine de soi, parce qu’il fait tout pour être rejeter par à peu près tout le monde. Stephen sera en fait tué par une autre de ses maîtresses qu’il a abandonnée. Ici c’est Hélène qui le tuera. Ce qui change en même temps le caractère de l’héroïne puisqu’elle ira jusqu’au meurtre. L’autre changement important, c’est l’introduction d’une autre maîtresse de Pierre cette fois. Dans le film de Mitchell Leisen, William, l’amoureux d’Helen, n’a pas de relation autre qu’avec elle. Avec le personnage de Fifo, le trio traditionnel reconstitué, déplace le problème vers la question de la jalousie, Hélène elle-même va être jalouse de Fifo, et toutes les deux se disputent les faveurs de Pierre. Cette lutte entre femmes édulcore un peu le propos à mon sens. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Hélène tente de s’enfuir de la clinique 

    Il y a un déplacement aussi du statut des beaux-parents. Certes, ils sont assez riches, mais ce sont des vignerons, ils n’ont pas un statut équivalent aux Harkness qui sont richissimes et sophistiqués, ce ne sont pas des paysans. en dressant le portrait des Meynard c’est l’idée d’une opposition frontale entre les riches et les pauvres qui va disparaître. On verra ainsi Pierre Meynard, non seulement prendre une simple ouvrière comme maîtresse, mais aussi se mêler aux gitans qui participent à une fête de vendangeurs. Si Frank apparaît moins mauvais, relativement, que Stephen, Pierre est beaucoup moins déterminé que William dans la volonté de sauver Hélène. Il l’aide en effet à se débarrasser du corps, mais ce n’est pas lui qui jetterait un cadavre sur la voie de chemin de fer ! Ce parti prix amène Robin Davis à ne faire intervenir le maître-chanteur que dans le dernier tiers du film, alors que dans le film de Mitchell Leisen, Stephen arrive au beau milieu du récit. Ce qui prive Robin Davis d’éléments de suspense importants. Du coup il a éliminé ce passage où le maître-chanteur oblige Helen a se marié avec lui. Sans doute a-t-il pensé que cette hypothèse était trop irréaliste, ce qui est vrai, mais du coup ça diminue la tension, et le contraint à régler son compte bien trop rapidement à Frank. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Hélène est accueillie à la propriété des Meynard 

    Un scénario, ce sont toujours des choix difficiles. En gonflant un peu la romance entre Pierre et Hélène, il donne moins d’importance à la maladie de cœur de la vieille madame Meynard. Cela distant, à mon sens, les liens affectifs entre Hélène et sa belle-mère. On trouvera encore quelques, incongruités, par exemple Pierre et Hélène qui vont vendre le vin de la propriété sur les marchés au milieu des vaches ! Il est très douteux que de riches vignerons bordelais aient procédé un jour ainsi. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Pierre choisit un stylo pour Patricia 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Fifo est jalouse de Patricia  

    Il y a tout de même de l’inventivité dans la mise en scène. D’abord le choix des lieux. Contrairement au film de Mitchell Leisen, il ne semble pas qu’il y ait des scènes tournées en studio, sauf peut-être la chambre à l’hôpital. Robin Davis plante particulièrement bien les décors, d’abord la région industrielle de l’Est de la France, avec ses usines, ses nuisances et sa désespérance, puis le bordelais, apparemment plus calme et reposant, magnifiant ainsi l’opposition entre les villes et les campagnes. La plus grande partie du film a été tournée au Château Pontet-Canet, grand cru classé depuis 1855, aujourd’hui 5ème cru classé, dont les bouteilles se vendent aujourd’hui très cher. La photo de Bernard Zitzerman aide beaucoup, surtout quand Robin Davis filme le travail des ouvriers ou celui des vignerons. Pour le reste la réalisation est soignée, et il utilise très bien les larges plans qui saisissent dans un même mouvement des ensembles de personnes, comme la famille par exemple. Le film est assez long, il dure quinze minutes de plus que celui de Leisen, ce qui veut dire, étant donné que l’histoire n'est pas plus dense, que le rythme sera plus lent. Robin Davis a abandonné l’idée d’un flash-back, sans devait-il se dire que cela ferait un peu vieillot, mais ce faisant, il se prive de personnaliser le récit à partir d’Hélène et de ses ressentiments. Des scènes comme la balade sur l’eau de Pierre et Hélène me semblent aussi un peu longuettes. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Patricia entame une liaison avec Pierre 

    L’interprétation est plus problématique, même si Robin Davis n’est pas un mauvais directeur d’acteurs. Certes ce sont des acteurs français qui étaient en train de se faire un nom, mais Nathalie Baye, ce n’est pas Barbara Stanwyck. Dans le rôle d’Hélène, rôle qui a fait beaucoup pour le développement de sa carrière, je la trouve un peu sautillant, elle surjoue beaucoup. Francis Huster dans le rôle de Pierre est toujours aussi pâlichon et peu crédible qu’à l’ordinaire. Richard Bohringer joue le salopard de service, Frank. Curieusement il n’a pas beaucoup de temps de pellicule, et surtout, il ne s’applique pas beaucoup, comptant manifestement sur sa présence à l’écran et sur son charisme. Madeleine Robinson qui fut une très grande actrice, est ici la vieille madame Meynard. Robin Davis a dû l’apprécier parce qu’il la retrouvera sur son film Hors-la-loi. Elle a toujours une forte présence, et elle avait une longue habitude du film noir. Victoria Abril est aussi très excellente dans le rôle de la prolétaire hargneuse et vindicative, elle a beaucoup d’abattage, elle avait alors seulement 21 ans, mais déjà beaucoup de charisme avant d’aller se perdre chez Almodovar. Véronique Genest dans le rôle de la vraie Patricia Meynard est aussi très bien, malheureusement elle disparait rapidement, accident de train oblige. Mais malgré ces remarques la distribution reste tout de même assez homogène. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Frank révèle à Madame Meynard que Patricia a usurpé l’identité 

    Le film a plu, non seulement à la critique, mais aussi au public. C’est je crois le plus gros succès de Robin Davis. L’ensemble est agréable à regarder et n’a pas trop vieilli en tous les cas il n’y a rien de déshonorant, comme dans Mrs Winterbourne, autre remake de No Man for  Her Own. Il existe depuis quelques 2022 une bonne version en Blu ray, mais auparavant il avait souvent été réédité en DVD. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Hélène tue Frank 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983 

    Sur son lit de mort la mère Meynard disculpe Hélène du meurtre de Frank

      



    [1] Cette critique laissait entendre que le cinéma de genre était synonyme de cinéma commercial et non de cinéma d’auteur. On est revenu de cette sorte de débilité aujourd’hui, mais cette tendance a durablement bouleversé le cinéma français.

     

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  •  Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950 

    Le prolifique Cornell Woolrich, alias William Irish, a été un grand fournisseur d’histoires pour le cinéma. Pour le meilleur et pour le pire entre 1929 et 2001, il ne compte pas moins de trente-cinq adaptations de ses œuvres au cinéma, d’Hitchcock à Robert Siodmak, en passant par le malheureux François Truffaut qui l’adaptera deux fois, Tarantino en dira pis que pendre[1], et il y a une soixantaine d’adaptation à la télévision. Cette carrière par son étendue montre qu’il a été un des piliers du film noir, classique ou non. Et d’ailleurs dans mes chroniques nous l’avons souvent rencontré. Ce qui est très caractéristique de son œuvre et de son style, c’est cette capacité à jouer de la subjectivité de ses héros. Très souvent écrit à la première personne du singulier, il donne une image instable de la réalité où le rêve et le cauchemar viennent s’immiscer pour apporter une forme d’absurdité à leur détermination. Ce sont des personnes simples, très souvent porteuses d’un handicap et qui ne surnage qu’à partir d’un instinct de survie chevillé au corps. Cette incertitude existentielle a fait qu’on a souvent rapproché William Irish de David Goodis. Et en effet leurs personnages sont des figures à l’abandon, des réprouvés, des malchanceux. I Married a Dead Man, a été porté cinq fois à l’écran dont une en Inde et une autre encore au Japon, et une fois à la télévision américaine, sans compter une série brésilienne. Mitchell Leisen n’est pas très connu, il a fait un peu de tout, des comédies, du noir par exemple Four Hours to Kill ou Bedevilled, produisant lui-même ses films, il en avait la maîtrise. Très bon technicien, il était aussi un excellent directeur d’acteurs. Il aimait bien les films où les femmes avaient la vedette, il tourna plusieurs fois avec Barbara Stanwyck, Claudette Colbert ou Paulette Godard. Sa carrière en tant que réalisateur de films de cinéma, s’arrêta assez tôt il bifurqua ensuite vers la télévision. 

