• Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975

     Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975

    C’est un des films les moins appréciés de la filmographie de Peckinpah. La critique l’a négligé, et aujourd’hui encore on le désigne comme inférieur à Bring me the head of Alfredo Garcia. C’est très injuste, même si ce n’est pas un des meilleurs films de Peckinpah, c’est plus profond qu’il n’y parait au premier abord, très rythmé, très agréable à regarder. Inspiré d’un roman d’espionnage à succès de Robert Rostand, roman qui a ma connaissance n’a pas été traduit en français, il va mélanger les genres. L’ambiance est à la fois celle d’un film d’espionnage à la John Le Carré, avec des boutiques et sous-boutiques qui ne savent plus pour qui elles travaillent, avec leur lot de trahisons habituelles, et des films d’arts- martiaux qui faisaient recette à cette époque auprès des adolescents, avec des ninjas qui n’ont pas peur de prendre des balles ! Evidemment si on s’arrête là on peut croire qu’on va voir un simple film d’action sans âme et sans relief. Mais ce n’est pas le cas. Ce film est souvent compris comme une simple commande d’un film d’action commercial, et donc que Peckinpah ne s’y serait pas plus impliqué que cela, il avait besoin d’un le salaire bien entendu. On va voir que ce n’est pas exact.

    Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975

    Mike Locken et George Hansen qui sont très amis, travaillent tous les deux pour une entreprise privée, Com Teg, qui est une sous-traitante de la CIA pour les sales boulots. Après avoir fait sauter un entrepôt, on va les voir attachés à la protection d’un homme, Vorodny, qui est sans doute un transfuge. Il doit être bientôt évacué. Mais George assassine froidement Vorodny et tire dans le genou et le coude de Mike. Il pense qu’ainsi celui-ci ne sera plus bon à rien. Et en effet ses anciens employeurs qui en veulent aussi à George, lui font comprendre qu’il ne peut plus les servir. Mais Mike, avec l’aide d’une infirmière très dévouée, Amy, avec qui il va entretenir une liaison, va s’accrocher, et s’entraîner pour retrouver malgré ses boitements une mobilité suffisante pour revenir se venger des avanies que lui a fait subir George. Lorsqu’un Chinois, Yuen Chung, arrive à San-Francisco, un véritable massacre est perpétré dans l’aéroport. Yuen Chung est un dissident chinois. La CIA décide de le protéger en attendant qu’il évacue le territoire. Pour ne pas apparaître n première ligne, elle embauche une nouvelle fois la Com Teg dirigée par Collis et Weyburn, cette même Com Teg qui auparavant faisait travailler Mike. Pour protéger Yuen Chung et ses gens, ils vont engager Mike qui va monter une petite équipe avec Mac, un mécano, bon chauffeur, et Miller, un tireur d’élite, amoureux des armes à feu. Mais tandis qu’ils vont s’efforcer protéger Yuen Chung, Collis a prévenu George Hansen qu’il paie également, lui-même étant sans doute à la solde des Chinois. Celui-ci est chargé de tuer le Chinois. Après une première attaque en pleine rue qui n’aboutit pas, George et sa bande vont intervenir dans sur le port où Mike et ses protégés sont sensés attendre un bateau. Mais l’attaque de George avorte une fois de plus, et cette fois il meurt, tué d’une balle dans le dos par Miller, alors qu’il menaçait de tuer la fille de Yuen Chung qui s’était déguisée elle aussi en ninja et qui croyait tellement à son destin qu’elle s’était imprudent avancée dans la nuit. Le lendemain, tout le monde va se retrouver dans un cimetière de bateaux de guerre dans la baie de Suisun, au large de San Francisco. Il va y avoir une explication finale, Mike tuera Collis, et pour cela il sera félicité par Weyburn, puis partira avec son bateau en amenant avec lui Mac et 50 000 $. Mike a refusé une offre de la part de Weyburn de retravailler avec lui à un haut niveau. Dans la bataille finale Miller est mort, et le Yen Chung pourra être facilement évacué.

    Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975  

    George Hansen a brisé le genou et le coude de Mike 

    Le scénario a été confié à un professionnel chevronné, Stirling Silliphant. C’est un gage de sureté. Bien que le nom de Peckinpah ne soit pas avancé en tant que scénariste, il est sûrement intervenu sur son écriture, on reconnait pourtant aisément des thèmes qui lui sont familiers. Il y a d’abord un couple d’hommes, Mike Locken et George Hansen, liés par une amitié solide. Ce couple ressemble un peu à celui de Pike Bishop et de Peke Thornton dans The wild bunch. Et bien sûr l’amitié comme l’amour c’est fait aussi pour être trahi. Le contexte des agences d’espionnage plus ou moins privées est, comme le chemin de fer dans The wild bunch, un bon véhicule pour la corruption par l’argent. Jusqu’où cette amitié peut être trahie pour de l’argent ? C’est là toute l’ambigüité du film. Quand George Hansen tire sur Mike et lui détruit son coude et son genou, on se dit qu’il aurait pu tout aussi bien le tuer. En fait il ne lui laisse pas la vie parce qu’il a un fond de pitié en lui, mais plutôt parce qu’il l’a diminué : c’est un peu comme s’il l’avait émasculé. Et d’un certain point de vue il prend ainsi sa revanche sur lui. C’est donc la question d’une amitié trahie qui se trouve au cœur de l’intrigue. Lorsque Miller va tuer George, ce qui parait au spectateur très justifié, Miked aura le reflexe de frapper Miller. Non pas parce qu’il lui reproche de l’avoir tué, mais parce qu’il enrage que leur amitié se finisse ainsi. Les rapports entre George et Mike sont très ambigus, ils ont un comportement paradoxal avec les femmes. Ainsi Mike promet à George qu’il va lui laisser baisser la gonzesse avec qui il a fait la fête la veille. Et George va développer une blague stupide sur la maladie vénérienne que Mike aurait contracté en couchant avec cette femme. Le rôle d’Amy l’infirmière que séduit Mike à l’hôpital, est un personnage clé. En effet elle présente l’aspect d’une femme très maternelle qui vient spontanément en aide à un infirme. Mais n’est-elle pas là aussi pour profiter de ces faiblesses évidentes ? D’ailleurs quand Mike aura retrouvé des forces, et qu’il partira à l’assaut de George, il l’oubliera complètement.

     Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975 

    Mike tente de se refaire une santé avec l’appui d’Amy 

    Le second couple d’hommes est celui formé par Collis et Weybrun. Si au départ on les suppose très unis, rapidement on va comprendre qu’ils sont dans une relation d’opposition féroce. Il y a une scène assez terrible où les deux hommes s’affrontent, alors que Collis doit téléphoner à Hansen pour lui dire où se trouve Mike, Weyburn l’en empêche en l’obligeant à étudier un vague dossier sur les cours de la bourse. Ils se révèlent ainsi dans une relation sado-masochiste, comme si une relation de confiance ne pouvait jamais exister pleinement entre deux hommes. Cela renvoie bien évidemment à la solitude intrinsèque de l’être humain qui tente de s’en protéger avec de l’argent. Dans ces années-là on faisait encore grand cas des turpitudes de la CIA. On avait encore des réserves d’énergie pour s’en offusquer. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, pas qu’on s’en moque, mais les révélations à jet continu sur cette boutique louche ont fini par tuer toute émotion sur ce type d’affaire. Le film de Peckinpah sera comparé d’ailleurs à Three days of the condor de Sidney Pollack qui est sorti la même année. Mais même si le contexte est le même, le but des deux films est différent. Ici il n’est pas question de trahir vraiment une idéologie à laquelle on croirait, mais seulement de faire le maximum d’argent avec les services qu’on peut rendre. C’est évidemment une métaphore de l’opportunisme capitaliste. Peckinpah n’aimait pas l’argent dès qu’il en avait – et il en a gagné beaucoup bien sûr – il le dépensait à tort et à travers. Il se ruinait volontairement. Notez qu’il y a quelques incohérences dans le scénario et quelques oublis, par exemple, à la fin il semble que Miller soit mort, mais Mike et Mac ne semblent pas s’en préoccuper. On notera également ce dialogue étrange entre Mike et la fille de Yuen Chung qui lui explique qu’elle est vierge, comme une incitation à la violer. 

    Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975 

    Il s’entraîne quotidiennement dans les rues de San Francisco 

    La mise en scène est parfaitement rigoureuse, c’est du très bon Peckinpah. Il existe au moins deux versions de ce film, l’une avec des scènes de violence très chorégraphiées, avec des ralentis, et la mise en évidence de l’habileté des combattants. Et puis une autre version, disons un peu plus sobre. C’est cette deuxième version qui circule généralement aujourd’hui en DVD, il y a une différence de quelques minutes. C’est cette version qui avait été montrée en salle. La version augmentée se trouve en Blu ray. La version disons raccourcie permet, à mon avis, de mieux apprécier la rigueur de la réalisation de Peckinpah en dehors de ses manières très téléphonées de chorégraphier la violence justement. On y voit une grande sensibilité à utiliser mes décors naturels de San Francisco et de ce cimetière de navires de guerre dans la baie de Suisun. Ces navires immobiles, il y en aurait plus de 300, qui s’accumulent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale au fur et à mesure des déclassements et qui sont en train de rouiller gentiment, sont comme une métaphore de l’Amérique handicapée, face au dynamisme asiatique. C’est une excellente idée que de saisir ce lieu étrange, fantomatique, pour le règlement de comptes final. Mais si ce décor est très spectaculaire, il ne faut pas oublier cette capacité aussi à filmer les petites rues du quartier chinois, avec un usage très bon des couleurs justement. Là encore on verra Mike très handicapé, se mouvoir difficilement à travers ces lieux. C’est je crois le seul film où Peckinpah travaille la spécificité urbaine d’une ville à la manière des enseignements du film noir, et c’est très réussi. On notera au passage que certaines scènes, notamment celle où l’on voit le motard arrêté le taxi de Mac, sont très inspirées par Don Siegel – un des maîtres du néo-noir – qui avait une prédilection pour San Francisco et dont Peckinpah fut dans ses débuts l’assistant, notamment The lineup où l’on voit cette portion d’autoroute urbaine, la même qu’utilise The killer elite. Et pour cause, Pechinpah avait travaillé sur ce film. Dans les scènes d’action, que ce soit l’attaque à l’aéroport ou sur le bateau de guerre, le découpage est très serré, le rythme très soutenu, sans ostentation. Mais on admirera aussi les scènes de nuit, notamment celles qui sont filmées sur le port quand la bande de Mike va subir l’assaut de George. Il y a une belle utilisation de la couleur noire et de sa profondeur. Dans ce film Peckinpah commence aussi à utiliser quelques éléments de technologie comme les écrans de surveillance, ou les visées à infra-rouge. Il approfondira cet engoncement plus tard dans Osterman WeekEnd. Il y a également des scènes particulièrement réussies comme ces plongées, contre-plongées lors de l’attaque de George et de sa bande qui vise depuis les toits à descendre Yuen Chung à la sortie de l’immeuble où il s’est réfugié avec sa suite. C’est une des rares fois où Peckinpah multiplie les angles, le reste du temps il est un peu plus académique que dans le passé, et ce n’est pas un reproche qu’on lui fera. On notera aussi la reprise de quelques éléments de la grammaire du film noir, les escaliers par exemple, ou les stores vénitiens lorsque l’équipe de Mike se retrouve sur le port, la nuit, à guetter la venue de George et de son équipe.

    Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975 

    Mike engage Mac et Miller 

    L’interprétation est centrée tout naturellement sur James Caan qui est très bon et qui a accepté de se présenter la quasi-totalité du film avec une mobilité réduite. C’est un acteur qui aimait ce genre d’expérience destinée à cassé son image de virilité excessive. S’il manie avec aisance les scènes d’action, il est aussi très bon dans celles où il manifeste ses sentiments que ce soit vis-à-vis de George ou vis-à-vis d’Amy. L’interprétation de Robert Duvall est moins intéressante, comme s’il s’était moins impliqué dans le film que James Caan. Au début du film ses fous rire sont même assez grotesques. Notez que tous les deux ont connu une gloire très soudaine avec The Godfather où ils étaient déjà des faux frères. Les deux membres de l’équipe de Mike sont interprétés par Bo Hopkins, un habitué des films de Peckinpah, dans le rôle de Jerome Miller, et par le génial Burt Young dans celui de Mac le mécano. Ils sont tous les deux très bons. Burt Young z une façon unique de se déplacer, d’utiliser sa silhouette replète. Le couple Collis et Weyburn est interprété par Arthur Uill et le vétéran Gig Young. Ils représentent parfaitement cette Amérique compassé et bureaucratisée à l’excès. Il y a également dans un tout petit rôle, celui d’Amy, l’infirmière qui prend à sa charge Mike, Kate Heflin. C’est une surprise heureuse, c’est la fille du grand acteur Van Heflin, bien trop oublié, dont j’ai eu plusieurs fois l’occasion de souligner la précision et l’originalité de son jeu. Kate Heflin ressemble énormément à son père, avec cet air renfrogné si particulier et ses yeux à fleur de tête, curieusement elle ne fera pas carrière. Les interprètes asiatiques ne présentent pas vraiment d’intérêt. Mais ils sont suffisamment présents. 

    Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975 

    George est déçu, dans le quartier chinois il a manqué sa cible 

    Comme on le voit j’ai une opinion très largement positive sur ce film. Le succès public fut au rendez-vous, sans être extraordinaire cependant, il permettait d’effacer l’humiliation de Bring le the head of Alfredo Garcia. La critique n’avait pourtant pas été tendre, confondant ce film avec l’ordinaire de la production de films d’arts martiaux, et s’attachant un peu trop à l’intrigue qui après tout est assez sommaire dans sa linéarité. Comme ces critiques dures venaient après celles qu’avait subi Bring me the head of Alfredo Garcia, cela laissait entendre que Peckinpah était sur la pente déclinante. C’est faux, il s’était juste fait à l’idée d’abandonner le western et de se pencher sur les dérives d’une Amérique plus contemporaine. Quant à ceux qui avancent qu’il s’agissait seulement d’une œuvre de commande, ils méconnaissent le fait que Peckinpah à retravaillé en permanence le scénario. Il ne s’est donc pas contenté de mettre en images. Il serait tout aussi absurde cependant de considérer ce film comme un des meilleurs du réalisateur, il n’en a pas la densité. Mais il est très bon et se revoit sans ennui. On note aussi que la musique est très bonne, elle est due comme de coutume à Jerry Fielding dont ce sera aussi la dernière collaboration avec Peckinpah. 

    Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975 

    George menace de tuer la fille de Yen Chung 

    Ma conclusion est que ceux qui ne connaissant pas encore ce film, les plus jeunes, doivent le voir, et que les autres, notamment ceux qui l’ont négligé au fil des années doivent le revoir pour se refaire une opinion plus juste.

      Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975

    Mike règle son compte à Collis 

    Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975 

    Les ninjas passent à l’attaque

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