4 Août 2019
Ce film est un vieux projet de Peckinpah, l’idée le poursuivait depuis 1970 lorsqu’il tournait The ballad of Cable Hogue. Mais il avait eu beaucoup de difficultés à en tirer un scénario présentable, il y avait usé beaucoup de monde. Et sur le tournage, les producteurs lui accorderont une paix royale. Et pourtant il y a dans ce film qu’on s’accorde à dire très personnel quelque chose qui ne fonctionne pas vraiment. Alors que Peckinpah doit sa renommée à sa capacité d’avoir su rénover le film de genre, ici on a du mal à se demander à quel genre ce film peut bien appartenir. Le film a été entièrement tourné au Mexique, pays qu’aimait Peckinpah, avec une majorité d’acteurs mexicains. Il tient du film noir, mais aussi du western et de la fable grotesque dont l’humour est pourtant totalement absent. On peut le voir comme une traversée fascinée du Mexique. Alors que Peckinpah aime en général les histoires denses, ici il n’y a qu’à peine un squelette d’intrigue.
El Jefe veut savoir qui a engrossé sa fille
El Jefe apprend que sa fille a été engrossé par un dénommé Alfredo Garcia. Il prend ça comme un affront personnel. Il va mettre sa tête à prix et promet un million de dollars à qui la lui ramènera. Ses hommes se mettent en chasse. Ils cherchent un peu de partout, Sappensly et Quill, les plus teigneux vont tomber sur un pianiste de bar, Bennie, qui tient une boîte à touristes et qui semble savoir où trouver Alfredo Garcia. En fait il sait que celui-ci est parti faire la fête avec Ileta, une chanteuse, dont lui aussi est amoureux et avec qui il aime faire la fête et boire. En réalité Ileta aime faire la fête avec un peu tout le monde, et semble avoir un appétit sexuel très grand. Mais c e n’est pas seulement pour cela que Bennie vient la voir, il a besoin d’elle pour retrouver Alfredo Garcia, mort ou vif. Ileta lui apprend qu’en réalité Alfredo Garcia est déjà mort et qu’il est donc absurde de le rechercher. Ils vont donc partir dans le Mexique profond pour retrouver sa trace. Mais ils sont suivis par deux Mexicains patibulaires dans un break vert. Sur le chemin Bennie avoue à Ileta qu’il l’aime, et donc qu’il veut bien l’épouser. Elle est très heureuse de cela, mais en même temps elle ne veut pas continuer à courir après Alfredo Garcia, elle pense qu’il est sacrilège de vouloir exhumer le cadavre pour en prendre la tête. Mais pour toucher de l’argent, il faut la tête, preuve qu’Alfredo Garcia est bien mort. Elle voudrait une petite vie bien tranquille avec Bennie, mais lui pense au contraire qu’il s’agit là d’une opportunité de se sortir de la mouise. Sur la route ils vont croiser une paire de bikers qui les menace de les tuer si Bennie ne les laisse pas violer Ileta. Tandis qu’Ileta s’apprête à subir les derniers outrages, Bennie se débarrasse du deuxième biker qui le surveillait, et il tue celui qui commençait à violer Ileta. Ils vont finir par arriver à un cimetière où on a enterré Alfredo Garcia. Ils vont attendre la nuit pour le déterrer, Bennie lui coupe la tête avec une superbe machette qu’il a achetée sur le marché. Mais il se fait assommer. Il se réveille. Il a été enterré vivant dans la tombe même d’Alfredo Garcia, et s’il a pu s’en sortir miraculeusement, Ileta est morte. Evidemment la tête a disparu. Bennie, fou de douleur, se lance à sa recherche. Il va rattraper les deux voleurs, les tuer, et récupérer la tête qui commence à avoir de plus en plus de mouches autour d’elle. Mais un autre obstacle surgit : c’est la propre famille d’Alfredo Garcia qui lui tombe dessus et qui prétend récupérer la tête. Au moment où la situation paraît bloquée, arrivent les deux tueurs professionnels, Sappensly et Quill. Ils font le ménage et tuent tout le monde sauf le vieux patriarche. Bennie va à son tour les tuer tous les deux et ramener la tête à El Jefe. C’est le jour du baptême du fils d’Alfredo Garcia. El Jefe accepte de payer le million de dollars à Bennie, mais celui-ci le tue à la grande satisfaction de sa propre fille ! Il s’enfuit, mais il n’ira pas bien loin, il sera abattu à la sortie du ranch d’El Jefe.
