• That cold day in the park, Robert Altman, 1969

    That cold day in the park, Robert Altman, 1969

    La carrière chaotique de Robert Altman, alternant le bon et le moins bon, parfois même le pire, l’a entraîné souvent vers des formes relativement hermétique, proche du cinéma discrépant, dissociant les images de l’histoire proprement dite. Il y avait chez lui une esthétique qu’on ne risque pas de retrouver dans le cinéma d’aujourd’hui, américain ou français du reste. Altman a toujours été attiré par les personnages déviants, au bord de la folie, particulièrement en ce qui concerne les personnages féminins. Non pas pour condamner cette folie, mais pour la montrer en quelque sorte sous un jour différent, comme des inadaptés sociaux au cœur d’une société qui est mal faite. Formellement l’histoire est une variation sur le thème de l’enfermement d’une personne désirée, c’est la version féminine de The collector de William Wyler tourné en 1965 et qui connut un très grand succès critique et public. En 1969, Altman n’a pas encore tourné de grands films qui attirent les foules, cela viendra seulement après That cold day in the park, avec M*A*S*H*. Auparavant, il avait fait ses classes principalement à la télévision, comme nombre des réalisateurs de cette époque, Robert Mulligan, Don Siegel et quelques autres, la pratique de la télévision leur apprenant à travailler vite bet à privilégier le rythme. L’histoire est basée sur un ouvrage un peu sulfureux de Richard Miles, un ancien acteur qui se reconvertira dans l’écriture romanesque et scénaristique. 

    That cold day in the park, Robert Altman, 1969   

    Frances Austen rentre chez elle un jour de pluie, elle aperçoit un jeune garçon dans le parc en face de son appartement, il est trempé et reste sous la pluie. Elle ne peut s’empêcher de le regarder depuis sa fenêtre, négligeant manifestement ses invités. Lorsque ceux-ci sont partis, elle s’en va chercher le jeune homme qu’elle interroge mais qui ne parle pas. Cette attitude l’intrigue. Elle le sèche, lui donne à manger, et finit par l’héberger dans son luxueux appartement. Frances est solitaire, célibataire aussi, malgré les propositions qui ne lui manquent pas. Frances tente de le faire parler, de lui faire raconter son histoire, mais aussi qu’il s’intéresse à elle. Peine perdue. Alors qu’ils commencent une cohabitation difficile, Frances délaisse ses amis bourgeois, tandis que le jeune homme va faire des incursions dans sa famille pauvre. Elle tentera de l’enfermer, puis de le séduire. Elle ira jusqu’au planning familial prévoyant qu’elle aura des relations sexuelles avec son prisonnier. Mais il se moque d’elle. En désespoir de cause, elle l’enferme en clouant les fenêtres et en fermant les portes à clé. Puis, elle va louer les services d'une prostituée, celle-ci cependant va sympathiser avec le jeune homme, et ensemble ils se moqueront de Frances. Désespérée de n’arriver à rien avec le jeune homme, elle va assassiner la prostituée, jalouse sans doute que son captif ait finalement eut des rapports sexuels avec une autre qu’elle. 

    That cold day in the park, Robert Altman, 1969 

    Dans le parc près de chez elle, Frances voit un jeune homme sous la pluie 

    L’intrigue est des plus minces, cela aurait pu être d’ailleurs une pièce de théâtre, les lieux et les décors étant très réduits. Le premier niveau apparent de cette sorte de fable, c’est bien sûr la manipulation et la volonté de s’emparer de l’âme et du corps de l’autre. Car si Frances le fait ouvertement, le jeune homme le fait d’une manière plus sournoise. La première parle pour circonvenir le second, mais celui-ci va exercer son pouvoir en privant Frances de sa parole, l’enfermant dans ses propres fantasmes et ratiocinations. En vérité il joue tout à fait le rôle du psychanalyste par son silence, mais Frances ne sera pas assez forte pour reprendre le contrôle de sa vie. Le fait que cette relation se passe entre deux personnes de sexe opposé et entre une femme avançant dans l’âge et un jeune homme à peine sorti de l’adolescence, renforce le côté sinistre de l’histoire. Frances est riche, elle a une position sociale installée, le jeune homme est pauvre, apparemment perdu et sans attache, mais c’est cela qui va lui donner l’ascendant sur elle. 

    That cold day in the park, Robert Altman, 1969

    Ses invités l’ennuient 

    Au bout du compte, au-delà de de la lutte des sexes, c’est de luttes de classes dont il s’agit. Frances n’aime pas sa classe d’origine, c’est une coupable par essence. Elle s’ennuie parmi les bourgeois, elle n’est attirée que par le côté crasseux du jeune garçon. Celui-ci d’ailleurs n’a pas de nom dans le film. C’est presqu’un objet pour elle. En vérité elle noie son bovarysme frelaté en s’encrapulant. Elle franchit plusieurs paliers dans cette déchéance, d’abord en mendiant un peu d’amour, voire de désir de la part de son hôte inattendu. Puis elle renie une à une ses anciennes relations sociales, et finit par aller rôder dans les quartiers glauques de la ville. Elle ira jusqu’au meurtre, c’est plus que de la folie, c’est une volonté de s’anéantir tant elle ne s’aime pas. Mais le jeune homme n’est pas un simple objet dont on peut abuser. Il entend être maître de son destin et manipuler en retour la pauvre Frances. Il n’a aucun talent, aucune morale, il est vulgaire et truqueur. Il accepte de jouer le jeu de la déstabilisation de Frances parce qu’il veut en tirer un petit profit dérisoire. Il manque d’ambition, même dans l’escroquerie. Cependant il a cette volonté d’humilier jusqu’au bout cette femme qui a eu l’idée saugrenue de l’héberger. Quand il se retrouve avec la prostituée, à la fin du film, il communie avec une personne de son rang, avec qui il peut partager quelque chose, notamment cette nécessité de se vendre. C’est comme s’il voulait que cette alliance de circonstance le protège contre la volonté prédatrice de la bourgeoise qui veut retrouver sa jeunesse en prenant la sienne. 