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950   

    Helen Ferguson, enceinte de huit mois, de fait méchamment larguer par son petit ami Stephen Morley, une petite crapule. Il lui donne tout de même un peu d’argent et un billet pour San Francisco. Dans un train bondé, elle fait la connaissance d’un couple, fraichement marié, dont la femme est aussi enceinte de 8 mois. Les deux femmes sympathisent, la jeune Patricia lui montre sa bague de mariage avec Hugh Harkness, et la lui fait essayer. Mais le train a un accident, de nombreux morts, dont le couple Harkness. Helen se réveille à l’hôpital où elle a accouché par césarienne d’un petit garçon. Elle a cependant été inscrite sous le nom de Patricia Harkness. Son premier élan est de refuser la substitution d’identité. Mais étant seule est désargenté, les Harkness se montrant très accueillants, mais aussi très riches, elle accepte cette opportunité, notamment parce qu’elle espère ainsi pouvoir élever son fils dans de bonnes conditions. Hugh Harkness avait un frère aîné, William, qui va tomber amoureux de la fausse Patricia. Mal à l’aise dans ce rôle usurpé, Helen multiplie les gaffes que la famille Harkness met sur le compte des séquelles du choc qu’elle a subi. La famille l’a adoptée, et la mère de William aimerait bien qu’il se marie avec une fille comme Patricia.  

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950 

    Helen Ferguson est chassée par le père de son enfant  

    Après les fêtes de fin d’années que la famille a fêtées avec beaucoup de chaleur, et alors que Patricia est de défaire les guirlandes du sapin de Noël, elle reçoit un télégramme qui lui demande qui êtes-vous ? Sous le choc elle manque de s’évanouir. Un peut plus tard, elle reçoit un autre télégramme, mais cette fois c’est William qui l’invite à sortir pour aller danser. Elle est contente, elle rencontre les amis de William, mais tout soudain surgit Stephen Morley. Il lui explique comment il a découvert son subterfuge. Il se propose de la faire chanter. Dans un premier temps il lui demande 500 dollars, étonnée qu’il lui demande si peu, elle signe un chèque. Mais cette crapule lui explique que ce chèque est seulement une preuve. Il veut qu’elle l’épouse, parce qu’il se dit que comme ça il pourra mettre la main sur une partie de la fortune des Harkness. Dans un premier temps elle refuse, mais il revient à la charge et elle finit par l’épouser, en pensant que le mariage ne dure que jusqu’à ce qu’un des deux conjoints décède. Ce qui revient à dire qu’elle envisage de la tuer. La vieille madame Harkness ayant surpris des bribes de conversation, elle en appelle à William qui tente de retrouver Patricia. Sur la route enneigée il la croise d’ailleurs avec Stephen au volant. Il tente de les suivre, mais il a pris du retard. Entre temps Helen, alias Patricia, a obtenu de Stephen qu’il lui donne son adresse, en revenant dans la maison des Harkness, elle prend un revolver et se décide d’aller abattre le maître chanteur. Cependant, lorsqu’elle arrive chez lui, elle le trouve déjà mort. Elle tire un coup de feu. Sur ces entrefaites, William arrive, croyant qu’elle l’a abattu. Ils vont donc essayer de se débarrasser du cadavre en le jetant sur la voie ferrée. Mais le cadavre va rester accroché à une rambarde. En rentrant à la maison, après que Helen ait avoué la vérité à William, ils trouvent la vieille Harkness décédée. La gouvernante de la maison remet à Helen une lettre que la mère de William a rédigée et dans laquelle elle dit que c’est elle qui a abattu Stephen. La police arrive, Helen veut tout avouer, mais les policiers ont déjà un coupable et la balle tirée dans le maître chanteur ne correspond pas au calibre du revolver dont s’est servi Helen. En fait c’est la petite amie de Stephen qui l’a tué, parce qu’il voulait la quitter alors qu’elle était enceinte. Dès lors plus rien ne fait obstacle au mariage entre William et Helen. 

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950 

    Dans le train Helen fait la connaissance de Patricia et Hugh Harkness 

    Des thèmes importants du film noir classique sont présents, à commencer par l’usurpation d’identité et donc le thème du double. Helen est une fille abandonnée à elle-même, délaissée par un saligaud, n’ayant plus de repaire, plus de famille, elle va recréer des liens. Elle repart donc à zéro, avec son enfant, elle renait. Tout se passerait bien, si le passé ne la rattrapait pas. Et le passé c’est sa mauvaise part à elle. La faute qu’elle a commise, c’est d’avoir succombé aux charmes de Stephen. Il faut donc qu’elle se rachète. Sa position est ambiguë parce que même si elle manifeste des scrupules, elle saute sur l’occasion pour commettre un délit. On sent bien quand elle arrive dans la propriété des Harkness qu’elle envie cette richesse, même si elle nous dit qu’elle fait ça pour son enfant. Elle choisit d’être double, à la fois Helen et Patricia. Pour parfaire Patricia, la rendre plus crédible, elle s’efforcera d’apprendre qui était Hugh, à travers les souvenirs que sa mère avait conservés. Elle au moins deux raisons de duper les Harkness, d’une part l’attrait du gain, et d’autre part s’inventer une famille. Elle va développer une double personnalité, d’un côté la jeune femme fragile et abandonnée qui cherche du soutien, et de l’autre cette femme dure qui envisage purement et simplement d’ajouter le meurtre comme délit à l’usurpation d’identité. Certes elle a de très bonnes raisons de tuer, et Stephen ne vaut rien, mais c’est un véritable meurtre qu’elle planifie. Elle a profité de la compassion des Harkness, d’abord Hugh et Patricia, puis la mère et le père Harkness qui lui ouvriront un compte en banque pour qu’elle puisse donner de l’argent à celui qui est manifestement son barbiquet.  La curiosité est que la fille qui la remplace dans le lit de Stephen aura exactement la même idée qu’elle puisqu’elle le tuera. Il y a donc quelque chose de profondément immoral dans cette histoire, autrement dit des femmes se font justice elles-mêmes, soulignant que quelque part la justice ordinaire est bel et bien défaillante.  

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950 

    Le train a un accident  

    Mais la naïveté des Harkness est compensée par le fait qu’ils sont riches et qu’il est normal que les pauvres – donc Helen – tentent de prendre un peu de cette richesse. Il suffit de voir le passage d’Helen du petit appartement de Stephen à la luxueuse demeure des Harkness pour le comprendre. Ce sera encore plus clair quand Helen posera la question au docteur qui la soigne : si elle n'avait pas été considérée comme la belle fille des Harkness, elle aurait été reléguée dans le dortoir commun avec les pauvresses. Ce petit dialogue justifie clairement le fait qu’Helen s’empare d’une identité qui n’est pas la sienne. En s’emparant d’une identité qui n’est pas la sienne, elle renie le monde d’où elle vient qui n’a pas été tendre avec elle. Comme souvent ce sont les objets liés à la modernité qui vont lui permettre de passer d’un monde à un autre. Le train qui va d’Est en Ouest, de New York à San Francisco, est le premier moyen. Mais en ayant un accident, il provoque le hasard. C’est donc un instrument à double tranchant, et c’est la même chose avec le télégramme ou le téléphone. S’ils ouvrent des perspectives, ils annoncent aussi un danger bien réel qui se traduit par la désorganisation de la maison Harkness qui est menacée d’engloutissement à partir du moment où un élément étranger à ses mœurs, Helen, s’introduit chez elle.  

