• Storm warning, Stuart Heisler, 1951

    storm-warning-1.png 

    Stuart Heisler a fait au moins deux autres films noirs incontournables, La clé de verre avec Alan Ladd, d’après Hammett en 1942, et La peur au ventre, un très beau remake de High Sierra en 1955 avec Jack Palance. Storm warning est assez proche par son thème de Black legion qu’Archie Mayo avait tourné en 1937 avec Humphrey Bogart. Le scénario est du à Richard Brooks et Daniel Fuchs. Richard Brooks est très connu comme réalisateur et comme scénariste. Quant à Daniel Fuchs, il est l’auteur du scénario de Criss Cross ce chef d’œuvre du film noir réalisé magnifiquement par Robert Siodmak. Il écrivit aussi Panic in the streets pour Elia Kazan. Si sa contribution au cinéma fut très mince, c’est principalement dû au fait qu’il fut blacklisté.

    Marsha arrive dans la petite ville de Rock Point, une ville du sud des Etats-Unis où le Ku Klux Klan règne en maître. Exerçant la profession de mannequin, elle désire voir sa sœur qui vient juste de se marier. Pourtant la ville est bizarre, les commerces ferment d’une manière incongru, et tout le monde pense à rentrer très vite à la maison, obligée de se rendre à pieds chez sa sœur, elle va être témoin devant la prison du meurtre d’un journaliste par les hommes du Klan. Bien malgré elle, elle va voir le visage du chef du Klan et du tireur qui abat Adams, le journaliste.

     storm-warning-2.png

    Marsha assiste au meurtre d’un journaliste qui enquête sur le Klan

    Arrivée chez sa sœur, elle va lui faire part de ce qu’elle a vu. Quelques instants plus tard, son beau-frère arrive à la maison, et Marsha reconnait en lui le meurtrier. Elle l’avoue à sa sœur. Hank se défend plutôt mollement. Mais finalement Marsha décide pour le bien de sa sœur de ne rien dire. Pendant ce temps le procureur Rainey, un homme intègre désire mener son enquête. Il soupçonne évidemment le Klan, mais il n’a pas de preuves et la plupart des gens de Rock Point ne veulent rien dire, ou mentent. Cependant, il va finir par trouver que Marsha a peut-être vu quelque chose. Il l’interroge, celle-ci prétend n’avoir rien vu, si ce n’est des hommes revêtus de blanc et cagoulés. Rainey pense que cela suffira pour mettre en cause le Klan. Il va donc au procès. Mais celui-ci tourne au fiasco pour la justice, Marsha prétendant n’avoir strictement rien vu. Hank et les hommes du Klan vont fêter leur acquittement tandis que Marsha cherche à quitter le plus rapidement possible la ville.

     storm-warning-3.png

    Elle voit clairement le meurtrier 

    Mais Hank complètement ivre va rattraper Marsha et tenter de la violer. Lucy arrive juste à ce moment-là. Elle comprend qu’elle doit quitter son mari. Hank frappe sa femme et Marsha qu’il entraîne à une réunion du Klan, réunion destinée à faire étalage de sa puissance. Marsha va être menacée, puis fouettée. Elle fait preuve de courage, annonce qu’elle va les dénoncer. Elle va être sauvée par Rainey que Lucy a prévenu. Mais dans la confusion, Hank va tuer sa femme et va mourir. Le Klan est détruit.

     storm-warning-4.png

    Chez sa sœur, elle découvre que le meurtrier est son beau frère

     Le scénario est très bien construit. Il développe à la fois l’idée que le Klan est implanté fermement dans la ville où tout le monde se connait, et donc personne n’ose le contrarier. Il est un élément ordinaire de la vie quotidienne. D’ailleurs l’adjoint de Rainey lui-même a été membre du Klan par le passé. L’histoire se focalise sur les difficultés de témoigner non seulement contre des gens que l’on connait, mais encore quand cela risque de mettre en péril le couple de sa propre sœur. Dans le même mouvement le Klan est décrit comme une bande d’escrocs qui abuse de la crédulité des populations pour se faire aussi un peu d’argent.

    storm-warning-5.png

    Le procureur Rainey est décidé à mener l’enquête

     Les gens ordinaires ne cherchent pas les histoires et ont bien du mal à s’élever contre ce qu’ils savent parfaitement être mauvais. Le reportage d’un journaliste de la radio au moment du procès insiste sur ce point : les trois quarts de la population ne sont pas favorables au Klan, mais personne n’ose s’élever contre lui. On verra également quelques notables venir pour faire pression sur Rainey afin qu’il enterre purement et simplement l’enquête au motif que cela nuit aussi bien aux affaires qu’à la tranquillité de ville.

