• San-Antonio, Les Con, Fleuve Noir, 1973

    San-Antonio, Les Con, Fleuve Noir, 1973 

    Merci à Jacques Le Piton et Daniel Engels 

    Dominique Jeannerod dans une livraison récente du MSA[1], en commentant Y’a-t-il un Français dans la salle ? et Les clés du pouvoir sont dans la boîte à gants, qui viennet d’être réédités chez Omnibus, acance qu’il s’agit là d’un tournant dans l’œuvre de San-Antonio. C’est exact, mais Frédéric Dard s’est en réalité toujours renouvelé, et c’est sans doute cela qui lui a assuré une telle longévité. Des tournants il en a pris constamment, que ce soit avec l’abandon progrressif des Frédéric Dard petit-format, que soit avec l’émergence du personnage de Bérurier, ou que ce soit l’investissement qu’il fera dans les grand-format à partir de L’histoire de France vue par San-Antonio. Les Con est égalerment un ouvrage à part.

    Parmi tous les épisodes de la saga du fringant commissaire, et s’il y en a beaucoup que j’adore et très peu qui me gonflent, c’est celui-là mon préféré et de loin ! Sans doute qu’à cette époque il devair avoir une excellente humeur et un peu moins de neurasthénie que généralement. L’ouvrage est de 1973, cette année là il n’y aura qu’un seul San-Antonio en petit format, sans doute est-ce parce que Dard a consacré beaucoup de son temps. En tous les cas sa bibliographie officielle ne compte que trois ouvrages : un hors série signé San-Antonio, Les Con, un petit format J’ai essayé : on peut et un Frédéric Dard, Le maître de plaisir. Ce qui est très peu pour lui, a-t-il à cette époque écrit sous des pseudonymes divers et variés. La question est posée. Cette année là paraissent également deux livres signées Agnès Laurent qui sont très probablement de la plume de Dard, mais rien n’indique qu’ils aient été écrits en 1973. Vous noterez que c’est le dernier hors-série dans lequel le commissaire San-Antonio apparait, puisque le suivant est consacré exclusivement à l’histoire de Bérurier, et que Napoléon Pommier, ouvrage crépusculaire est un peu en décalage par rapport à la série, il est un des textes  signés San-Antonio qui n’est pas forcément entièrement de lui.

    C’est une enquête presque traditionnelle du commissaire et de ses collaborateurs. Il semble des assassinats en série frappent les Con. Et que cette drôle d’affaire soit la conséquence du testament se Zyrcon peintre moderne américain qui s’appelle en réalité Con. Or Zyrcon qui va mourir veut léguer son immene fortune aux Con qui sont fiers de s’appeler ainsi et qui n’ont pas modifier leur patronyme. On voit tout ce qu’on peut faire à partir de cette trame : c’est en quelque sorte la mise en œuvre d’un programme simple : mort aux cons.

    La verve sanantoniaise se retrouve aussi bien dans la création langagière que dans le déploiement d’une philosophie très singulière. Car si on est toujours un « con » pour les autres, c’est bien parce que nous sommes très incomplets et que rien ne saurait combler cette incomplétude.  Il y a bien entendu des réflexions sur les singularités du métier d’écrivain dont la seule règle devrait être de ne pas emmerder les lecteurs et donc d’éviter la prétention.

    Il y a aussi des inventions typographiques étonnantes. Ce qui nous amène à considérer qu’il s’agit de plusieurs livres réunis en un seul. D’abord il y a l’histoire proprement dite, mais celle-ci est coupée par des pages glacées de couleur beige qui s’intitule Con Magazine. Elle serve à l’épanchement des humeurs de San-Antonio et sont complètement indépendantes de l’intrigue policière. On pourrait les réunir pour en faire une manière de philosophie populaire. Et puis il y a aussi au cœur de l’histoire des encarts qui ne sont pas tout à fait des notes de bas de pages, mais plutôt des sentences qui peuvent elles aussi se réunir dans un cahier à part.

    N’oublions pas que nous sommes en 1973 et que l’air du temps est encore à la contestation. Dard se présente dans cet ouvrage comme un CONtestatiare, niant les hiérarchies dans ce qu’elles ont de plus frelaté. C’est un voyage au bout de la connerie. Cela permet à Dard de dresser des portraits de cons de différentes sortes. Il y a le con académicien qui ressemble à Maurice Druon, Martial Brucon, et qui fait écrire ses ouvrages par son maître d’hôtel. Ce qui est d’ailleurs dérivé du thème d’un ouvrage signé Agnès Laurent, L’ultime rendez-vous qui date de 1970 et qui est sans doute de la plume de Dard[2].