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950 

    Helen se réveille dans une clinique où elle est enregistrée sous le nom de Patricia Harkness  

    Le plus étrange dans ce film, mais c’est conforme à l’esprit de l’œuvre de William Irish, c’est que l’intrusion de la pauvre Helen dans cette famille de riche, très abritée dans son quartier de belles demeures, c’est qu’elle transforme une partie de la famille en criminels ou du moins en individus capables de commettre des meurtres. La vieille madame Harkness ment, prétendant avoir tué Stephen Morley. William ment aussi et jette un cadavre par-dessus la rambarde de la voie de chemin de fer. Leur motivation première est évidemment de protéger Helen. En réalité on peut se demander s’ils ne veulent pas au contraire faire l’expérience de la marginalité, histoire de sortir du cadre de leur petite vie trop bien réglée. Helen elle-même envisage froidement de tuer Stephen, il faut la voir sourire quand elle entend le juge qui va les marier lui dire « jusqu’à ce que la mort nous sépare ». Son plan est déjà formé. Et au délit d’usurpation d’identité, elle veut ajouter le meurtre ! Cette perspective annonce deux choses, d’abord que n’importe qui peut être animé de pulsions meurtrières quel que soit le polissage de sa personnalité par l’éducation et la loi. Ensuite que passer au meurtre est une simple question de circonstance !  

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950 

    Elle rejoint la maison des Harkness avec son fils  

    Il y a en filigrane la mise en perspective de « la vie paisible » face à la réalité de la vie. Chaque fois qu’Helen se trouve face à un bonheur factice, l’arbre de Noël, faire du shopping, sortir dans un dancing pour s’amuser, la contrepartie est immédiate, le malheur rode. C’est encore la même chose quand elle rencontre dans le train un jeune couple qui pourrait devenir ses amis, l’accident met un terme à ces spéculations. Bien entendu elle hésite, elle ne veut pas perdre ce qu’elle a durement gagné. Une famille, le sapin de Noël. Mais ses agissements pour garder « son bonheur » aggrave la situation et crée de nouveaux problèmes. Il y a un côté paranoïaque dans cette fuite en avant qui correspond bien à l’ambiguïté des romans d’Irish. Même le happy end parait assez faux, parce qu’on pressent que William saura se souvenir des ennuis qu’Helen lui a apporté – notamment la mort de sa mère – mais aussi de ses mensonges. D’ailleurs le début du film le laisse entendre, quand Helen à l’aide la voix off médite sur l’absence de solution à ses tourments. 

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950 

    Le frère d’Hugh s’intéresse à elle  

    Le récit est composé d’un long flash-back qui vient justement après les lamentations d’Helen. L’exposé de la situation se fait à, travers la description d’un univers bourgeois et tranquille, signalant que derrière cela il y a des drames qui se jouent. Cet exposé signale qu’on attend la police, et laisse le doute sur qui pourrait bien être arrêter par la police. D’emblée, c’est le point de vue d’Helen que nous suivons. Tout est organisé autour de la vision qu’elle a de son histoire. Certes elle amorce une confession disant que tout cela est de sa faute, mais la structure du récit remet en question cette idée. Le suspense repose non pas sur qui est le coupable, on le sait rapidement, mais sur comment Helen va pouvoir s’en sortir. La réalisation va donc s’efforcer de mettre l’accent sur l’ambigüité des caractères. Il y a beaucoup de sous-entendus, des gens qui s’espionnent dans les couloirs. Mitchell Leisen est aussi un bon technicien. Il est secondé par le photographe Daniel Fapp qui, s’il n’a pas fait beaucoup de films noirs en tout de même fait l’excellent Union Station qui Melville tenait en haute estime[2], ou encore The Trap[3]. C’est lui qui a photographié West Side Story, le vrai celui de Robert Wise. On reconnait une certaine parenté avec la stylisation de The Big Clock, avec cette capacité de Daniel Fapp à styliser par des contrastes élevés les décors qui deviennent des protagonistes de l’histoire. Ainsi la lumière n’est pas la même quand on évolue à l’intérieur de la maison des Harkness, et quand William et Helen partent à la recherche de Stephen dans les quartiers périphériques.  

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950 

    Elle reçoit un télégramme de Stephen  

    La réalisation est de haut niveau. Leisen utilise très bien, la verticalité des décors, notamment les escaliers qu’Helen gravit pour aller tuer Stephen, mais aussi les plans larges qui épuisent les hauteurs de plafond et permettent de situer tous les membres de la famille les uns après les autres. L’accident du train est filmé sobrement, on verra surtout Patricia et Helen qui sont renversées à l’intérieur du wagon, puis on passera directement à la prise en charge des survivants qu’on amène à l’hôpital. Deux scènes sont à retenir, d’abord cette vieille femme qui s’est enfermée dans les toilettes et qui contemple sa décrépitude avancée longuement dans le miroir au-dessus du lavabo. Et puis ce long travelling quand William accompagne Helen faire du shopping. C’est du studio le principal du temps, et les scènes de poursuite en voiture ne sont pas très remarquables. 

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950

    William l’a invitée à danser  

    Mais Leisen est aussi un très bon directeur d’acteurs. Et une grande partie de la réussite de ce film repose sur leurs performances. D’abord, c’est Barbara Stanwyck qui interprète Helen. C’était sa deuxième apparition dans un film de Leisen, on l’avait vue, dix ans auparavant, aux côtés de Fred McMurray dans Remember the Night, une comédie écrite par Preston Sturges qui eut beaucoup de succès.  Dans No Man for her Own, elle a déjà 43 ans, et une très longue carrière derrière elle, balisée de chefs-d’œuvre. Elle est complètement rajeunie, elle a changé de coiffure, et reste très crédible dans le rôle d’une jeune fille. C’est étonnant parce qu’à cette époque elle jouait surtout des femmes très dures et pas des oisillons tombés du nid. On retrouvera d’ailleurs cette dureté ponctuellement, notamment quand elle affronte le sombre Stephen lors de la scène du mariage. Sa performance est parmi les meilleures qu’elle a réalisées au long de sa carrière. A ses côtés nous avons John Lund dans le rôle de William, si au début du film il parait fade, justement au fur et à mesure qu’il se rapproche d’Helen, il s’anime et apparait un peu plus viril et déterminé. C’est un bon acteur, avec un contrat chez Paramount qui lui donnait des rôles de façon très discrétionnaire, il essaiera de passer chez Universal, mais sans grand succès.  

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950 

    Stephen a retrouvé la piste d’Helen et veut la faire chanter  

    Les rôles de support comme on dit chez les anglo-saxons, les seconds rôles chez nous, sont très intéressants. D’abord Lyle Bettger dans le rôle de la crapule Stephen Morley. Comme on le sait depuis longtemps pour réussir un film noir, il fut que le méchant soit à la hauteur. Malgré un physique qui n’était pas mauvais, il restera abonné aux rôles de mauvais qui tort la bouche pour démontrer sa fourberie. On le retrouvera la même année chez Rudolph Maté dans Union Station pour un rôle de crapule. Il fera une longue carrière sans arriver toutefois à la reconnaissance d’un Dan Durya, autre habitué aux rôles de crapules. Jane Cowl qui incarne la mère Harkness est excellente, de même l’actrice qui joue Patricia, la vraie, Phyllis Thaxter. On la retrouvera la même année chez Michael Curtiz aux côtés de John Garfield. Elle est toujours un peu la gardienne du foyer. C’est son côté popote. On lui avait prêté le projet de se marier avec Montgomery Clift. Elle est parfaite dans le rôle de cette femme qui s’efforce de trouver de l’attrait à sa vie de femme mariée. Mais quand elle enlève sa bague pour la faire essayer à Helen, on se demande si au fond elle ne voudrait pas déjà divorcer, vu qu’elle houspille pas mal son jeune époux.  

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950 

    Stephen extorque un chèque de 500 dollars  

    Sans être dithyrambique, la critique a été généralement positive. C’est le genre de film qu’on découvre et redécouvre, comme si on n’était plus capable de faire des films simples et forts. Film assez méconnu, il mériterait une réédition en Blu ray. C’est à peine si sur le marché on trouve un DVD en anglais, sans sous-titres, et encore en cherchant bien. Robin Davis qui aimait beaucoup le film et le roman noir, en a fait une adaptation en transposant l’histoire en France en 1983, ce qui est plutôt difficile, et puis, en 1996, Richard Benjamin en a fait une comédie aussi laide que ridicule sous le titre de Mrs. Winterbourne, où Helen Ferguson est interprétée sous le nom de Connie Doyle par Ricki Lake. La sanction du public a été très nette, personne ne s’est dérangé pour voir cette catastrophe.  