Bennie va demander à Ileta de l’accompagner pour chercher Alfredo Garcia
Comme on le voit, ce n’est pas bien recherché. Il n’y a pas vraiment de suspense, et les scènes d’actions ne sont pas assez excitantes pour tenir le spectateur en haleine. Il est difficile de trouver un thème particulier à ce film. Sauf si on se réfère au mythe d’Ulysse en supposant que finalement Bennie ne veut pas rentrer chez lui – d’ailleurs il ne sait pas vraiment où sa maison se trouve – et qu’il prend tous les prétextes possibles et imaginables pour s’éviter d’affronter sa propre réalité. Ileta se trouve alors dans la place de Circée. L’ensorcelant par ses manigances sexuelles, elle le tient éloigné de lui-même. On voit bien que quand il lui propose le mariage, il le fait à contre-cœur. La mission qu’il se donne, ramener la tête d’Alfredo Garcia pour encaisser beaucoup d’argent est un leurre. La preuve, lorsqu’il aura l’occasion de toucher ce fric, il l’oubliera sur la table, et puis il reviendra pour le récupérer, parce que tout de même c’est pour cela que seize personnes sont mortes ! Il est aussi dans une position de rivalité amoureuse avec Alfredo, même si celui-ci est mort. Il est toujours là entre lui et Ileta. Cette relation ambiguë qu’il entretient avec Ileta, est révélée plus encore avec la scène du viol qui est une répétition presqu’à l’identique de celle qu’on a vue dans Straw dogs. L’ambigüité vient de ce que finalement Ileta semble prendre du plaisir à se faire violer, ne serait-ce que parce qu’elle peut ainsi tester ainsi son pouvoir sur les hommes. On a dit que dans ce film Bennie était en fait un portrait de Peckinpah lui-même, arguant de sa solitude, de sa grande sensibilité, mais aussi de la peur qu’il avait des femmes qu’il consommait pourtant en grande quantité. C’est bien possible, mais ça ne fait pas une histoire, et encore moins un film. C’est même peut-être un handicap.
Ils arrivent dans un petit village où Alfredo Garcia a été enterré
Bien entendu à côté de cela on trouvera une analyse assez pertinente du Mexique et de son système de classes, l’extrême pauvreté côtoyant l’extrême richesse. Il va y avoir un regard très bienveillant du réalisateur sur ces petites gens qui ne vivent de rien et qui sont toujours près à se vendre pour subsister. Comme dans le roman de Malcom Lowry, Under the volcano, le Mexique est associé au sexe, à l’alcool et à la chaleur dans laquelle les âmes se perdent et se trouve la mort. C’est aussi une manière de confronter deux territoires, les Etats-Unis qui s’effondrent – les voitures sont délabrées et tombent en panne, mais c’est Nixon que Peckinpah détestait qui est le président – et le Mexique qui est la terre du renouveau de l’Humanité. A cette époque d’ailleurs Peckinpah prétendait s’y installer. Bennie boit plus que de raison, Peckinpah, aussi. Sauf évidemment que Peckinpah ne tuait personne et ne découpait pas de tête sur des cadavres ! Il y a aussi en prime une approche de l’homosexualité. Les hommes fonctionnent par couple : c’est Bennie et Alfredo par Ileta interposé, mais aussi les deux tueurs Sappensly et Quill. On verra Sappensly ébaucher un geste de tendresse envers son partenaire dont il constate la mort. Pour ces deux tueurs Peckinpah a retenu qu’il s’agissait bien là de quelque chose d’intentionnel[1]. Ils ressemblent d’ailleurs au couple de tueurs de The killers de Don Siegel dont il fut l’assistant réalisateur sur plusieurs films. Mais on peut aussi ajouter le couple de bikers qui ont un comportement pour le moins étrange, comme Charlie et Norman dans Straw dogs. C’était une obsession que Peckinpah aimait bien opposer à la déception que les femmes emmènent avec elles cette possibilité. On retrouve le même schéma : comme David s’opposait aux appétits insatiables d’Amy, Bennie est ici opposé à la sexualité débridée d’Ileta qu’elle avoue ingénument à Bennie.
Enterré vivant, Bennie va s’extraire de sa tombe
J’aime beaucoup Sam Peckinpah mais sans doute le plus étonnant est ici la médiocrité de la mise en scène proprement dite, ce qui me laisse perplexe quant aux remarques de ceux qui tiennent ce film pour un chef d’œuvre mal compris. Si à la sortie du film les critiques furent très largement négatives, avec le temps, elles sont beaucoup plus partagées et certains s’efforcent de le réhabiliter, comme si l’extravagant Peckinpah ne pouvait avoir fait que des chefs d’œuvre. J’en avait eu une mauvaise opinion au moment de sa sortie, je l’avais revu en restant sur le même sentiment. Mais maintenant, lors d’une nouvelle vision, c’est la misère de la réalisation qui me semble évidente. Rien ne vient compenser la minceur de l’intrigue. Il y a un manque de rigueur qui saute aux yeux. Du reste les plans sont plus longs qu’habituellement, le montage moins nerveux, bref c’est plus statique. Comment expliquer cette indigence ? Peut-être parce que tout le monde dit qu’au moment du tournage Peckinpah avait des tas de problèmes avec ses femmes et donc qu’il était un peu à côté de ses pompes. Mais aussi peut-être parce qu’il n’avait pas de producteur contre qui se battre sérieusement. Il avait en effet le final cut sur le film. Ce qui sera la seule fois dans sa carrière. Il y a cependant quelques belles scènes, l’ouverture sur Emilio Fernandez dans cette riche maison aux couleurs boisées. L’arrivée de Bennie et Ileta au village où est enterré Alfredo Garcia. Mais d’une manière surprenante, les scènes de violence sont assez ratées. Peckinpah a compensé son manque d’envie manifeste par des ralentis qui n’apportent rien. Il multiplie les gros plans de Bennie qui boit. Il y a un manque manifeste d’imagination. L’ensemble est très inspiré du film de Huston, The Treasure of the Sierra Madre, et Peckinpah ne s’en cache pas puisque le tueur Quill, lorsqu’on lui demandera son nom donnera celui de Fred C. Dobbs, soit le nom que porte Humphrey Bogart. Il y a une ambiance qui rappelle aussi un peu les films d’Emilio Fernandez, notamment La révolte des pendus inspiré de B. Traven. Il est clair que l’ombre du grand John Huston rode au-dessus de ce film. John Huston qui lui aussi célébrait à sa manière le Mexique – The treasure of the sierra madre, The night of the iguana ou encore Under the volcano en tant que réalisateur, mais aussi The bridge in the jungle où il n’était qu’acteur – avait une passion pour les perdants, tout comme Peckinpah. Le pire est sans doute qu’on trouve le film très long, et donc qu’on s’y ennuie un peu, par exemple le pique-nique où on voit Bennie faire sa déclaration à Ileta. Il y a bien 30 minutes de trop. La musique de Jerry Fielding n’est pas très remarquable et même la photo est parfois médiocre.
La famille d’Alfredo Garcia veut récupérer sa tête
Le rôle de Bennie est le pivot du film. A l’origine Peckinpah l’avait proposé à James Coburn, mais celui-ci trouvait le scénario trop indigent et le refusa, on le comprend. Peter Falk aussi déclara forfait, officiellement parce qu’il était trop pris avec Columbo. Il dut donc se rabattre sur Warren Oates, un habitué de la bande à Peckinpah, il a fait quatre films avec lui. Ici il s’est efforcé de reprendre des tics de Peckinpah lui-même, lui empruntant ses lunettes de soleil, mais aussi sa démarche. Il n’est pas très convaincant, alors qu’il peut être souvent très bon, comme par exemple dans le film de John Millius, Dillinger[2]. Mais ici il n’a pas l’air de trop savoir quoi faire. Du coup il cabotine un peu trop. Mais on a l’impression que tous les autres acteurs sont livrés à eux-mêmes, alors que Peckinpah est généralement un bon directeur d’acteur. Même le charismatique Emilio Fernandez dans le rôle très bref d’El Jefe reste assez terne. Peckinpah adorait Emilio Fernandez, très grand cinéaste ignoré, qui pour gagner sa vie faisait aussi l’acteur à Hollywood. Isela Vega tient le rôle d’Ileta. C’était à l’époque une chanteuse et une actrice très connue au Mexique, pays qui eut pendant longtemps sa propre cinématographie. Elle tient sa place du mieux qu’elle peut et n’a sans doute rien à se reprocher, exhibant fièrement mais inutilement ses seins lourds de femme ayant un passé. J’aime bien les deux tueurs incarnés par le toujours très bon Robert Webber et Gig Young, celui-ci retrouvera Peckinpah sur The killer elite. Les deux représentent très bien cette Amérique rationnelle et arrogante, sûre de sa force dans ses petits costumes bien coupés. On retrouvera aussi beaucoup d’acteur de The wild bunch, par exemple Enrique Lucero que José Giovanni aima à employer à plusieurs reprises – Le rapace et La Scoumoune. Peckinpah qui avait un caractère épouvantable était pourtant un homme fidèle avec les acteurs qu’il employait. Kris Kristoferson viendra faire un tour jouant un des deux bikers qui violent la malheureuse Ileta. Mais on ne peut pas dire que sa prestation soit remarquable.
Bennie vient livrer son sinistre colis le jour du baptême du fils d’Alfredo Garcia
Au final, avec les années qui passent je n’ai pas révisé mon opinion sur ce film. On peut s’en passer, sauf à se dire qu’il faut tout avoir vu d’un grand réalisateur. A sa sortie il avait été désigné par la critique américaine comme le pire film de l’année, et lors de sa première, la salle s’était rapidement vidée. Vu le nombre de navets que les ricains sont capables de produire chaque année, cela me semble tout de même un peu exagéré. Mais sans doute que cette distinction négative tient surtout au fait que de Peckinpah on attendait autre chose. Le succès commercial ne fut évidemment pas au rendez-vous. Ce film nuira beaucoup à la suite de la carrière de Peckinpah qui va avoir de plus en plus de mal à trouver des financements et même des sujets. En outre Bring me the head of Alfredo Garcia venait juste après Pat Garrett & Billy the Kid qui, s’il n’avait pas été un désastre artistique, n’avait pas été un succès public. Outre la difficulté de rattacher le film à un genre, il y a sans doute le grotesque mal assumé du propos qui plombe l’ensemble.