• West 11, Michael Winner, 1963

     West 11, Michael Winner, 1963

    C’est le premier long métrage de Michael Winner dont la carrière en dents de scie contient tout de même des films très intéressants. J’en ai parlé ici plusieurs fois. Mais West 11 s’inscrit plus précisément dans un courant dérivé de la Nouvelle Vague française, et qu’on a appelé le Free cinema dans lequel on range volontiers les premiers films de Karel Reisz, de Tony Richardson, de John Schlesinger voire même les premiers Ken Loach. Ce film va avoir une allure un peu hybride, comme A bout de souffle si on veut, à la fois un film de dérive, volontairement décousu, et film noir par certains aspects. C’est un film qui se veut résolument moderne, et donc qui va disserter sur la notion de liberté individuelle à partir d’un meurtre plus ou moins bien programmé, où l’ambiance va se révéler plus importante que le propos lui-même. Il y a un ton, une colère, qui va très bien représenter ces années soixante – les swinging sixties comme on disait – britanniques qui inspireront si fortement la mode et la musique comme on le sait. Film a petit budget, sans vedettes, il reste assez méconnu. 

    West 11, Michael Winner, 1963 

    Joe Beckett se morfond dans sa solitude 

    Joe Beckett est un jeune homme qui s’ennuie. Son travail l’agace, il n’arrive pas à se décider de ce qu’il veut avec les filles auprès desquelles il a pourtant du succès. Même les fêtes auxquelles il participe ne le passionnent guère. Il est très seul. Jusqu’au jour où il va rencontrer Richard Dyce, un escroc à la petite semaine qui va l’inciter à commettre un meurtre. Dyce a en effet une tante très riche, et si elle venait à mourir, lui-même hériterait d’une grande fortune. Joe va cependant se retrouver dans une situation qui l’ébranle, sa maîtresse Ilsa dont il prétend ne pas être vraiment amoureux, l’a trompé. Pris de colère, il la chasse. Mais sa propriétaire ne tolérant pas les disputes, le met aussi à la porte. Il se retrouve à errer après avoir déposé ses valises chez Gash, un vieux farfelu qui vit au milieu de ses livres. Un soir alors qu’il s’est endormi sur un ban de la gare, voilà Dyce qui le tenait sous sa surveillance, qui vient le relancer pour commettre le crime. Joe finit par accepter, un peu par désœuvrement. Dyce monte l’affaire, lui donne un peu d’argent. Joe va s’introduire chez la vieille dame, mais au dernier moment il renonce à la tuer. Cependant comme celle-ci menace de porter plainte auprès de la police, Joe la bouscule dans l’escalier, et la vieille dame décède. Dans la bousculade, Joe a laissé tomber son petit échiquier qu’il trimbale toujours avec lui. Il va être dénoncé par Jacko, un indic professionnel. La police va arrêter Dyce, et Joe va finir par se livrer lui-même en faisant ses adieux à Ilsa. 

    West 11, Michael Winner, 1963 

    Il se fait virer du magasin où il travaille 

    C’est donc le portrait d’un jeune homme en colère qui n’arrive pas à trouver un intérêt à la vie quotidienne et qui dérive sans rien attendre de la vie dans le quartier de Notting Hill, de femme en femme, de boîte de jazz en boîte de jazz, il regarde la vie passer, comme il regarde par exemple le meeting d’un parti d’extrême droite qui veut chasser les immigrés – déjà – et qui tourne à l’affrontement, affrontement auquel il ne participe pas. Cette désespérance ressemble fort à celle de Meursault, le personnage de l’étranger. On retrouvera les mêmes interrogations sur l’absence de sentiment ressenti ou encore la perte de la foi. Cependant, Joe Beckett vit une contradiction, puisque c’est bien parce que sa maîtresse lui déclare qu’elle l’a trompé qu’il va s’engager dans une dérive meurtrière. Autrement dit, c’est bien sa relation amoureuse avec Ilsa qui était le garde-fou de son existence fragile. Quand Joe va se retrouver au pied du mur, c’est-à-dire dans la position de tuer de sang froid la vieille tante de Dyce, il renoncera avec un sourire en coin, comme s’il avait enfin trouvé sa voie. Mais c’est trop tard, la mécanique fatale est enclenchée.  