     San-Antonio, Les Con, Fleuve Noir, 1973 

    Et puis il y a un portrait d’Edgard Faure sous le nom presque transparent de Jean-Edgard Con. C’est plus qu’une manière de nier l’utilité des hommes politiques. C’est une attaque en règle contre Edgard Faure dont la malice ne compense pas la connerie. Ce personnage incontournable de la vie politique de la IVème et de la Vème république a en outre l’inconvénient d’être en plus un académicien. Tout y est de la fausse « chaleur humaine » aux défauts de prononciation dont il joue. Ces deux personnages vont être d’ailleurs punis gravement : l’un verra sa main déchiquetée et ne pourra plus écrire et l’autre sera fusillé à travers sa fenêtre.

    Mais des cons il y en a dans tous les genres, et on va retrouver quelques pages plus loin Jacques-Arthur Con, présentateur populaire d’émissions télévisées qui, lui, ressemble à Jacques Martin. Ces portraits d’époque pourraient d’ailleurs faire passer San-Antonio pour un auteur réaliste, ou hyper réaliste si on veut, tant ils sont criants de vérité. A côté de ceux-ci on retrouvera le portrait d’un clochard, un Con qui a décidé de se mettre en retrait définitf de sa vie et qui renonce par avance à sa part d’héritage. C’est le énième portrait de clochard que dresse Dard. Le clochard est en effet un personnage qui revient assez souvent dans les romans de Dard quel que soit le nom dont il les signe. Il y a eu Croquelune dans ses début, il y aura aussi le clochard par vocation des Nouveaux mystères de Paris et quelques autres dans la longue saga sanantoniesque. Ce personnage est là comme contrepoids de notre civilisation trop sophistiquée qui engendre la paresse des sens et la paresse des cœurs. C’est d’ailleurs le seul Con pour lequel San-Antonio a un peu de compassion.

     San-Antonio, Les Con, Fleuve Noir, 1973 

    L’ensemble est tellement réjouissant qu’on peut le lire à haute voix même si on est seul et en rire bien entendu. Evidemment il ne peut pas s’empêcher de refiler un coup de griffe à Paul Claudel en citant Léautaud ( « … heureusement qu’il n’y avait pas la paire ») et il raconte aussi une anecdote sur S.A. Steenman qu’il considère comme un des maîtres du roman policier. Ce qui n’est pas étonnant puisque Les Con c’est aussi une énigme presqu’en vase clos. Parmi les autres références culturelles, on trouvera une allusion à Boubouroche, la pièce de Georges Courteline qui traite de l’ambiguïté de l’adultère.

    Le gros défaut de l’édition originale – où curieusement il y a très peu de coquilles – est sa reliure qui ne tient pas. Il semble que Brodard-Taupin, l’imprimeur ait eu la velléité de faire des économies sur la qualité de la colle. Il est impossible de relire cet ouvrage sans qu’il ne se défasse.

    San-Antonio, Les Con, Fleuve Noir, 1973

     

    On notera que comme souvent Frédéric Dard et le Fleuve Noir tireront de cet ouvrage magnifique et très beau un produit dérivé : Conorama, une brochure à la destination des libraires, l’opuscule était illustré par plusieurs dessinateurs dont Roger Sam le beau-frère. A partir de cet ouvrage Les Con, il est possible d’en tirer des centaines de citations qui nous permettront de briller en société ! c’est donc une mine d’or que cet ouvrage. On va la vérifier en donnant ci-dessous quelques extraits. 

    Extraits 

    Frédéric Dard, par la voix de San-Antonio a toujours manifesté une étrange attirance et une répulsion tout aussi étrange vis-à-vis de ce qu’il appelle les cons. Sa détestation de cette engeance a donné lieu d’ailleurs à des envolées de grande ampleur, mais cette prise de position quasi politique a été progressive. La première grande diatribe contre les cons se trouve – si ma mémoire est juste – dans Votez Bérurier. Con est écrit ici avec des petits points de suspension, mais nous sommes en 1964. Ce livre avait été un très grand succès lors de sa sortie. 

