11 Janvier 2024
Le succès de Comptes à rebours a incité Roger Picaut à poursuivre un peu dans la même veine, ou plutôt à travailler avec le même modèle économique et la même équipe. André G. Brunelin sera au scénario, et on retrouvera de nombreux acteurs qui avaient participé à la première aventure, Serge Reggiani, Michel Bouquet, Marcel Bozzuffi, et encore Amidou. Mais l’histoire va s’éloigner d’une simple représentation du milieu, et se porter plutôt vers la description d’une France prolétaire en crise, c’est-à-dire en voie de désindustrialisation accélérée pour laisser place à la modernité. Cette tendance se retrouve dans beaucoup de films noirs français, avec par exemple Le chat de Pierre Granier-Defferre, avec Jean Gabin et Simone Signoret qui sortira en 1971 qui donne comme cadre à leur intrigue un Paris qu’on démolie d’une façon méthodique à grands coups de pelleteuses. Cette situation particulière avec la destruction du quartier populaire de la Défense, venait juste après celle des Halles, et était le symbole haï du pompidolisme. En effet, derrière cette modernisation à marche forcée de l’Ouest de Paris, il y avait aussi toute une kyrielle de malversations, de détournements d’argent public et même des meurtres pour s’emparer d’un marché juteux. Ce scandale s’ajoutait à la laideur imposée aux malheureux Parisiens par des architectes complaisants et « internationaux ». En même temps, Pigaut et Brunelin vont revisiter le film de casse, comme l’avait fait avant eux Jean-Pierre Melville dans Le cercle rouge. Sauf qu’ici ce ne sont pas vraiment des professionnels, mais plutôt des demi-sels qui vont tenter de prouver que malgré tout ils ont du talent !
En passant devant la tour Roussel, ils repèrent un convoi chargé de diamants
Dans le quartier de la Défense, Gus et Pierrot traficotent des marchandises « tombées du camion. Un jour ils repèrent un convoi très surveillé qui transporte des diamants. Il doit y avoir une exposition en haut de la tour Roussel, flambant neuve ! ils commencent à rêver de dévaliser l’exposition. Gus juge que c’est trop difficile, Julien qui colle des affiches veut rester honnête. José est le premier à travailler l’idée. Bientôt ils vont s’adjoindre les conseils d’Albert, un vieux garçon qui vit avec sa mère, qui elle-même traficote dans la brocante. Mais bientôt tout le monde va s’y mettre. Julien étudie les plans amenés par José qui, travaille dans la tour. Ils vont tous visiter l’exposition et Gus prend l’empreinte de la clé qui commande le système d’alarme. Ils commencent à imaginer comment ils vont pénétrer dans les sous-sols puis escalader les gaines d’aération pour atteindre le 28ème étage. Mais ils buttent sur le système d’alarme, car s’ils ont compris, grâce à Albert, comment cela fonctionne, ils leur manquent le matériel pour mettre le système d’alarme en veilleuse.
Lulu balaye devant son bistrot
Gus a alors l’idée de revendre le coup à Raphaël, un truand installé qui dans un premier temps avait refusé. Détaillant longuement le système Raphaël va prendre l’affaire en charge. Ses hommes vont exécuter le plan concocté par Gus, Pierrot et leurs amis, sous leur œil vigilant. Le coup réussi sans souci. Tandis que la compagnie d’assurance s’affole, la perte serait de 3 milliards, Lulu se fait recevoir par Raphaël et tandis qu’elle détourne son attention, ses amis ouvre le mur et vole le coffre-fort où le truand a enfermé le butin ! Cependant n’arrivant pas à ouvrir le coffre, ils décident de transactionner avec la compagnie d’assurances. Ils demandent cinquante millions. La compagnie accepte, mais elle ne tient pas sa promesse, et ne leur donne que cinq millions, le reste se sont des faux billets de banque. Ils vont partager cette somme étriquée en huit, et regarderont les pelleteuses s’avancer pour finir de détruire leur quartier. Il est temps de s’en aller.