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950 

    Stephen épouse la fausse Patricia  

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950 

    Helen s’apprête à tuer Stephen 

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950 

    William tente de jeter le cadavre de Stephen sur la voie  

    Chaines du destin, No Man of her Own, Mitchell Leisen, 1950 

    La vieille madame Harkness est décédée 



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/quentin-tarantino-cinema-speculations-flammarion-2022-a214244597

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/midi-gare-centrale-union-station-rudolph-mate-1950-a114844756

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/dans-la-souriciere-the-trap-norman-panama-1959-a114844610

     

     

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  • Les filles de Grenoble, Joel Lemoigné, 1981  

    Petit film oublié au fond d’un tiroir, Les filles de Grenoble présente pourtant plusieurs intérêts. Il y a d’abord le fait que dans la deuxième moitié des années soixante-dix, et la première partie des années quatre-vingts, les Français ont produit énormément de films noirs qu’on appelait « polars ». C’est un peu le pendant des poliziotteschi et des gialli italiens si on veut. C’est un segment qui n’a jamais été valorisé par la critique, et on peut dire que c’est encore le cas aujourd’hui. Toute une gamme de films ont été tournés à cette époque, du plus fauché comme Les filles de Grenoble, au richement doté comme les films de Robin Davis, en passant par des budgets moyens des films de Sergio Gobbi et de Jean Larriaga. Bien entendu les films de Melville restaient à part. Mais il est vrai que contrairement aux poliziotteschi et des gialli italiens, le public français suivait très moyennement cette veine. Très souvent mal exploités, maigrement rentables à l’exportation, les distributeurs ne semblaient guère trop y croire. Le second intérêt des Filles de Grenoble réside dans le fait que le point de départ est une affaire bien réelle à ramifications multiples qui défraya la chronique. Des gangs italiens s’étaient emparés par la violence d’un vaste marché de la prostitution sur Grenoble, ce qui pourrait paraître banal, mais qui ne l’était pas parce que les maquereaux italiens avaient des pratiques sauvages et criminelles qui ont heurté les consciences et qui ne semblaient guère adaptées à l’évolution de la société. Paul Lefevre était lui in chroniqueur judiciaire très connu qui officiait en ces temps-là sur Antenne 2. Dans ses comptes-rendus d’audience ou dans ces ouvrages, il mettait en avant un certain bon sens de la justice et de son appareil, avec l’idée que la justice était plutôt lente dans ses réactions. Il avait tout de même le bon goût de ne pas asséné trop fortement des leçons de morale. C’est donc lui qui écrivit ce scénario, dont il tira par la suite un ouvrage qui eut un certain succès. En faisant ce film qui se voulait très réaliste, Joel Le Moigné renouait plus ou moins consciemment avec ce qui avait été une spécialité bien française du film criminel en désignant la prostitution et le maquereautage comme le berceau du crime. Évidemment en passant de Pigalle à Grenoble, ce petit milieu descendait d’un cran dans l’imaginaire social et comme on le verra il n’y avait rien dans l’exposition de cette vie de truands qui pouvait ressemblait de près ou de loin à du courage ou de la grandeur.  

    Les filles de Grenoble, Joel Lemoigné, 1981

    A l’hôpital de Grenoble, une prostituée qui a été violemment battue est achevée par un voyou. Lors de son enterrement, ses amies, dont la jeune Cora, sont indignées, elles savent très bien que se sont leurs maquereaux qui ont crevé cette malheureuse, mais elles sont trop apeurées pour tenter de se révolter. Par ailleurs les gendarmes observent le trafic des prostituées et de leurs maquereaux en prenant des photos pour prouver qu’il y a un trafic criminel. Avec ces preuves, ils vont voir le jeune juge d’instruction Le Pérec pour qu’il ouvre une enquête. Mais les filles ont des ennuis, Cora va être punie pour s’être rebellée et son mac va l’envoyer faire les chantiers. Tentant de s’enfuir, elle sera rattrapée et battue par les macs, elle recevra un méchant coup de couteau. Les gendarmes ramassent les filles et vont inciter Cora a parlé au juge Le Pérec. Les macs l’ayant appris, elle va être de nouveau battue par, Francesco, laissée nue attachée toute la nuit à un arbre. Ramassée par un camionneur, elle va à l’hôpital. Cette fois elle est décidée à parler. Le juge va déclencher alors une opération pour mettre au pas cette bande sanguinaire. Les voyous ont cependant d’autres soucis, car deux bandes se disputent les territoires de la prostitution. Il y a des morts. Les filles ont décidé d’appuyer Cora. Le juge va enquêter, d’abord auprès des chantiers, puis en mettant en cause indirectement un juge plus ou moins corrompu qui couvre les truands. Ayant réuni assez de preuves, Le Pérec lance, avec l’aide du commissaire Brière, un vaste coup de filet. Il devient maintenant la cible des voyous. Menacé de mort, il échappe à un attentat. L’enquête continue cependant, et ayant recueilli suffisamment de preuves, il procède à une confrontation. Toute la bande est maintenant sous les verrous. 

    Les filles de Grenoble, Joel Lemoigné, 1981

    Les gendarmes observent à la jumelle le travail des prostituées 

    Le bien triomphe du mal, c’est le message, et de façon assez comique à la fin on nous dit que depuis qu’on a mis en taule les violents proxos, le grand banditisme a disparu de la ville ! C’est évidemment faux, comme le montrera la suite de la chronique judiciaire grenobloise, mais il faut le voir plutôt comme un avertissement : la justice et la police pour peu qu’elles le veuillent peuvent agir et éradiquer cette violence, elles ont plus de moyens à leur disposition qu’elles ne veuillent l’admettre et en outre elles peuvent s’appuyer sur les dévoués gendarmes. Contrairement aux poliziotteschi il n’y a pas ici de dénonciation hargneuse des politiques qui freinent la justice et la police, mais plutôt celle d’une indifférence. Quand le film attaque la question de la prostitution, il joue sur du velours, justement parce que l’affaire de Grenoble – il vaudrait mieux d’ailleurs parler des affaires de Grenoble d’ailleurs – il s’en prend directement à un groupe d’affreux, des gens intégralement mauvais. Ce qui était le cas, en effet, les italo-grenoblois avaient à leur actif toute une kyrielle de crimes et de tortures. En ce sens on peut dire que le film simplifie une réalité qui était dans les faits bien pire en compte. Et d’ailleurs on peut se demander si au bout du compte ce ne sont pas les guerres que se sont livrés les proxos entre eux qui les ont menés à la ruine, plutôt que la dénonciation des filles. Cependant le scénario qui vise à la rédemption des pécheresses égarées par de fausses promesses, a besoin que les filles prennent conscience du fait qu’elles vivent dans l’erreur. Le panneau final va d’ailleurs dans ce sens, arguant que si la reconversion de ces jeunes femmes a été réussie, elle ne s’est pas faite sans mal.

    Les filles de Grenoble, Joel Lemoigné, 1981

    Les putes le soir font les quais 

    Mais bien entendu, un scénario de film ne peut pas montrer toute cette complexité et doit se fixer une ligne afin de ne pas partir dans tous les sens, surtout s’il s’appuie sur un budget relativement étroit. Si le cœur des filles en révolte contre leurs bourreaux est la jeune Cora, elles ne sont ensemble que quatre ou cinq à vouloir se rebeller. C4est l’avant-garde du putanat en voie de rémission. Les voyous sont représentés essentiellement par des brutes, bas du front et peu futés. Sauf un qui navigue entre la France et l’Italie et qui a l’air un peu plus normal, c’est-à-dire que pour lui la prostitution ne sert pas à refermer son ego, mais c’est un business comme un autre. Là se situe un défaut majeur du film. Le point de vue est celui des filles soumises comme on disait dans le temps et de la justice. Le point de vue voyou est totalement minoré. Or à la fin on se rend compte que le plus haut placé des maquereaux finalement échappera à la justice. 

    Les filles de Grenoble, Joel Lemoigné, 1981

    Sur les chantiers les travailleurs immigrés attendent les putes 

    On remarque que le film est très influencé par les juges d’instruction qui, tels que le juge Michel qui mourra assassiné pratiquement au moment de la sortie du film dans les salles. A la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingts ces juges ont défrayé la chronique, le juge François Renaud qui sera assassiné à Lyon justement, par des gens du milieu qui avaient des connexions à Grenoble, mais dont les raisons du meurtre n’ont jamais été élucidés, sombre épisode dont Yves Boisset tirera un film Le juge Fayard, dit le Shérif[1]. Mais c’est aussi à cette période que les juges italiens ont lancé des attaques directes contre la mafia sicilienne, parfois au péril de leur vie. Un peu plus tard, en 1984, Philipe Lefebvre tournera encore un film inspiré de la vie tragique du juge Michel. Intitulé Le juge, il mettra en scène la complicité entre un policier et un juge d’instruction. C’était la tendance de l’époque, avec assez peu de réussites tout de même, une des raisons en étant que les budgets pour ce genre de film, sauf pour le film de Boisset, était très maigre. Ce qui veut dire qu’en France les producteurs et les distributeurs n’y croyaient pas, ils n’y croyaient tellement pas qu’ils se refusaient à distribuer les poliziotteschi, même ceux de qualité. 

