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Le blog d'Alexandre Clément

Abby Berlin, Mary Ryan Detective, 1950

1950 fut un tournant dans le développement du film noir. On passa du héros négatif qui se trimballait des tas de tares et de problèmes, au héros positif, travaillant pour la police à remettre de l’ordre dans la société, donc à combattre le crime sous toutes ses formes. Mary Ryan, Détective procède de ce premier principe, mais évidemment ce n’est pas tout. Car si on est bien passé massivement entre les années trente et précisément 1950 du film de gangster au film de flic, ce film est aussi un discours sur l’émancipation féminine. Si Abby Berlin est peu connu, il faut rappeler qu’il est le réalisateur de huit films de la série des Blondie, le personnage de bande dessinée adapté avec succès à l’écran dans vingt-huit films et interprété par la « pétillante » Peggy Singleton entre 1938 et 1950 ! A partir de 1950, il travaillera presqu’exclusivement pour la télévision. Le scénario est de George Bricker, spécialisé dans les films à petit budget, voire de série B, il est l’auteur de quelques histoires de qualité, Cry Vengeance de Mark Stevens[1], ou encore Loophole de Harold D. Schuster[2]. Ce film a petit budget, oublié par presque tout le monde, est d’une durée à peine supérieure à une heure. Il faisait partie des doubles programmes de la Columbia. Il est à peu près certain que le studio ne lui prêtait pas beaucoup d’attention, il fallait juste mettre en scène une petite histoire, afin de maintenir captif le public. Marsha Hunt qui avait jusqu’alors une certaine surface, sans être une vedette du dessus du panier, était totalement plongée dans les ennuis avec la chasse aux sorcières, et elle sera blacklistée par Hollywood[3]. Cette femme de grand caractère qui est décédée en 2022 à l’âge respectable de 104 ans, était une progressiste, elle se réorienta après son bannissement vers la cause de la faim dans le monde, et plus tard soutint les mariages entre personnes d’un même sexe. 

Abby Berlin, Mary Ryan Detective, 1950

Mary va confondre Estelle la voleuse de bijou 

Une équipe de voleuses opèrent dans une bijouterie, d’un côté une mère et sa fille, de l’autre, une belle jeune femme sophistiquée. Elles font semblant d’hésiter pour acheter des bijoux de luxe. Mais le bijoutier s’aperçoit de la disparition d’une bague de prix, boucle son magasin, et appelle la police. C’est la policière Mary Ryan qui est chargée de l’affaire. D’une manière rusée, elle découvre la vérité, mais les deux complices de la voleuse sont parties. Mary emmène Estelle au commissariat. Mais les preuves manquent et le capitaine Billings choisit de ne pas la retenir. Il la fait suivre, et elle mène les policiers jusqu’à une maison où elle retrouve Wilma et sa petite fille. Cette fois Les voleuses sont confondus et partent en prison. Mais Billings comprenant qu’il s’agit d’un gang, veut remonter jusqu’à la tête. Pour cela il décide que mary Ryan va infiltrer le gang en se faisant passer pour une voleuse. Dans un premier temps, la police lui enseigne le métier de pickpocket afin qu’elle soit crédible pour les voleurs. Puis on l’incarcère sous un faux nom avec Wilma avec qui elle finit par sympathiser, après avoir fait semblant de ne pas vouloir lui parler. Celle-ci lui donne des indications et un mot de passe pour son contact et pour mieux se protéger en tant que voleuse à sa sortie de prison. Mary sort rapidement de prison, et va suivre la filière. 

Abby Berlin, Mary Ryan Detective, 1950 

Mary sympathise avec Wilma 

Elle rencontre un homme au bureau de placement qui lui indique qu’il va la faire travailler. Ça ne tarde pas. Elle va tenir le rôle d’une serveuse dans une grande réception bourgeoise, et avec Belden qui se fait passer lui aussi pour un maître d’hôtel, elle va voler un collier. Elle s’enfuit avec la bande et de là elle va remonter jusqu’au chef du gang, un certain Sawyer qui est aussi un éleveur de dindes. Ce dernier est un homme très prudent. Il va retenir Mary afin qu’elle ne se fasse pas repérer par la police. Puis le lendemain, il va lui expliquer comment il travaille pour expédier les bijoux volés en les insérant dans le cul des dindes ! pendant ce temps les flics s’inquiètent de la disparition de Mary. Mais celle-ci va participer à un cambriolage de manteaux de fourrure. Sauf qu’à la sortie du magasin, un flic les surprend et leur tire dessus, blessant Joey. Ils rentrent à leur quartier général. Joey est de plus en plus mal, mais le docteur contacté ne peut pas venir parce qu’il cuve son alcool ; C’est Mary qui va se proposer pour extraire la balle et sauver Joey, alors que les Sawyer l’auraient volontiers laisser crever pour ne pas avoir d’ennuis. La policer apprend que Mary a participé à un cambriolage, et également un bon citoyen vient raconter à la police qu’il sait où se trouve Mary. En effet, achetant une dinde, il y a trouvé un message de Mary lui demandant de contacter le capitaine Billings. Cependant Estelle s’est évadée de prison et atterrissant chez les Sawyer, elle découvre que Mary est là sous un faux nom. Elle la dénonce, mais alors que les Sawyer veulent lui régler son compte, Joey qu’elle a sauvé intervient. Une fusillade éclate, Joey est descendu, la femme de Sawyer aussi, et la police arrive. Mary aura droit à des vacances qu’elle espère passer avec un de ses collègues ! 

