• Robert Giraud, La petite gamberge, Denoël, 1961

    Robert Giraud, La petite gamberge, Denoël, 1961

    Il fait partie de ces auteurs qu’on redécouvre tout le temps. Il est d’ailleurs assez difficile à qualifier. Moins préoccupé par la conduite de sa carrière littéraire que par la fréquentation des bistrots de la Maube et d’alentours, il écrivait de temps à autre, parfois parce qu’il en avait envie, parfois parce qu’il fallait qu’il remonte un peu de fraîche. Il a écrit plusieurs ouvrages sur l’argot et sur le milieu, certains ont bien marché, mais il arrondit aussi ses fins de mois avec de la publicité pour les vins du Postillon ! 

    Son ouvrage le plus connu est Le vin des rues, paru en 1955 chez Denoël, qui a eu un énorme succès, et ensuite de multiple fois réédité, avec de belles photos de Robert Doisneau. Il avait passé sa jeunesse à Limoges, puis, après avoir été très actif dans la Résistance, il monta à Paris dont il tomba amoureux, à une époque où cela était possible. C’était pourtant un vrai provincial, mais à l’instar de Léo Malet ou d’André Héléna, il se naturalisa lui-même parisien, en adoptant ses bistrots et aussi sa langue populaire si particulière dans l’immédiat après-guerre. Il écrivit d’ailleurs de nombreux ouvrages sur l’argot. 

    Robert Giraud, La petite gamberge, Denoël, 1961 

    Il fréquente essentiellement des marginaux, des clochards, des chiffonniers, des petits marlous. S’il connait le milieu, c’est plutôt le milieu d’en bas, des petites combines qui nourrissent assez peu son homme et qui mènent de temps en temps au ballon, et probablement aussi parce qu’il a vécu de cette manière. Ce sont ces héros négatifs qui l’intéresse. Il avait écrit un roman, La route mauve, publié en 1959 chez Denoël qui contait les aventures de trimardeurs qui traversaient la France à pieds pour aller de Paris jusqu’à Limoges. C’était déjà un roman assez noir.

    La petite gamberge raconte une histoire qui aurait pu être écrite par André Héléna. Cinq copains, Bouboule, le Manchot, la Tenaille, Roger et la Douleur, sont des cambrioleurs. Ils se réunissent à la Bonne Treille, le bistrot du grand René, où ils ont leur table et leurs habitudes. Là parmi les manchards, les pionnards, les chiftirs et autres vaincus de la vie, ils montent des coups plus ou moins foireux. La plupart du temps cela consiste à déménager des objets et à la revendre ensuite à un receleur – une sorte de reprise individuelle. Mais voilà que la Tenaille a la mauvaise idée de tomber amoureux de la toute jeune Pierrette qui chante accompagnée à l’accordéon par Pépère, un vieux presqu’aveugle. Ils se mettent à la colle. La bande va monter un superbe coup, pour une fois. Ils pillent une villa de banlieue appartenant à des gens du cinéma. Ils déménagent tout ce qu’ils peuvent avec le camion de la Douleur. C’est ce dernier qui va être chargé de planquer le butin. Tout va bien donc, mais voilà que Roger se fait arquepincer par les chaussettes à clous. Le reste de la bande se disperse, cependant, ils en viennent à soupçonner la Douleur de l’avoir donné. Cette méprise va mener la bande sur la pente fatale.

    Si l’histoire ne recèle guère de surprises, son style en fait une œuvre excellente. Bien qu’il ait été écrit au tout début des années soixante, c’est un roman déjà plein de nostalgie qui nous parle d’un Paris en train de s’effacer sous les coups de pelleteuses des entrepreneurs immobiliers et de la modernité. Ce qu’on sent là, c’est la fin d’une identité, d’une culture, et l’émergence d’un Paris qui n’est plus qu’une succession d’images sans âme, une sorte de paradis des consommateurs. Déjà le Paris des marginaux, des cloches et des petits marlous, se replie vers des tapis de moins en moins nombreux. Bouboule se ballade de la Mouffe à Rambuteau, jusque vers les Halles, il glisse dans les encoignures, les redans du social ne se frottant qu’incidemment au Paris de la normalité. Il s’impose par sa présence, mais seulement sur ses terres, il a son public, ses affidés. La Tenaille serre les mains comme une tenaille ! Ce sont des caractères, et même le Pépère qui est aussi vieux que jaloux.  

    Robert Giraud, La petite gamberge, Denoël, 1961

    Giraud ne calcule rien, ou pas grand-chose, son récit va comme je te pousse, mais c’est beau cette manière qu’il a de décrire les petites joies et les grands malheurs de ce petit peuple de Paris. Pierrette qui chante tout en cherchant à ce que Pierre la remarque. C’est pas mal aussi. C’est un roman d’hommes, mais les femmes ne comptent pas qu’un peu. Outre Pierrette, on aura le portrait de la concierge qui est en ménage avec la Douleur et qui compte ses sous. La Douleur se trouve du reste malencontreusement un boulot presque normal, en travaillant pour les antiquaires des Puces de Saint-Ouen pour qui il déménage et livre des objets de toutes sortes avec son vieux camion. C'est d'ailleurs ce qui causera sa perte et celle de ses aminches.

    Roman d’atmosphère, Giraud utilise pourtant un style sobre, jamais saturé d’expressions argotiques. Evidemment la critique l’a toujours négligé, tant pis pour elle. Elle l’aurait sans doute pris un peu plus au sérieux s’il n’y avait pas eu d’histoire et que Giraud se soit borné à la description de caractères qu’il a certainement connus. Mais quoi qu’on en pense, Giraud aimait aussi raconter des histoires qui n'étaient pas que des calembredaines. S’il n’a malheureusement pas beaucoup donné dans le genre roman, c’est seulement par paresse. Il était aussi poète, et on notera qu’il a publié dans la revue Les cahiers du peuple, revue consacrée à la littérature prolétarienne et dirigée par Michel Ragon.  

    Robert Giraud, La petite gamberge, Denoël, 1961 

    Le dilettante vient de rééditer ce roman, après avoir réédité plusieurs textes importants de Robert Giraud. On peut leur reprocher peut-être de le faire d’une manière un peu décousue, pour le reste on ne peut que les féliciter. En tous les cas pour ceux qui ne le connaissent pas encore, on ne peut que leur conseiller de s’y jeter dessus ! 

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