• Serge Dumont, L’histoire vraie de la mafia israélienne, La manufacture de livres, 2013

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    Le titre est légèrement trompeur. Il eut été plus judicieux de parler du grand banditisme en Israël. En effet, l’ouvrage de Serge Dumont traite de gangs plus ou moins importants qui existent évidemment dans une guerre permanente mais qui ne paraissent pas vraiment structurés en dehors du clan, de la famille. Pour qui connait un peu ce pays, c’est une enquête passionnante, non pas parce qu’elle traiterait des formes exotiques du grand banditisme, mais parce qu’en examinant la formation et le développement de ces gangs, il en dévoile les mécanismes. La mafia israélienne a cependant quelques particularités. D’abord elle extrêmement violente et emploie souvent des méthodes assez archaïques. On n’hésite pas à poser des bombes un peu partout pour éliminer les ennemis, au risque bien entendu de blesser ou de tuer des parfaits innocents. Cette violence s’explique à la fois par le fait qu’Israël est un pays en guerre depuis presque cinquante ans, la violence est constitutive de la création d’Israël et de son maintien en vie. On comprend très bien qu’il est assez facile de se procurer des armes, et d’y apprendre le maniement des explosifs.

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    Itzik Abergil a été extradé vers les Etats-Unis pour de nombreux méfaits, dont des assassinats

     Les domaines de prédilection de la mafia israélienne sont assez traditionnels. Il y a d’abord l’extorsion et le prêt usuraire : les sommes en jeu interpellent, tant on comprend mal comment on peut en arriver à payer des intérêts de 200% sur une année. L’ouvrage de Dumont montre à quel point la société est gangrénée par le banditisme en mettant l’accent sur la mince frontière qu’il y a entre activités légales et illégales. Bien entendu, la corruption est un élément important du dispositif. Elle se trouve un peu partout, dans la police comme dans l’armée ou le rabbinat le plus orthodoxe.

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    Charles Abutbul le patriarche d’une famille décimée par la guerre des gangs

     Si les Israéliens qui forment cette nébuleuse du grand banditisme sont issus de toutes les origines géographiques, comme la population d’Israël, ce sont cependant les Juifs d’origine sépharade et plus particulièrement du Maroc qui sont les plus nombreux et les plus actifs. Evidemment ce sont aussi les plus pauvres et ceux qui ont été dans les débuts d’Israël les plus méprisés. C’est du moins ce qu’on peut comprendre dans la formation du grand banditisme dans les années cinquante, soixante, soixante-dix. Comme un peu partout dans le monde, la criminalité se développe d’abord dans les couches les plus pauvres et les moins éduquées de la population. Mais il semble qu’au fil du temps cette liaison directe entre misère et banditisme se soit effilochée, au fur et à mesure qu’Israël comme de nombreux pays développés a mis en avant la nécessité d’accumuler du capital en grande quantité.

    Dans un tel contexte, il est assez difficile à comprendre comment la police et la justice obtiennent des résultats finalement assez importants, même si souvent les juges sont menacés. Les prisons ne sont pas particulièrement douces en Israël et les plus durs des mafieux sont souvent consignés à l’isolement.

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    La police enquête en 2013 sur un attentat mafieux à Ashkelon 

    Les activités des mafieux israéliens sont diverses et variées, mais il semble qu’ils aient eu la particularité au niveau mondial de mettre en place un vaste trafic d’ecstasy, ce qui leur a valu de se faire chasser aussi par la DEA américaine. Mais même si de nombreuses activités mafieuses israéliennes ont des ramifications un peu partout dans le monde, il ne semble pas que cela ait pris les mêmes proportions que la mafia sicilienne. Il y a cependant des proximités : comme les Siciliens et les Corses, les Israéliens peuvent compter sur de nombreux relais en Europe, en Amérique et bien sûr dans les pays de l’Est. C’est typique des peuples qui ont du se disperser pour des raisons diverses et variées.

    Le jeu est également un des véhicules pour la prospérité des mafieux israéliens. Le jeu sous toutes ses formes, les casinos clandestins, les paris sur les matches de football, ou encore les paris sur des sites Internet. 

    Dumont ne cherche pas à faire la genèse de ces entreprises criminelles, même s’il en rappelle les origines, il reste dans l’actualité. C’est aujourd’hui que cela se passe et en Israël.

    Bref c’est un excellent ouvrage, fort bien documenté. On pourra reprocher de très nombreuses coquilles qui parfois dénaturent le sens. Serge Dumont est connu de longue date pour ses articles sur la mafia israélienne, ce qui l’a amené à se faire traiter d’antisémite par des internautes d’origine juive qui voudraient bien sans doute qu’Israël soit un Etat parfait. Le livre ne l’est pas bien sûr, et comme il y a de mauvais politiciens, il y a aussi des grands bandits sans scrupules en Israël comme ailleurs.

     

    Deux petites remarques finales. En Israël il existe comme un peu partout une littérature policière, Yaïr Lapid, Dror Mishani ou Batya Gour. Mais elle ne met jamais en scène cette mafia, pourtant il y aurait de quoi faire. Au fil des pages on rencontre un personnage secondaire Ben Simon qui ressemble à un personnage que j’ai créé dans Le roman de Tony. Cela m’a fait un drôle d’effet d’apprendre que cette création romanesque avait son miroir dans la réalité

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