• Vaudou, I walked with a zombie, Jacques Tourneur, 1943

    Vaudou, I walked with a zombie, Jacques Tourneur, 1943

    Curieusement alors que son succès a été moindre que Cat people, ce film est devenu une référence incontournable de la culture populaire. Il est cité un nombre incalculable fois dans la littérature comme dans le cinéma et la télévision. Je pense que ce film a inspiré aussi Graham Greene pour son roman The comedians[1], ouvrage qui fut porté à l’écran en 1967 avec Elizabeth Taylor et Richard Burton par Peter Glenville. Ici il ne s’agit pas d’un film noir, du moins dans la thématique. C’est un vrai film fantastique dont les ressorts font appel à un « choc des cultures » qui va construire une atmosphère envoutante et mystérieuse. En même temps il remet en question les dogmes principaux des religions occidentales. Notez que le scénario, basé sur une histoire d’Ardel Wray, une spécialiste des films d’horreur, est de Curt Siodmak, le frère de Robert Siodmak, un écrivain qui a beaucoup œuvré dans le domaine fantastique. Mais on trouvera aussi dans l’équipe technique une grande quantité d’habitués du film noir, comme le directeur artistique Albert S. D’Agostino, ou encore Mark Robson qui deviendra ensuite un réalisateur attitré de la RKO. 

    Vaudou, I walked with a zombie, Jacques Tourneur, 1943 

    Betsy est surpris dès son arrivée par l’ambiance qui règne à Fort Holland 

    Betsy Connell est une jeune infirmière célibataire qui est engagée par la famille de Jessica Holland pour qu’elle s’occupe d’elle. Le salaire est intéressant, et le dépaysement est assuré, elle doit prendre son poste dans les Antilles néerlandaises. Sur le bateau elle rencontre le taciturne Paul Holland qui lui tient un discours sinistre sur la pourriture dans laquelle ils s‘enfoncent : pour lui tout est faux, y compris la beauté des lieux. Arrivée à Fort Holland, une riche plantation de canne à sucre, Betsy va faire la connaissance de Wesley Rand, un alcoolique, qui n’est autre que le demi-frère de Paul. Les deux frères se détestent, entre autres parce que Jessica a voulu partir avec Wesley et abandonner Paul. Le docteur Maxwell lui apprend que Jessica est dans cet état consécutivement à une forte fièvre. Celui-ci propose un traitement à l’insuline qui plongerait Jessica dans le coma pour la faire renaître en quelque sorte, mais ça ne fonctionne pas. Néanmoins Betsy va essayer de prodiguer des soins pour sortir Jessica d’une sorte de léthargie qui laisse à penser qu’elle est en vérité un zombie. Elle va donc amener Jessica à une cérémonie vaudou. Elle découvre les danses et les transes. Mais là elle va comprendre aussi que c’est la mère de Paul et de Wesley qui se cache derrière tout ça. Se plaçant ainsi de façon à manipuler les noirs crédules pour les amener à prendre des médications occidentales. Alors que tout espoir est perdu pour Jessica, au cours d’une réunion qui prend l’allure d’un règlement de comptes, madame Rand s’accuse elle-même d’avoir transformé sa belle-fille en zombie pour l’empêcher de quitter Paul. Mais le docteur Maxwell va lui démontrer l’inconsistance de cette hypothèse. Jessica reste inexplicablement attirée par le vaudou, mais Betsy l’empêche de le rejoindre. Finalement c’est Wesley qui va la laisser partir et la suivre. Transformée en zombie cette fois, Jessica va être emportée par Wesley qui part avec elle dans l’Océan. Paul et Betsy pourront enfin vivre leur amour au grand jour. 