    West 11, Michael Winner, 1963 

    Dyce va présenter un étrange marché à Joe 

    A travers cette histoire des plus sommaires, Michael Winner délivre un ensemble de portraits. Il montre d’ailleurs la difficile quête d’une émancipation féminine et les contradictions qu’elle peut entraîner. La dernière rencontre entre Joe et Ilsa, résonne comme un regret. Mais Ilsa n’est pas la seule victime de la liberté des mœurs, il y a aussi Georgia qui couche avec un peu tout le monde pour trouver un débouché à son ennui. Tous tentent de s’émanciper des codes anciens de la vie sociale. Joe envoie promener le compassé propriétaire du magasin pour lequel il travaille, Georgia a mis son enfant chez ses parents, ne voulant pas s’en occuper. Ilsa teste sa capacité de séduire qui la fait exister jusqu’à un certain point. L’histoire évite à peine la leçon de morale, car si on comprend les rancœurs et les hésitations de Joe, on voit bien qu’il est fragile, d’ailleurs à la fin il se raccrochera à l’idée qu’il aime peut-être Ilsa. Au-delà du meurtre qui n’intervient qu’à la fin du film, c’est une comédie de mœurs amère. Joe Beckett en s’enfonçant dans la turpitude signe également son adieu à l’enfance. Il a en effet une attirance particulière pour les personnes plus âgées qu’il évite de contrarier, que ce soit Dyce, le curé ou sa mère, et même Gash le farfelu érudit. Il accepte leur tutelle parce qu’il ne sait pas quoi faire. 

    West 11, Michael Winner, 1963 

    Un meeting d’extrême-droite 

    La manière de filmer est intéressante. Une place importante est donnée aux décors réels du film. La caméra va être extrêmement mobile pour cerner les mouvements de foule, mais aussi pour déduire l’importance des lieux sur les personnages. Si Winner retient les leçons de la Nouvelle Vague française, il va également intégrer les figures du film noir, comme cette capacité à filmer les espaces étroits dans les escaliers ou dans la chambre de Joe. Les bagarres au moment du meeting du parti d’extrême-droite sont bien moins réussies. Mais en général les scènes de foule, dans la boite de jazz ou à la gare au milieu des supporters de football, sont plutôt bienvenues. Il y a une volonté non pas documentaire, mais plutôt de saisir la poésie qui émane des contradictions de la ville elle-même. Il utilise plutôt bien pour un anglais cette fameuse profondeur de champ qui donne de la vie et du mouvement. Il y a une science des mouvements d’appareil qui donne beaucoup de fluidité. 

    West 11, Michael Winner, 1963

    Ilsa annonce à Joe qu’elle l’a trompé 

    Le film repose sur les frêles épaules d’Alfred Lynch dans le rôle de Joe Beckett. C’est un excellent acteur dont c’est, je crois, la seule incursion comme premier rôle. Acteur de petite taille à la figure un peu cabossée, il manifeste la colère rentrée de toute une génération, cette génération d’après-guerre qui ne croit plus aux valeurs de la consommation et de l’argent. Les autres acteurs sont moins présents. Mais ils sont bons, Kathleen Breck dans le rôle d’Ilsa, mélange d’ingénuité et de rouerie toute féminine. Eric Portman dans le rôle de Dyce est plutôt quelconque, une caricature du militaire britannique centré sur ses fausses valeurs et ses mensonges. Il n’est sans sodute pas assez machiavélique. Diana Dors est très bien dans le rôle de la mélancolique Gloria qui  écarte les cuisses pour exister dans un monde où l’individu est écrasé dans sa solitude. Enfin un petit coup de chapeau à Finlay Currie dans le rôle du vieil hurluberlu Gash. Les yeux bien exercés des cinéphiles reconnaîtront aussi David Hemmings dans le rôle d’un jeune loubard, David Hemmings qui allait bientôt accéder à la notoriété internationale grâce à Antonioni et son Blow up lui aussi filmé dans le Swinging London. 

    West 11, Michael Winner, 1963

    La tante de Dyce est morte 

    Le scénario n’est pas très cohérent, mais c’est un choix, puisque l’ambiance et le caractère de Joe sont privilégiés. Dans l’ensemble c’est un film très intéressant, aussi bien par l’époque qu’il rappelle à notre souvenir que par la manière dont il est filmé. C’est un film à tout petit budget qui montre qu’on peut faire du vrai cinéma sans beaucoup d’argent. Par sa manière de se situer entre le film noir et le film existentialiste, il rappelle par sa liberté de ton beaucoup Blast of silence d’Allen Baron dont j’ai dit beaucoup de bien[1], mais aussi Shadowd de John Casavetes. Le jazz est la musique naturelle qui accompagne l’histoire. On entendra même Acker Bilk qui était à l’époque le héros du jazz anglais qui n’en comptait pas tant. L’ensemble suggère la peur singulière d’entrer dans la société de consommation. Saluons ici le fait que Studiocanal l’ait ressorti en Blu ray ce qui souligne la belle facture de la photographie d’Otto Heller. 

    West 11, Michael Winner, 1963

    Joe fait ses adieux à Ilsa

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