• Sacco et Vanzetti, Sacco e Vanzetti, Giuliano Montaldo, 1971

     Sacco et Vanzetti, Sacco e Vanzetti, Giuliano Montaldo, 1971

    Heureux temps que ce début des années soixante-dix où on pouvait encore faire de gros succès publics avec des sujets forts et engagés. A cette époque on pouvait encore parler d’anarchie et de lutte des classes sans pour autant faire un cours d’histoire ou de politique racoleuse et militante. Il y a manifestement un savoir-faire qui s’est perdu, que ce soit d’ailleurs en France ou en Italie. Mais ce savoir-faire s’est perdu aussi parce que la morale s’est effondrée et que la politique s’est faite de plus en plus réactionnaire sous la poussée des formes néolibérales de gouvernement. Le sujet du film est la criminalisation de la lutte des classes. C’est un sujet encore à l’ordre du jour aujourd’hui quand on voit comment se comportent en France Macron et Castaner avec les gilets jaunes, éborgnant de ci de là les manifestants, menaçant de leur tirer dans le temps, instrumentalisant la justice pour faire condamner sans preuve. Et d’ailleurs une partie de l’opinion, notamment les lecteurs du Monde, seraient très contents qu’on aille plus loin dans la répression, mais pour l’instant les bagnes sont fermés et la peine de mort est abolie. Sacco e Vanzetti c’est une histoire vraie, et maintenant l’innocence de ces deux anarchistes est prouvée, leur mémoire a été réhabilitée, notamment parce qu’un des auteurs véritables du hold-up sanglant pour lequel Sacco et Vanzetti ont été condamnés à la chaise électrique avouera ce crime, donnant des détails également sur ses complices. Cette affaire pris des proportions énormes dans l’opinion. Par exemple John Dos Passos, bien avant qu’il n’effectue son virage à droite, écrivit un mémoire en défense de Sacco et Vanzetti, publication financée par un comité qui s’était monté et qui réunissait des fonds pour la défense des deux anarchistes[1]. L’Italie se mobilisa aussi par la voix de Mussolini qui réclama un procès plus juste. En effet il apparu assez vite que ce procès politique, s’il instrumentalisa la question des migrants, s’inscrivait dans un plan global de répression des tendances révolutionnaires qui se manifestèrent après la Première Guerre mondiale aux Etats-Unis. Ce que nous décrit par exemple La moisson rouge de Dashiell Hammett, ouvrage fondateur du noir. Montaldo était à cette époque un réalisateur peu connu, il avait réalisé cependant des films noirs, comme par exemple Ad ogni costo de 1967, film de casse avec Edward G. Robinson ou encore Gli Intoccabili, un poliziottesco de 1968 qu’on aime à redécouvrir. Après Sacco e Vanzetti il mettra en scène Giordano Bruno, toujours avec Gian Maria Volontè, un autre film d’inspiration anarchiste. Puis il versera dans la défense de l’homosexualité avec Gli occhiali d’oro qui obtiendra aussi un bon succès, mais sans atteindre celui de Sacco e Vanzetti. Pour ce dernier film, le scénario s’est appuyé sur une documentation précise et très complète.  