Gus et Pierrot tente de se débarrasser du carton de vêtements pour enfants
Comme on l’a compris, c’est un film de casse traité sur le mode léger, à la manière de I soliti ignoti – Le pigeon – de Mario Monicelli, sorti en 1958, ou encore d’Audace colpo dei soliti ignoti – Hold-up à la milanaise – de Nanni Loy sorti en 1959 qui lui aussi connu un grand succès international. L’équipe qui imagine le casse, c’est un peu un mélange des Pieds Nickelés et des prolétaires en voie de déclassement. Cependant le cœur du film ne se trouve pas là, mais dans une critique de la modernité. En effet la bande qui va imaginer le casse procède d’une sorte d’esprit de vengeance face à l’écrasement que le quartier subi. La tour est le symbole de cette arrogance. On verra des scènes d’exode quand les habitants, pauvres, forcément puisqu’ils déménagent avec une charrette à bras, devront quitter le quartier. D’ailleurs les casseurs ne sont pas du tout équipés, ils sont peut-être habiles pour imaginer le casse, mais ils n’ont pas le capital nécessaire pour aller jusqu’au bout de l’affaire. Cette équipe de bras-cassés n’a en vérité que très peu d’ambition. Même le prétentieux Gus qui vit du maquereautage de sa femme, ne vise jamais très haut. D’un côté il y a donc le monde des puissants, représenté aussi bien par la tour Roussel que par le truand Raphaël. Ce sont les deux faces du capitalisme. De l’autre, une bande plus ou moins bien soudée autour de sa misère. Ils sont en voie de disparition, et c’est pour ça que leur combat est important. A leur manière, ce sont des contestataires de la modernité.
Les derniers habitants quittent le quartier
Ces gens-là ne s’embarrassent pas de la morale ordinaire, ils manifestent certainement une forme de solidarité, mais en même temps, ils ne sont pas dans les clous pour respecter la loi. Celle-ci ne les concerne pas vraiment. Ce sont des anarchistes, sans la doctrine. Mais au-delà de ça, ils jouent sur leur force collective si on peut dire. Peut-être ne sont ils pas très malins, mais ensemble ils ont une créativité supérieure à celle de Raphaël et de ses sbires. Leur force, c’est la force du quartier qui reste en vie malgré les assauts répétés de la modernité. Quand ils ne peuvent pas avancer par leur compétence, ils font appel à la ruse qui leur permet d’utiliser la puissance de l’argent de Raphaël. Comme on le comprend le thème sous-jacent, c’est la révolte des petits contre les gros. Leur solidarité est représentée par la manière dont ils se sont encordés pour escalader les 28 étages de la tour.
Gus dit qu’il ne veut pas marcher dans le casse
Sont-ils attachés à l’argent ? Pas vraiment, et d’ailleurs ils se contenteront de peu avec les quelques vrais billets que leur a donné la compagnie d’assurances, leur triomphe c’est plutôt d’avoir monté le coup et de l’avoir réussi grâce à leur intelligence. Car à côté de cet aspect un peu brancaille des protagonistes, il y a tout de même un coup qui est très bien monté et qui va faire la pige à beaucoup de films de casse. Pigaut va donc passer une grande partie du film a détaillé la méthode pour réussir un casse d’envergure. Là les références cinématographiques sont nombreuses. Quand les protagonistes s’assoient autour d’une table dans le bistrot de Lulu, sous la lampe, pour étudier le plan, c’est évidemment à Asphalt Jungle de John Huston auquel on pense. Quand il filme la traversée des conduits d’évacuation et d’aération par toute la bande, c’est par contre au Trou de Jacques Becker auquel on pense, ou encore Mélodie en sous-sol d’Henri Verneuil. Ces longs couloirs, ce passages difficiles, sont le reflet du passage vers un autre monde, un peu moins contraignant.
