• Un homme est passé, Bad day at Black Rock, John Sturges, 1955

    Un homme est passé, Bad day at Black Rock, John Sturges, 1955

    John Sturges est toujours un réalisateur sous-estimé, et à mon avis sa filmographie est supérieure à bien des auteurs qu’on encense sans trop de raison aujourd’hui, que ce soit Hitchcock dont l’œuvre cinématographique a beaucoup vieilli ou le sinistre Clint Eastwood dont la maîtrise technique est vraiment faiblarde. Je ne suis pas le seul à dire cela, heureusement, aux Etats-Unis il y a une tendance à réhabiliter la filmographie de John Sturges. Il a travaillé au début de sa carrière dans le film noir[1]. Et puis il a rencontré un succès immense avec des westerns d’une grande précision, le plus souvent à travers une utilisation très subtile du cinémascope. Et donc si certains de ses westerns ont des allures de film noir, par exemple Last train from Gun Hill, certains de ses films noirs ont des allures de western[2]. C’est le cas ici. Le résultat de cette hybridation est excellent.  

    Un homme est passé, Bad day at Black Rock, John Sturges, 1955

    Le scénario est basé sur une histoire de Michael Niall, de son vrai nom Howard Breslin, celui-ci a écrit deux romans noirs, tous les deux traduits en français, l’un, Un homme est passé, à la série noire, et l’autre Fait comme un rat, aux Presses de la Cité.  

    Un homme est passé, Bad day at Black Rock, John Sturges, 1955 

    Le train arrive à Black Rock et va s’y arrêter pour la première fois en 4 ans 

    John McReedy débarque par le train à Black Rock, une petite ville minière perdue et pauvre qui semble à l’écart de la civilisation. Nous sommes en 1945, la guerre est finie. Il cherche à gagner Adobe Flat. Mais tout le monde semble se mettre en travers de son chemin. L’hôtel lui refuse une chambre, le shérif ne veut pas lui donner de renseignement sur un nommé Komoko. Seul Smith, qui semble régner sur la petite localité, lui indique que Komoko a été interné dans un camp au moment de Pearl Harbor. Obstiné, McReedy va se rendre à Adobe Flat et comprendre que la ferme de Komoko a été incendiée, et que probablement il a été aussi tué et enterré. Smith décide de l’éliminé, c’est d’abord Coley qui va tenter de lui faire avoir un accident de voiture, puis, il va le provoquer mais va recevoir une raclée terrible. Le docteur, puis le shérif vont essayer de se rebeller contre Smith. Celui-ci lui ôte son étoile, et nomme Hector à sa place. Entre temps McReedy va tenter d’envoyer un télégramme à la police, mais comme pour le téléphone, il est coupé du reste du pays. On apprend alors que McReedy était seulement venu à Black Rock pour remettre la médaille de son fils à Komoko, car non seulement celui-ci avait combattu courageusement en Italie, mais il avait aussi sauvé la vie de McReedy.  Pete, l’hôtelier, va basculer, il va tenter de sauver McReedy en demandant à sa sœur Liz de venir le chercher. Mais celle-ci trahit McReedy et le livre à Smith. Une fusillade s’ensuit dans laquelle Liz est tuée, McReedy sort vainqueur de ce duel et capture Smith. 

    Un homme est passé, Bad day at Black Rock, John Sturges, 1955 

    John McReedy débarque du train 

    On a retenu le thème du racisme anti-japonais, et on a vu ce film comme la première réhabilitation des américains d’origine japonaise qui avaient été très maltraités, bannis, déportés. Des dizaines de milliers de nippo-américains avaient été enfermés dans des camps, d’autres avaient été déportés. C’est le FBI du sinistre J. Edgar Hoover qui s’était chargé de cette monstrueuse besogne. Et je ne crois pas me tromper en avançant que ce film est le premier à avoir traité de ce sujet. Cela convient bien à Sturges qui a toujours mis en avant les idées antiracistes, sans les habillées d’un discours militant. On peut élargir cependant le propos au fait qu’après un long silence les démocrates d’Hollywood ostracisés par la Chasse aux Sorcières les listes noires, ceux-ci vont relever la tête. Sturges, Spencer Tracy, Robert Ryan, mais aussi Lee Marvin étaient des démocrates, des libéraux, très hostiles à la chappe de plomb idéologique qui s’était abattu sur l’Amérique. Mais il y a autre chose dans ce film, outre le thème récurrent westernien d’un homme seul contre tous et contre la lâcheté ambiante, c’est la bataille de la civilisation contre l’obscurantisme. Et la civilisation arrive comme souvent chez Sturges par le train ! Je pense qu’il est le réalisateur qui a le plus souvent filmé les trains, et que ceux-ci modifiaient toujours l’état des choses en injectant de la morale en reliant un coin paumé au reste de la société. Il reprendra ce thème dans le magnifique Last train from Gun Hill, mais aussi dans Gunfight at the OK corral, et encore plus tard dans Hour of the gun. C’est le progrès social et économique qui ici affronte l’immobilisme le plus rétrograde qui permet à un potentat local de régner sans partage sur la cité. Il y a également un autre thème qui est abordé, celui de la refondation d’un ordre nouveau et juste après la guerre. L’irruption d’un étranger vêtu de noir se pose comme un cas de conscience pour tous les individus qui ont laissé commettre un meurtre horrible. Et cela d’autant plus qu’il est handicapé, ayant perdu l’usage d’un bras à la guerre. Cet homme apparemment vieux et handicapé, va, par la rigueur morale de son comportement, en remontrer à des hommes solides et brutaux dans la force de l’âge. McReedy se trouve à mi-chemin entre le confesseur et l’ange exterminateur. Remarquez que, comme dans Violent Saturday, la femme qui a trahi, est châtiée et perd la vie. 

