• San-Antonio, Viva Bertaga, Fleuve noir, 1968

     San-Antonio, Viva Bertaga, Fleuve noir, 1968

    Comme on le sait San-Antonio est une écriture qui n’est jamais figée. En constante évolution, elle intègre au fur et à mesure les transformations de la société. Or cet opus a été écrit en 1968 qui fut une année charnière dans l’histoire de la France. On peut donc prendre ce livre soit pour une histoire d’aventures en Amérique latine, soit pour une méditation sur la politique et la révolution. Le premier aspect n’a que très peu d’intérêt et ne dépasse pas le courant de la production du Fleuve noir dans la collection espionnage de l’époque. Il s’agit d’empêcher les Chinois de s’emparer d’un minerai très rare dans un pays exotique, le Rondubraz.

    On s’attardera donc sur les réflexions politiques de Frédéric Dard à travers le personnage de San-Antonio. Il y a d’abord une critique larvée du général De Gaulle que Frédéric Dard n’a jamais aimé. Il le dénonce comme un marchand d’illusions grandiloquent qui met en valeur l’idée de la grandeur de la France. Car si Frédéric Dard s’est toujours voulu Français avant toute chose, il n’a jamais donné dans l’idée d’une supériorité de notre pays sur le reste du monde. De Gaulle est avec Lecanuet le personnage politique le plus critiqué dans la saga sanantoniaise. Il entame cette critique dès le retour du général à la tête de l’Etat et manifeste une méfiance contre ses tendances autoritaires.

    Les événements de Mai 68 vont lui donner l’occasion d’approfondir cette critique. Viva Bertaga renferme plusieurs réflexions fortement désapprobatrices sur la répression qui s’est abattue sur les jeunes manifestants. C’est à partir de ce moment qu’il va s’éloigner des structures policières traditionnelles et revendiquer une indépendance qui va prendre ensuite la forme d’une ouverture d’une agence de détectives privés. Un peu comme dans Laissez tomber la fille quand San-Antonio s’était mis en congé de la police pour ne pas travailler pour les allemands.

     San-Antonio, Viva Bertaga, Fleuve noir, 1968 

    Che Guevara dans la jungle bolivienne 

    Mais l’époque était aussi à une certaine admiration pour les révolutions cubaine et chinoise. Ici on trouve justement des Chinois qui vont s’implanter en Amérique latine à propos d’une sombre histoire de minerai rare. Frédéric Dard ne marche pas dans cette célébration des régimes autoritaires chinois ou cubain. Non seulement il s’en méfie, mais il prend aussi ses distances avec l’idée de révolution sur le thème un pouvoir chasse l’autre et l’oppression reste la même. Dans Viva Bertaga les révolutionnaires de profession font des révolutions presque permanentes s’alliant un coup avec les Américains, et un coup avec les Chinois sans que pour autant les choses changent beaucoup. S’il manifeste une sympathie pour la raison des révolutionnaires, à cette époque Che Guevara est une icône, il s’en méfie aussi parce qu’elles peuvent amener comme formes totalitaires.

    Viva Bertaga n’est pas seulement un virage politique pour San-Antonio. C’est aussi l’introduction d’un nouveau personnage, Marie-Marie, qui au fil des aventures suivantes prendra de plus en plus d’importance, puis s‘effacera, abandonné par son créateur pour cause de vieillissement. Ce personnage est une sorte de Zazie emprunté à Raymond Queneau[1]. San-Antonio regardera Marie-Marie grandir, puis il l’épousera, lui fera un enfant, puis il la délaissera et l’oubliera dès lors qu’elle sera devenue une femme.  Ici elle n’a que 8 ans, et pourtant San-Antonio annonce qu’elle a décidé de l’épouser un jour. Il y a ici évidemment une relation trouble qui va s’installer et qui va se développer dans ce sens.

    Marie-Marie inaugure cette série d’enfants qui vont venir poser des questions au commissaire. Il y aura ensuite Antoine, le fils abandonné d’un truand que San-Antonio recueillera, et puis Apollon-Jules le rejeton tardif des Bérurier. A chaque fois ce sont des éléments perturbateurs sur lesquels San-Antonio pose un regard à la fois amical et sévère.

    On note que c’est à partir de cette époque que les San-Antonio deviendront plus systématiquement exotiques, comme une manière de rendre compte des voyages que Frédéric Dard et sa famille vont effectuer de plus en plus fréquemment autour du monde. Viva Bertaga fait aussi allusion au premier voyage que Frédéric Dard fit aux Etats-Unis. 


    [1] Quoique la parenté entre Frédéric Dard et Raymond Queneau soit évidente, cela n’a pas empêché le premier de critiquer le second assez durement comme « n’allant pas assez loin » au niveau de l’écriture.

    « Les yeux cernés, Robert Hossein, 1964Le fils de Dracula, Son of Dracula, Robert Siodmak, 1943 »
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