    « Il a pas le courant lumière dans le citron, Béru, et ça n'est pas le poids de son cerveau qui risque de fausser un pèse-lettres, mais parfois, il dit des choses sensées. Dans la vie, il n'y a que les c... qui soient capables d'en dire ! Les autres se mettent la calbombe en pas de vis ! Ils se tortillent la matière grise, ils brodent, ils blablatent, ils déforment. Le c..., lui, il dit ce qu'il pense vraiment et comme il pense juste il dit juste. N'entreprenez jamais rien de grave dans la vie sans avoir pris l'avis d'un c... ! C'est une grande règle que les grands hommes d'affaires connaissent et appliquent.Vous pouvez le remarquer : ils ont toujours des tas de c... autour d'eux. Des c... nobles, pour le standing de la maison ; des vieux c.., pour son honorabilité ; et une infinité de pauvres c... pour porter le coton, le chapeau et la chance ! Les plus futés s'assurent même la collaboration de sales c... afin de cristalliser sur eux le mauvais esprit qui finit toujours par s'insinuer dans une communauté. Le c... c'est le micro-organisme. Sans lui, l'univers serait en décomposition. »  

    Votez Bérurier parle de politique, de candidats à la députation qui se font assassiner. Ce rapprochement n’est pas fortuit. En effet, les politiciens sont une engeance particulièrement méprisée par Frédéric Dard. Ils sont méprisables pour toutes raisons qui seront développées dans Y’a-t-il un Français dans la salle ?, mais aussi pour leur capacité à prendre leurs électeurs pour des cons. A son échelle Votez Bérurier est déjà un « mort aux cons ».

    San-Antonio, Les Con, Fleuve Noir, 1973

    Revenons aux Con. Juste histoire de donner une idée aux jeunes gens qui ne connaissent pas encore ce chef-d’œuvre et qui donc ont l’immense chance de pouvoir le découvrir, et aux autres, les plus vieux, leur donner le goût d’y retourner. En réalité il faudrait que je recopie le livre en entier, 

    « Des boutiques électro-ménageuses, bouillonnantes de néon, de tévé, d'Arthur Martin-prêcheurs, de machines à machiner. Un grand magasine. Des prix-records. Ça la formule véry goude : prix records. Ils aiment. Ça les rassure. Le super-market, c'est l'attraction du siècle pour les modestes. Le grand rencard, la sortie princière, le point de rencontre, l'évasion. Bien mieux que le cinoche ou la grand-messe. Super-Machin! Le caddy de nos soucis, de nos six sous! T'en as plein beaucoup pour trois fois rien. Ta pagouze s'émiette gentiment en cuteries superflues. Et puis tu y peux consommer. La bouffe sous cellophane. Tickets! Tickets! La vie est belle, bien superbe, intense. » 

    « Il est grand, massif. Y'a de.la bête! Con lourd. Au poids, déjà, t'es gâté. Brucon, de l'aconcadémi-confranconçaise. Beau bestiau! Tête léonine, taurine, penchante, pensante! La tête de con de médaille. Face et profil, tout est à buriner. Le teint est teinté, justement. Ocre rose. Le cheveu est dru, blond cendré. L'œil est clair. La bouche jouisseuse est faite pour le gigot au poivre vert et pour l'homélie. Il y a des reliquats de crème fouettée et d'oraisons funèbres aux commissures. Son œuvre? Attends que je me souvienne. Je sais qu'il a patronné des encyclopédies, donné des préfaces, signé des livres. Et puis fait des discours devant des plaques de rue et des catafalques. » 

    « Il est du côté du pauvre, toujours, le cœur. C’est son bien le plus solide, au pauvre. Le cœur, il dit merde aux riches, aux pleins de soupe et de foie gras, aux bedaineux, aux affairistes. Mais les démunis, les exténués, les élimés, il les sert farouchement. Les soutient mordicus. Les prolonge. Je te jure : y’a rien de plus solide qu’un cœur de pauvre. » 

    « L’une de mes grosses surprises de mon adolescence, ça a été de réaliser que mes supérieurs pouvaient être plus cons que moi. » 

    « Le con est toujours nu, même quand il est habillé ».

     


    [1] Le Monde San-Antonio,  numéro 74, automne 2015

    [2] Voir sur ce point Alexandre Clément, Frédéric Dard, San-Antonio et la littérature d’épouvante, Les Polarophiles Tranquilles, 2009.

    « Bigamie, The bigamist, Ida Lupinnno, 1953Chair de poule, Julien Duvivier, 1963 »
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