    That cold day in the park, Robert Altman, 1969

    Elle a fini par l’attirer chez elle 

    Les personnages sont tous plus antipathiques les uns que les autres. Tous corrompus d’une manière ou d’une autre, ils nous parlent d’un monde qui s’effondre à cause de son absence de valeurs. Frances joue avec son aisance matérielle, mais le jeune homme et sa sœur, la prostituée aussi, sont fascinés par l’étalage de cette richesse. L’ambiguïté du jeune homme vient du fait qu’il résiste au désir sexuel de Frances. Pour autant ça ne veut pas dire qu’il ne soit pas attiré par elle, mais il sait qu’en satisfaisant son désir, il perdrait automatiquement de son pouvoir. Cela en vient nécessairement à parler de la sexualité féminine, après tout nous sommes à la fin des années soixante au moment où le mouvement féministe commence à s’organiser comme une forme particulière de séparatisme. Altman la traite cependant d’une manière nouvelle, en ce sens qu’elle se montre tout aussi prédatrice que celle de l’homme, une névrose comme une autre. Dans cette forme particulière de lutte entre les sexes, on ne sait pas si ces tendances émancipatrices, progressistes comme on dit aujourd’hui, sont bonnes ou si elles sont mauvaises. Chacun s’en fera une idée. 

    That cold day in the park, Robert Altman, 1969 

    Ils se sont installés chez Frances avec des habitudes 

    La réalisation est intéressante. Altman utilise des formes esthétiques tirées du film noir, après tout, il y aura un kidnapping et un meurtre. Donc on s’observe derrière des fenêtres à jalousie, la caméra multiplie les plans à travers des vitres plus ou moins opaques, ce qui renforce le cloisonnement entre des mondes différents et par suite la solitude des différents protagonistes, solitude renforcée par les espaces clos dans lesquels ils tournent en rond. Le dynamisme des mouvements de caméra empêche toutefois qu’on reste dans une approche théâtrale, du reste les dialogues ne sont pas surchargés, du fait que le jeune homme ne parle pas durant les trois quarts du film quand il est immergé dans le monde de Frances qu’il découvre avec des yeux ronds. Le travail sur les couleurs est très intéressant, László Kovács, le chef opérateur, semble s’être inspiré des premiers giallos dans l’usage des teintes bleutées ou des verts soutenus. 

    That cold day in the park, Robert Altman, 1969 

    Frances a rendez-vous au planning familial 

    Altman est beaucoup moins heureux dans son approche des quartiers louches de la ville. Il va bien sûr utiliser la nuit et les néons, mais l’errance de Frances à la recherche d’une prostituée pour que son prisonnier puisse faire l’amour avec elle par personne interposée, n’est pas très tendue, cette banalité ne peut pas correspondre à la personnalité d’une bourgeoise qui toute sa vie a été protégée des aléas de l’existence. Alors que les décors du planning familial et de l’appartement de Frances sont soignées, les bars que fréquentent Frances ne ressemblent à rien et n’ont aucune distinction. Cela vient-il de l’étroitesse du budget ? Du manque d’imagination des décorateurs ? 

    That cold day in the park, Robert Altman, 1969 

    Chez Frances le garçon a invité une amie 

    C’est un peu un duo d’acteurs qui fait la distribution. Sandy Dennis, actrice de théâtre qui avait eu quelques succès au cinéma dans la seconde partie des années soixante, est excellente dans le rôle de Frances. C’était une actrice très exigeante qui savait parfaitement jouer de son physique terne, compensant celui-ci par un regard perçant qu’elle pouvait animer selon les phases de son rôle. Michael Burns dans le rôle du jeune homme. Il n’est pas très bon, mais heureusement il ne parle pas pendant près des trois quarts du film. On dit que jack Nicholson voulait ce rôle, mais Altman le trouvait trop âgé. Les autres acteurs sont de simples faire valoir pour ce duo, et seule Linda Sorenson dans le rôle de la prostituée achetée par Frances arrive à tirer son épingle du jeu. 

    That cold day in the park, Robert Altman, 1969 

    Au planning familial elle n’a pas de problème 

    Le film n’eut strictement aucun succès, ni critique, ni commercial, au moment de sa sortie. Curieusement il est devenu aujourd’hui un film culte dans la mesure où on est bien forcé de réhabiliter des réalisateurs qui avaient un style personnel, face à la médiocrité esthétique du cinéma d’aujourd’hui. Pour ma part ce film me laisse un peu perplexe, car si j’en comprends bien les intentions, il semble qu’Altman ne soit pas parvenu à les concrétiser. 

    That cold day in the park, Robert Altman, 1969 

    Elle a tué la prostituée qu’elle avait ramassée dans la rue

    « Loïc Artiaga & Matthieu Letourneux, Aux origines de la Pop culture, le Fleuve Noir et les Presses de la cité, au cœur du transmédia à la française, 1945-1990, La découverte, 2022Philippe Garnier, Génériques, trois tomes, The Jokers, 2022 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :