• Trumbo, Jay Roach, 2015

    Trumbo, Jay Roach, 2015

    Jay Roach est connu essentiellement pour des petites comédies sans importance mais qui ont obtenu un certain succès. On lui doit trois Austin Power et deux épisodes de Mon beau-père et moi. Aussi est-on étonné de le voir à la tête d’une entreprise aussi grave que cette biopic de Dalton Trumbo. Celui-ci est un des héros de la lutte contre McCarthy et l’HUAC au moment de la chasse aux sorcières. Blacklisté pour avoir refusé de balancer des noms à la Commission, il était aussi membre du parti communiste américain, mais il continua à travailler sous le couvert de prête-noms. Périodiquement les cinéastes américains reviennent sur cette période véritablement noire de l’histoire de l’Amérique. Il y a eu par exemple Le prête-nom justement de Martin Ritt avec Woody Allen en 1976, ou La liste noire d’Irwin Winkler avec Robert de Niro en 1991. Plus récemment, en 2007, il y eut un film documentaire sur Dalton Trumbo signé Peter Askin auquel des acteurs comme Liam Neesom ou Michael Douglas prêtèrent leur concours, ce qui prouve à quel point la mémoire de cette triste affaire reste encore présente à Hollywood. On se souvient d’ailleurs que lorsque Elia Kazan reçu en 2008 des mains de Martin Scorsese un Oscar pour sa carrière, une partie de la salle refusa de se lever et de l’applaudir. Quand on voit le succès considérable d’un Donald Trump, on se demande si ces sinistres pratiques de chasse aux sorcières ne pourraient pas revenir.

     Trumbo, Jay Roach, 2015 

    Devant l’HUAC Trumbo refuse de témoigner 

    Pour des multiples raisons, entre autres parce qu’elle a touché fortement le film noir, je me suis intéressé de longue date à cette chasse aux sorcières qui ne prit fin seulement en 1960 quand Kirk Douglas décida de braver les foudres de l’HUAC en osant faire paraître le nom de Dalton Trumbo à nouveau sur un écran : il s’agissait de Spartacus qui connut un triomphe exceptionnel dans le monde entier mais qui mit au grand jour les dégueulasseries de l’HUAC. Dans la foulée Otto Preminger fit de même pour Exodus que Trumbo avait scénarisé. C’était en 1960. Cela parait vieux, mais ça ne l’est pas tant que ça et la relative liberté de travailler que les scénaristes hollywoodiens ont obtenu – sanctionnée maintenant plutôt par le marché – reste fragile. Il y a encore beaucoup d’Américains qui justifient la chasse aux sorcières, comme par exemple cette canaille de James Ellroy – que pourtant les gauchistes aiment bien – qui dans Le grand nulle part mettait en scène Dalton Trumbo comme une personne un peu lâche et âpre au gain.

    Trumbo, Jay Roach, 2015  

    Hedda Hopper insulte Dalton Trumbo 

    Dalton Trumbo est un personnage de légende, à la fois parce qu’il a survécu à la liste noire, en travaillant sous des noms divers et variés, mais aussi parce qu’il a obtenu de nombreux oscars, notamment sous des faux noms, se moquant ouvertement de l’HUAC. Obligé de travailler pour des petits producteurs où le contrôle est moins dur, Trumbo va écrire des scénarios qui donneront des chefs d’œuvre du film noir, par exemple, Gun crazy, ou The prowler, ou encore He ran all the way. Mais il sera aussi sous des faux noms un auteur à succès pour Vacances romaines et pour Les clameurs se sont tues, tous les deux oscarisés. Finalement en 1960 avec la sortie quasi conjointe de Spartacus et d’Exodus, la liste noire sera brisée et Trumbo pourra apparaître au grand jour. Le film va donc décrire ce combat difficile d’un homme contre une machine à broyer, son passage en prison, le vide qui s’organise à sa sortie autour de lui et puis sa résurrection.

