• Taxi driver, Martin Scorsese, 1976

     Taxi driver, Martin Scorsese, 1976

    Si les dernières productions de Martin Scorsese sont très décevantes, il ne faut pas oublier qu’il a été un cinéaste original et novateur. Taxi driver a une grosse réputation, plus une Palme d’or à Cannes – ce dernier point ne signifiant plus grand-chose aujourd’hui. On peut comprendre son succès public et critique de plusieurs façons différentes. D’abord le film est dominé par Robert De Niro, c’est par lui qu’il se fit vraiment connaître et qu’il est devenu l’acteur de référence du dernier quart du siècle dernier. Ensuite, c’est le film qui démontra toute l’étendue du talent de Scorsese. Mais on peut aussi le voir comme un tournant dans le codage du film noir. En effet, il renouvelle le genre aussi bien dans la thématique que dans la méthode cinématographique qui est ici appliquée. Il s’appuie pour cela sur un scénario excellent de Paul Schrader. D’un certain point de vue on pourrait même dire que c’est d’abord un film de Paul Schrader puisque c’est lui qui fut à l’origine de l’engagement de Scorsese et de De Niro. Comme on le sait les réalisateurs pressentis auparavant avaient été Robert Mulligan et Bryan de Palma. On peut dire que de choisir Scorsese et De Niro a été un coup de génie, tant leur participation à complètement renouvelé le genre. N’oublions pas qu’à l’origine des chefs-d’œuvre du film noir, il y a toujours un couple réalisateur-acteur qui fonctionne, c’est Burt Lancaster et Siodmak dans The killers et Criss Cross, c’est Robert Mitchum et Tourneur dans Out of the past, ou encore John Huston et Humphrey Bogart dans Le faucon maltais.

     Taxi driver, Martin Scorsese, 1976 

    Travis Bicle est un homme seul 

    Le film est considéré comme « culte », c’est une appellation comme une autre – un peu idiote à vrai dire – qui veut sans doute dire qu’on a retenu des scènes ou des dialogues particulièrement frappants. Souvent à propos de ce film on fait allusion au monologue de Travis Bickle, face à son miroir, s’entraînant à s’endurcir : « You talkin’ to me » ? Scène qui a été parodiée et reprise dans un grand nombre d’autres films, ce qui donne une idée tout de même du choc que procura ce film sur le public mais aussi parmi les professionnels du cinéma.

    Le premier point a ne pas oublier, c’est que le film est d’abord un scénario de Paul Schrader dont le rôle dans le renouveau du cinéma américain des années soixante-dix. Il travaillera plusieurs fois avec Scorsese – Raging bull, A tombeau ouvert – et il mettra en scène des films marquants comme Blue collar, La féline ou encore American gigolo.

     Taxi driver, Martin Scorsese, 1976 

    Les chauffeurs de taxis de nuit ont l’habitude des combines 

    C’est l’histoire d’un homme seul, Travis Bickle, qui, revenu de la guerre du Vietnam, ne s’adapte plus à la vie civile. Dormant très mal, il va se faire embaucher comme taxi de nuit. Ses errances dans le New-York des années soixante-dix  accroissent son dégoût de l’Amérique. Il côtoie en effet quotidiennement les débordements d’une vie urbaine survoltée. Il va chercher à s’en sortir, d’abord en essayant de séduire Betsy qui travaille pour un homme politique qui mène une campagne électorale énergique, usant de toutes les techniques du marketing. Mais sa brutalité le fait rejeter par des gens qui sont bien trop bourgeois pour le comprendre ne serait-ce qu’un peu. Ce rejet va l’amener à se donner une autre missions, celle de sauver malgré elle Iris, une jeune adolescente qui se prostitue pour Sport un maquereau sans état d’âme. Cet objectif va lui faire endosser le costume du justicier des temps moderne, et commettre des crimes de sang qui seront encensés par une presse aux ordres comme une belle et noble action. Il effectuera un véritable bain de sang et sera lui-même blessé. Iris finira par retourner chez ses parents.

    Taxi driver, Martin Scorsese, 1976  

    Travis voudrait bien que Betsy le prenne en considération 

    Le film est une très grande réussite et renouvelle les codes du film noir. Il repose sur un découpage scénaristique rigoureux et une grande maîtrise cinématographique qui utilise très bien les décors des nuits new-yorkaises. Il y a une grande beauté dans cette stylisation des ombres et des lumières qui rend sensible les hallucinations de Travis Bickle. Certes le thème du soldat démobilisé et déphasé n’est pas nouveau, mais ici il est exposé tout crûment. Comme toujours chez Scorsese, il y a une manie du détail qui fait vrai et qui s’appuie sur une connaissance réelle des choses de la vie. Par exemple la coupe à l’iroquois que se fait Robert de Niro avant d’aller commettre ses meurtres est inspirée de ce que faisaient des compagnies de soldats américains au Vietnam pour suggérer la peur, non seulement auprès de leurs ennemis désignés, mais aussi auprès de leur entourage immédiat. De même la vareuse kaki qu’il endosse est tout autant réaliste. Evidemment le choix minutieux des lieux de tournage participe de cette forme de réalisme cru.

    La voix off renvoie évidemment aux films noirs de la grande époque, mais elle a aussi une autre dimension puisqu’elle explique longuement le développement de la paranoïa de Travis. Elle renforce en tous les cas la solitude maladive du héros.