    Les filles de Grenoble, Joel Lemoigné, 1981

    Les gendarmes ont ramassé les filles 

    Joel Le Moigné a fait ses classes comme assistant réalisateur à la télévision, puis auprès de Pierre Grasset, un cinéaste très influencé par Melville. Mais il n’a tourné que deux films puis il a disparu. Les filles de Grenoble se veut naturaliste et donc il va tenter d’utiliser pour cela les décors naturels. Les lieux sont bien choisis, les quais, les bords de route où les filles travaillent. Les décors du palais de justice et de la gendarmerie sont tout à fait justes. C’est moins bien en revanche pour les bistrots de voyous et aussi pour les chantiers sur lesquels vivent et travaillent les immigrés. Il y a un côté qui sonne faux. Le choix des décors restreint d’ailleurs les possibilités du metteur en scène. L’ensemble est le plus souvent filmé sans trop de mouvements d’appareil, et avec des gros plans, champ-contrechamp qui plombent clairement les scènes dialoguées. Par exemple la scène du restaurant où le commissaire et le juge d’instruction scelle une sorte de pacte pour éradiquer la pègre. Il n’y a que des gros plans et aucune mobilité d’appareil. On voit bien que les acteurs récitent un texte pour la caméra et qu’il ne s’agit pas d’un vrai dialogue.

    Les filles de Grenoble, Joel Lemoigné, 1981

    Cora est attachée nue au bord de la route 

    Les scènes d’action pourtant très peu nombreuses sont plutôt pas mal. Particulièrement quand l’inspecteur Imbert pourchasse Francesco dans les escaliers. L’attentat contre le juge est assez bien filmé aussi, mais manque un peu de précision. Les scènes de viol tiennent à peu près la route, esquivant le voyeurisme, avec une grande pudeur. Il y a tout de même une certaine timidité dans la nécessité de montrer la violence, surtout si on le compare avec ce que faisaient les Italiens dans le même domaine, et à la même époque. Cora se fait battre tout habillée à coups, de ceinturon, mais on la retrouve attachée toute nue en train de se geler au bord de la route. Ce défaut, si on peut dire, empêche de comprendre que les filles ont peur de la réaction de leurs macs. 

    Les filles de Grenoble, Joel Lemoigné, 1981

    Les proxos se buttent entre eux 

    Les acteurs sont du troisième choix. À l’époque André Dussollier n’était pas très connu, il se trainait de théâtre en feuilleton télévisé, depuis il s’est rattrapé. Mais à cette date, il s’était surtout fait remarquer dans un autre film noir, Extérieur nuit de Jacques Bral. Son interprétation du juge Le Pérec a été très critiquée à la sortie du film. Mais il n’est pas mal du tout, trimbalant cette rigidité propre à un juge d’instruction, avec une forme d’innocence, il est moins bien quand il récite face à la caméra. Il y a ensuite Zoé Chauveau dans le rôle de la courageuse Cora. Zoé Chauveau est une étoile filante du cinéma. C’est assez curieux parce qu’elle avait de l’aisance devant la caméra, elle avait un regard. Alain Doutey dans le rôle du commissaire Brière est par contre complètement transparent. Dans les seconds rôles les filles ont un avantage certain sur les hommes, elles ont presque l’air de vraies putes et en projettent une certaine forme de décontraction, nécessaire dans ce métier curieux. Jean-François Garreaud dans le rôle de l’inspecteur Imbert est très bien. Il fera d’ailleurs une carrière honorable quoique discrète, tournant pour Sautet et Chabrol. Il sera surtout connu par la suite dans le rôle du commandant Michel Lemarchand dans la série La Crim’ où il apparaitra dans 78 épisodes avec un nœud papillon ! 

    Les filles de Grenoble, Joel Lemoigné, 1981

    L’inspecteur Imbert tente de ramasser Francesco 

    Évidemment ce n’est pas un grand film, pour cause de restriction budgétaire. Lors de l’attentat contre le juge, on n’a même pas des impacts de balles sur la carrosserie ! Mais tout de même il y a des idées valables. Je ne sais pas si ce film a été un succès commercial. À sa sortie en tous les cas on en a parlé. À ma connaissance il n’existe pas d’édition DVD et encore moins Blu ray, pourtant je trouve ça intéressant de revisiter cette cinématographie française qui se voulait populaire, ancré dans une réalité immédiate et rude, et qui aurait pu devenir quelque chose d’équivalent au poliziottesco avec un peu plus d’audace du côté de nos producteurs. 

    Les filles de Grenoble, Joel Lemoigné, 1981

    Le juge Le Pérec échappe à un attentat 

    Les filles de Grenoble, Joel Lemoigné, 1981

    Sur les chantiers les travailleurs confirment les hypothèses de Le Pérec 

    Les filles de Grenoble, Joel Lemoigné, 1981

    Le Perec procède à la confrontation finale


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/le-juge-fayard-dit-le-sheriff-yves-boisset-1977-a185141786

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  • Pulp magazines, berceau du roman noir

    Sur les kiosques à journaux les Pulps se faisaient une vive concurrence

    Les pulp magazines son un outil d’émancipation culturelle à plusieurs niveaux, d’abord parce qu’ils accompagnent la montée de l’éducation des classes les plus basses, ils ne s’adressent pas au bourgeois qui les dédaignent et les suppose pauvre de contenu. C’est donc un outil de démocratisation des savoirs. Ensuite, ils vont permettre à toute une littérature populaire de s’entraîner et de développer une technique d’écriture, moderne, plus adaptée à l’évolution des mœurs de la masse. Ce faisant, ils vont aborder des sujets difficilement traités dans la littérature bourgeoise, la violence, les rapports sexuels, les perversions, etc. tout ce qui fait qu’un être humain est un être humain. C’est l’âge adulte de la littérature. Cela est évidemment vrai pour les pulp magazines qui prennent le crime pour sujet, mais c’est également le cas pour ceux qui s’intéressent à la sexualité et à ce qui était officiellement considéré comme des déviances. C’est bien dans les pulp magazines que très tôt aux Etats-Unis on parlera d’homosexualité et d’adultère, de lesbianisme et autre. Pour aborder ces sujets « adultes », le langage et le style doivent être nouveaux. On va se servir du langage de la rue, mais aussi d’un style elliptique, justement parce que les histoires doivent être denses, mais tenir dans un nombre de pages restreint. Encore que très souvent ces short-stories puissent atteindre cinquante ou soixante pages. On se demande souvent comment ces Pulp Magazines qui connaissaient des tirages élevés, culminant jusqu’à 600 000 exemplaires, ont pu péricliter. Une des raisons est que l’évolution économique et éducative a entraîner les lecteurs vers des histoires plus longues, c’est une règle de la plupart des loisirs : avec le temps qui passe, les films sont plus longs, les romans sont plus épais, qu’ils soient très sophistiqués ou non, c’est comme s’il fallait retenir le client captif dans son travail pour qu’il échappe à la concurrence extérieure. Les pulp magazines n’étaient pas tous dévolus au crime, les autres domaines où ils étaient actifs, sont la romance (love pulp), l’équivalent de nos Harlequin, et le western. Mais ils donnaient aussi dans le magazine « cochon » comme Hollywood Nights, Spicy ou Pep Stories. Seuls sont restés dans les mémoires les pulp criminels et les westerns. 