Abby Berlin, Mary Ryan Detective, 1950

Mary se rend au bureau de placement indiqué par Wilma 

Le scénario est astucieux, construit autour du personnage d’une femme énergique et déterminée, intelligente et pleine de sang-froid, faisant au passage la leçon à tout le monde, flics et truands réunis. Mais si c’est une femme émancipée, c’est aussi un bon petit soldat ! Malgré ses initiatives, elle prend soin d’obéir à sa hiérarchie en l’occurrence le capitaine Billings, qui est une sorte de père pour elle. C’est un film aussi d’infiltration, et donc Mary accepte d’aller en prison et d’y souffrir pour faire avancer les affaires de la justice. L’infiltration, comme nous le savons depuis Infernal affairs d’Andrew Lau & Alan Mak, tourné en 2002, est une tromperie à travers une troublante transposition d’identité. Et bien entendu la fourberie de la police qui utilise Mary Ryan comme Cheval de Troie, répond à la fourberie des Sawyer qui veulent faire croire qu’ils sont des petits entrepreneurs honnêtes. Les Sawyer sont tellement fourbes qu’ils empilent les fausses pistes comme des poupées russes : la piste du nettoyage à sec mène seulement à un élevage de dindes. Dans cette vision moderne de la lutte entre la loi et la délinquance, on voit que tout est caché, camouflé, derrière des mensonges. Tout est faux, y compris le collier de diamant ! 

Abby Berlin, Mary Ryan Detective, 1950

Mary va faire équipe avec Belden 

Dans une telle société, pour en dévoiler les dessous, il faut se méfier des apparences. Les entreprises de Sawyer sont d’autant plus fausses qu’elles gagnent de l’argent. le bureau de placement qui est la première porte d’entrée pour passer derrière le miroir est lui aussi faux. Et donc la loi doit suivre cette sorte de transformisme, au risque d’y perdre son identité, voir sa morale, puisqu’elle se bat pour protéger les citoyens et non pour les tromper. Elle aura donc des scrupules quand elle croit qu’elle a laissé Mary Ryan à l’abandon et qu’elle risque quelque chose. La police ment tout autant que les bandits, mais c’est pour la bonne cause ! On se pose la question jusqu’où cela est-il permis ? Et cela est d’autant plus vrai que le chef du gang, le vieux Sawyer, apparait comme un bon papa-gâteau qui prend soin de ses petits soldats, les récompensant correctement quand ils ont bien travaillé. Ce n’est pas une crapule ordinaire, c’est un homme d’affaires d’un genre spécial qui n’est pas du tout antipathique d’ailleurs. C’est un homme prudent, raisonnable, qui rationalise son activité pour le profit. Il n’y a pas de différence de nature entre lui et un capitaliste qui a pignon sur rue. 

Abby Berlin, Mary Ryan Detective, 1950

Après le vol des bijoux elle rencontre les Sawyer qui dirigent le gang 

La fourberie de Mary qui a envoyé Estelle au trou, va à son tour déclencher la vengeance bien naturelle de celle-ci. En effet, ce n’est pas drôle d’aller en taule, on y vit mal, on y mange mal. On remarque qu’Estelle se révèle plus perspicace que le vieux Sawyer. Là encore les femmes mènent la danse, et la fin du film est consacrée à cette lutte entre les deux femmes, sans qu’on comprenne tout à fait qui est la bonne et qui est la mauvaise. Cet aspect intéressant gomme les frontières de la morale ordinaire. Car si Estelle revient vers Sawyer, c’est parce qu’elle a confiance en lui, qu’on comprend qu’il a été bon pour elle. Cette bande de voleurs est une sorte de famille relativement unie sous l’autorité d’un patriarche. La fissure se fera cependant quand Joey est blessé et que Mary le soigne, alors que Sawyer dans un excès de prudence l’aurait volontiers éliminé pour sa sécurité. Mais, globalement les bandits n’apparaissent pas antipathiques, notamment le malheureux Joey. 