    Sacco et Vanzetti, Sacco e Vanzetti, Giuliano Montaldo, 1971

    Tandis que la police réprime d’une manière sauvage les mouvements anarchistes, n’hésitant pas à assassiner froidement les militants, un hold-up sanglant a lieu, des bandits motorisés s’emparent de la paye d’une usine de chaussures. Rapidement le procureur Katzman désigne les coupables, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, deux militants connus pour leurs opinions anarchistes et anticapitalistes. Ils sont retrouvés dans un train, portant sur eux des revolvers. La traque va s’organiser : d’abord on va essayer de faire avouer Sacco et Vanzetti, mais devant leur mutisme, il va falloir solliciter l’aide de témoins de complaisance. Bien que l’action se soit passée très vite et que ces témoins soient assez loin de l’action, ils prétendent reconnaitre Vanzetti comme le conducteur de l’automobile, or, Vanzetti n’a jamais appris à conduire. Pourtant plusieurs témoins affirment que Vanzetti était à Plymouth en train de vendre du poisson, et Sacco a lui-même pointé à l’usine où il travaille. Les deux anarchistes vont être défendus par un avocat dévoué aux causes syndicalistes. Celui-ci met en avant les contradictions des témoignages, sous le regard impassible du président du tribunal qui manifestement fait cause commune avec le procureur. Se rendant compte de ses erreurs, il va changer de tactique et dénoncer un procès politique sur fond de racisme. Mais l’affaire est entendue, les jurés votent la peine de mort pour les deux anarchistes. Tandis qu’ils attendent la mort en prison, l’opinion publique se mobilise en leur faveur. Les deux hommes ne réagissent pas de la même manière, si Vanzetti reste digne dans l’attente, Sacco commence à perdre la tête et va devoir être interné. Tandis que des foules immenses manifestent aux Etats-Unis et ailleurs contre le jugement, l’avocat Thompson tente de retrouve la piste des véritables coupables du hold-up sanglant. Ils constatent que des dossiers et des pièces qui pourraient innocenter Sacco et Vanzetti ont disparu. Malgré les preuves accumulées, le juge Thayer refusera de rouvrir le procès. Dans une ultime confrontation avec le gouverneur Fuller, Vanzetti aura finalement l’assurance qu’il est bien mort pour ce qu’il représentait et non pour ce qu’il avait fait.

    Sacco et Vanzetti, Sacco e Vanzetti, Giuliano Montaldo, 1971 

    Sacco et Vanzetti ont été arrêtés 

    Ce film a une importance capitale parce qu’il a conduit à réhabiliter Sacco et Vanzetti. Mais il s’inscrit surtout dans une époque de remise en question de l’ordre capitaliste dans ses fondements, il dénonce la justice et la police comme un appendice de ce pouvoir sans lequel la bourgeoisie n’est rien. Les films d’inspiration anarchistes sont très nombreux à l’époque et ils ont du succès, par exemple le très bon film de Philippe Fourastié sorti en 1968 sur La bande à Bonnot, ou encore La classe operaia va in paradiso qui en 1972 obtiendra la Palme d’or à Cannes. Sacco e Vanzetti en 1971 obtiendra aussi un prix à Cannes, celui du meilleur interprète masculin pour Riccardo Cucciolla. Il y a donc une reconnaissance populaire de ce cinéma qui mêle l’analyse historique et la réflexion politique. La grande réussite du film de Montaldo dépend d’abord d’un scénario très rigoureux, non seulement parce qu’il est très proche de la vérité historique, mais aussi parce qu’il évite le didactisme et le propos édifiant. Bien évidemment le propos est très clair, il est ouvertement politique, anticapitaliste. Mais le déroulé du film parle de lui-même : en effet ce que nous voyons c’est comme deux pauvres diables, anarchistes de conviction, vont être instrumentalisés par une justice de classe qui rêve de mettre la classe ouvrière au pas en employant des grands moyens. Au début nous verrons d’ailleurs Alexander Palmer, attorney général, justifier sa politique bestiale de répression, il identifie les anarchistes aux étrangers. Il va donc y avoir une instrumentalisation des étrangers comme bouc émissaire d’une politique très répressive qui durera au moins jusqu’à Franklin Roosevelt, et qui sera reprise par la suite au moment de la chasse aux sorcières. Le but est de liquider le mouvement social, de répandre la terreur sous le couvert de protéger la démocratie américaine. Montaldo remet donc les pendules à l’heure, ce drame social s’inscrit dans une stratégie de lutte des classes, tout sera bon pour le mettre à genoux. Le film s’ouvre sur des images en noir et blanc de la police qui investit une cité ouvrière avec une grande sauvagerie. On verra aussi, mais en couleurs cette fois, qu’un militant anarchiste se fait défénestrer au commissariat. Cette image rappelle un souvenir encore très frais pour les Italiens : Giuseppe Pinelli, un militant anarchiste qui avait été accusé à tort de l’attentat de la Piazza Fontana, meurt, défénestré alors qu’il a été arrêté par la police. C’est en quelque sorte le lien entre le passé – celui de Sacco et Vanzetti – et le présent, celui des attentats meurtriers qui eurent lieu en Italie à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix et que tout le monde a fin par attribuer aux néofascistes qui, avec l’appui de la CIA, voulaient produire un coup d’Etat. 