    Pulp magazines, berceau du roman noir

    Les pulp magazines dévolus au crime et à la détection, apparaissent en 1915, avec Detective Story Magazine, et ils vont proliférer jusque vers la fin des années cinquante[1]. Ils sont très nombreux et nous ne parlerons ici que de quelques uns. Ils correspondent en quelque sorte à l’âge d’or de la culture américaine, ou disons à l’apogée de son modèle. Le public recherché est principalement celui qui peuple les grandes villes.  L’idée est de travailler sur un marché très large et de vendre cess magazines à des prix très bas. C’est donc l’avènement d’une culture de masse, consciemment développée. Une des particularité de ces productions, est qu’elles sont produites par des auteurs qui sont de basse extraction, qui ne viennent pas de la bourgeoisie. C’est pour cela sans doute qu’ils trouveront naturellement le style adéquat au public visé. Detective Story Magazine est dans l’esprit de ses créateurs destiné à remplacer les livres bon marché que Street & Smith publiait jusqu’alors, ils étaient spécialisés dans Nick Carter. Il aura 1057 numéros, avant que le titre ne disparaisse – pas complètement toutefois puisqu’il resurgira plusieurs fois avec très peu de succès. Au départ le contenu est très démarqué des romans anglais, Conan Doyle ou Aghata Christie. Mais au fil des années il s’encanaillera, descendant, comme le disait Raymond Chandler, dans le ruisseau au lieu de rester dans les beaux quartiers à disserter sur la neurasthénie criminelle des aristocraties et des bourgeois. on y trouvera du Sax Rhomer, du Edgar Wallace, mais aussi des textes de Carroll John Daly, qu’on peut considérer comme le premier auteur « noir » et qui précédera de peu Dashiell Hammett chez Black Mask. Detective Story Magazine publie des short stories, mais aussi des feuilletons, ce qui permet de fidéliser le public. Le succès de cette publication est tel que de nombreuses histoires qu’elle publie serviront de support à des émissions radiophoniques dans les années trente. 

    Pulp magazines, berceau du roman noir

    Black Mask fut lancé en avril 1920, initialement pour renflouer un éditeur endetté. H L Mencken qui éditait à perte un magazine littéraire huppé The Smart Set. Les premiers numéros du Black Mask étaient plutôt généralistes, même s’il visaient un public populaire. C’est seulement quand les premiers éditeurs, une fois leur bénéfice pris, revendirent le titre que celui-ci devint le Black Mak tel qu’on le connait, c’est-à-dire la revue prestigieuse qui publia Carroll John Daly  qui inventera pour Black Mak le détective Race Williams, puis Dashiell Hammett qui utilisera ses souvenirs pour créer l’Op, et enfin Raymond Chandler qui mettra en scène les premiers exploits de Philip Marlowe, William Irish, Erle Stanley Gardner. Ce magazine qui était bi-mensuel jusqu’en 1926 devint ensuite mensuel et a production s’étendit  jusqu’en 1951, soit plus de trente années. Il y a plusieurs ruptures d’avec les précédentes revues qui publiaient des histoires de détective ou policières. La première est que les textes étaient illustrés, et pas seulement la couverture. Ce qui voulaient dire que les éditeurs ne cherchaient pas à se donner des airs prétentieux, ce qui n’empêchait pas son directeur, Joseph Shaw, de viser la qualité littéraire, ce qui conduisit à l’adoption de ce style si particulier fait d’un certain détachement, et d’une grande économie. Style qu’on identifie à tort au seul Dashiell Hammett, mais qui se diffusa à toute la revue Le second point est mieux connu, c’est le développement du récit hard boiled qui justement éloigne le récit de détection des décors de la bourgeoisie et le plonge dans le ruisseau, décrivant cette Amérique morose de l’entre-deux-guerres, de l’entre-deux-crises, ouvrant la voie à une critique approfondie de la société capitaliste, vindicative et inégalitaire. Le succès est là. Dashiell Hammett sera un des premiers auteurs de short stories et de feuilletons à passer au roman dans une prestigieuse maison d’édition, Alfred Knopf, avec Red Harvest, en 1929. Et très rapidement le cinéma va suivre. 

    Pulp magazines, berceau du roman noir

    Cette littérature de gare, comme aurait dit Frédéric Dard qui fut aussi un immense auteur de nouvelles, obtint un franc succès mais surtout contamina la littérature blanche dans le monde entier à partir du moment où ces écrivains passèrent à la publication de romans. Gallimard publia dès 1932 La moisson rouge, puis Le facteur sonne toujours deux fois en 1934. Albert Camus avouait que son style dans l’écriture de L’étranger devait beaucoup au roman noir américain. Peu à peu on reconnut la qualité littéraire de ces auteurs, même si cette qualité était trop souvent confondue avec un simple naturalisme qui permettait de plonger son regard dans un monde violent et corrompu, trop peu connu des personnes bien éduquées. Bien entendu, les auteurs possédaient des styles très différents, Raymond Chandler était bien plus sentimental et émotif que Dashiell Hammett, et Horace McCoy développait une critique acerbe violente de l’Amérique. Contrairement aux réflexions abusives de Jean-Patrick Manchette, les auteurs du Black Mak, et consécutivement du roman noir américain, ne se réduisait pas au « béhaviorisme », il y avait aussi beaucoup de psychologie même chez Hammett. 

    Pulp magazines, berceau du roman noir

    Le premier texte publié par Raymond Chandler dan Black Mask 

    Ce qui est remarquable dans l’ensemble de ces premières revues – par la suite viendront Ellerry Queen Mystery Magazine, Alfred Hitchcock Mystery Magazine, mais la logique éditoriale sera bien différente – c’est la manière de présenter les textes. D’abord en les enrobant d’une couverture illustrée qux couleurs vives, parfois criardes, où le sensationnel domine. Ces couvertures très soignées présentaient souvent des femmes aux postures suggestives comme on dit, elles amenèrent d’ailleurs Manhunt devant les tribunaux. En effet pour améliorer les ventes, la revue avait décidé d’agrandir son format, ce qui permettait d’occuper un espace plus important dans les kiosques à journaux, mais c’est ce qui permettait aux puritains de repérer plus rapidement les publications subversives ! Dans les années cinquante, il y avait un durcissement de la censure aux Etats-Unis comme en France qui accompagnait la lutte contre le communisme ! Le procès dura pratiquement dix ans et se termina par la déconfiture de l’éditeur de Manhunt. 

    Pulp magazines, berceau du roman noir

    Les auteurs du Black Mask, le 11 janvier 1936 

    Thrilling detective par contre s’efforçait seulement de surfer sur la vague des pulps. C’était seulement un des titres qui changeait constamment à partir de Thrilling Mystery. L’ensemble a eu 88 numéros entre 1935 et 1951. C’était une publication saturée de publicités, alimentée par des auteurs obscurs, dont la plupart écrivaient sous pseudonymes. C’était un mauvais décalque de Black Mask, y compris en ce qui concernait les dessins de couverture. Elle ne semble guère avoir eu de principes éditoriaux remarquables ni d’ambition littéraire, en dehors de réduire les coûts. Mais peu importe cette dérive mercantile, les Pulps dévolus au « noir » faisaient leur chemin et produisait ausi une littérature de qualité qui, au fil du temps, allait être reconnue pour elle-même. C’est seulement vers la fin des années soixante qu’eut lieu cette réhabilitation de la littérature populaire, d’abord aux Etats-Unis, puis ensuite en France. La raison en était que les classes populaires accédaient à l’université et pouvaient maintenant peser sur l’appareil critique. 

    Pulp magazines, berceau du roman noir 

    Manhunt est beaucoup moins connu que Black Mask, c’est pourtant la revue la plus prestigieuse, après elle. Elle aura cent treize numéros entre 1953 et 1967. A cette époque le roman noir a acquis droit de citer, et elle va publier des auteurs prestigieux, comme James M. Cain, Kenneth Millar, David Goodis, William Irish, William R. Burnett. En dehors du vétéran James M. CaIn, ces auteurs représentaient une nouvelle génération, plus âpre et peut-être plus désespérée. Cette revue de qualité se voulait être l’héritière de Black Mask. Mais l’époque avait changé et de nombreux écrivains de romans noirs gagnaient très bien leur vie, protégés par des agents littéraires astucieux et pugnaces. Pour attirer les écrivains déjà connus, Manhunt offrait jusqu’à 5 000 $ pour une nouvelle de 5 000 mots. Le magazine était dirigé par l’ambitieux Archer Saint-John, et il est très possible que ce soit celui-ci qui ait inspiré le nom du fameux détective Lew Archer créé par Ross McDonald, qui publiait dans Manhunt sous son véritable nom de Kenneth Millar. Cette revue qui voyait progressivement son tirage s’éroder, sans doute parce que la télévision était devenue pour les classes populaires un loisir concurrent de la lecture et du cinéma, fut achevée par toute une série de procès qui non seulement visaient les illustrations de la couverture, mais également le texte de certaines nouvelles. On trouve une anthologie des meilleures histoires de Manhunt publiée en quatre volumes chez Stark Press House. 