    Vaudou, I walked with a zombie, Jacques Tourneur, 1943 

    Dans l’espoir de la guérir, Betsy amène Jessica à une cérémonie vaudou 

    Val Newton, le producteur du film, avait demandé au scénariste de s’inspirer de Jane Eyre de Charlotte Brontë, avec dans l’idée de donner une atmosphère romantique à cette histoire. Mais en vérité, le lien est bien ténu, et ce n’est pas cette parenté que l’on distingue à la première vision. Pour tout dire, l’histoire d’amour entre Betsy et Paul ne semble guère avoir intéressé le scénariste, elle est un peu bâclée. Le film, quoique très court, s’attarde d’ailleurs sur le passé de cette île peuplée d’esclaves qui ont beaucoup soufferts, ce qui semble donner une sorte d’explication au culte vaudou comme un rejet de la religion de ces blancs qui les ont asservis et si maltraités. C’est un peu comme si la famille Rand-Holland payait un tribut spécial à cette ignominie. Mais cela n’est que le cadre dans lequel va se dérouler le drame. Celui-ci se noue autour de l’affrontement entre deux frères, l’un bon, l’autre mauvais puisqu’il a transgressé le tabou en convoitant la femme de son frère. Jessica elle-même paye sa mauvaise conduite par sa maladie mentale. L’intruse est Betsy, c’est elle qui met le feu aux poudres : pour ne pas avouer son amour pour Paul, elle est prête à tout pour sauver Jessica de son semi-coma, y compris à affronter les mystères du vaudou. Cette abnégation est nécessaire pour mieux comprendre et expliciter une forme d’amour sincère et pur. Cette attitude est présentée comme l’opposé à celle de Wesley qui manifeste une forme d’amour maladif pour Jessica, non seulement parce que c’est la femme de son frère, mais aussi parce que Jessica est virtuellement morte. On laissera planer le mystère jusqu’au bout parce qu’on ne sait pas au fond si Jessica était ou non un zombie. L’affrontement entre le rationalisme occidental et le mysticisme sauvage des descendants des esclaves passe aussi en réalité à travers Madame Rand qui ne sait plus très bien ce qui est réel et ce qui ne l’est pas.

     Vaudou, I walked with a zombie, Jacques Tourneur, 1943 

    Les adeptes du vaudou rentrent en transe 

    C’est un film de série B, mais la réalisation est très soignée. Non seulement les contrastes noir et blanc sont renforcés, et il y a une opposition intéressante entre les visages des noirs et des blancs, les premiers restent imperturbables, mystérieux. Les seconds sont plus tourmentés comme s’ils avaient besoin d’apprendre encore quelques leçons des duretés de la vie. Bien entendu c’est un film où la nuit garde la primeur. Les belles scènes se succèdent : par exemple la première fois où Betsy va croiser dans les escaliers Jessica qui ressemble avec sa longue robe à un fantôme. Le clou du film c’est évidemment la cérémonie vaudou. S’appuyant sur le rythme lancinant des tambours, le montage nerveux met en scène la transe et les danses frénétiques. Jusqu’à ce qu’on découvre la vieille madame Rand derrière ce fatras, ce qui permet de faire retomber la tension et nous ramène à une réalité plus matérialiste. Pour tout ce qui est procession, Tourneur est à son affaire, y compris quand les noirs vont récupérer les cadavres de Jessica et de Wesley dans l’Océan. On retrouvera les codes habituels du film noir, les stores vénitiens, les ombres portées ou encore les points lumineux, et cette capacité à saisir la profondeur de champ.  

    Vaudou, I walked with a zombie, Jacques Tourneur, 1943

    Betsy dort dans la chambre de Jessica, craignant pour sa vie 

    L’interprétation est dominée par Frances Dee. Elle manifeste suffisamment d’énergie et de retenue pour être crédible dans le rôle de Betsy. C’est une actrice qui n’a pas fait une grande carrière. A la ville elle était l’épouse de Joel McCrea, grande star des années quarante et cinquante. C’est un des rares couples hollywoodiens qui n’a été défait que par le décès abrupt de Joel McCrea. Peut-être a-t-elle limité sa carrière pour des raisons familiales ? Les rôles masculins sont moins intéressants. L’insipide James Ellison tient le rôle de Wesley. Seulement décoratif, il agace rapidement le spectateur. Il est vrai qu’il était plutôt habitué à jouer des rôles de cow-boy dans des westerns de de série B. Tom Conway est un peu plus convaincant dans le rôle du ronchon Paul. Mais enfin, il manque lui aussi pas mal de tonus. James Bell incarne le docteur Maxwell, il retrouvera un rôle presque semblable mais plus développé dans The leopard man, le film suivant de l’équipe Jacques Tourneur-Val Newton. Les noirs sont très bien choisis et sortent de la simple figuration en faisant preuve d’une humanité un peu inattendue dans un film de cette époque. 

    Vaudou, I walked with a zombie, Jacques Tourneur, 1943 

    Madame Rand s’accuse de la mort de Jessica 

    L’ensemble est suffisamment poétique pour ne pas laisser indifférent, malgré les années qui ont passé. Le film est moins bon que Cat people, et la photo de J. Roy Hunt ne vaut pas celle de Nicholas Masuruca, mais il tient bien son rang et mérite toujours d’être revu.

     Vaudou, I walked with a zombie, Jacques Tourneur, 1943 

    Ils retrouveront les corps dans l’Océan

    Vaudou, I walked with a zombie, Jacques Tourneur, 1943

     

     



    [1] Paru en français sous le titre de Les comédiens, Robert Laffont, 1966.

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