• Un si doux visage, Angel Face, Otto Preminger, 1952

      Un si doux visage, Angel Face, Otto Preminger, 1952

    Parmi les films noirs que Preminger réalisa, celui-ci n’est pas le plus marquant, et surtout il a été tourné dans des conditions épouvantables, le film étant produit par la RKO du sinistre Howard Hugues. On dit que les scènes étaient écrites la nuit pour être tournées le lendemain. Ce n’est donc pas un sujet que Preminger avait pris le temps de travailler. L’histoire ne lui plaisait pas. Mais malgré tout, si on passe outre les incongruités du scénario, il y a quelque chose d’attachant dans ce film. Le titre anglais, Angel face, est évidemment un renvoi à Fallen angel qui avait été quelques années plus tôt un grand succès de Preminger. 

    Un si doux visage, Angel Face, Otto Preminger, 1952 

    Frank va être fasciné par la personnalité de Diane 

    Frank Jessup est ambulancier, avec son collègue Bill, il est appelé au chevet d’une femme très riche qui semble avoir été traumatisée par des émanations de gaz. Quand ils arrivent sur place, la police est là avec un médecin, et Catherine Tremayne est hors de danger. Cependant, elle prétend qu’elle a subi une tentative d’assassinat. Frank ayant trouvé la deuxième clé du gaz, repoussée sous une buche dans la cheminée, il semble qu’elle se trompe. Frank et Bill s’apprêtent donc à repartir. Mais Frank va remarquer au rez-de-chaussée de la belle maison une jeune femme qui joue du piano. Il est attiré par elle. Cette Diane Tremayne est la belle fille de Catherine. Elle fait une crise de nerfs, et Frank la gifle pour la calmer, mais elle la lui rend. Les ambulanciers repartent, Diane les suit et rejoint Frank dans un bistrot d’où il cherche à appeler sa petite amie Mary. Celle-ci a préparé le repas du soir. Il se prétend fatigué et décline l’invitation. En fait il préfère rester avec Diane. Malgré ses réticences, Frank se laisse séduire par cette jeune femme riche et belle. Il l’emmène dîner, puis ils vont danser. Elle a fini de le séduire en lui faisant conduire sa belle automobile. Il lui avoue qu’il aimerait pouvoir ouvrir un garage car il est passionné de mécanique. Elle se propose de l’aider, mais il refuse. Le lendemain Diane rencontre Mary et lui explique qu’en réalité Frank n’était pas fatigué, mais qu’il était avec elle. Mary est choquée et comprend tout de suite que Diane veut la manipuler. Elle se fâche avec Frank. Celui-ci est rejoint par Diane qui lui propose de l’engager comme chauffeur. Il cède. Il va faire ainsi connaissance avec la riche Catherine Tremayne qui en fait entretient tout le monde et surtout le père de Diane, un écrivain de renom, mais qui ne gagne plus rien car il est en panne d’inspiration. Catherine semble vouloir aider Frank à monter son garage. Cependant il commence à s’apercevoir que Diane lui ment et qu’elle cherche aussi à le manipuler. Il est hésitant parce qu’en même temps il sent que Mary est en train de lui échapper et qu’elle se tourne vers Bill son collègue ambulancier. Diane va mettre au point l’assassinat de sa belle-mère en trafiquant son automobile. Dans l’accident son père va décéder également. Il s’ensuit un procès, mais un avocat malin conseille à Frank et Diane de se marier pour attendrir le jury et éviter de se trouver dans l’obligation de témoigner l’un contre l’autre. Ils vont être graciés. Mais dès lors Frank veut se séparer de Diane. Il pense à se remettre avec Mary. Ça ne marche pas parce qu’entre-temps celle-ci s’est mise en ménage avec Bill. Pendant ce temps, Diane va tenter de se confesser auprès de son avocat qui lui explique qu’une affaire comme la sienne ne peut pas être rejugée. Frank revient vers Diane et prépare sa valise en lui signifiant qu’il va partir au Mexique et qu’il ne veut voir plus personne. Diane lui propose de l’accompagner à la gare de bus. Il accepte. Mais dans un ultime geste de défi, elle passe la marche arrière et envoie l’automobile dans le décor. 

    Un si doux visage, Angel Face, Otto Preminger, 1952 

    Diane tente de semer le trouble dans l’esprit de Mary 

    Les invraisemblances dans ce scénario mal fagoté sont nombreuses, tant sur le plan factuel que sur le plan psychologique. Tout le monde se rend compte en effet que Diane mène un jeu particulièrement trouble, mais on la laisse faire, sans même s’éloigner d’elle. Catherine sait qu’elle a voulu l’assassiner, cependant elle la conserve sous son toit comme si de rien n’était. Frank aussi perce à jours les intentions mauvaises de Diane, mais il ne dit rien, Mary également. Egalement la façon dont Diane sabote la boîte de vitesse de la voiture de sa belle-mère est invraisemblable. En vérité le scénario part dans tous les sens. Dans la première partie du film il y a une sorte de quadrille entre Mary et Frank, Frank et Diane, Bill et Mary qui laisse penser que le thème central est la jalousie et la lutte pour le pouvoir entre les femmes et les hommes. Ces derniers, à l’image de Frank, apparaissant faibles et irrésolus. Le père de Diane est aussi très faible, le voilà qu’il quémande honteusement un peu d’argent à sa femme. Et puis dans la deuxième partie le film s’attaque à la névrose de Diane et s’intéresse à sa folie. Elle devient en effet obsédée par Frank, ne supportant pas qu’il puisse manifester une once d’indépendance vis-à-vis d’elle. Mais cet aspect psychologique du film est un peu saboté par l’intérêt que Preminger va porter au procès à travers des développements qui s’inspirent trop directement de The postman alway rings twice de James M. Cain. Du côté de Frank, on peut poser le problème du point de vue de la lutte des classes. En effet bien qu’il ait une méfiance instinctive pour le pouvoir pécunier de Diane, il se laisse tout de même corrompre. L’automobile qui est encore à l’époque un objet de consommation manifestant un clivage de classes est au cœur même de l’histoire. On verra les domestiques asiatiques partir fièrement au volant d’un vieux tacot poussif. Et c’est encore l’automobile cet objet d’aliénation moderne qui sera le châtiment de Frank. 