     Taxi driver, Martin Scorsese, 1976 

    Travis s’endurcit 

    Ce film a été reçu comme un coup de poing à sa sortie, sa violence choquait. Aujourd’hui les plus jeunes le trouvent d’abord très lent. Et en effet cette lenteur voulue – elle fait monter la tension – est à l’opposé d’une violence spectaculaire et conventionnelle. Le rythme est déterminé par la façon très cool de conduire de Travis. Mais en même temps que cette lenteur fait ressortir la poésie de cette dérive sans fin dans la nuit newyorkaise, elle en fait voir tous les dangers potentiels qui se dissimulent dans les redents d’une société apparemment policée.

    Si le film ne délivre aucun message explicite, il est pourtant très critique. Cette critique se retrouve dans ce qu’on peut appeler la description des rapports de classe entre Travis et Betsy. C’est un homme sans éducation à l’inverse de Betsy qui pour cela ne peut pas le comprendre. Elle est du côté de son patron comme une bonne employée, tandis que lui se trouve en tant que prolétaire du côté de la nuit et de la rue : il est voué à disparaître. Travis va hésiter à tuer Charles Palantine, et s’il ne le fait, c’est seulement parce qu’il a été repéré. C’est à partir de cet échec qu’il va revenir vers Iris et la possibilité de la libérer de son maquereau qui l’exploite d’une manière éhontée.

    Après les meurtres perpétrés, Travis reverra Palantine et Betsy, mais son regard a changé. Sa rage est passée

     Taxi driver, Martin Scorsese, 1976 

    Travis a décidé de sauver Iris qui ne lui a rien demandé 

    La qualité de l’interprétation a été mainte fois soulignée. Si Robert De Niro domine le film, faisant valoir toute l’étendue de son jeu, passant d’une ironie mordante au désespoir crépusculaire, d’une grande sobriété presque mutique à un débordement hystérique, tous les autres acteurs sont justes. Harvey Keitel interprète le maquereau dans un accoutrement aussi curieux que réaliste. Il exhibe ses biceps pensant que cela suffira à chasser les importuns. Jodie Foster est étonnante dans ce mélange de perversité et d’innocence. On l’oublie, mais elle n’avait à l’époque que 14 ans. C’est peu pour interpréter un rôle aussi traumatisant que celui d’Iris. Je me demande bien comment elle a vécu cette aventure. Cybill Shepherd a un rôle plus facile puisqu’elle reste en retrait se contentant de promener son physique et son étonnement devant cette sorte de bête qui la séduit autant qu’il la dégoûte. Si le rôle que s’est donné Martin Scorsese n’est pas déterminant, celui de Wizard, interprété par le très grand Peter Boyle a plus de profondeur. Homme de la nuit lui aussi, il facilite les entreprises de Travis tout en se demandant si cela ne va pas un peu trop loin. On note que de nombreuses scène sont été improvisées que ce soit par De Niro ou par Harvey Keitel, quand De Niro parle à son miroir ou quand Harvey Keitel veut chasser l’importun en se moquant de lui.

     Taxi driver, Martin Scorsese, 1976 

    Sport est le maquereau d’Iris 

    Il y a beaucoup de scènes de bravoures dans la mise en scène, évidemment la scène des meurtres, tournée dans le clair-obscur d’un escalier. Mais beaucoup d’autres pourraient être citées comme cette réunion dans la nuit entre chauffeurs de taxis. Ils apparaissent tous comme hallucinés, à la marge de la société, aigris par cette misère qu’ils traversent jour après jour et qui n’est que l’envers de la richesse affichée de Palantine. Les rues de New York prisent en enfilade offrent une profondeur de champ dont Scorsese a toujours eu le secret. Bien sûr il y a comme toujours un grand choix de silhouettes bizarres, incongrues, mais cela va bien avec l’ambiance nocturne. L’ensemble de ces images s’appuie sur une musique très forte. On sait que Scorsese a toujours mis un très grand soin à l’élaboration de la bande son. Ici ce qui domine est un saxo jazzy qui renforce la lenteur mélancolique du récit.

    Il y a une volonté de briser la linéarité de l’histoire qui trouve ses racines notamment chez Cassavetes – Shadows – que Scorsese a présenté comme son maître. Il revendique aussi une filiation avec Shirley Clark, cinéaste aujourd’hui oubliée, mais qui a été une icône du cinéma underground. La manière de tourner Taxi Driver c’est au fond cette capacité à recycler des formes avant-gardistes dans le moule plus conventionnel du film noir

     Taxi driver, Martin Scorsese, 1976 

    Travis s’est transformé en tueur survolté 

    Curieusement dans ses interviews Scorsese ne semble pas trop valoriser ce film. Il le met volontiers entre parenthèses, comme un exercice de style qui lui aurait été imposé sur un sujet qu’il n’avait pas choisi. C'est pourtant un de ses meilleurs films. En tous les cas près de quarante ans ont passé et le film n’a pas pris une ride, on y découvre encore beaucoup de choses que ce soit dans le jeu des acteurs ou dans les mouvements de caméra. Scorsese est arrivé sur le projet, après Brian de Palma et après Robert Mulligan. Robert De Niro n’était pas prévu non plus. Pourtant on ne voit pas qui d’autre que le couple Scorsese De Niro aurait pu le réaliser.

    Taxi driver, Martin Scorsese, 1976  

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