• Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971

     Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971

    Umberto Lenzi, n’aimait pas ce film. Il trouvait que l’idée de départ était bonne, mais qu’il avait été massacré au montage et par les exigences des producteurs. Mais ces déclarations de metteurs en scène il faut s’en méfier toujours, un réalisateur peut détester un de ses films parce que le tournage s’est mal passé, qu’un acteur ou un producteur a posé des problèmes, ou encore qu’il a été un échec commercial. J’ai toujours en tête l’exemple de Melville qui détestait Quand tu liras cette lettre qui est selon moi un bon film[1], très intéressant, ou même L’ainé des Ferchaux qu’aujourd’hui on réhabilite à juste titre contre la critique de l’époque de sa sortie[2]. Umberto Lenzi. C’était un cinéaste très prolifique, il réalisera près de soixante-dix films, dans pratiquement tous les genres du cinéma populaire italien, du western spaghetti au film de guerre en passant par le giallo et le poliziottesco. Lenzi préférait ses films de guerre, peut-être parce que c’étaient ceux qui avaient le mieux marché Selon moi qui n’apprécie que très peu le film de guerre, à cause des messages idéologiques qu’il porte généralement, c’est dans ces derniers segments du film noir à l’italienne qu’il sera le meilleur et le plus inventif. Il débuta dans la réalisation en 1958 et tourna son dernier long métrage en 1992. Mais à partir des années quatre-vingts, ses films eurent bien moins de succès, la plupart restent un peu inconnus en France, la cause en était un effondrement de la billetterie en salles consécutivement au développement des chaines privées de télévision, et sans doute aussi un manque de créativité des producteurs et des réalisateurs qui répétaient toujours les mêmes recettes. Ces manques n’étaient plus compensés par les recettes à l’exportation. C’est donc dans les années soixante-dix que Lenzi sera le plus créatif et qu’il aura aussi le plus de succès sur le marché international, bien qu’en France les films noirs à l’italienne - poliziotteschi et giallo - n’aient guère trouvé de défenseurs du côté de la critique qui préférait le cinéma d’auteur italien, comme Ettore Scola, Federico Fellini ou même les derniers opus d’Antonioni

    Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971 

    La police arrête Ingrid et Steve pour trafic de photos pornos 

    C’est seulement dans les années 2000 qu’en France on a commencé à réhabiliter le cinéma de genre à l’italienne. Les années quatre-vingt virent le cinéma italien s’effondrer sur lui-même. La multiplication des chaines de télévision privées qui passaient des films en quantité industrielle, la vétusté du parc des salles, expliquent cet effondrement, et cette désaffection du public a eu forcément des conséquences sur les réalisations. Les budgets devinrent plus serrés, l’envie était moins là. Déjà à la fin des années soixante-dix, des metteurs en scène aussi prestigieux que Mario Bava commençaient à avoir des difficultés à trouver des financement. Mais au moment où Lenzi tourne Un posto ideale per uccidere, nous sommes en plein boom pour ce qui concerne le giallo et le poliziottesco. C’est un giallo. Le nom de giallo vient du fait que les romans policiers dans le genre Agatha Christie, étaient publiés sous une couverture jaune. Mais dans le genre giallo au cinéma, si l’énigme est toujours à résoudre – qui a tué ? – on peut le diviser en deux sous-genres, l’un qui serait plus classique, avec comme thème la jalousie ou la cupidité, l’autre plus horrifique, avec des dérives vers le fantastique. Celui-ci reste relativement classique, bien que comme beaucoup de films du même genre, il fasse quelques incursions légèrement érotiques. 

    Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971

    Ils ont décidé de rester en Italie, malgré leur expulsion 

    Ingrid et Bob sont deux jeunes étrangers, plus ou moins étudiants, qui voyagent dans l’Italie. Pour financer ce voyage insouciant, ils ont recours à des expédients, Bob vend des photos d’Ingrid nue, dans des positions suggestives, ou des revues pornographiques. Ingrid étant censée être danoise, on suppose que ces revues proviennent de son pays, réputé à l’époque comme un parangon de la liberté des mœurs. Mais la police les arrête et les expulse. Mais ils veulent continuer leur route. en chemin ils croisent d’autres marginaux qui traficotent un peu de tout et de rien. Alors qu’ils descendent vers Naples, et que la police les poursuit pour les expulser, ils tombent panne d’essence. Ils sont proches d’une luxueuse maison qu’ils croient abandonnée. Mais en réalité, Barbara Slesar n’a pas répondu à leurs coups de sonnette parce qu’elle est au téléphone en train de discuter de l’assassinat de son mari qu’elle vient de commettre. Croyant toujours la maison abandonnée, Bob et Ingrid vont pénétrer dans le garage et siphonner l’automobile de Barbara. Celle-ci les surprend et tente de les chasser. Voyant qu’elle n’y arrive pas, elle change de plan et veut au contraire les retenir pour en faire des assassins. L’avocat de Barbara qui est aussi son amant, n’arrive pas à la joindre car Bob a arraché le fil du téléphone alors qu’elle tentait d’appeler la police. 

    Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971

    L’employé de la station-service dénonce les deux jeunes gens à la police 

    A partir de là, une relation curieuse va s’installer entre les trois personnages, Barbara tentant de séduire Bob, le mettant dans son lit pour tenter de s’enfuir. Mais Bob évente ces intentions et avec Ingrid, ils vont la séquestrer. Ingrid est chargée de la garder sous la menace d’un coupe papier. Pendant ce temps, Bob descend en ville pour acheter de la peinture noire destinée à repeindre leur spider jaune, pensant qu’ainsi ils passeront inaperçus. Entre temps, Barbara tente de séduire Ingrid et lui offre un manteau de fourrure. Mais les deux jeunes gens las de repeindre leur voiture vont vouloir prendre celle de Barbara. Dans la boite à gants ils trouvent un revolver qui est en fait l’arme qui a tué le mari de Barbara, puis en ouvrant le coffre, ils vont comprendre ce qui s’est passé. Mais comme le revolver a disparu, ils comprennent que sur celui-ci il y a leurs empreintes et qu’ils risquent d’être soupçonné de meurtre. Ils interrogent méchamment Barbara qui ne parle pas. Pendant ce temps plusieurs personnes s’inquiètent de la disparition de Barbara. La nuit Ingrid et Bob vont enterrer le cadavre, finir de repeindre le spider. Le matin ils décident de se transformer et de prendre la route pour Naples. Mais le voisin qui promenait son chien a trouvé le cadavre, la police intervient et Barbara leur explique qu’elle a été agressée par les deux jeunes délinquants. La police se lance à leurs trousses, et dans la poursuite les deux jeunes gens se tuent en voiture. Barbara ne sera pas inquiétée car elle a un alibi que lui fournit son avocat ! 

    Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971

    Ils arrivent devant une maison qu’ils croient inhabitée 

    C’est un film totalement amoral, comme très souvent dans le giallo. Les deux jeunes gens sont bêtes et antipathiques au possible et on finit par se ranger du côté de la manipulatrice Barbara. Lenzi disait qu’il voulait faire de sujet un road movie plutôt qu’une sorte de suspense, et c’est ce qui a motivé son reniement. L’aspect road movie dont parle Lenzi, c’est ce qu’on voit dans le premier tiers du film quand on suit les manigances de Bob et d’Ingrid à la recherche d’une forme de liberté qui parait illusoire. Cette partie est, contrairement aux dires de Lenzi la moins intéressante. Bien plus intéressant reste le huis-clos entre les trois personnages principaux. L’idée de départ semble avoir jaillie du cerveau de Lenzi, mais comme il y a deux autres noms pour signer le scénario, on se dit que celui-ci a été trafiquoté, et de fait tout cela manque d’homogénéité. Lenzi qui par ailleurs n’a jamais hésité à mettre en scène des formes érotiques pour aguicher le spectateur, semble vouloir dire que ces scènes, à vrai dire légères compte tenu des standards ultérieurs, n’étaient pas à leur place. L’histoire se déroule en trois temps : la vie de bohème et de délinquance de Bob et Ingrid, ensuite la manière dont ils investissent la maison de Barbara pour prendre le pouvoir, et enfin le rapport entre la maison et l’extérieur. Le premier temps c’est la fuite en avant d’un couple un peu stupide qui vit au jour le jour. Le deuxième temps ce sont des rapports de maitre à esclave qui se compliquent d’un jeu de séduction. Et enfin, le troisième temps c’est le suspense si on peut dire pour savoir qui sera mangé. Évidemment ce sont les plus jeunes, car ils sont plus tendres !

    Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971

    Barbara surprend les deux jeunes gens en train de siphonner son essence 

    On constate qu’il y a de sacrés trous dans le scénario. Par exemple quand les deux jeunes gens menacent Barbara, elle se plie à leurs caprices, alors qu’elle a compris rapidement qu’ils seront incapables de la tuer et même de la torturer. Également la façon dont le voisin qui promène le chien trouve le cadavre n’est pas très explicite, alors que le trou creusé pour enterrer le cadavre du mari était très profond. Aussi au débit de ce scénario, on mettra l’incongru fonctionnaire américain qui ne se doute jamais de rien ou le policier qui se laisse distraire par le faux évanouissement d’Ingrid, alors qu’il s’apprête à ouvrir le coffre de la voiture où se trouve le cadavre du mari. Le personnage de Barbara est évidemment le plus intéressant. Elle vole l’amant d’Ingrid pour faire enrager celle-ci et opposer les deux jeunes gens, mais en même temps elle se comporte comme une mère avec eux. Et au fil des minutes qui passent, on se demande si le trio ne va pas finir dans le même lit ! Le principe de ce scénario est de trouver une fin inattendue. Si l’accident de voiture final est un classique du film noir, le fait que le coupable ne soit pas démasqué et se décharge de son crime sur des innocents est au contraire très spécifique du giallo.

    Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971

    Barbara séduit Bob 

    Finalement c’est bien Barbara qui remporte la palme du cynisme dans cette lutte entre des personnages qui se croient plus malins les uns que les autres. Bob se fait manipuler facilement par Barbara mais aussi par Ingrid, car si les policiers retrouvent sa trace, c’est parce qu’Ingrid fait un caprice pour aller se baigner, alors que Bob veut se mettre rapidement à l’abri en passant la frontière ce qui nous rappelle un peu la fin de Plein soleil quand Ripley croit qu’il peu rester au bord de la mer et qu’il a gagné, sans voir le policier qui l’attend. Ce n’est pas une fin convenue qui voit les délinquants punis, c’est même l’inverse, ce sont les criminels les plus malins qui gagnent. Pour que la morale ordinaire soit sauve, il aurait fallu que Barbara et son amant se fassent également piéger par la police. Ingrid est officiellement une jeune fille émancipée, mais elle crève de jalousie quand Bob s’en va coucher avec Barbara. Entre d’un côté Barbara et son amant, l’avocat, et de l’autre Bob, Ingrid et les marginaux qu’ils fréquentent, il y a comme un parfum de lutte de classes, et ce sont les marginaux qui perdent ce combat bien entendu.  

    Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971

    Ingrid est chargée de surveiller Barbara 

    La mise en scène de cette fable souffre de plusieurs problèmes. D’abord le portrait d’une jeunesse contestataire, marginale et délinquante est assez convenu et faux. Comme si Lenzi voulait se venger de ce que cette jeunesse brouillonne et revancharde avait bouleversé en Italie à la fin des années soixante. Ensuite, il y a un aspect décousu dans le récit, car les trois parties que nous avons définies ci-dessus sont insérées dans un rythme changeant. La seconde partie qui voit l’affrontement entre Barbara et ses squatters, et parfois trop longue, ça tire à la ligne de façon à insister un peu plus sur l’érotisme de cette situation particulière. Également, si l’avocat s’inquiète des silences forcés de Barbara, il ne se démène guère pour avoir des informations., puisqu’en effet en tant qu’avocat, il a mille raisons de contacter Barbara comme cliente, sans se cacher. La litanie des personnes qui viennent déranger ce huis-clos est aussi répétitive et assez peu prenante pour le spectateur.

    Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971

    Barbara veut séduire Ingrid zen lui offrant un manteau de fourrure 

    On retrouve cependant Lenzi dans la manière de filmer, d’abord dans l’utilisation des plans généraux qui s’appuient sur l’écran large et qui aident à saisir l’architecture des décors, et puis aussi cette manière de faire ressortir les couleurs, de les accorder aux tenues de Barbara.  C’est pourquoi la partie centrale du récit parait bien plus soignée que les deux autres parties qui l’encadrent. La photographie est très bonne, elle est due à Alfio Contini et travaille le détail, mettant en valeur les objets qui enserrent la vie de Barbara. Contrairement à ses habitudes, Lenzi parait moins à l’aise dans la mise en scène des séquences urbaines, par exemple quand Bob va retrouver son copain. Même les scènes d’action, les poursuites en voitures, les batailles entre Barbara et les jeunes délinquants sont plutôt bâclées. Le montage très serré n’est pas toujours adéquat pour rendre compte du suspense quand les deux jeunes se trouvent en difficulté face au monde extérieur. La scène de fellation de Bob par Barbara est tout de même assez grotesque, non pas dans son principe, mais dans sa manière de la filmer. Irene Papas est d’ailleurs doublée elle aussi pour les scènes de nu qui sont censées montrer son cul, mais à cette époque le cinéma italien s’émancipait sur le plan sexuel et avait besoin de s’affirmer avec ce type d’images. 

    Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971

    ils ont découvert le cadavre du mari de Barbara dans la voiture 

    Lenzi présente ce film comme un échec artistique et commercial, il en attribue la responsabilité à Carlo Ponti qui aurait pu ainsi « ruiner sa carrière ». Il aurait voulu par exemple qu’au lieu d’un anachronique commerce de photos pornographiques, nous sommes tout de même en 1971, les deux jeunes gens se livrent plutôt à un trafic de drogue. Je ne suis pas certain que ce type d’ajustement aurait améliorer l’affaire. Mais en tous les cas, ce qui ressort c’est que cette hésitation entre un road movie et un suspense plus traditionnel nuit certainement à la cohésion de l’ensemble. 

    Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971

    Ils veulent que Barbara disent où elle a caché le révolver 

    Plus problématique est l’interprétation. Surtout celle du pâlichon Ray Lovelock qui est proche du zéro dans le rôle de Bob, le jeune délinquant, un peu maquereau. Il sourit bêtement à contretemps. Cet acteur italien a surtout tourné dans du cinéma de genre, mais je crois que c’est ici qu’on se rend le mieux compte de sa nullité. C’est certainement un peu la faute de Lenzi qui sur les tournages n’arrêtait pas de s’engueuler avec ses acteurs. Ornella Mutti est beaucoup mieux, bien qu’on lui ait donné le rôle d’une danoise. À cette époque elle avait à peine seize et était au tout début d’une carrière brillante qui illuminera le poliziottesco. Notez que pour les scènes de nu, elle est doublée, sans doute qu’au regard de son âge on n’avait pas le droit de la filmer ainsi, sa prestation est tout à fait correcte. De ce trio infernal, c’est encore Irene Papas qui s’en tire le mieux. C’est une grande actrice, avec une forte présence, le cinéma grec malheureusement s’étant effondré, elle trouvera un refuge sur en Italie dans le cinéma de genre après quelques incursion dans des productions internationales. 

    Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971

    Ils enterrent le cadavre du mari de Barbara 

    Que reste-t-il de ce film bancal ? Pas grand-chose à vrai dire. Mais enfin, il peut le voir, même s’il manque de profondeur dans la description du caractère des différents protagonistes. La musique est bonne, l’image aussi, et ça nous permet d’approfondir le travail de Lenzi. 

    Umberto Lenzi, Meurtre par intérim, Un posto ideale per uccidere, 1971

    Après avoir repeint la voiture, Ingrid et Bob reprennent la route

     

    Il existe une bonne édition de ce film en Blu ray chez Le Chat qui fume, avec une interview de Lenzi qui finit tout de même par trouver quelque vertu à son film !


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/quand-tu-liras-cette-lettre-jean-pierre-melville-1953-a114844948

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/l-aine-des-ferchaux-jean-pierre-melville-1963-a187330618

    « André Héléna, Les flics ont toujours raison, World Press, 1949Corleone à Brooklyn, Da Corleone a Brooklyn, Umberto Lenzi, 1979 »
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