Abby Berlin, Mary Ryan Detective, 1950

Billings s’inquiète pour Mary et engueule ses hommes qui devaient la suivre 

Le scénario est simple, mais bien écrit, et avoir détaillé les méthodes du gang qui vole les bijoutiers de luxe est une excellente idée pour introduire le film, car cela permet de graduellement découvrir l’ampleur de ce gang, ampleur que la police ne soupçonne pas, ainsi on verra Joey surprendre la police au moment où elle arrête Wilma et Estelle, le prenant pour un simple livreur du pressing voisin. Le film est parfaitement équilibré, c’est vers le milieu que Mary arrive enfin à pénétrer le gang. Malgré sa courte durée, les détails sont nombreux et donnent de la densité à l’histoire, que ce soit l’apprentissage de mary pour devenir pickpocket professionnelle, ou la soirée qui aboutit au cambriolage du magasin de fourrures. Cette abondance de détails oblige le film à soutenir un rythme rapide et un montage serré. 

Abby Berlin, Mary Ryan Detective, 1950

Mary va connaitre toutes les combines des Sawyer 

Sur le plan cinématographique, c’est du studio, sans prétention, et du petit budget, peu de vrais extérieurs donc, de simples coins de rue vides de passants et d’automobiles, à peine quelques maisons au soleil, probablement filmées dans la banlieue de Los Angeles. La mise en scène est sans effet, avec peu de moyens et donc peu de plans larges avec profondeur de champ, ce qui est un peu gênant dans les deux scènes clés, celle du vol dans la bijouterie et celle de la fusillade finale. La scène de l’intervention chirurgicale opérée par Mary ne porte guère d’émotion, filmée sans qu’on ne voie rien, avec la tête du malheureux Joey en avant-plan, afin de masquer tout ce qui se passe derrière ! Mais l’ensemble reste vif, la photo et le cadre sont aléatoires, sans beaucoup de grâce. 

Abby Berlin, Mary Ryan Detective, 1950

Avec la bande à Sawyer, Mary cambriole un magasin de fourrures 

Le manque de finesse de la réalisation est cependant compensé par une solide interprétation. Marsha Hunt dans le rôle Mary Ryan est vraiment excellente et emporte tout devant elle. Dans une interview qu’elle donna à Alfred Rhode lors d’une présentation de Mary Ryan, detective en 2013[4], elle raconta qu’elle n’avait jamais vu ce film une fois terminé ! Mais qu’elle s’en souvenait comme d’une rencontre agréable avec un metteur en scène attentif et charmant. Elle se souvenait des scènes qu’elle avait tournées dans le détail. On l’avait vue dans des rôles moins légers, comme dans Raw Deal d’Anthony Mann, ici elle montre qu’elle sait jouer aussi la comédie. Elle porte facilement le film sur ses épaules. Tous les autres acteurs la mettent en valeur. John Litel est très bon quoique son rôle de chef de la police, Billings, soit assez étroit. 

Abby Berlin, Mary Ryan Detective, 1950

Un policier surprend les cambrioleurs 

Plus intéressant est l’excellent Harry Shannon dans le rôle du chef de gang Sawyer, il fait preuve de beaucoup de subtilité. Les autres femmes du film sont bien servies, que ce soit June Vincent qui incarne la voleuse sophistiquée et qui démasque Mary Ryan, ou que ce soit Victoria Home qui est sa compagne de cellule et qui montre qu’elle a du cœur, essayent de l’aider autant que faire se peut. Le casting est complété avec William Phillips dans le rôle de Joey, et John Dehner dans celui du faux maître d’hôtel, un habitué des rôles de canailles sournoises. Ils sont tous les deux remarquables. Comme on le comprend, le côté faible du point de vue de la distribution est le côté de la police, en dehors de Billings, et on ne comprend pas que Mary veuille partir en vacances – qu’on devine coquines évidemment – avec un policier aussi falot ! 

Abby Berlin, Mary Ryan Detective, 1950 

Mary extrait la balle qu’a reçu Joey 

Ce film exhumé il y a peu, grâce à l’obstination des passionnés du genre, est une bonne surprise pour les amateurs de films noirs. Il n’a sans doute pas la profondeur des chefs-d’œuvre du genre, mais il est suffisamment créatif pour qu’on le voit avec un très grand intérêt. On en trouve une mauvaise copie en DVD-USA, sans sous-titres, il me semble que ce film mériterait un Blu ray en hommage à Marsha Hunt.  

Abby Berlin, Mary Ryan Detective, 1950

Estelle qui s’est évadée va dénoncer Mary 

Abby Berlin, Mary Ryan Detective, 1950

La police intervient et coffre ce qu’il reste de la bande


[1] http://alexandreclement.eklablog.com/la-vengeance-de-scarface-cry-vengeance-mark-stevens-1954-a145101798

[2] http://alexandreclement.eklablog.com/loophole-harold-schuster-1954-a214727781

[3] Patrick McGilligan & Paul Buhle, Tender Comrades: A Backstory of the Hollywood Blacklist, St. Martin's Press, 1997

[4] Dans cette interview qu’on peut voir sur You Tube, elle rappelle ses ennuis avec l’HUAC, soulignant, ce qui n’est pas assez fait selon moi, l’antisémitisme de celle-ci.

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