    Le chef du Klan est en même temps le patron de Hank. C’est lui qui mène la danse. Et s’il a fait tuer le journaliste c’est parce que celui-ci allait dénoncer ses malversions financières à la tête du Klan. Il y a donc l’idée que les notables, les patrons, imposent leur point de vue politique parce qu’ils détiennent évidemment le pouvoir économique, ils donnent du travail, assurent un ordre un peu douteux, et la lâcheté de la population fait que ce système perdure. C’est une mécanique particulière, la corruption progressive des conscience, qui engendre le crime

     storm-warning-6.png

    Les pressions se multiplient avant le procès 

    C’est un très bon film noir qui mêle l’ambiguïté à la tragédie et la critique sociale. Mais tout cela ne serait rien finalement si le film n’était pas très bien réalisé. Du point de vue cinématographique, on retiendra les scènes de l’arrivée de Marsha à Rock Point privé quasiment de lumière. Marsha traverse la ville dans des ombres menaçantes, fort bien mises en valeur par la photographie remarquable de Carl Guthrie qui avait notamment travaillé sur Caged, mais aussi sur Highway 301 où Steve Cochran avait le rôle principal.

    Les scènes de foule dans le bar-bowling ou autour et dans le tribunal sont également remarquables, alternant les gros plans et les contre-plongées, ce qui donne un sentiment d’étouffement.

     storm-warning-7.png

    Barr et ses hommes surveille les abords du tribunal

    Aux Etats-Unis le film est très apprécié des cinéphiles, mais un peu moins de la critique qui lui reproche de ne pas aborder directement les méthodes du Klan envers les populations de couleur. Mais je crois que c’est un faux reproche car le but du film n’est pas de parler des objectifs de cette organisation criminelle, c’est de supposer que cela est connu et donc plutôt de se concentre sur l’aspect criminel de droit commun. Décrire les exactions du Klan par rapport aux noirs encourait le risque du pédagogisme. N’est-ce pas plus fort au final de montrer le Klan comme un rassemblement d’escrocs manipulant la crédulité humaine ? En effet cela remet à sa place l’idée que ces gens-là agiraient en fonction d’un idéal, fut-il mauvais et erroné. Là au moins on a la veulerie du Klan adossée à sa cupidité. Pour le reste on verra The intruder de Roger Corman que j’ai commenté il y a quelques semaines.

      storm-warning-8.png

    Marsha ne témoignera pas

    Ce n’est donc pas une leçon de morale et c’est tant mieux, mais cela n’exclue pourtant pas le message. Le film est très prenant, rythmé, d’une intensité dramatique forte. C’est mené tambour battant, le spectateur n’a pas le temps de souffler, l’action domine, ce qui évite de longs discours moralisateurs. Stuart Heisler filme d’abord la peur ordinaire, des individus isolés et faibles qui doivent puiser dans les tréfonds une volonté de dépassement difficile à mettre en musique. Mais en dehors du raide Rainey, ce qui domine c’est l’ambigüité. Hank lui-même n’est pas complètement mauvais. Certes c’est un meurtrier et quand il est ivre il fait n’importe quoi, mais c’est d’abord un homme faible qui se laisse manipuler par son patron.

     storm-warning-9.png

    Ivre, Hank menace de violer Marsha 

    L’interprétation est tout à fait  à la hauteur. Ginger Rogers est très bien en grande sœur tourmentée en proie à ses crises de conscience. Elle n’est d’ailleurs forte que par intermittence. Ronald Reagan joue Rainey. C’est de loin le plus mauvais. Il joue plat, il est transparent, trop raide, alors qu’il a un rôle où il devrait se montrer dynamique et courageux. Mais enfin, ça passe parce qu’il n’est pas constamment présent. Steve Cochran est Hank le beau-frère habité d’une fureur difficile à contenir. Il est une fois de plus remarquable. On ne voit que lui. Il a cette capacité de passer de la colère au rire, et du rire à l’abattement avec une facilité déconcertante. Il peut être tout aussi bien cruel et stupide qu’émouvant quand il se rapproche de sa femme. Doris Day complète très judicieusement ce quatuor, c’est la petite sœur un peu nunuche qui ne voit chez son mari que ce qu’elle veut bien voir. Mais il y a aussi des seconds rôles remarquables. Hugh Sanders par exemple dans celui de Barr, le patron cruel et rusé de Hank.

      storm-warning-10.png

    Marsha sera livrée aux hommes du Klan

     C’est un film qui a été tourné juste avant que la chasse aux sorcières ne devienne un sport national qui détruira tant de carrières, dont celle de Daniel Fuchs. Et c’est ce qui explique probablement que des acteurs anticommunistes comme Ronald Reagan et Ginger Rogers se soient trouvés impliqués dans un film manifestement de gauche.

     storm-warning-11.png

    Hank mène sa belle sœur

     storm-warning-12.png

     

    Marsha sera cruellement fouettée

    « Dominique Forma, Hollywood zero, Rivages, 2014.Le vampire de Düsseldorf, Robert Hossein, 1965 »
    Partager via Gmail

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :