25 Décembre 2016
C’est un film adapté d’un épisode d’une série à succès, celle des "Coplan". Francis Coplan est un agent secret créé par Paul Kenny, pseudonyme de deux auteurs belges Jean Libert et Gaston Vandenpanhuyse. Plus de 200 ouvrages auront été écrit sous le nom de Paul Kenny. les deux compères produisaient ensemble aussi sous le nom de Jean-Gaston Vandel, pseudonyme formé à partir de leurs deux noms, des ouvrages de science-fiction pour la collection Anticipation, toujours au Fleuve Noir. Les tirages des aventures de Coplan étaient considérables, avec Frédéric Dard, Paul Kenny était un auteur phare du Fleuve Noir. La série des Coplan a eu une longévité étonnante, elle a débuté en 1953 et s’est arrêtée en 1996, après que quelques épisodes aient été écrits par Serge Jacquemard. En même temps que se développait une autre vision des relations Est-Ouest, le style populaire et bâclé convenait de moins en moins. On a du mal aujourd’hui à s’expliquer ce succès populaire fulgurant, sans doute dû à ce mélange de roman d’aventure et de fantaisie scientifique qui ouvrait des horizons à un peuple avide de lectures et pas trop regardant sur les qualités formelles. Le contexte de Guerre froide était aussi un autre élément, ce qui nous vaut des leçons d’anticommunisme primaire assez fréquentes dans ce genre. Jean Bruce avec les OSS117 travaillait sur le même créneau. C’est d’ailleurs Jean Bruce qui, avant d’être débauché par les Presses de la Cité, avait lancé le genre au Fleuve Noir.
Six romans de la série seront portés à l’écran, avec un succès très relatif. Il faut dire que le cinéma français contrairement au cinéma américain ou anglais n’a jamais eu de passion particulière pour le récit d’espionnage[1]. On l’a toujours cantonné dans un sous-genre commercial et d’ailleurs les qualités d’écriture de la série des Coplan est plutôt médiocre. C’était bien avant le succès des James Bond ou de son négatif comme L’espion qui venait du froide et d’autres films adaptés de John Le Carré. Action immédiate est la première de ces adaptations et c’est Frédéric Dard qui s’y est collé avec officiellement Jean Redon et Yvan Audouard. Il semblerait que la part de Dard soit la plus importante. Mais là encore on ne sait qui a fait quoi de manière précise. Sur ce film on retrouve Claude Sautet comme assistant réalisateur. Sautet qui sera aussi assez souvent associé dans cette période-là avec Frédéric Dard dans la confection de produits de ce genre, un peu commercial, un peu fauché et sans trop d’ambition artistique.
Selon certaines sources l’ouvrage aurait été écrit entièrement par Frédéric Dard lui-même[2]. Dans une interview il dit ceci : « – A force de d’adapter pour le cinéma mes propres livres, Action immédiate, Le dos au mur, Le venin… l’envie m’est venue d’accompagner le sujet jusqu’au bout ». Pour moi qui suis pourtant très friand de découvrir des pseudonymes de Frédéric Dard[3], cette idée n’est pas très logique. En effet, le style n’a aucun rapport avec Dard, mais en outre la manière de développer une histoire en multipliant les détails inutiles, destinés à faire étalage des connaissances des auteurs, n’a jamais été, ni de près, ni de loin dans la panoplie d’écriture de l’auteur de San-Antonio. Je pense plutôt que le journaliste a extrapolé les propos de Frédéric Dard qui sans doute voulait dire que ses scénarios étaient trahis par les metteurs en scène, et donc que cela expliquait pourquoi lui-même avait décidé de mettre en scène Une gueule comme la mienne, d’après un de ses ouvrages[4]. On veut bien que Dard ait remplacé au pied-levé un des deux auteurs, mais deux en même temps cela semble improbable. D’ailleurs le vocabulaire utilisé ne trompe pas. Voici un passage érotique du livre :
« Les yeux de Diana irradiaient, sa chair dégageait un fluide charnel presque palpable et, quand elle riait à une plaisanterie de Francis, elle renversait la tête comme si, malgré elle, tous ses muscles ébauchaient les poses de l’abandon et de la pâmoison. Elle avait les lèvres gonflées de volupté… »[5]
On conviendra que même dans ses pires moments, Dard n’a jamais écrit de la sorte, et sans doute on me félicitera de m’être forcé à lire cet ouvrage pour le vérifier.
Beres et Diana échange les documents
C’est une histoire assez simplette. L’organisation de Kalpannen a attaqué un ingénieur en provoquant un accident mortel pour voler des plans et des échantillons concernant un avion révolutionnaire que les Français sont en train de mettre au point. L’organisation Cosmos contacte les services secrets français et propose de restituer les plans contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Le colonel va charger Francis Coplan de cette négociation qui doit se dérouler à Genève. Tout semble se dérouler assez bien, mais au dernier moment l’ingénieur qui accompagne Coplan pour vérifier la sincérité de l’échange remarque qu’il manque une partie de l’échantillon. Lindbaum refuse le marché et va se mettr en chasse pour retrouver le morceau manquant. De son côté Coplan appuyé par Walder et la belle Heidi va faire de même. Pour remonter la filière, il va séduire la belle Diana. Mais rien ne se passe comme il faut : Diana est tuée, et Heidi va servir d’appât. Elle échappe par miracle à la mort, Beres, l’homme de main de Kalpannen est tué par Coplan. De péripétie en péripétie, Coplan va démasquer la taupe qui travaillait pour Kalpannen au cœur même des services secrets français et récupérer les précieux échantillons de métal.
Kalpannen réunit son équipe
Evidemment l’objectif n’est pas de construire une intrigue très réaliste, mais de se servir d’une trame à vrai dire assez relâchée pour mettre en scène une succession de scènes d’action alternées de scènes de séduction pour donner un côté léger à la réalisation. L’ensemble est clairement démarqué des films d’Eddie Constantine, La môme vert-de-gris, Cet homme est dangereux ou encore Les femmes s’en balancent, qui sont des succès colossaux et qui ne coûtent pas très cher à produire. On économise sur les journées de studio en utilisant au maximum des décors naturels qui ont en outre l’avantage de faire voyager le spectateur à l’œil. Le scénario n’a d’ailleurs que très peu de rapports avec l’ouvrage de Paul Kenny dont la lecture s’avère assez difficile à supporter, ne serait-ce qu’à cause de l’absence totale d’humour de leur auteur. Donc le principe du film c’est d’abord de trahir le roman et de ne pas se prendre au sérieux. On va retrouver du reste quelques éléments des premiers San-Antonio. Coplan est ici plus proche du commissaire que du héros de papier créé par Paul Kenny. La mise en œuvre de ce principe frise du reste parfois le ridicule et donne un aspect sautillant au film qui peut apparaître assez lourd.
Heidi est jalouse et ne pardonne pas à Coplan son flirt avec Diana
Les scènes d’action sont plutôt bien menées, notamment l’attaque inaugurale à l’aide d’un camion, ou encore la fusillade sur le port de Gênes. Car on voyage, on passe en effet de Paris et sa banlieue à Genève, puis on revient par le train pour aller se balader du côté de la tour Eiffel et tout se termine en Italie, à Gênes, aux sons des mandolines. Mais l’ensemble reste plombé par les scènes sentimentales qui se veulent un peu humoristiques. Henri Vidal n’est d’ailleurs pas très à l’aise dans ce rôle incertain. C’est un bon acteur qui fait partie de l’univers cinématographique de Frédéric Dard, il a joué dans Les salauds vont en enfer, et il jouera encore dans le film très personnel Sursis pour un vivant, scénarisé par Frédéric Dard. Mais s’il est toujours très bon dans les rôles graves ; il est moins à l’aise dans la comédie sautillante vers laquelle bascule le film. Barbara Laage par contre est meilleure, elle est à l’aise dans tous les registres. Il en va de même aussi pour l’autre rôle féminin, Nicole Maurey, qui joue le rôle de la fourbe Diana. C’est une actrice oubliée qui pourtant avait eu du succès jusqu’à Hollywood. C’est dommage, elle avait non seulement un physique mais aussi pas mal de talent. Les autres acteurs sont des habitués de ce genre de film, à mi-chemin entre le polar et le film d’espionnage, Lino Ventura qui malgré un rôle assez bref crève littéralement l’écran. Il va devenir un des habitués du cinéma de Frédéric Dard et il se retrouvera lui aussi dans Sursis pour un vivant. Ici il est Beres, le tueur à gage qui s’introduit dans la clinique du docteur Serutti – une des photos du film servira de modèle à Michel Gorudon pour illustrer un San-Antonio, Le coup du père François[6]. Ce nom de « Serutti » est d’ailleurs typique des San-Antonio, il n’est pas dans le roman de Paul Kenny. Comme on le sait Frédéric Dard avait la manière rare d’écrire les noms propres anglo-saxons ou italiens dans des orthographes des plus fantaisistes. Et puis il y a Jess Han qui joue le mauvais américain, rôle qu’il porta durant trois décennies au moins. Ici il est chef de bande et se révélera peureux dès lors qu’on menace de lui crever un œil ! Pour le reste il fait trop confiance à ses hommes de main. Parmi eux on remarquera aussi André Weber dans le rôle d’un photographe trop curieux. Tout ce petit monde se réunira à nouveau pour Le fauve est lâché qui a tout de même un peu plus de tenu et qui consacre l’avènement de Lino Ventura comme la grande vedette populaire.
Coplan tente de négocier avec Kalpannen
Ce n’est pas un bon film, et sans doute sans la gloire ultérieure de Lino Ventura et celle de Frédéric Dard, on n’en parlerait plus beaucoup. Pour moi son intérêt est double, d’une part c’est un scénario manifestement de Frédéric Dard, une recréation à partir d’une trame ténue, dont de nombreux éléments se rattachent à l’univers sanantoniesque, et d’autre part, c’est une plongée renouvelée dans le cinéma du samedi soir des années cinquante. Le film aura cependant un assez bon succès commercial, mais la critique ne s’y est guère intéressée.
Beres s’est introduit dans la clinique de Serutti
Kalpannen est bien mort
Coplan explique à Lindbaum que celui-ci n’a plus rien à lui vendre
[1] En Angleterre le roman d’espionnage a suscité très tôt, avant la Seconde Guerre mondiale l’intérêt d’auteurs de premier plan, par exemple Eric Ambler – auteur génial mais un peu oublié aujourd’hui – ou par la suite Graham Greene et John Le Carré.
[2] Détective, n° 705, 1959.
[3] Je pense qu’on n’a pas fini d’en découvrir, et que cette tâche ardue ne finira jamais.
[4] Si ce film est très mauvais il est pourtant l’adaptation d’un roman excellent qui porte le même titre. En vérité Dard remplaça un réalisateur qui devait mettre le film en scène au pied levé, pour rendre service au producteur.
[5] Action immédiate, p. 104 de l’édition originale.
[6] Qui est le premier San-Antonio que j’ai acheté au moment de sa parution ! Anecdote dont tout le monde se fout, sauf moi bien entendu