    Sacco et Vanzetti, Sacco e Vanzetti, Giuliano Montaldo, 1971 

    Katzmann a des idées pour utiliser Sacco et Vanzetti 

    Le thème général c’est l’insoumission, la contestation d’un ordre inégalitaire autant qu’inique. Une manière de dire qu’on ne peut pas vivre toujours couché et qu’on doit redresser la tête. Les deux protagonistes de cette histoire sont des gens ordinaires, ils n’ont pas l’ambition de devenir riches d’ailleurs, contrairement à ce que croit Katzmann, ils revendiquent la liberté et d’avoir un travail où ils ne sont pas exploités. Ils ne veulent pas être des héros. A la fin Vanzetti fait un beau discours sur les forces de la réaction, et puis il dira à Sacco qu’au fond grâce à l’ignominie du pouvoir, ils laisseront leur nom dans l’histoire, alors que Katzmann et le juge Thayer, menteurs et comploteurs, partiront dans les poubelles de l’histoire. C’est donc aussi une réflexion sur le pouvoir. C’est ce que dit Katzmann qui compte : s’ils avaient été des voleurs ordinaires, on les aurait peut-être graciés, mais là ils sont un symbole : au fond ils meurent parce qu’ils ont su attirer sur eux la sympathie du monde entier, et dans sa guerre contre les pauvres, le grand capital ne saurait le tolérer. Il y a une subtile analyse des classes sociales : la bourgeoisie n’est pas un seul bloc, les avocats, quelques journalistes au contraire représentent le côté faible de la bourgeoisie, celui qui défend les droits humains et qui se trouve travaillé par sa conscience. Le film ne s’attardera guère sur Sacco et Vanzetti en tant qu’êtres humains, certes on voit bien que ce sont des âmes simples et droites, leurs doutes et leurs rêves seront seulement suggérés à travers leur manière de comporter face à la tyrannie. Car s’il y a bien une chose qui est montrée, c’est que la démocratie américaine n’existe pas, elle est seulement une parodie, ou une sorte de vernis qui permet de ménager l’essentiel.

     Sacco et Vanzetti, Sacco e Vanzetti, Giuliano Montaldo, 1971 

    L’avocat Moore pense qu’il démontera facilement les faux témoignages 

    Tout ça est solidement construit et la mise en scène est très rigoureuse. Certes il y a des grands moments d’émotion, comme ces élans de solidarité qui réunissent dans le monde entier des foules énormes, souvent durement réprimées, ou encore l’attitude des femmes de Sacco et Vanzetti. Mais Montaldo n’insiste pas sur le pathos. De même il ne noircit pas les caractères des ennemis de classe de Sacco et Vanzetti. La richesse du sujet lui permet d’ailleurs d’éviter le film de procédure, notamment en aérant avec des scènes de réminiscence de ce que faisait Sacco et Vanzetti ce jour du hold-up sanglant. La reconstitution d’une époque est toujours une question délicate. Montaldo disait qu’il avait retrouvé la véritable usine de chaussures où le hold-up avait eu lieu. Mais pour le reste, il a dû trouver ses décors ailleurs, jusqu’en Irlande pour compenser l’évolution et la modernisation de l’Amérique. Il est aidé par une très belle photographie et l’écran large qui lui permet de saisir la profondeur de champ. Le rythme est très soutenu, le montage permet de donner de la vivacité aux scènes de tribunal qui sont le plus souvent ennuyeuses au cinéma. Parmi les scènes à retenir, outre celle du début qui voit la répression sauvage de la police contre le mouvement social, il y a l’arrivée de Sacco et Vanzetti en prison. Montaldo multiplie d’une manière très ingénieuse les angles de façon à donner l’importance du vertige qui peut saisir les deux anarchistes. Également on retiendra cette scène où on voit Vanzetti vendre du poisson dans la rue. Le début et la fin du film sont tournés en noir et blanc, comme pour authentifier cette histoire.