    Un si doux visage, Angel Face, Otto Preminger, 1952 

    Frank aime les belles voitures 

    La qualité de la réalisation va se ressentir de ces hésitations. Bien qu’on ait engagé pour photographier le film Harry Stradling, très célèbre pour avoir photographié des films comme A streetcar nammed desire de Kazan, ou Johnny Guitar de Nicholas Ray, elle est assez pâlotte et s’éloigne clairement des standards du film noir. Il n’y a pratiquement pas d’extérieur, à part quelques transparences presqu’aussi médiocres que chez Hitchcock. Peminger qui est connu pour la fluidité de ses mouvements de caméra multiplie ici les séquences statiques en cadrant systématiquement deux personnages et laissant filer les dialogues, ce qui donne un côté assez théâtral. Le procès est filmé avec un peu plus de grâce, mais c’est le genre de scènes qu’on a vues des dizaines de fois, avec gros plan de l’avocat, puis panoramique sur la salle ou sur le jury. Cette manière de travailler fait que le film hésite entre le thriller et le film noir, autrement dit si on considère que la névrose de Diane est le contrepoint de la figure de la femme fatale, alors la mise en scène est inadéquate. Il est curieux que personne ne se soit aperçu de cela. En 1963, soit dix ans tout de même après sa sortie, Jean-Luc Godard considérait qu’il s’agissait là du 8ème meilleur film de tous les temps[1] ! Rien ne justifie ce jugement extravagant. Bien au contraire, du reste Preminger refusera dans ses mémoires d’en parler, comme si ce film n’existait pas.

    Un si doux visage, Angel Face, Otto Preminger, 1952 

    Malgré ses réticences, Frank se laisse séduire 

    En vérité si le film tient debout et ne lasse pas le spectateur, c’est essentiellement dû à l’interprétation. L’opposition entre la frêle Jean Simmons et le grand et massif Robert Mitchum fonctionne très bien. Robert Mitchum est Frank bien sûr. A cette époque il a une grande habitude des rôles d’hommes faibles. Il avait déjà joué un rôle similaire dans Out of the past, le chef d’œuvre de Jacques Tourneur[2] et dans Where dangers lives de John Farrow où il interprétait un médecin embarqué dans une histoire mexicaine avec une psychopathe[3]. Ici il joue sur l’ambigüité du personnage qui ne sait pas choisir avant tout parce qu’il est un opportuniste. S’il est attiré malgré tout par Diane, c’est aussi parce qu’elle est riche, quoique dépravée. Il est cynique et intéressé. Sans scrupule il croit qu’il pourra retourner facilement chez Mary et la séduire à nouveau. Jean Simmons qui tournera plusieurs fois avec Mitchum était à l’époque la petite amie d’Howard Hugues – quelle idée ! – mais elle est excellente comme souvent. Elle dégage une grande énergie, et surtout dans la seconde partie du film, elle fait étalage d’une paranoïa solide. Mona Freeman dans le rôle de Mary est remarquable, à la fois blessée par le comportement de Frank et solide dans l’adversité. Elle est la première à éventer les combines de Diane. Mais elle se lassera de la désinvolture de Frank et se rangera avec Bill, abandonnant toute idée romantique quant à la passion amoureuse. Si Herbert Marshall dans le rôle du père Tremayne est sans saveur particulière, celui de sa femme tenu par Barbara O’Neil est plus intéressant et plus contrasté. Elle laisse voir suffisamment d’humanité dans la gestion de toutes les personnes qui gravitent autour d’elle. Et bien sûr Leon Ames dans le rôle de l’avocat Barrett est très bon, dans ce genre de personnage il faut toujours un acteur énergique. 

    Un si doux visage, Angel Face, Otto Preminger, 1952

     Au procès ils seront acquittés 

    Bien accueilli à sa sortie par la critique et par le public, sauf en France où le film fit un score plutôt médiocre, Angel face a pris une place importante dans l’histoire du film noir. Pourtant si le rythme est soutenu, et si on ne s’ennuie pas à une nouvelle vision, son intérêt reste limité. Flirtant avec une approche psychanalytique assez sommaire, Diane a été traumatisée par la mort de sa mère et ne supporte pas qu’on lui ait pris son père, le film manque d’unité, tant sur le plan des idées développées que sur le plan de la réalisation. 

    Un si doux visage, Angel Face, Otto Preminger, 1952

    Diane est venue se confesser à son avocat



    [1] Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, Belfond, 1968.

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/la-griffe-du-passe-out-of-the-past-jacques-tourneur-1947-a118298548

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/voyage-sans-retour-where-danger-lives-john-farrow-1950-a114844834

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