    Un homme est passé, Bad day at Black Rock, John Sturges, 1955 

    La petite ville de Black Rock semble avoir été oubliée par la civilisation 

    Sur le plan cinématographique, le film frise la perfection. En effet Sturges arrive à tenir le spectateur en haleine pendant près d’une heure sans qu’il ne se passe quelque chose : il joue sur la peur insidieuse, la menace latente que constitue cette situation où la ville manifeste son hostilité à l’étranger. Remarquez que le film se passe sur une seule journée, il y a donc une unité de temps et de lieu qui donne de la force et du rythme à l’ensemble. L’utilisation des paysages désolés et arides est soutenue par le cinémascope donc Sturges fut un des maîtres dans le maniement. Certes il est secondé parfaitement par William C. Mellor, le directeur de la photographie, mais l’usage du format est tellement semblable à ce que Sturges fera dans ses autres westerns qu’il est impossible de ne pas lui en attribuer la paternité. On remarque l’usage des longues diagonales, les mouvements de grue, et la rapidité des déplacements de la caméra. La démonstration de la maitrise de Sturges est évidente dans la scène assez compliquée dans laquelle McReedy va donner une raclée à Coley. Sturges change de point de vue en permanence, il passe du gros plan au plan général, en passant par le plan américain, sans garder la caméra statique. Egalement les angles de prise de vue ne sont jamais les mêmes. Rien que pour cette scène le film vaut le déplacement. 

    Un homme est passé, Bad day at Black Rock, John Sturges, 1955 

    Smith tente de savoir ce que McReedy cherche 

    L’interprétation est très « haut de gamme ». C’est Spencer Tracy qui domine l’ensemble, présent de bout en bout, il impose son autorité. Malgré sa petite taille, ses cheveux blancs et son âge, il tient la dragée haute à tous les voyous à la solde de Smith. C’est un acteur un peu oublié, mais qui était extrêmement célèbre, un des piliers de la MGM. Sa longue carrière a été jalonnée de succès que ce soit dans le drame, la comédie et même le film d’aventures. Il trouve là un de ses meilleurs rôles. Il devait être très satisfait puisqu’il tournera aussi The old man and the sea sous la direction de Sturges. Il y a ensuite Robert Ryan, pilier du film noir, il est ici encore très bon, mais un peu en retrait tout de même. Plus remarquables sont les deux bad boys, Coley et Hector, interprétés respectivement par Ernest Borgnine et Lee Marvin. Ils étaient déjà présents dans Violent Saturday, tourné la même année[3]. On trouve encore Walter Brennan dans le rôle du vieux docteur moralisateur. Le seul personnage féminin est joué par Anne Francis qui a fait une toute petite carrière et qui ici n’a pas grand-chose à faire, seulement à trahir McReedy et son frère pour finir par se faire descendre bêtement par son amant. 

    Un homme est passé, Bad day at Black Rock, John Sturges, 1955 

    Smith et sa clique pensent que le mieux est de supprimer McReedy 

    Le film a connu un très bon succès, un succès mondial même, la critique l’a encensé, et il est toujours très apprécié pour sa modernité prémonitoire aussi bien que la rigueur de sa mise en scène. C’était bien la grande force de Sturges, de construire des drames populaires auxquels le public était très réceptif et en même temps d’offrir une réflexion profonde sur la société et son histoire. 

    Un homme est passé, Bad day at Black Rock, John Sturges, 1955 

    Coley tente de provoquer McReedy 

    Un homme est passé, Bad day at Black Rock, John Sturges, 1955 

    Smith a nommé Hector shérif 

    Un homme est passé, Bad day at Black Rock, John Sturges, 1955 

    Sturges sur le tournage avec Robert Ryan et Spencer Tracy

     

     


    [2] Sturges aura pourtant une fin de carrière un peu pénible. A partir du milieu des années soixante, il semble de moins en moins adapté aux évolutions des studios. Voir Glenn Lovell, Escape Artist, the life and films of John Sturges, University of Wisconsin Press, 2008.

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/les-inconnus-dans-la-ville-violent-saturday-richard-fleischer-1955-a130454586

    « Les inconnus dans la ville, Violent Saturday, Richard Fleischer, 1955Les cheveux d’or, The lodger, Alfred Hitchcock, 1927 »
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