• Toi le venin, Robert Hossein, 1959

     Toi le venin, Robert Hossein, 1959

    Souvent regardé comme un bon film noir à la française, Toi le venin est cependant un peu plus que cela. On se laisse emporté par la mécanique de l’intrigue, sans suffisamment prêté attention aux caractères. Soulignons tout de suite qu’il s’agit là d’une des meilleures adaptations cinématographique de l’œuvre de Frédéric Dard, celle qu’il signait de son nom dans la collection « spécial police ». Le film de Robert Hossein est donc indissociable du roman de Frédéric Dard, bien que celui-ci ne soit pas crédité au générique, il en suit parfaitement le découpage du roman.

      

    Toi le venin, Robert Hossein, 1959

    Le sujet est relativement simple, Un homme un peu dans la débine, plutôt vacant, va rencontrer une nuit une femme plutôt nymphomane qui le séduit à bord d’une voiture américaine. Mais il ne verra pas son visage. Assez perturbé par cette expérience, il va retrouver l’automobile, elle appartient à une femme qui vit avec sa sœur handicapée, clouée dans un fauteuil à roulettes, suite à une enfance mal soignée. Elles paraissent      assez riches, et l’opportuniste Pierre va s’incruster chez elles. Il est séduit autant qu’elles le sont. Mais ses projets matrimoniaux qui lui assureraient la matérielle vont être contrariés par le fait qu’il ne sait pas laquelle des deux sœurs est la nymphomane qu’il a croisé cette nuit fatidique. Evidemment tout cela finira très mal, sans qu’on sache vraiment ce qu’il y a derrière ces déclarations intempestive de chacun des protagonistes. Le roman est remarquable. Il se situe si l’on veut à mi-chemin des romans noirs américains neurasthéniques façon William Irish, et des intrigues à la Boileau-Narcejac ou à la Louis C. Thomas qui jouaient à la fois sur la psychologie des personnages et les rebondissements inattendus. C’est cette manière qui fut en son temps la spécificité de Frédéric Dard sous son nom au Fleuve Noir. A cette époque d’ailleurs ces « romans de la nuit » comme les nomme Dominique Jeannerod se vendaient tout autant que les San-Antonio, et en plus ils avaient la possibilité de s’adapter au cinéma. On ne dira jamais assez l’usage que Frédéric Dard fit du fauteuil à roulettes dans ses romans noirs sous différents pseudonymes ! C’était devenu presque une manie. Et que ce soit dans les San-Antonio ou dans d’autres Frédéric Dard – je pense notamment à Toi qui vivais – le handicap engendre un trouble érotique chez le héros.

     Toi le venin, Robert Hossein, 1959

    Pierre Menda croise la route d’une belle jeune femme en manque d’affection 

    Si le scénario apparaît assez traditionnel aujourd’hui dans ses ressorts, la réalisation est remarquable. Hossein joue parfaitement sur les ambiguïtés érotiques des deux sœurs, la sage Hélène et la sulfureuse Éva. Deux prénoms qui sont récurrents dans l’œuvre de Frédéric Dard. Plus encore, le handicap physique d’Eva la rend encore plus sensuelle ! Dans cette sorte de huis clos à trois personnages, on ne sait plus qui manipule qui. Les uns et les autres se croyant sans doute les plus malins mais pourtant succombant à une passion qui est d’abord une attirance charnelle. Car en 1959, la scène d’ouverture qui voit une femme belle et jeune s’exhiber nue dans une voiture était comme le souligne Marina Vlady dans ses mémoires d’une audace folle. Cet érotisme latent, souligné par la musique lascive, est ce qui donne son caractère si particulier au film : l’amour physique y devient une maladie et comme on n’échappe pas à son destin, il va de soi que les velléités des personnages de se conformer à la morale ordinaire sont vaines. Cet étrange trio exerce sur le spectateur une attirance sexuelle évidente. La presque gémellité des deux sœurs y est pour beaucoup.

     Toi le venin, Robert Hossein, 1959

    Il est séduit tout autant par les deux sœurs 

    Une des astuces du film est bien entendu de faire jouer les deux sœurs Éva et Hélène par les deux sœurs, Marina Vlady et Odile Versois. Et cela fonctionne très bien puisqu’elles se ressemblent beaucoup. Robert Hossein maitrise parfaitement les codes du film noir. Il faut dire qu’il est particulièrement bien aidé par la photographie de Robert Julliard, grand opérateur qui travailla entre autres avec Clouzot et René Clément. L’usage de la nuit, des ombres, des escaliers est tout à fait dans la tradition des grands films noirs américains. On n’a pas assez souligné les capacités de réalisateur de Robert Hossein. Sans doute parce que lui-même n’y croyait pas trop et qu’il a été descendu par les couillons de la Nouvelle Vague. Pourtant il utilise très bien la profondeur de champ, y compris pour souligner le caractère étouffant de la villa où les deux sœurs l’ont recueilli. Mais il y a aussi un montage très efficace qui donne beaucoup de modernité au film. Il ne dure qu’un peu plus d’une heure trente, avec une densité étonnante. Ça ne traîne pas ! Les décors sont ceux de la Côte d’Azur, filmée à une époque où celle-ci n’était pas complètement dégradée par le tourisme et la surpopulation. Nice était alors une ville provinciale où la douceur de vivre et la culture des fleurs dominaient.

     Toi le venin, Robert Hossein, 1959

    La mystérieuse Eva espionne Pierre et Hélène 

    L’interprétation est excellente. Avec en tête Marina Vlady, ici décolorée pour renforcer son image de garce minée par une jalousie maladive. Jusqu’ici elle n’avait joué que des rôles de jeune fille bien sous tous rapports, ou de sauvageonne. Et son physique très doux renforce l’ambiguïté du rôle. Elle était mariée à Robert Hossein à cette époque, et c’est lui qui à partir des Salauds vont en enfer mis en scène sa sensualité, bien avant Et Dieu créa la femme, elle représentait cette longue marche des femmes vers leur émancipation sexuelle. Robert Hossein est Pierre, une sorte de paumé qui prétend jouer sur les deux tableaux. Mais il se révélera finalement assez peu malin. Son rôle est, sur le plan psychologique du moins, très proche de Franck Chambers, le héros du Facteur sonne toujours deux fois. Il reprendra ce type de rôle un peu plus tard dans Le monte-charge. Là encore c’est un sujet de Frédéric Dard, et là encore il sera victime de ses illusions, quoique dans ce dernier cas il apparaîtra plus comme une victime que comme un manipulateur. Odile Versois, la sœur de Marina Vlady, complète ce trio. Elle représente tellement le côté sage et conforme à ce qu’on attend de la vie, de l’amour et de la famille qu’on pense pendant longtemps qu’elle est forcément coupable. C’est très réussi.

    Toi le venin, Robert Hossein, 1959 

    Derrière ces jalousies Pierre voudrait bien percer le mystère 

    La sortie de ce film en Blu Ray permet de rendre hommage à l’excellence de la photographie, et finalement de redécouvrir un film que les amateurs de Frédéric Dard connaissent de longue date et qui n’a pas vieilli. On y trouvera en prime une interview de Marina Vlady qui parle du film et des conditions de tournage.

    Toi le venin, Robert Hossein, 1959

    La belle Eva au sommet de l’escalier 

    Le film fut un énorme succès public. La musique lancinante et jazzy du père de Robert Hossein y était pour beaucoup. Pendant des années on pouvait l’entendre dans les juke-boxes ou dans les bals de village. Et les disques qui en furent tirés connurent eux aussi de beaux succès de vente.

     

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