Julien maintenant s’intéresse au casse
Cependant à l’évidence, ce qui intéresse le plus Pigaut, et nous aussi, c’est de filmer ce quartier qui est en train d’être assassiné par les promoteurs immobiliers. Les choix des décors sont judicieux, avec cette juxtaposition des maisons pauvres et éventrées et les immeubles écrasants et flambant neufs, de verre, d’acier et de bêton. Il va donc filmer des oppositions, la tour qui s’élève vers le ciel, et le quartier écrasé, abimé par les pelleteuses, mais aussi la petite camionnette 2CV, rafistolée, par opposition aux belles voitures des truands et par opposition aussi au convoi lourdement défendu par la police. Le film est habité par cette concurrence entre verticalité et horizontalité. C’est ce qui en fait la musique latente. Le bistrot de Lulu par opposition aux salles d’exposition est un lieu poétique et chaleureux. De même les petits truands du quartier sont mal équipés, avec des lampes électriques qui tiennent sur les casques de chantier avec des élastiques !
Gus a fait faire la clé de l’alarme
Techniquement il y a très peu de choses remarquables, ce qui n’est pas étonnant avec Pigaut, mais c’est propre. Quelques travellings arrière dans les sous-sols, des vues plongeants sur le quartier pour mettre en abime les oppositions dont on a parlé, ou encore le travelling latéral qui fait se rejoindre José et Pierrot qui, chacun de leur côté cherche à comprendre comment faire pour dépouiller la tour de son trésor. Les scènes dans le bar sont intimes et réussies. La photo de Jean Tournier est typique de ce qui se faisait à l’époque pour ancrer l’histoire dans la réalité matérielle. On peut regretter cependant la scène de la bagarre au début du film, ça n’ajoute pas grand-chose et ça donne dans le simplisme rigolard.
En passant par les sous-sols, ils espèrent atteindre la salle d’exposition
Pour le reste, Pigaut compte sur sa pléiade d’acteurs, et il n’a pas tout à fait tort. Si dans Comptes à rebours, la figure centrale était Serge Reggiani, ici le film est beaucoup plus choral et les rôles volontairement équilibrés. Serge Reggiani est plus effacé dans le rôle de Pierrot, il n’a plus rien d’un dur ou d’un désespéré, mais d’un petit vieux à la recherche d’un hobby pour occuper sa retraite. Michel Bouquet est très bon dans un rôle inhabituel pour lui d’Albert, le fils à maman un peu rêveur. Cette maman-là est la tonitruante Françoise Rosay qui surjoue toujours un peu. Marcel Bozzuffi a un rôle important, bien plus que dans Comptes à rebours. Il est Gus, ce maquereau prétentieux mais aussi rusé qui se venge des avanies que lui a infligées Raphaël. Bernard Fresson est très bon dans le rôle du prolétaire Julien qui voudrait bien rester honnête, il est le plus souvent très bon ! Et puis il y a la superbe Dany Carrel, toujours à l’aise dans n’importe quel rôle de composition.
Gus revend le coup à Raphaël
L’ensemble de la distribution est solide. Les yeux exercés reconnaitront aussi Victor Lanoux dans un tout petit rôle, celui de l’homme de main de Raphaël. Il était alors au tout début de sa carrière au cinéma. Gabriele Ferzetti est Raphaël, mais il son rôle est court. Notez encore Amidou dans le rôle de José – sans doute en avait-il marre de jouer les maghrébins de service – avec des lunettes, une sorte de sous-prolétaire – il est veilleur de nuit – avec des lunettes. Il est bien. Par contre la musique de Teo Usuelli est très mauvaise et se trouve en porte à faux avec le propos mélancolique de l’histoire. Je me demande bien ce qu’a voulu faire ce compositeur italien, mais en tous les cas il n’a rien apporté.
Lulu détourne l’attention de Raphaël pendant que ses amis déménagent son coffre-fort
Le succès commercial de ce film fut assez moyen, bien moins important que Comptes à rebours. Sans doute que le public ne voulait plus assister à l’écrasement de Paris par la modernité pompidolienne. Mais la critique de l’époque a été plutôt favorable au film. C’est un film injustement oublié, non qu’il soit parfait bien sûr, mais surtout parce qu’il témoigne sur un ton léger finalement d’une époque de destruction massive de Paris à travers une histoire et des personnages attachants.
L’assurance n’a pas payé ce qu’elle devait
Les pelleteuses vont finir par les chasser du quartier