27 Décembre 2024
Ce film est parfois connu sous le titre de La filière ou de Sicilian connection, à cause bien entendu du succès l’année précédente de French Connection. Il a été produit avant que le succès de The Godfather de Coppola balaye la planète. Il est sorti la meme année et certains qui veulent voir dans le nom du héros – Giuseppe Coppola – un hommage au grand cinéaste américain se trompent lourdement. C’est une sorte de poliziottesco dans sa version mafieuse. Mais il est assez peu connu, il est pourtant très original dans sa conception et son scénario est suffisamment inventif pour qu’on s’y intéresse. Ferdinando s’est attelé à l’histoire avec Dulio Tessari. Ce sont tous les deux des spécialistes du cinéma de genre, quoique Baldi ait plutôt été reconnu pour son travail dans le western spaghetti, genre qui ne m’intéresse guère même quand c’est Sergio Leone qui est aux commandes. A cette époque on parlait beaucoup dans les journaux de la drogue, des trafics qu’elle engendrait entre la Turquie et les Etats-Unis, le grand marché de l’héroïne, en passant par la Sicile et Marseille. La production est franco-italienne, mais une partie de ce film a été tournée en décors naturels en Turquie, pays qui avait deux avantages, c’était une destination exotique, et surtout les couts de production y étaient extrêmement bas. Le système était déjà bien rodé, on prenait un acteur américain pas trop cher, ici Ben Gazzara, et des acteurs de second rang afin de limiter les couts. Le tournage avait lieu pour une large partie dans décors naturels et les délais étaient très courts. Les contraintes qui pesaient sur ce genre de film ne pouvaient être contournées que par des gens très talentueux. Et en Italie, il y en avait beaucoup !
Giuseppe Coppola est arrivé en Turquie pour acheter de la morphine base
Giuseppe Coppola, un italo-américain, arrive à Istanbul pour tenter d’acheter de l’héroïne base. Écumant les boites d’Istanbul où il se saoule, il va rencontrer la belle Claudia qui va l’introduire auprès d’Ibrahim. Après avoir pris des renseignements sur son compte, celui-ci va le faire rencontrer Sacha, un Américain, qui depuis les zones désertiques d’Afyon contrôle la production du pavot. Il sympathise avec lui et même, lors d’une attaque de pillards, va lui sauver la vie. À partir de ce moment il assiste à la récolte du pavot et à l’extraction de cette sorte de lait qui va se transformer ensuite en morphine. Sacha va lui conseiller de rentrer en contact avec Don Calogero à Palerme pour profiter de ses capacités de transformation en héroïne. Les choses cependant ne se passent pas très bien, parce que des marseillais veulent tuer Don Calogero et soudoient quelques traitres dans l’entourage du Sicilien. Mais celui-ci a de la ressource et les fait abattre. Sans prévenir.
Claudia est un relais pour tester Giuseppe
Don Calogero cependant continue les transactions avec Giuseppe Coppola, alors que celui-ci entame une liaison avec la belle Lucia qui est membre de la famille de Don Calogero. Ce dernier va cependant expliquer comment l’argent sera réparti entre les membres de la filière, il ne reviendra qu’un seizième de la somme à Giuseppe, et aussi comment la drogue arrivera jusque dans le port de New York. Giuseppe doit alors partir et attendre l’arrivée de la drogue. Mais à l’aéroport la Guardia, Coppola est repéré par Mike qui travaille pour un peu tout le monde. Il s’empresse de prévenir la police, mais aussi la mafia newyorkaise représentée par le vieux Sally qui déteste Coppola et s’en méfie. Ce dernier va cependant, avec l’aide de son ami Tony récupérer la drogue sous la quille du bateau Traviataen en plongeant. Ensuite Coppola doit rencontrer les gens qui se sont cotisés pour acheter de la drogue en grande quantité et toucher son argent. Mais Sally qui doit conduire Giuseppe à ce rendez-vous dans une hôtel de luxe va le trahir, lui piquer son argent et vouloir l’éliminer. Ses hommes tentent de l’amener tandis que la police qui a suivi l’affaire commence à investir les lieux. Dans la confusion Giuseppe se libère et part à la poursuite de Sally. Il le rattrapera, mais la police coffre tout le monde. Devant les caméras, un tireur va dfescendre Giuseppe. C’est en vérité un leurre car Giuseppe Coppola est un infiltré qui travaillait pour la police de New York. Mais alors que la police lui demande de se faire oublier, il va se faire tuer dans la rue par un tueur anonyme.