     Sacco et Vanzetti, Sacco e Vanzetti, Giuliano Montaldo, 1971 

    Le jour du hold-up sanglant, Vanzetti vendait du poisson 

    L’interprétation est de qualité. Riccardo Cucciolla a obtenu le prix d’interprétation masculine à Cannes. Pourtant c’est bien Gian Maria Volontè qui domine. Il trouve là un de ses meilleurs rôles. Souvent il cabotine un peu, mais là il est impeccable et représente exactement ce que veut montrer Montaldo, la dignité et la force morale des prolétaires. Son discours final est une grande performance, il est impressionnant. Les deux protagonistes ont été bien choisis, physiquement. Un moment Yves Montand devait jouer Sacco, mais en vérité c’eut été une erreur, car le film repose en grande partie sur l’opposition entre Sacco le faible et Vanzetti le fort, et donc la différence de corpulence joue un rôle décisif. La performance de Volontè en revoyant le film m’a vraiment impressionné. Celle de Cucciolla, un peu moins à vrai dire, mais enfin, il tient très bien sa place. A leurs côtés on trouvera l’excellent Cyril Cusack dans le rôle de Katzmann, le fourbe procureur, vindicatif et qui poursuit un but sans frémir. Ils sont tous plutôt bons, on peu citer Geoffrey Keen dans le rôle du juge Thayer qui habite son courroux à l’endroit des gueux comme d’autres habitent une luxueuse demeure, ou encore Claude Mann dans le rôle du journaliste travaillé par sa conscience.

     Sacco et Vanzetti, Sacco e Vanzetti, Giuliano Montaldo, 1971 

    L’avocat Thompson doit faire face à la mauvaise foi du juge Thayer 

    L’ensemble s’appuie sur un budget manifestement élevé. Il y a la musique d’Ennio Morricone, et plus encore la balade de Sacco et Vanzetti chantée par Joan Baez, grande militante de toutes les causes révolutionnaires. Elle était à cette époque à l’apogée de sa carrière, et sa voix n’avait jamais été si belle.  La bande originale du film sera un autre succès planétaire. Notez enfin que le grand soin apporté à la réalisation sera appuyé par l’utilisation des bandes d’actualité de l’époque qui prouve à quel point cet événement qui occupa l’opinion entre 1920 et 1927 eut une importance capitale. En vérité il sonnait comme une première défaite du mouvement socialiste mondial, malgré la révolution de 17, malgré la puissance des partis communistes dans le monde entier, il y en aura d’autres. La férocité de la répression judiciaire et policière explique pour beaucoup pourquoi les Etats-Unis, contrairement à ce que pensait Marx ne se sont jamais lancé vers le socialisme.

    Sacco et Vanzetti, Sacco e Vanzetti, Giuliano Montaldo, 1971 

    Dans son discours d’adieu, Vanzetti dénoncera une justice de classe 

    C’est un excellent film qui n’a pas pris une ride et qu’on peut montrer dans les écoles pour enseigner la vie et sa dureté aux jeunes enfants. Il a eu un succès mondial, mais plus encore en Italie où, en pleines années de plomb, le public s’intéressait à la question sociale y compris à travers les grèves ou les représentations cinématographiques. Gian Maria Volontè prit un abonnement à ce type de film. Juste après il tournera l’excellent La classe operaia va in paradiso sous la direction d’Elio Petri, un autre cinéaste italien trop sous-estimé qui obtint cette fois la Palme d’or à Cannes. Ce film marchera un peu moins bien cependant, sans doute parce qu’il faut passer pour s’en saisir sur le côté grotesque des personnages. Nous sommes à cette époque au sommet de ce que sera le cinéma italien, cette capacité de produire des films de grande qualité sur des thèmes très populaires qui mettent en scène la classe ouvrière ou les luttes sociales, balayant les préciosités bourgeoises de la Nouvelle Vague. A la même époque, en France, Godard tournera avec Jean-Pierre Gorin, Tout va bien avec des acteurs militants, Jane Fonda et Yves Montand qui étaient encore de gauche. Le résultat sera désastreux pour ne pas dire pire, inutile, avec un box-office étique, mais Jean-Pierre Gorin maoïste défroqué, il sera décoré en 2008 de la légion d’honneur à San Francisco sous Sarkozy ! Les conservateurs aiment bien les « artistes » qui font repentance.

     Sacco et Vanzetti, Sacco e Vanzetti, Giuliano Montaldo, 1971 

    C’est le tour de Vanzetti d’être exécuté 

    Sacco et Vanzetti, Sacco e Vanzetti, Giuliano Montaldo, 1971



    [1] Facing the chair: story of the Americanization of two foreignborn workmen, Sacco-Vanzetti defense committee, 1927.

    « Marc Dugain, Ils vont tuer Robert Kennedy, Gallimard, 2017L’affaire Mattei, Il Caso Mattei, Francesco Rosi, 1972 »
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