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    Trumbo écrit ses scénarios dans sa baignoire 

    Cette trame est suffisante, mais ce n’est pas si simple d’en tirer un bon film. En effet, les jeunes générations ne connaissent pas forcément les tenants et les aboutissements de cette affaire qui a empoisonné l’Amérique. Et il est difficile de soutenir l’attention du spectateur, tout en mêlant des anecdotes sur la vie à Hollywood à cette époque. Mais Jay Roach et son scénariste, John McNamara, s’en sortent plutôt bien. Basée sur des faits réels, une des difficultés est sans doute de trouver des acteurs pour incarner des grands noms célèbres. On note que John Wayne ou Edward G. Robinson en prennent pour leur grade. Le premier qui joue les patriotes outragés et qui ne s’est même pas engagé pendant la guerre contre les nazis ou les Japonais, et le second qui opérera un revirement décisif en se reniant devant l’HUAC. On savourera ce moment où Trumbo retrouve un de ses procureurs de l’HUAC derrière les barreaux pour avoir détourner de l’argent public. Il s’agit en réalité de J. Parnell Thomas, et cette rencontre n’a pas eu lieu entre Trumbo et J. Parnell Thomas, mais entre ce dernier et Dashiell Hammett qui, curieusement est le grand absent de ce film.

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    Trumbo trouvera du travail auprès des frères King 

    Le film possède manifestement un petit budget, et donc il se heurte à l’écueil de la reconstitution historique. Les extérieurs sont très peu nombreux, les plans rapprochés se multiplient ce qui donne un côté télévisuel à l’ensemble. Mais la vivacité de la mise en scène, un montage serré et des dialogues savoureux compassent assez bien ces difficultés. J’ai vu ce film avec plaisir, mais il est vrai aussi que je connais assez bien cette question. Le film a obtenu un certain succès d’estime aux Etats-Unis, preuve que cette douloureuse question de la liste noire reste une épine dans le cœur de la démocratie américaine. Mais en revanche, le public n’a pas suivi à l’étranger. Si on ne s’attarde pas trop aux costumes un peu trop propres, un peu trop raides, il reste que les acteurs sont plus ou moins à la hauteur de l’entreprise. Bryan Cranston incarne avec brio et malice Trumbo, Diane Lane, sa femme. Mais la véritable réussite du film est sans doute Helen Mirren qui incarne la sinistre Hedda Hopper, cette ancienne actrice du cinéma muet qui s’était reconvertie dans les potins d’Hollywood et qui prétendait faire la pluie et le beau temps dans ce milieu. Paradant aux côtés de John Wayne, elle se présente comme la grande défenderesse de l’idéal américain, le mentor de Ronald Reagan : une sorte de Donal Trump avant la lettre. Dean O’Gorman est Kirk Douglas avec assez de justesse. Mais le massif Michael Stuhlbarga du mal à être le frêle Edward G. Robinson, et David James Elliot peine à incarner John Wayne. On retrouve aussi avec plaisir John Goodman dans le rôle d’un des frères King.

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    L’ensemble est donc très intéressant. Et il le sera sans doute encore plus pour les jeunes qui ne connaissent rien à cette sinistre farce. L’effritement des positions des tenants de la liste noire est remarquablement mis en avant avec la rivalité entre Preminger et Kirk Douglas qui tous les deux veulent être les premiers à mettre le nom de Trumbo sur leur film, bravant ainsi l’opinion publique et l’HUAC. Kirk Douglas a décrit ce combat dans I am Spartacus[1]. Mais l’intérêt du film est de montrer aussi que cette fin était dans la continuité d’une époque qui allait élire John F. Kennedy comme président, dans la continuité des combats pour l’égalité des droits et la fin de la ségrégation raciale. La déconfiture d’Hadda Hopper est parlante quand elle n’arrive pas à boycotter Spartacus, alors même que Kennedy encourage à aller le voir. Le film ne fait pas l’impasse sur le racisme, notamment sur l’antisémitisme latent de ceux qui s’improvisent les gardiens de l’idéal américain. L’ensemble est aussi émaillé de bandes filmées d’époque qui montrent dans quelle ignominie une partie d’Hollywood fut amenée à se vautrer. 

    Trumbo, Jay Roach, 2015


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/i-am-spartacus-kirk-douglas-caprici-2013-a114844578

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