    Pulp magazines, berceau du roman noir 

    De toutes les manières, les Pulps étaient faits pour capter l’attention, que ce soit par des histoires courtes, ou par des sérials. C’était un exercice recherché par les grands auteurs du XIXème siècle, de Guy de Maupassant à Théophile Gautier. On peut regretter que la nouvelle aujourd’hui n’ait plus pignon sur rue. C’est pourtant un excellent exercice pour l’auteur dans l’approfondissement de son style, mais aussi un motif d’étonnement renouvelé pour le lecteur. En effet, la concision, l’ellipse, oblige à créer l’inattendu sans préparation. Mais évidemment ce sens de la formule et la concision de l’écriture était aussi soutenus par des thèmes ronflants qui faisait sortir la littérature des chemins un peu trop balisés. 

    Références 

    Mike Ashley's , « The Golden Age of Pulp Fiction », Rare Book Review 32:4, (May 2005).

    E.R. Hagemann, « The Black Mask: a History of Black Mask Magazine », Mystery (January 1981, Vol. 2, No. 1)

    Jean-Jacques Schleret, « Manhunt, "la revue de la seconde génération" »Europe, vol. 62, n° 664 (Aug 1, 1984)

    Jeff Vorzimer, « The Tortured History of Manhunt », introduction à l’anthologie The Best of Manhunt, Stark House Press, 2019.


    [1] On trouve de nombreux numéros en entier sur Internet.

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  •  The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Encore un film sur les gangsters et la prohibition me direz vous. Ce n’est pas tout à fait vrai. Nous sommes en 1959, et conséquemment au rapport Kefauver et à sa large diffusion télévisuelle, on a pris connaissance des agissements de la mafia, bien que ceux-ci soient nié par ce grand bandit de J. Edgar Hoover. Mais le film croise cette analyse des conséquences de la prohibition sur le crime organisé, avec deux autres thèmes. Le premier est celui des gangs de jeunes, on a vu ça dans le cinéma des années trente avec Angels with Dirty Faces, où les Dead End Kids, emmenés par Billy Hallop étaient présentés comme les acteurs principaux du films, ce groupe de très jeunes acteurs tournera dans huit films, avant de se dissoudre, toujours sur le même modèle, les jeunes adolescents lorsqu’ils sont mal entourés finissent par sombrer dans la délinquance. Mais nous sommes maintenant en 1959, la Grande Dépression est passée, la prospérité américaine est revenu, et les adolescents paraissent trop turbulents. Donc on va se saisir du sujet de la prohibition dans les années vingt pour produire une réflexion sur la violence des jeunes. La fin des années cinquante sont probablement ce qu’il y a de plus réactionnaire en matière de production de film de l’histoire de l’Amérique. Renversement de la vapeur, on va présenter la nécessité d’être dur avec les jeunes délinquants, afin de les empêcher de devenir des criminels endurcis. Le scénario est dû à Jack DeWitt un scénariste qui a navigué du côté des studios de seconde catégorie, et la télévision, mais qui connu la renommée tardivement avec la série de westerns « révisionnistes » A Man Called Horse. Il avait aussi tâté du film noir, avec Portland Exposé en 1957 et il y reviendra en 1974 avec Together Brothers, un film étrange où les personnages principaux sont des noirs, mais où le thème est celui de la mafia qui cherche à éliminer un témoin gênant – il a cinq ans – qui a assisté à l’assassinat d’un policier, noir. Franck McDonald, Jack DeWitt et même Barry Sullivan ont fait la plus grosse partie de leur carrière dans les studios de seconde catégorie et à la télévision, balayant presque tous les genres et sous-genres du cinéma hollywoodien. Allied Artists même si de temps à autre produisait des films à gros budget, c’était surtout des production de série B, l’héritière de Monogram. Mais tout ça ne préjuge pas évidemment la qualité d’un film, on le sait depuis longtemps maintenant, il y a des films de série A très oubliables, des daubes innommables et des chefs-d’œuvre dans la série B, surtout dans le film noir. 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959 

    Le représentant de la Californie au Congrès, James Roosevelt alerte sur la délinquance juvénile 

    A partir des années cinquante, le travail de la censure de l’HUAC ayant porté ses fruits, le film noir va passer d’un mode compatissant à l’égard des délinquants, le système est globalement responsable, à la nécessité de sévir durement. Le policier devient alors le héros qui essentiellement remet la société sur les bons rails de la paix civile et de la prospérité, il est symptomatique de voir que ce film est introduit par un discours lénifiant de James Roosevelt, le représentant de la Californie, mais aussi le propre fils de Franklin D. Roosevelt, le promoteur d’une réforme en profondeur qui se donnait comme priorité de lutter contre les inégalités. C’est comme si ces films pro-flics enterraient le New Deal. Ce basculement ira jusqu’aux films anti-rouges comme I was communist for the FBI[1] ou The Woman on the Pier 13[2]. Tout cela n’empêche pas que de reprendre la thématique des jeunes délinquants soit aussi un avertissement pour la population américaine des années cinquante, même si l’action se passe dans les années vingt. Inspiré de faits réels, le Purple Gang a vraiment existé, l’histoire est censée se passer à Detroit. 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959 

    La police reçoit des appels au secours des commerçant qui ont été malmenés par le Purple gang 

    Le lieutenant Harley est appelé par un couple de commerçants un peu âgés qui se sont fait agresser par des membres probables du Purple Gang. Mais Harley qui est un flic de terrain sait aussi que ce couple à un fils, William Honeyboy Willard, qu’il soupçonne fortement de faire partie de ce gang. Il va l’interroger, mais celui-ci le moque en se faisant passer pour un étudiant. Harley arrive tout de même à rafler une grande partie du gang qu’il veut poursuivre, mais Joan MacNamara, une jeune assistante sociale s’oppose à lui, au prétexte que ces jeunes sont mineurs. Elle va donc les faire libérer au prétexte qu’il faut les aider, alors qu’Harley pense que si on est trop compatissant avec eux, ils deviendront tout simplement de redoutables criminels. Harley est dégoûté et préfère encore travailler aux homicides. Pendant ce temps, Honey Boy fait des rêves de grandeurs et commence à structurer un vrai gang, pensant que la violence l’imposera, il va s’attaquer rapidement aux frères Olsen, des traficquants d’alcool qui, plutôt que de rentrer en guerre avec eux, préféreront les payer pour assurer leur protection. Mais le Purple Gang va se durcir, d’abord ils violent et assassinent la pauvre Joan MacNamara. Puis ils assassinent un flic véreux qui les renseignait. Alors qu’Harley devait prendre sa retraite pour travailler comme adjoint du shérif à la campagne, sa femme étant fatigue de la ville et de surcroit enceinte, ces meurtres vont l’empêcher de quitter son poste à la demande de son chef. 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Le lieutenant Harley s’accroche avec une assistante sociale qui défend les adolescents délinquants 

    Il va donc harceler le gang, mais celui-ci va se venger en s’en prenant à sa femme qui va perdre son enfant et la vie. Harley a un désir de vengeance, mais une bonne sœur à l’hôpital lui explique qu’il doit s’en garder, et qu’il doit continuer son travail dans le respect du droit. Pendant ce temps le Purple Gang grandit encore, dans un premier temps ils vont évincer les frères Olsen, qui, fortune faite, préfèrent prendre une retraite bien méritée ailleurs ! Puis dans un second temps, ils vont affronter la mafia italienne qui tente de s’implanter dans Detroit. Ça flingue un peu de tous les côtés. Un soir Daisy, une mythomane qui passe son temps au commissariat pour dénoncer tout et n’importe quoi, est témoin d’un crime commis par les Purple Gang. Elle tente de se rendre au commissariat, suivie par le gang. Mais les policiers se moquent d’elle et la renvoie. Les Purple Gang l’écrasent avec une voiture contre une palissade. De son côté Harley va retourner Henry le meilleur ami de Honeyboy Willard.mais Willard le comprend et coule son ami dans le béton. Alors que la mafia italienne commence à construire un réseau de vente de drogue chez les fleuristes, Harley va pouvoir piéger en même temps les Purple Gang et la mafia. Cette dernière en effet se fait détruite lors d’un rendez-vous, mais la police a cerné l’immeuble et va capturer enfin Willard. 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Le Purple gang s’attaque aux chargements des frères Olsen 