A Afyon Giuseppe rencontre Sacha qui contrôle la culture du Pavot
La grande différence entre le giallo et le poliziottesco est que le second se veut réaliste, ou naturaliste, inscrit dans une forme presque documentaire. Donc si l’histoire va ressembler à une enquête de terrain, la forme de celle-ci en dépendra aussi bien en ce qui concerne les décors choisis et mis en scène que les couleurs utilisées. Le giallo utilise des couleurs violentes et tranchées, parfois kitch, jouant sur les couleurs primaires où le rouge sang est souvent le contrepoint. Le poliziottesco va utiliser des couleurs plus sobres, pastellisées souvent, une manière de faire surgir le poids du quotidien, des objets, des routes, des rues ou des immeubles. Très souvent le monde du travail est présent. Ici ce monde du travail va être représenté par ces femmes qui triment durement pour cultiver le pavot et en extraire la substance. Tout cet aspect est ici très bien rendu et fait le charme de ce film. Cela pourrait être une enquête, et d’ailleurs il est à peu près certain que des images de documentaires ont été utilisées à cet effet. Cependant le film contient aussi une histoire. On peut la juger un peu banale, mais elle est solidement charpentée autour du thème de la personne infiltrée par la police pour remonter la filière de la drogue.
Giuseppe assiste au chargement des extraits de pavot
Giuseppe Coppola est donc infiltré. Il a une couverture extrêmement solide, il est u n patron de boite de nuit qui a des accointances manifestes avec le milieu newyorkais. On ne saura d’ailleurs pas pourquoi il accepte de jouer ce rôle : pour de l’argent ? Il touchera en effet à la fin du film une prime, mais les risques élevés qu’il a pris nous semble disproportionnés. Il traverse donc cette filière, de la production à la consommation, donc de la Turquie à New York. À cette époque la police newyorkaise a déclaré la guerre à la drogue – sans beaucoup de succès d’ailleurs. Et cette drogue vient d’Europe, de Sicile et de Marseille où sont implantés les meilleurs laboratoires. Le film suggère sans trop s’appesantir une guerre entre les gangs siciliens et marseillais. Les meilleurs laboratoires – ceux qui tournent la plus pure – sont marseillais, mais au-delà de la concurrence, on sait que certains tourneurs marseillais s’installeront en Sicile et que Zampa travaillera avec la Camorra. Cette imprécision ne nuit pas au développement de l’action parce qu’au fond à cette époque le flou est encore entretenu sur les formes justement des réseaux et des clans.
Giuseppe va chercher à rencontrer Don Calogero
Le film en suivant la transformation et le cheminement de la drogue, se divise en trois partie, une partie turque, sans doute la plus originale, qui correspond à la production, une partie palermitaine qui est celle de la transformation, et une partie newyorkaise qui est celle de la consommation sur le marché final. Ce trafic étant par nature clandestin, il engendre des guerres et des trahisons. À la première étape Sacha doit faire face à une bande de sauvage du cru, à la seconde, c’est la rivalité entre marseillais et siciliens qui trouble le jeu et enfin à New York, c’est le rapace Sally qui veut éliminer Giuseppe pour s’approprier le magot. C’est donc la description d’un milieu où les enjeux sont tels que le sens de l’honneur et la loyauté sont dépassés par l’amour de l’argent. Russo n’hésitera pas longtemps pour trahir Don Calogero, le temps pour Ciro de mettre de l’argent sur la table. Lorsque les règles sont transgressées, la logique veut qu’une sanction de mort tombe. On notera que la seule personne dans cette filière qui ne succombe pas à la trahison c’est Sacha. Celui-ci au début de la chaine vit dans les montagnes, comme à l’écart des turpitudes de la vie urbaine. C’est un aventurier, une sorte d’explorateur plus qu’un criminel au fond.
Don Calogero fait visiter son laboratoire
C’est filmé sans prétention, mais en utilisant le grand écran, ce qui permet de beaux panoramiques sur les ports ou mieux encore sur les colonnes de pierres qui entourent le repaire de Sacha et qui rendent l’accès à son nid extrêmement difficile. Avec de longs travellings, on visitera les installations de Don Calogero, encore qu’on se demande comment un personnage aussi important reste aussi près de la fabrication de l’héroïne. Mais enfin on verra des alambics et des cornues ! Il est vrai qu’à cette époque tourner de l’héroïne était assez peu sophistiqué. Il y a assez peu de moments de respiration, et les scènes où interviennent les filles pour des relations sexuelles, sont assez peu nombreuses, c’est à peine si elles existent. Mais elles restent assez sobres. C’est juste après que le film noir à l’italienne – giallo et poliziottesco – vont se déchainer avec des scènes érotiques de plus en plus explicites. Les scènes de rue, qu’elles se passent à Istanbul ou à New York sont remarquables de vérité et de précision. La mort de Giuseppe Coppola ressemble à s’y méprendre à l’attentat subit par Don Corleone dans le premier épisode de The Godfather. Il est pourtant exclu, à cause des dates de tournages, de considérer que l’un a copié l’autre. La poursuite finale de Sally par Coppola est un modèle que les poliziotteschi ultérieurs perfectionneront. La scène de pré-générique qui voit un enterrement couvrir un trafic de drogue est aussi tout à fait remarquable quand arrive un carabinier qui a la prétention de découvrir ce que le cadavre recèle. J’aime bien aussi l’assassinat de Russo et de son complice dans le restaurant plongé dans le noir ! C’est très original. La longue séquence sur les lèvres rouges des deux jeunes femmes qui se disputent les faveurs de Giuseppe tout en mangeant une glace m’a semblé un peu lourde et inutile
Mike est un indicateur qui mange à tous les râteliers
La direction d’acteur est excellente. Ben Gazzara qui avait des origines siciliennes, de la région d’Agrigente, est parfait dans le rôle de l’intrépide Giuseppe qui remonte la filière. Il est juste et expressif, notamment à la fin quand il explique toutes les peurs qu’il a traversées durant cette aventure. Surtout connu en France pour ses participations aux films de Casavetes, Afyon, oppio, est le premier film qu’il a tourné en Italie. Il y retournera aussi bien pour des films de mafia, comme le très bon Il cammorista, que pour des films d’auteur comme Storie di ordinaria follia de Marco Ferreri.
Giuseppe va récupérer la cargaison de drogue sous le bateau
Derrière ce sont des acteurs très solides, des habitués du poliziottesco. Fausto Tozzi incarne le cruel Don Vincenzo Russo, puis on retrouve l’excellent Corrado Gaipa qui venait de tourner dans The Godfather et qui ici incarne un autre parrain, Don Calogero. Les filles, dont Silvia Monti, n’ont pas grand-chose à faire, mais elles le font bien, et José Greci dans le rôle de Lucia est très belle, comme elle couche avec Giuseppe, elle attise la jalousie de Rosalia incarnée par Malisa Longo. Mario Pilar est Ibrahim, son inquiétante présence suffit. Et puis surtout ne pas oublier le subtil Jess Hahn dans le rôle de Sacha.
Sally a piégé Giuseppe
C’est donc dans l’ensemble un excellent poliziottesco, avec de belles trouvailles scénaristiques comme cette scène où Don Calogero explique au tableau et avec une craie comment Giuseppe va être volé inéluctablement par ses associés. Le film a été, selon Roberto Curti, un bon succès sur le marché intérieur, mais en France comme d’habitude il a été ignoré de la critique coincée et boudé par les distributeurs. Il est a noté que si on trouve une bonne copie de ce film en Blu ray, celle-ci est en italien et sans sous-titres.
Les hommes de Sally veulent tuer Giuseppe
Giuseppe sera abattu par un tueur anonyme