    Comme on le voit l’histoire est très dense. D’un côté nous avons un flic fatigué de l’inertie administrative et qui lutte comme il peut contre la corruption, et de l’autre l’histoire de Honeyboy Willard sur le mode ascension et chute d’un caïd, en prise avec la concurrence. Même si officiellement Harley triomphe, cette victoire est amère, en effet, il a perdu sa femme et son enfant à naître pour avoir été trop dévoué à la défense de la communauté. De manière symétrique, la pauvre Joan MacNamara qui a défendu les jeunes délinquants est elle aussi victime de sa lecture de la réalité. Et donc il y a une première surprise en voyant ce film qui montre que ce combat est perdu d’avance et qu’en outre dans les deux cas il est mené d’un point de vue idéologique, au lieu de rester sur le simple point de vue de la naïveté de la jeune assistante sociale, on renvoie celle-ci à l’aveuglement d’Harley. A la fin le film se conclut par une voix-off qui nous dit que cette lutte contre la mafia n’aura jamais de fin ! Il serait donc erroné de ne voir dans ce film qu’une apologie de de la perspicacité masculine contre la sentimentalité de la femme qui reprendrait simplement de rôle de la maman avec des enfants un peu turbulents.  C’est un peu la fonction du film noir de toujours aménager une dose d’ambiguïté dans les comportements des personnages. 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    L’assistante sociale va se faire violer et tuer par les délinquants qu’elle avait défendus 

    Par la suite nous avons une série de portraits qui sont comme des idéal-types de l’Amérique, les commerçants frileux, les policiers plus ou moins intègres, les gangsters qui sont plus ou moins malins, les frères Olsen ayant réalisé, grâce à la prohibition l’accumulation primitive du capital, se retire, probablement pour se ranger des voitures et investir leur argent illégalement gagné dans des affaires respectables. On n’insiste pas trop sur le caractère un peu ridicule de la loi sur la prohibition de l’alcool. De même on n’aura pas trop de détails sur la corruption de la police, sujet à peine évoqué. La femme d’Harley est très compréhensive, même si elle est déçu de l’indétermination de son mari, elle prend son mal en patience, et c’est d’ailleurs de cela qu’elle mourra. Honeyboy Willard est le moins monolithique des personnages de cette histoire. Certes il se croit malin, c’est un intellectuel qui se donne des leçons de cruauté à lui-même pour se prouver qu’il est plus dur que les autres. Il sacrifiera son ami d’enfance, apparemment sans remords, seulement il a un point faible, il est peureux ! Dès qu’on l’enferme, il perd les pédales et il a peur, il panique. C’est déjà comme ça que George R. Kelly était présenté dans l’excellent film de Roger Corman, Machine Gun Kelly, en 1954, avec une insistance tout aussi marquée pour identifier le sexe et l’arme. 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Honeyboy Willard assassine un flic corrompu 

    Il y a des personnages qui disparaissent sans qu’on comprenne trop leur fonction dans l’intrigue, c’est le cas des parents de Willard qui refusent de se poser des questions sur les pseudo-études de leur rejeton. Le personnage d’Henry est plus intéressant, tant il relie Willard à l’humanité et à l’enfance, leur relation d’amitié semble avoir inspiré Sergio Leone pour les personnages de David Aaronson et de David Bailey dans C’era una volta in America,  du reste l’acteur qui incarne Henry ressemble un peu à James Wood.

     

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Harley apprend à sa femme qu’il ne démissionnera pas de la police 

    L’ensemble est filmé pour un écran large, 1.85 : 1, ce qui donne une touche de modernité par rapport au cycle classique du film noir. Les mouvements de caméra sont plutôt économes. Et les gros plans sont limités au minimum, et les scènes d’action sont rapidement exécutées. Curieusement les scènes de cruautés sont toutes tournées avec sobriété et sans ajouter cette touche de voyeurisme qui était déjà pourtant la marque des films de mafia de cette époque. Même le viol de la pauvre Joan MacNamara est escamoté.  

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Les hommes de Willard ont flingué ceux de la mafia de Capone 

    La réalisation manque manifestement de moyens, c’est du studio cheap. Ce qui entraîne des éclairages destinés à masquer la pauvreté des décors, ça tombe bien parce que l’histoire se passe la plupart du temps la nuit. La conduite du récit se fait à la manière d’une sorte de documentaire, c’est appuyé par la présentation de James Roosevelt, puis par un commentaire qui explique ce qui se passe à l’écran. C’est une manière de prouver que l’histoire est vraie. En vérité, le Purple Gang de l’écran n’a aucun rapport avec les vrais Purple Gang. Les films noirs de série B sont coutumiers de cette manière, non seulement parce qu’elle permet dire que l’histoire est exacte, mais aussi parce que cela fait gagner du temps d’ans l’exposition de l’intrigue. Cette voix off est un peu envahissante et se réalise au détriment de la profondeur des personnages. Si les tacots sont bien d’époque, les costumes non, ils sont vraiment de la fin des années cinquante. La photo est bonne, et le rythme est plutôt soutenu, grâce à un montage très resserré.

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Willard ne supporte pas d’être enfermé 

    La distribution est, malgré un budget étriqué, intéressante. Barry Sullivan, acteur monolithique s’il en est, incarne très bien le lieutenant Harley, ce flic vieillissant, grognon et rancunier que l’idée de vengeance va ronger de l’intérieur. Dans ce rôle, il avait beaucoup vieilli. Robert Blake, habitué à ces rôles de voyous crasseux – voir  In Cold Blood ou tout de même il était mieux cadré par Richard Brooks[3]en fit ici des tonnes dans le rôle de Honeyboy Willard, mais il a toujours été un grand cabotin. Plus fin est Marc Cassel qui incarne son alter ego, Henry l’ami d’enfance qui suit Willard dans ses exactions, sans trop toutefois. Evidemment les rôles féminins ne sont pas très épais, mais ils sont assez bien tenus, notamment par Elaine Edwards qui est la femme d’Harley, et par Jody Lawrance qui incarne la naïve Joan MacNamara. 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959 

    Le gang s’en prend à la femme d’Harley 

    Si ce n’est pas un très grand film, c’est tout de même une bobine de bonne tenue qui mérite le détour. Ça dure a peine un peu plus d’une heure vingt, c’est dense et enlevé. N’existe pas d’édition en DVD de ce film. c’est à peine si on en trouve une version en VOD, et encore de mauvaise qualité et sans sous-titres. Il le mériterait pourtant. Comparativement à tous les westerns médiocres que Frank McDonald a réalisés, c’est sans doute là son meilleur film.

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    La sœur explique à Harley que la vengeance, ce n’est pas bien ! 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Les hommes de Willard veulent la peau de Daisy qui a été témoin d’un meurtre

      The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Willard va couler son meilleur ami dans le béton 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959 

    La police cerne l’immeuble où se trouve Willard

     Disons pour terminer un mot tout de même du vrai Purple Gang, celui-ci était fait presqu’exclusivement de jeunes juifs d’origine russe. En vérité comme le Michigan avait été prohibitionniste bien avant le Volstead Act qui ne rentrera en vigueur qu’en 1920, ils avaient pris de l’avance dans le contrôle de la contrebande d’alcool entre le Canada et les Etats-Unis. La seule chose bien réelle qui a été reprise est le règlement de compte aux appartements Milaflores, quand des gangsters de Miami qui voulaient prendre pied à Detroit, avaient été conviés à une conférence de paix. Par contre le personnage de Fred Killer Burke a réellement existé et tenu le rôle qui est le sien dans le film. il fut plus tard soupçonné d’être un des principaux tueurs du massacre de la Saint-Valentin à Chicago. La puissance réelle du gang était sans doute encore plus forte que ce que décrit le film puisqu’ils contrôlaient non seulement 70% de l’alcool de contrebande qui venait du Canada, mais aussi la prostitution, le racket et les paris clandestins. Les leaders de ce gang étaient les trois frères Bernstein. 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959 

    Le vrai Purple Gang 


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/i-was-a-communist-for-the-fbi-gordon-douglas-1951-a114844636

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/the-woman-on-the-pier-13-i-married-a-communist-robert-stevenson-1949-a114844642

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/de-sang-froid-in-cold-blood-richard-brooks-1967-a130312254

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